Aise centrale : les grandes manoeuvres russes



 

 

Sur fond de rivalités russo-occidentales, de luttes d’influences pour le contrôle des immenses ressources énergétiques de l’Asie centrale et en raison des nombreuses incertitudes, voire inquiétudes, que soulève l’aventure afghane des occidentaux, le dernier sommet de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), le 4 février dernier à Moscou, a revêtu une importance particulière.

 

Si, à la décision prise au cours de ce sommet - création d’une force de réaction rapide - on ajoute les différents accords militaires en matière de défense aérienne que la Russie et ses alliés sont en train de passer et l’ambitieux plan de réarmement présenté le 17 mars par le président russe, Dimitri Medvedev, on voit clairement se redéfinir le paysage géostratégique d’une région clé sur laquelle Moscou n’a jamais cessé de veiller jalousement.

 

 

A) Le sommet de l’OTSC

 

  1. 1.    Une unité de bon aloi…

 

Ce sommet s’est conclu par un accord portant sur la création d’une force interarmées de réaction rapide apte à faire face à « un large éventail de menaces et de défis par la dissuasion, la réponse à une agression par des forces conventionnelles, la défense de la souveraineté et de l’intégrité territoriales des pays membres, la conduite d’opérations spéciales, la prise en compte des menaces asymétriques telles que le terrorisme international, l’islamisme radical et d’autres formes d’extrémisme violent, la lutte contre le crime organisé et l’organisation des secours en cas de catastrophes naturelles ou technologiques[1] ».

 

Les missions collectives de maintien de la paix figuraient déjà au rang des missions envisagées pour l’OTSC. Les documents, adoptés en 2008, à l’initiative des autorités russes, visaient à conférer à l’OTSC un volet « maintien de la paix, avec ou sans mandat international, sur le territoire de l’un des États membres ». Ils offraient aussi la possibilité d’une participation à des missions de maintien de la paix, sous mandat international, en dehors de la zone centrasiatique. Mais une telle différenciation entre « zone OTSC et reste du monde » montre bien le souci de Moscou d’apparaître comme le leader incontesté en matière de maintien de la paix dans la zone de responsabilité de l’OTSC.

 

Les chefs d’État ou de gouvernement des pays membres de l’OTSC ont donc signé un projet, aux termes duquel ils s’engagent, respectivement, sur la mise à disposition d’une unité de la taille d’un bataillon. Le président russe, Dimitri Medvedev, a annoncé que son pays fournirait une division et une brigade dotées d’équipements modernes similaires à ceux actuellement utilisés par l’OTAN. Selon son conseiller diplomatique, Sergueï Prikhodko, « les deux principales unités de ces forces de réaction rapide seront des unités russes - une division aéroportée, la 98ème division aéroportée basée à Ivanovo et la 31ème brigade d’assaut aéroportée, à Oulianovsk[2] ». Dans une phase ultérieure, il est envisagé d’adjoindre à ces deux unités militaires les troupes du ministère de situations d’urgence et, probablement, celles du ministère de l’intérieur. Sergueï Prikhodko précise également que cette force disposera d’un état-major et d’une garnison permanents et communs. Jusqu’à présent les forces de réaction rapide étaient placées uniquement sous commandement national.

 

Le catalogue des missions, tel qu’il a été défini, semble cependant démesuré en comparaison des forces spécifiquement identifiées pour, en cas de besoin, être effectivement affectées à l’OTSC. Outre le faible volume de forces consacrées à ce projet, force est de constater que, pour l’instant, les unités identifiées ne se sont, encore jamais entraînées ensemble et que l’on peut, raisonnablement, émettre des doutes sur leur réelle disponibilité opérationnelle immédiate.

 

Pour Gleb Pavlovski, directeur du « Fonds russe pour une politique efficace », un laboratoire d’idées basé à Moscou, cette force de réaction rapide « contribuera à la sécurité d’une région qui, derrière le Proche-Orient, se classe au deuxième rang en matière de risques politico-militaires ». Selon lui une telle décision traduit la « réalité des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale des jeunes républiques centrasiatiques et l’intérêt pour Moscou de disposer d’une ceinture de sécurité sur ses abords ». Sergueï Markov, directeur de l’Institut d’études politiques, réputé proche du Kremlin, estime de son côté que cette nouvelle structure militaire est destinée à « contrer l’islamisme radical et le terrorisme international » et qu’ellene doit pas êtreconsidéréecomme « un contrepoids à d’autres unions politico-militaires comme l’OTAN par exemple[3] ».

