Le Parisien: Claude Moniquet réagit au double meurtre de Magnanville



http://www.leparisien.fr/faits-divers/video-menace-terroriste-la-question-de-la-retention-administrative-des-suspects-se-pose-14-06-2016-5884137.php

Pour l'ancien agent de la DGSE Claude Moniquet, Larossi Abballa, qui a tué un couple de policiers lundi soir à Magnanville (Yvelines), était un suspect indétectable par les services de renseignement.

Directeur et cofondateur du Centre européen pour le renseignement stratégique et la sécurité (Esisc), Claude Moniquet réagit au double meurtre de Magnanville, revendiqué par le groupe Etat islamique.

 

Contrairement aux précédents attentats, les meurtres de Magnanville et la tuerie d’Orlando ont été très rapidement revendiqués et clairement par Daech. Y a-t-il un changement de stratégie de l'organisation terroriste ?

CLAUDE MONIQUET. Je ne sais pas si c’est un changement de stratégie, mais c’est effectivement quelque chose d’un peu nouveau. Cela correspond plus à une phase opérationnelle particulière, promise par le porte-parole Abou Mohammed Al-Adnani, également chef des opérations extérieures, dans un message audio diffusé le 21 mai dans lequel il appelait à faire du ramadan un épisode sanglant. Premièrement, la revendication par Daech est non seulement rapide mais sans équivoque car, dans le cas d’Orlando, l’attaque a été revendiquée à deux reprises, une fois par communiqué, une fois sur la radio. Deuxièmement, il y a une revendication par l’auteur des faits en temps réel. A Orlando, Omar Mateen a été en communication téléphonique avec la police pendant les faits. A ce moment-là, il donne son nom et dit qu’il agit au nom de l’Etat islamique. A Magnanville, Larossi Abballa a diffusé une vidéo en direct et posté des vidéos sur Facebook pour authentifier son acte. J’ai l’impression que le but de cet effort de communication immédiat est lié à la phase opérationnelle particulière (voulue par Al-Adnani). L'objectif est d’encourager d’autres personnes à passer à l’acte.

 

 

Daech ne revendique-t-il pas des attentats par opportunité, pour masquer des revers sur le terrain ?

Je serais prudent et me garderais de dire que l’Etat islamique est acculé. L’EI a fortement reculé ces derniers mois, il y a une série d’offensives qui sont en cours à la fois en Syrie et en Irak qui lui font du mal. Mais, on l'a vu ces dernières heures, il y a en même temps des succès militaires. L’organisation parvient à résister à la pression, notamment autour de Falloujah, donc je pense qu’il faut être très prudent, même s'il est clair qu’ils ne sont plus dans l’état victorieux dans lequel ils étaient il y a un an.

 

Dans son message de revendication, Abballa lance un appel au meurtre contre de nombreuses cibles : les policiers, les gardiens de prison, les journalistes, les rappeurs... Quelle cohérence à tout cela ?

Dans le cas des rappeurs, rarement désignés, c'est peut-être l’effet d’un délire ou c’est peut-être de l'intolérance de quelqu’un qui juge que le rap et la musique sont obscènes, immoraux, comme l’estime l’Etat islamique et qu’il faut donc persécuter ceux qui y participent. Les autres cibles sont des cibles beaucoup classiques, surtout les policiers qui sont les représentants de l’Etat. Mais ce qui est très nouveau et très inquiétant dans le modus operandi : le policier n’est pas attaqué dans l’espace public, dans l’exercice de ses fonctions, mais chez lui. Là, c’est la concrétisation d’une autre menace qui n’a pas été assez prise au sérieux, répétée par Al-Adnani à plusieurs reprises depuis 2014. En septembre 2014, il disait : « Même dans vos propres lits, vous ne serez pas à l’abri ». Le 15 novembre, après les attentats de Paris, l’Etat islamique répétait qu’il fallait tuer les gens dans leur maison. Il est clair qu’il y a là une étape qui est franchie dans la terreur, l’idée que même chez soi, dans l’intimité de sa maison, qui est un sanctuaire, où l’on doit se sentir protégé, on ne l’est pas. Et que personne ne l'est. Aux Etats-Unis, depuis quelques mois, l’Etat islamique a diffusé des listes de milliers de personnes à éliminer qui pour beaucoup ne sont absolument pas liées à l’armée, aux services de l’Etat, mais qui sont professeurs, sportifs... Cet aspect nominatif n’avait, à ma connaissance, pas été encore constaté en Europe avant la revendication du double meurtre d’Abballa.

 

Des événements d'Orlando et de Magnanville, comme lors de précédents attentats commis par des personnes seules, il semble difficile de tirer des enseignements en terme de profils de suspects...

Pour les services de renseignement, on est face à une menace protéiforme, très difficile à détecter et qui est encore plus difficile dans le cas d’un homme isolé, avant le passage à l'acte. Larossi Abballa avait déjà été condamné, il faisait l’objet d’une nouvelle enquête, mais on n’avait rien trouvé dans les écoutes qui ait permis de l’incriminer. Mateen lui avait été interrogé mais il n’y avait rien. On est face à des gens qui sont à peu près indétectables parce qu’ils vont préparer leurs actions soit seuls, soit entourés d’un tout petit noyau, comme ça avait été le cas de Mohammed Merah il y a quatre ans.

 

On a du mal à comprendre comment Abballa a pu passer entre les mailles du filet...

L’individu est connu pour un passé criminel, pour un passé djihadiste. Il y a quelques mois, il attire à nouveau l’attention des services de sécurité, il est fiché S. Il y a aussi des interceptions téléphoniques qui ne révèlent rien. Mais si l’homme agit seul avec un couteau, on comprend pourquoi on ne voit rien. Ça pose une question qui commence à agiter le milieu politique : celle de la rétention administrative. Ce serait une pratique clairement dérogatoire aux droits de l’Homme. Mais si on ne peut rien faire contre ce genre d’attaques, si des milliers de gens fichés S ou non représentent une menace importante, la question va continuer à se poser.

 

Outre l’aspect éthique que vous évoquez, il y a une question de moyens...

Je vais vous faire une réponse cynique, mais concentrer dans un centre de rétention administrative 500 ou 600 personnes, ça demande beaucoup moins de moyens qu’en surveiller autant. Si vous comptez une trentaine de fonctionnaires par cible, il faut à peu près 20 000 fonctionnaires. On ne les a pas.


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