Aux confins du Pakistan et de l'Afghanistan : le grand jeu contre le terrorisme



 

 

« Tourner la page en Afghanistan et au Pakistan est un formidable défi. Cela ne pourra être réalisé qu’à travers une action nationale, régionale et internationale concertée. Cela nécessitera un gouvernement afghan réactif et responsable. […]Le conflit en Afghanistan ne peut être résolu sans aborder les problèmes complexes au Pakistan. […] Un Pakistan stable et démocratique est d’une importance stratégique pour le développement futur de la région. Toute approche internationale doit prendre en compte les différences entre le Pakistan et l’Afghanistan mais doit également inclure le besoin de complémentarité et de cohérence entre les deux »[1].

 

C’est ainsi que le Comité politique et de sécurité de l’Union européenne analyse la situation en Afghanistan et au Pakistan dans son document du 21 octobre 2009 au COREPER[2]. Près de 10 ans après que les premières troupes de l’OTAN aient posé le pied en Afghanistan, comment en est-on arrivé à une telle situation et à une « afghanisation » s’étalant au-delà des frontières du pays ? S’appuyant sur le remède qui a permis de pacifier l’Europe et mettant judicieusement le doigt sur le rôle clé de l’interaction Pakistan-Afghanistan, la solution prônée par l’Union européenne, dans la droite ligne de sa politique de soft power[3], passe essentiellement par l’aide économique et la coopération régionale. Tout pertinent que cela soit, la mise sur pied d’un hypothétique Etat afghan stable et la neutralisation des talibans ne pourront pas faire l’impasse d’une stratégie sécuritaire efficace et cohérente, notamment dans les zones tribales aux confins du Pakistan et de l’Afghanistan, espace où la frontière fixée en 1893 par Sir Henry Mortimer Durand, diplomate britannique, et l’émir afghan Abdur Rahman Khan, sépare artificiellement les tribus de cette région montagneuse.

 

Alors que l’OTAN s’apprête à lancer une grande offensive pour reprendre l’initiative en Afghanistan et que les drones américains Predator sont à l’œuvre dans les zones frontalières du Pakistan, il est nécessaire de rappeler que la stabilité de la région et la sécurité du monde se jouent aussi dans ces vallées encaissées.

 

 

I. Les racines du mal

 

  1. « Une brèche d’épée à travers les      montagnes »[4]

 

La maîtrise stratégique de ces zones tribales à cheval sur la frontière afghano-pakistanaise a, depuis des siècles, été un enjeu et une difficulté majeurs pour les puissances qui s’y sont employées : Perses, Grecs, Arabes, Mongols, Britanniques, Russes et maintenant Occidentaux coalisés sous la bannière de l’OTAN. Il n’est pas innocent que l’antique Bactriane soit parfois appelée « le cimetière des Empires ».

 

Des épisodes historiques récents éclairent ce surnom d’une lumière particulièrement crue. La passe de Khyber, l’un des passages stratégiques les plus importants entre l’Afghanistan et le Pakistan actuels, fut également le point focal du Grand Jeu ayant opposé la Russie et l’Empire britannique pour le contrôle de l’Asie centrale et de l’Inde au XIXème siècle. Comment ne pas mentionner l’épisode sanglant de la première guerre anglo-afghane au milieu du XIXème siècle, lorsque l’Empire britannique conquérant de l’Inde et maître des mers brisa ses ambitions sur la férocité des guerriers pachtounes ? Cette défaite constitua un coup majeur pour le prestige de l’armée anglaise en Asie, qui ne fut dépassé que par la chute de Singapour un siècle plus tard.

 

  1. L’invasion soviétique et la résistance      afghane (1979-1989)

 

Cet épisode sanglant ne fut pas le seul de l’histoire récente où une superpuissance fut déstabilisée par les tribus locales. L’invasion soviétique de 1979 en fut un autre. Cette invasion mobilisa les Etats-Unis contre l’Union soviétique, d’une part, en raison de la proximité des ressources d’hydrocarbures du Golfe persique. Et, d’autre part, parce qu’au même moment, en 1979, la chute du régime du Shah d’Iran, remplacé par un gouvernement théocratique profondément hostile aux Américains, renforça encore leur détermination à contenir l’avance soviétique dans cette région.