 

Du point de vue russe, l’OTSC semble bien constituer le meilleur outil possible pour, en dépit de l’effondrement soviétique des années 90, clairement rappeler au monde entier la continuité des ambitions moscovites sur cet ancien espace, symbole d’une gloire passée. Vladimir Poutine, alors président de la Fédération de Russie et qui déclarait que « la chute de l’Union soviétique avait constitué la plus grande catastrophe géopolitique du 20ème siècle », est, en 2002,  à l’origine de la création de cette organisation. A cette date  le Belarus, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, et le Tadjikistan se joignent à la Russie. L’Ouzbékistan les rejoint en 2006.

 

En dehors de la principale direction stratégique, la direction centrasiatique, l’OTSC entend également agir sur deux autres directions stratégiques importantes. La direction européenne (Belarus et Russie) et la direction sud caucasienne (Arménie et Russie). Ces deux zones possèdent d’ailleurs leurs propres groupes de forces.

 

  1. 2.   … qui dissimule mal quelques failles…

 

Lors du conflit russo-géorgien d’août 2008 pas un seul des alliés de la Russie au sein de l’OTSC ne s’est engagé aux côtés de Moscou. Avec la création de cette force de réaction rapide, Moscou semble espérer changer le cours des choses. Mais s’il y a maintenant un accord sur le papier, il y a, cependant, encore pas mal d’obstacles à surmonter. L’apparente unité de façade des chefs d’État participant à ce sommet, masque difficilement les réticences qui sont apparues et qui traduisent les tensions qui existent au sein de cette organisation. Le Tadjikistan et l’Ouzbékistan sont les premiers pays à avoir fait entendre leur différence.

 

a) Le marchandage tadjik

 

Le président tadjik, Emomali Rakhmon, a longuement hésité à se rendre à Moscou pour ce sommet. Invoquant des problèmes domestiques, il avait même annoncé qu’il n’y participerait pas[4], avant de se raviser le lendemain[5]. Certains observateurs estiment que, ce faisant, il cherchait vraisemblablement à faire monter les enchères autour de l’utilisation par les forces armées russes - la 201ème division de fusiliers motorisés - de la base de Douchanbe. Au cours d’un entretien bilatéral, en novembre 2008, le président russe, Dimitri Medvedev, avait émis le souhait de voir une deuxième base similaire être mise à disposition de ses troupes.

 

Ce qui semble le plus certain, c’est qu’il cherchait visiblement à afficher son désaccord sur le rapprochement russo-ouzbèk de ces derniers mois. Au cours de sa dernière visite officielle en Ouzbékistan, en janvier dernier, le président russe, Dimitri Medvedev, avait en effet rappelé que les « projets hydroélectriques en Asie centrale devaient prendre en compte les considérations de pays voisins[6] ». Une telle déclaration avait de quoi fortement inquiéter les autorités tadjikes qui y voyaient une mise en cause non dissimulée de leur projet hydroélectrique de Roghun. Un projet pour lequel le Tadjikistan attend, depuis 5 ans maintenant, que la Russie honore sa promesse de financement de 1,5 milliard d’euro et que l’Ouzbékistan voit d’un mauvais œil car il craint une aggravation de sa pénurie en eau.

 

b) La valse hésitation ouzbèke

 

L’Ouzbékistan a, en mettant en avant des considérations techniques et non politiques comme le Tadjikistan, une approche plus nuancée. Pour Andreï Denisov, vice-ministre russe des affaires étrangères, la position de l’Ouzbékistan est motivée par des « raisons purement techniques » liées à sa législation nationale. Il semble néanmoins que les diplomates ouzbèkes ne soient pas sur la même longueur d’ondes que celle de leurs homologues russes. Les réserves émises signifient clairement que Tachkent ne participera aux opérations de l’OTSC, qu’au cas par cas, et que sa contribution aux opérations d’urgence et à la lutte collective contre l’immigration illégale n’est pas à l’ordre du jour.

