150 morts qui pouvaient être évités : Andreas Lubitz, la Lufthansa et « le facteur humain »



 

 

 

Tous les professionnels de la sécurité qui ont été confrontés à des crises – attentat, crime, trahison, dysfonctionnement industriel grave – connaissent bien une vérité qui vient de se rappeler au souvenir de la Lufthansa et de sa filiale Germanwings : dans une majorité écrasante de cas, le problème, ce n’est ni la technique, ni la qualité des équipements  ou leur maintenance, ni même les procédures mises en place pour gérer les situations « conformes » et les situations « non conformes ». Le problème, c’est le facteur humain.

 

En d’autres termes, blinder la porte du cockpit d’un A320 et mettre au point une procédure élaborée d’ouverture/fermeture de cette porte pour empêcher qu’un élément hostile venu de l’extérieur puisse prendre le contrôle de ce lieu névralgique et détourner l’avion où l’utiliser (comme le 11 septembre 2001) comme une bombe en le précipitant sur des bâtiments est une excellente chose. Mais elle ne sert à rien si le « système » est incapable d’empêcher une personne psychologiquement « fragile » (ce qui est un euphémisme) de l’intégrer, de se glisser à travers les mailles du filet, de s’enfermer dans ce cockpit et d’utiliser ces mêmes mesures de sécurité pour perpétrer son œuvre de mort.

 

Sous réserve que les dernières informations venues d’Allemagne soient justes, c’est exactement ce qui s’est passé dans le cas de Lubitz. Le drame est, ici, que cette nouvelle leçon doive être apprise au prix de la vie de 150 personnes.

 

Résumons. En 2009, Andreas Lubitz, alors âgé de 22 ans, est en formation à l’école de pilotage de la Lufhtansa à Brême, lorsqu’il doit interrompre celle-ci pour soigner des « attaques de peur panique » et un « épisode dépressif profond ». D’après le quotidien allemand Bild Zeitung, cet épisode psychiatrique durera un an et demi et, par la suite, Lubitz devra redoubler ses cours de formation « à plusieurs reprises » suite à de nouveaux épisodes dépressifs.  

 

Plus tard, lorsqu’il se trouve au centre d’écolage Airline Training Center Arizona de Phoenix, aux Etats-Unis, les instructeurs le catégorisent comme « inapte au vol » et marquent son dossier du sigle SIC pour « suivi médical régulier spécial ».

 

Les faits sont, semble-t-il, signalés aux autorités allemandes de régulation et de contrôle du transport aérien (Luftfahrbundesamt, ou LFB - Administration  Fédérale du Transport Aérien) par le centre médical de Lufthansaet que, toujours d’après les médias allemands, la licence de pilote de Lubitz était également marquée  SIC ….

 

Un document de l’European Aviation Safety Agency[1] daté du 15 décembre 2011 (et qui reprend des réglementations et normes préexistantes depuis des années) nous apprend que « une histoire ou l’occurrence de désordres psychotiques fonctionnels » sont « disqualifiantes à l’exception de cas rares où  la cause peut en être identifiée comme éphémère, ayant cessé et ne pouvant plus se reproduire ».  De même, un candidat avec une « histoire de schizophrénie ou de désordres hallucinatoires » (« delusional disorder ») ne peut être considéré comme apte « que si le diagnostic originel était inapproprié ou inexact ».

 

Il faudrait évidemment être psychiatre et avoir accès au dossier médical de Lubitz pour estimer si son état dépressif était assimilable à une psychose, mais le caractère « profond » et récidivant de cet état et des « attaques de peur panique » répertoriées justifiaient manifestement qu’il soit jugé inapte, comme il l’avait été à Phoenix.

 

Ces faits ne pouvaient pas ne pas être connus de l’encadrement de Lufthansa et des autorités allemandes puisque c’est dans les dossiers mêmes de la Luftfahrbundesamt que les journalistes de Bild Zeitung les ont dénichés.

 

Donc, Lufthansa a délibérément choisi d’ignorer les recommandations des instructeurs américains de Phoenix et a décidé d’engager un pilote présentant un profil à risque sérieux et de l’installer aux commandes d’un A320 pouvant transporter près de 200 passagers. Et cette décision a été entérinée, ou, en tout cas n’a jamais été contestée par l’autorité même en charge de la sûreté aérienne. On peut même se demander si le choix de le mettre aux commandes d’une filiale de la compagnie et non d’un appareil de la Lufthansa ne relevait pas d’une sorte de « période d’observation », ce qui serait évidement gravissime.

 

Il apparaît donc clairement que si le malheureux Andreas Lubitz présentait un risque, ceux qui l’ont laissé progresser dans sa carrière – la direction de Lufthansa et les fonctionnaires du LFB - en présentaient un beaucoup plus grand encore : Lubitz, par définition, ne devait pas comprendre qu’il représentait un danger majeur pour les autres, mais ceux qui l’ont « couvert » ne pouvaient l’ignorer.

 

Mais ils ont choisi d’ignorer les faits et ont ainsi contourné les procédures de sécurité qu’ils avaient eux-mêmes mises en place et qu’ils étaient chargés d’appliquer et/ou de faire respecter. A titre accessoire, le PDG de Lufthansa, M. Carsten Spohr a menti jeudi après-midi lors de sa conférence de presse lorsqu’il a déclaré que le secret médical lui interdisait de savoir si Lubitz avait un profil psychologique présentant un problème.

 

Outre le fait que Lufthansa et l’administration allemande, par leurs décisions irresponsables, se trouvent désormais au cœur d’une crise de confiance majeure qui ne peut qu’avoir des répercussions pénales et financières immenses, il importe évidemment d’établir au plus vite si, en Allemagne ou en Europe, d’autres pilotes de ligne sont dans le même cas qu’Andreas Lubitz.

 

Et il importe surtout que les conséquences de cette crise inouïe  soient

tirées et que ses responsables en paient le prix. Le rétablissement de la confiance, indispensable au fonctionnement du système, l’exige.  

 

 

 


© 2012 ESISC - European Strategic Intelligence and Security Center Powered by Advensys