 

En pleine Guerre froide, l’intervention de l’Armée Rouge en Afghanistan, près d’un siècle et demi après les Britanniques, s’enferra dans une guérilla sans fin, qui lui coûta 15 000 hommes et fit un million de victimes du côté afghan[5]. Cette guerre périphérique du conflit Est-Ouest et les choix qui ont été faits par les belligérants à l’époque conditionnent aujourd’hui encore la situation stratégique et sécuritaire de la zone.

 

3.     Le Pakistan : sanctuaire de la résistance islamique

 

Pour contrer l’Union soviétique, le Pakistan, pays voisin de l’Afghanistan et dont les zones frontalières sont peuplées des mêmes ethnies, devint la base arrière et l’arsenal des opposants à l’occupation soviétique. Le soutien américain aux moudjahiddins, qui partaient  des camps de réfugiés du Pakistan afin d’en découdre avec l’Armée Rouge, devint ostensible lorsque les miliciens afghans furent équipés d’un matériel américain ultramoderne : le lance-missile sol-air Stinger FIM 92-A, qui fit des ravages contre les avions et hélicoptères russes.

 

Un allié clé dans la résistance à la présence soviétique fut le président du Pakistan Muhammad Zia ul Haq, qui s’était imposé à la tête du pays en 1977, à la faveur d’un coup d’Etat militaire où il avait fait assassiner le président Zulfikar Bhutto. Jouant à fond la carte de la religion et déterminé à « ré-islamiser » le Pakistan, il encouragea le port du voile pour les femmes, imposa un système bancaire et judiciaire basé sur la Charia et créa des dizaines de milliers de Madrassas (écoles religieuses) qui formeront autant de multitudes de militants islamistes. Par ces actions, il encouragera une culture du djihad qui se perpétue encore aujourd’hui au Pakistan.

 

Dans le conflit qui déchirait l’Afghanistan, Zia ul Haq avait en réalité son propre agenda et souhaitait ardemment que son voisin tombe aux mains d’un régime islamiste, que l’on espérait facilement manipulable à Islamabad. Le Pakistan, qui contrôlait la formation, la distribution de l’aide et des armes aux rebelles afghans, s’efforça par ce biais d’atteindre son objectif de « satellisation » d’un Afghanistan islamique. Ainsi, Islamabad favorisa clairement l’extrémiste islamiste Gulbuddin Hekmatyar[6] aux dépens d’autres groupes, dont celui du Commandant Ahmed Shah Massoud.

 

  1. La guerre civile afghane et le régime des      talibans (1992-2001)

 

L’Armée Rouge se retira sans victoire en 1989, impuissante à réduire la résistance des Afghans, qui disposaient du soutien matériel et logistique massif des Etats-Unis et de leurs alliés. La République démocratique d’Afghanistan prosoviétique s’effondra en 1992 et le pays connut une période de guerre civile où les talibans, (étudiants en religion) formés dans les Madrassas du Pakistan, conquirent progressivement le pays avec l’aide de l’armée pakistanaise, à l’exception de la zone tadjike qui restera aux mains de l’Alliance du Nord (dirigée par le Commandant Massoud). Les talibans prirent finalement le pouvoir à Kaboul en 1996, instaurant un régime islamiste totalitaire et rétrograde dirigé par le Mollah Omar, imposant à la population afghane une théocratie absurde qui détruira son patrimoine historique préislamique (les Bouddhas de Bamyan notamment), mutilera, exécutera et lapidera en invoquant le Coran, mais interdira aussi le port de chaussettes blanches, la musique, la danse, le rasage ou la détention de photographies.