 

Officiellement, ces restrictions s’expliquent par l’absence de législation nationale en ce domaine. En conséquence, selon Vitaly Strugovets, porte-parole de l’OTSC, la participation de l’Ouzbékistan devra être coordonnée séparément. La position de l’Ouzbékistan n’est pas définitivement arrêtée, mais en l’état actuel des choses, son président, Islam Karimov, exclut la mise à disposition permanente d’une unité ouzbèke au profit de l’OTSC et il n’envisage d’action commune que dans le cadre de la lutte contre les trafics de stupéfiants. Cette position, en retrait, n’a surpris personne ; elle était connue depuis longtemps.

 

Si, apparemment, avec cet accord les divergences semblent provisoirement aplanies, il n’en demeure pas moins que de nombreuses incertitudes continuent de peser sur le futur de cette nouvelle structure militaire de l’OTSC. La rivalité, entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, autour du leadership en Asie centrale, les rivalités ethniques endémiques entre le Kirghizistan et l’Ouzbékistan au sujet de la région d’Osh et les incessantes et grandissantes querelles autour des problèmes d’eau, ne sont pas un gage de réussite pour cette alliance militaire, inspirée par le modèle de la KFOR, la force internationale de maintien de la paix au Kosovo sous commandement de l’OTAN.

 

  1. 3.   … malgré quelques inconditionnels

 

a) Le credo de l’Arménie

 

Sur un plan pratique, de tous les pays membres de cette organisation, l’Arménie est celui qui considère ce traité comme particulièrement bénéfique pour elle. Le général, Haig Kotanjian, directeur de l’Institut des études stratégiques auprès du ministère arménien de la défense à Erevan, a salué la création de cette force de réaction rapide qui, selon lui, « devrait dissuader ceux qui espèrent ou envisagent une solution militaire au conflit du Haut-Karabakh ». Ainsi que cette déclaration le souligne, Erevan considère avant tout l’OTSC comme un acteur militaire conventionnel, garant de l’intégrité territoriale arménienne.

 

Cette vue traditionnelle, expression de la fièvre quasi obsidionale des autorités arméniennes, diffère complètement de celle des chefs d’état centrasiatiques qui attendent de l’OTSC qu’elle s’attaque aux délicats problèmes des menaces asymétriques et aux défis du terrorisme.

 

b) Le jeu trouble du Kazakhstan

 

Le ministère de l’intérieur du Kazakhstan a récemment rendu compte en détails d’un violent accrochage entre un détachement anti-terroriste et un groupe d’extrémistes dans le district de Zelenov dans l’ouest du pays[7]. L’incident tombe à pic pour le Comité National de Sécurité du Kazakhstan qui, régulièrement, dénonce les menaces terroristes et extrémistes et réclame un coopération plus étroite avec la Russie, via les instances de l’Organisation de Coopération de Shanghai - OCS - et, surtout, celles de l’OTSC.

 

De nombreux analystes trouvent surprenante la volonté affichée du Kazakhstan de rejoindre cette alliance sous domination russe. Il semble en effet incongru de voir le président Noursultan Nazarbaïev s’engager aussi clairement dans une alliance militaire avec Moscou, au moment même où, avec en ligne de mire la présidence 2010 de l’OSCE, ses relations avec l’UE et Washington, prennent un tour nouveau, apaisé et porteur d’espoirs. Le fait de rejoindre cette alliance militaire est pour le moins contradictoire avec la ligne multipolaire de la politique kazakhe et de sa volonté récemment affichée de développer ses liens avec l’OTAN.

 

Le Kazakhstan s’est engagé à hauteur d’à peu près un quart des effectifs de cette force de réaction rapide. Le 12 février, le ministre de la défense du Kazakhstan, Daniyal Akhmetov, a surpris de nombreux observateurs, en annonçant que « la brigade d’assaut aéroportée affectée à la force de réaction rapide de l’OTSC est pleinement opérationnelle » et qu’elle constitue, d’ores et déjà, « un élément de poids de cette force ». La seule brigade aéroportée réellement opérationnelle dont dispose le Kazakhstan est la KazBrig, celle qui est partie prenante du programme du Partenariat pour la Paix (PPP) de l’OTAN.  Si, dans ses déclarations du 12 février le ministre de la défense faisait allusion à cette KazBrig, cela constituerait un sérieux camouflet pour l’OTAN, dont l’histoire retiendrait, avec ironie, sa « contribution active » à la mise sur pied, l’entraînement et l’équipement d’une unité kazakhe au profit de l’OTSC !