 

Ils furent finalement chassés en 2001 à la faveur de l’intervention de l’OTAN, réaction militaire aux attentats du 11 septembre. Le soutien et l’hospitalité que le régime des talibans offrit au chef d’Al-Qaïda Oussama Ben Laden et à ses acolytes le désignait naturellement comme une cible. La chute des talibans et la capture de Ben Laden étant les objectifs affichés de l’action militaire des Occidentaux.

 

II. « L’Afghanisation » du Pakistan

 

  1. Les zones tribales du Pakistan :      « La première centrale terroriste de la planète »

 

Désormais chassés du pouvoir en Afghanistan par les Occidentaux, les talibans trouvèrent tout naturellement refuge dans les zones tribales pakistanaises dont ils sont originaires et où ils reconstituèrent leurs réseaux grâce à la bienveillance des services de renseignement de l'armée (ISI). On estime que 3 000 combattants d'Al-Qaïda ont passé la frontière pour s’installer au Pakistan.

 

Ces « Régions tribales fédéralement administrées (FATA) », situées au nord-ouest du Pakistan et bordées par l'Afghanistan, sont les plus rurales du pays et régulièrement en conflit avec le gouvernent central. Elles sont divisées en sept districts - Khyber, Kurram, Bajaur, Mohmand, Orakzai, Waziristan du Nord et Waziristan du Sud - et cinq régions frontalières. Ces régions montagneuses et arides aux confins du Pakistan et de l’Afghanistan, depuis toujours livrées à elles-mêmes, sont aujourd'hui devenues, selon le journaliste pakistanais Ahmed Rashid, expert du mouvement taliban, la première « centrale terroriste » de la planète.

 

En fait, face aux islamistes réfugiés chez eux, les Pakistanais ont d’abord continué à garder deux fers au feu : pourchassant les chefs d'Al-Qaïda, donnant ainsi des gages à Washington, mais encourageant discrètement les talibans à préparer la relève en Afghanistan, convaincus que les Occidentaux finiraient par quitter le pays[7]. Mais, comme les Occidentaux en avaient fait l’expérience après le retrait des Soviétiques d’Afghanistan, les autorités pakistanaises et l'ISI perdirent rapidement le contrôle de leurs créatures.

 

Lorsque l’état-major et les services de renseignement pakistanais finirent par s’en rendre compte et décidèrent, sous la pression de l’Ouest, de briser les talibans au sein même du Pakistan, il était trop tard. Ne pouvant en venir à bout, l’appareil de sécurité tenta des pactes de non-agression avec eux dans certaines zones, espérant que les talibans s’en satisferaient. Ils ne jouèrent pas le jeu, n’ayant plus vraiment besoin du support de l’ISI car ils recevaient l'appui d'autres groupes, eux aussi liés aux services de renseignement mais « démobilisés » : les miliciens islamistes kashmiris.

 

En effet, en 2004, le président pakistanais Musharraf décida de « réchauffer » les relations avec l'Inde et d’interrompre les infiltrations de militants extrémistes pakistanais au Cachemire, territoire disputé entre les deux pays. Dès lors, 100 000 activistes, formés à la guérilla par l'ISI, se retrouvèrent au chômage.

 

Le gouvernement pakistanais n'a rien entrepris pour désarmer ces groupes ou trouver une activité alternative aux miliciens. Les talibans et Al-Qaïda ont saisi l’opportunité qui se présentait à eux de rallier des combattants performants et expérimentés et de les retourner contre leur maître d’hier : l’Etat pakistanais. C'est ainsi qu'à partir de 2005, des groupes extrémistes, désormais alliés aux talibans et à Al-Qaïda, ont décidé de lancer le djihad au Pakistan et de prendre le pouvoir à Islamabad.

 

2.     L’offensive pakistanaise contre les talibans

 

En décembre 2008, les talibans ont pris sous leur coupe la vallée de Swat, située au Nord-Ouest du Pakistan. Ils y ont imposé leur loi, interdisant aux femmes de sortir non accompagnées et non voilées, détruisant plus de cent écoles accueillant des filles, prohibant toute critique de l’islam et pourchassant ceux qui écoutaient de la musique ou vendaient des DVD[8].