 

L’importance croissante d’Astana sur les plans géopolitiques et économiques aux yeux de l’UE est l’une des explications possibles de cette décision. Ces trois dernières années, la coopération énergétique et le transport des ressources énergétiques kazakhes en direction de l’Europe ont constitué les axes majeurs de la diplomatie kazakhe dans les discussions avec les officiels européens. L’importance d’Astana a été de nouveau mise en évidence lors de la dernière guerre du gaz qui a, au début de l’année, éclaté entre Moscou et les autorités ukrainiennes. Avec pour conséquence indirecte la mise en veilleuse des exigences occidentales en matière réformes démocratiques. Profitant de la poursuite des tensions russo-occidentales, Astana peut, tout à loisir, à utiliser son gaz et son pétrole comme un moyen de pression très efficace.

 

Autre explication à l’engagement résolu des autorités kazakhes aux côtés de l’OTSC, les incertitudes de la campagne militaire occidentale en Afghanistan. Les présidents Medvedev et Nazarbaïev semblent intimement convaincus que l’intensification des combats et des opérations militaires en Afghanistan ne finisse par déclencher un tsunami politique et militaire en Asie centrale. C’est ce qui ressort très nettement de l’interview de Dimitri Rogozin, le représentant russe auprès de l’OTAN, au journal Liter le 7 février dernier. Dans cette interview, ce diplomate insistait sur le « caractère catastrophique, pour la Russie, d’une défaite occidentale en Afghanistan ». Prévoyant qu’une telle défaite pourrait donner le signal d’une révolution islamiste en Asie centrale et dans le Caucase, il ajoutait que la présence américaine en Afghanistan servait « les intérêts de Moscou et qu’il serait bon qu’elle dure indéfiniment ». Les autorités russes redoutant un départ anticipé des américains, l’accord de Moscou sur la force de réaction rapide de l’OTSC prend tout son sens. Il s’agirait d’endiguer les menaces islamistes qu’un retrait précipité des occidentaux d’Afghanistan ne manquerait pas d’amplifier.

 

c)  L’alignement du Kirghizistan

 

C’est la veille du sommet de Moscou que le Kirghizistan annonce sa décision de mettre fin au contrat de location de la base aérienne de Manas au profit des États-Unis dans le cadre de leurs opérations en Afghanistan. Le même jour, le Kremlin aurait mis un prêt de 1,6 milliard d’euros et une aide financière de 120 millions d’euro dans la balance pour l’éviction des troupes américaines de la base[8]. Le Pentagone, par la voix de son porte-parole, Bryan Whitman, s’est voulu rassurant : « La fermeture de cette base - environ un millier de soldats américains et quelques dizaines de Français et d’Espagnols - qui permet l’acheminement mensuel de 500 tonnes de fret et la rotation de 15. 000 militaires au profit des opérations en Afghanistan, n’affectera pas, outre mesure, le soutien logistique[9] ».

 

Le représentant russe auprès de l’OTAN a indiqué que le Kirghizistan pourrait héberger une partie des troupes de la force de réaction rapide sur son territoire, en particulier sur cette même base de Manas. Selon le chef du Conseil national de sécurité, la décision du Kirghizistan est irréversible, alors que quelques semaines auparavant, le commandeur en chef des forces américaines en Afghanistan et en Irak, le général David Petraeus, estimait que l’avenir de la base ne lui semblait pas menacé.

 

Si pour les pays d’Asie centrale, il ne plane, actuellement, aucune réelle menace extérieure ils font tous, en revanche, face à des menaces intérieures certaines. Les autocrates qui président à leurs destinées apprécieront certainement l’assurance « tous risques » - couvrant particulièrement les menaces islamistes -  que Moscou leur propose. Mais ils ne semblent pas pour autant prêts à s’engager militairement aux côtés de Moscou. Il y a fort à parier que, dans le cadre d’un conflit toujours possible dans le Caucase ou sur les marches occidentales de la Russie, le Kremlin se retrouvera une fois de plus contraint d’agir en solitaire.

 

La Russie s’engage donc dans une alliance où le Kremlin tient le rôle de garant de la sécurité de fragiles régimes autoritaires qui n’ont pas grand-chose à donner en retour. Et le prix à payer est élevé. Moscou a annoncé sa décision de créer un fond commun de près de 8 milliards d’euro pour soutenir ses alliés face à la crise financière, fond dans lequel la Russie s’engage à hauteur de près de 6 milliards.

 

 

B. La défense aérienne de la CEI

 

  1. 1.     La refonte des accords

 

Le 10 février, le général Alexander Zeline, chef d’état-major de l’armée de l’air russe, annonce que c’est dans trois directions stratégiques - Europe de l’est, Caucase du sud et Asie centrale - que la Russie et ses alliés sont actuellement en train construire leurs défenses aériennes. Les accords préliminaires, calqués sur le système conjoint de défense aérienne entre le Belarus et la Russie, sont en cours de rédaction pour les autres membres de la Communauté des États indépendants (CEI).

 

C’est en février 1996 qu’un premier système conjoint de défense aérienne avait vu le jour. Composé de sept brigades de défense aérienne, de quarante six unités de missiles anti-aériens équipées des systèmes d’armes S-75, S-125, S-200 et S-300[10], 23 escadrilles de Mig-29[11], Mig-31[12] et Su-27[13], vingt-deux unités de transmissions et deux unités de guerre électronique. Au cours de la dernière décennie l’intégration des systèmes de commandement et d’information a été erratique et a souffert d’un manque évident de volonté politique, indispensable à la réussite d’un tel projet d’envergure. La Géorgie est rapidement sortie de ce programme quant à l’Ukraine son attitude a été des plus ambiguës. Exception notable, le Belarus, seul pays à avoir maintenu et renforcé ses capacités de défense aérienne et à coopérer étroitement avec la Russie. L’Arménie, le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan ont par ailleurs conclu avec la Russie sur le principe d’une défense aérienne interarmées.

 

Le général Zeline cite en exemple le Kazakhstan qui s’est lancé dans un programme de modernisation et de développement des ses systèmes de défense aérienne, politiquement et techniquement soutenu par Moscou. Dans le cadre de cet ambitieux plan en matière de coopération interarmées, les actions entreprises visent à concrétiser le projet Zaslon[14], l’automatisation des postes de commandements et des QG de la défense conjointe des États membres de la CEI par le biais de programmes bilatéraux. Moscou réfléchit à la possibilité d’e, faire profiter l’Arménie, le Kirghizistan et le Tadjikistan. En précisant que les forces aériennes russes se tiendraient aux côtés des États de la CEI le général Zeline réaffirme, un peu plus, le rôle de suzerain de la Russie en matière de défense dans le Caucase du sud et en Asie centrale. Le 13 février, Nicolaï Bordyuzha, secrétaire général de l’OTSC, en annonçant que l’Arménie et la Russie sont convenues de mettre sur pied un système conjoint de défense aérienne, dépeint cet accord comme un pas de plus vers une défense aérienne commune englobant le Belarus, l’Asie centrale et Caucase du sud.

 

  1. 2.   Le Kazakhstan, partenaire privilégié

 

La mise en place de ce système conjoint en Arménie, au Belarus et au Kazakhstan permettra à Moscou de recueillir des renseignements sur l’espace aérien dans trois directions stratégiquement importantes - Europe de l’est, Caucase du sud et Asie centrale - et nécessite l’entraînement des personnels de ces pays, en Russie, où ils recevront une formation à la mise en œuvre de systèmes intégrés de commandement et de contrôle des opérations et de systèmes d’information et  de communication (SIC). Elle sert aussi à dissuader ces mêmes États de recourir individuellement à la force et réaffirme la position de la Russie en tant que garant régional de la sécurité.

 

Le Kazakhstan possède un système de défense aérienne de type S-300 pour la protection d’Astana et d’Almaty. Le ministre de la défense, Daniyal Akhmetov, a confirmé la livraison prochaine de nouveaux systèmes du même type et souhaiterait même se voir équipé de systèmes russes S-400. Selon lui, ce renforcement des capacités de défense aérienne renforcera l’intégration de son pays au sein de l’OTSC.

 

C’est un aspect d’autant plus important que l’OTAN avait envisagé une coopération dans ce domaine avec le Kazakhstan. Depuis, Moscou a, avec l’assentiment des autorités kazakhes verrouillé la porte aux occidentaux. Tout en laissant la porte ouverte à la coopération militaire avec l’OTAN, Daniyal Akhmetov, n’a jamais remis en cause sa coopération avec Moscou.

 

Il semble bien que la solution du renforcement des liens avec la Russie soit la seule qui prévale maintenant. En septembre prochain, les pays membres de l’OTSC participeront, au Kazakhstan[15], à des exercices multilatéraux interarmées et pour Akhmetov, il ne fait aucun doute que le leadership en reviendra aux Russes. Essentiellement, en raison de leur participation en termes de qualité et de quantité des troupes mises à disposition et des matériels envisagés.

 

 

conclusion

 

Avec l’annonce, le 17 mars dernier, de leur ambitieux plan global de modernisation des forces armées - le plus important depuis plusieurs décennies - les autorités russes, enfoncent le clou et annoncent clairement la couleur. Agitant le spectre de la guerre froide et celui des nombreux conflits potentiels dans la région[16], critiquant les visées expansionnistes d’un OTAN quasiment aux portes de la Russie (Ukraine et Géorgie) le président Dimitri Medvedev a surpris par la teneur agressive de son discours.

 

Le timing de cette annonce est loin d’être innocent. A moins d’un mois du sommet financier du G20 à Londres, le Kremlin a prévenu qu’il avait opté pour une politique rigide à l'égard des États-Unis et de leurs alliés au sein de l’OTAN et démontré que la Russie entendait participer aux discussions de Londres sur un pied d’égalité. Il est vrai que le renforcement militaire de l’OTSC, la modernisation de la défense aérienne de la CEI, le réarmement et l’adaptation radicale des forces armées russes lui confèrent de solides atouts pour faire entendre sa voix sur les nombreux problèmes géopolitiques du moment, Iran, Afghanistan et Proche-Orient entre autres.

 

Parallèlement, le président Medvedev a envoyé un signal d’apaisement en direction de Washington[17], en annonçant son intention de contribuer à la stabilisation de l’Afghanistan, avec néanmoins une demande de concessions politiques à titre de « retour sur investissements ». Au menu de ces concessions, la reconnaissance tacite de la zone d’influence russe dans l’ancien espace soviétique, la fin du soutien appuyé de Washington aux autorités ukrainiennes et géorgiennes et le gel si ce n’est l’annulation, du programme de bouclier antimissiles en Europe. Moscou joue actuellement, avec Washington, la même partition que celle qui s’est jouée au début de l’année avec l’Europe lors du conflit gazier russo-ukrainien. Le face-à-face qui s’annonce avec la toute jeune administration Obama sera, à n’en pas douter, des plus intéressants.

 

Tout en adoptant une diplomatie vigoureuse qui donne un coup d’accélérateur à sa coopération avec les occidentaux, la Russie poursuit activement sa politique régionale qui, soit contrecarre les objectifs de l’OTAN, soit rend son éventuel engagement dans cette région beaucoup plus difficile sans son assentiment. En quelque sorte une « guerre froide virtuelle » qui autorise Moscou à combiner réduction de l’influence occidentale dans sa « sphère d’influence » avec l’affichage de sa volonté de coopération avec l’Ouest.

 

 

 

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[3] Ibid.

[7] Zhas Qazaq, édition du 6 février.

[8] http://www.jamestown.org/ (archives du 4 février 2009)

[10] Missiles sol-air à moyenne et longue portée. S-75 Code OTAN : SA-2 Guideline, S-125 Code OTAN : SA-3 Goa, S-200 Code OTAN : SA-5 Gammon, S-300 Code OTAN : SA-10 Grumble.

[11] Le MiG 29 (Code OTAN Fulcrum) est un avion de chasse de suprématie aérienne.

[12] MiG 31 (code OTAN : Foxhound) est un intercepteur russe. Il est dérivé du célèbre MiG 25 Foxbat

[13] Le Sukhoï 27 (Code OTAN Flanker) est un bi turboréacteur de chasse monoplace.

[14] Du nom des radars à effet doppler, tous temps, multi modes, embarqués sur les intercepteurs supersoniques MiG 21.

[17] http://www.jamestown.org/ (archives du 5 février 2009)


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