 

La vallée de Swat est un lieu stratégique, un noeud de communication. Elle ouvre l'accès à deux zones de conflits majeurs, l'Afghanistan et le Cachemire. Située à 100 kilomètres de la capitale et jusqu'à récemment un lieu de villégiature de l'élite, son infrastructure routière est de bonne qualité. C’est également une région riche en mines d'émeraudes, dont les talibans font le trafic, comme ils le font pour la drogue. Les talibans pakistanais se financent également via les enlèvements et l'argent de riches « mécènes » des pétromonarchies. Grâce à toutes ces ressources, ils peuvent acheter des armes, des véhicules performants et payer leurs hommes entre 200 et 300 dollars par mois, soit beaucoup plus que le salaire d'un soldat de l’armée pakistanaise.

 

Après quelques tergiversations et tentatives d’accommodements, fin avril 2009, le gouvernement pakistanais a lancé une offensive militaire afin de reprendre le contrôle de la vallée de Swat. Les talibans pakistanais de cette vallée n’ont pu véritablement résister à la supériorité militaire de l’armée pakistanaise, mais certains sont parvenus à fuir les zones pour d’autres contrées hostiles à la ligne d’Islamabad tels les districts du Sud-Waziristan et de l’Orakzai. En octobre 2009, l’armée pakistanaise a déclaré la fin des opérations à Swat et tourné ses canons vers le Sud-Waziristan où elle disposera également du soutien matériel et aérien des Etats-Unis. 

 

Entre octobre et décembre 2009, l'offensive dans le Sud-Waziristan bat son plein, entraînant dans son sillage des milliers de réfugiés et une pluie d’attentats de représailles sur les métropoles pakistanaises : Lahore, Islamabad et, surtout, Peshawar.  Les militants islamistes vont jusqu'à s'attaquer au quartier général de l'armée, à Rawalpindi en novembre 2009. Si selon les observateurs la structure opérationnelle des talibans a été atteinte, de nombreux militants auraient fui cette zone pour le nord et d'autres régions de la ceinture tribale à la frontière afghane, le Nord-Waziristan et l’Orakzai. Cette dernière région était le fief du nouveau chef des talibans pakistanais, Hakimullah Mehsud[9], probablement tué en janvier 2010 par des drones Predator[10].

 

Après le Sud-Waziristan, on aurait pu penser que l'armée pakistanaise allait concentrer ses opérations sur le district d'Orakzai, cette autre région tribale proche de l'Afghanistan, comme annoncé en décembre 2009 par le Premier ministre Youssuf Raza Gilani. Cependant, fin janvier 2010, via son porte parole, l’armée pakistanaise annonçait qu’aucune grande offensive contre les talibans n’aurait lieu dans les 6 mois à un an, officiellement « pour consolider ses acquis militaires »[11]. Mais peut-être y a-t-il d’autres raisons moins officielles.

 

  1. Une implication américaine croissante au      Pakistan

 

Depuis l'été 2008, les Etats-Unis s’impliquent de plus en plus au Pakistan et particulièrement dans ses zones tribales. Cette guerre de l’ombre se mène avec un minimum de forces sur le terrain. Depuis Nellis Air Force Base dans le Nevada, avec la CIA aux commandes, des drones Predator ciblent les terroristes réfugiés dans les vallées du Pakistan. Pour Washington, ces attaques sont un corollaire direct de l’action militaire en cours en Afghanistan. Cependant,  comme elles ont lieu sur le territoire pakistanais, elles ne sont pas sans créer une certaine tension avec Islamabad.

 

La première mission des drones d’attaque dans cette zone date de 2004, mais depuis la fin de la présidence de George Bush et l'arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, cette tactique est au centre des initiatives militaires américaines contre les talibans. Le nombre de frappes est passé de 36 en 2008 à 53 en 2009 (environ une par semaine). Et 2010 renforce encore cette tendance : fin janvier 2010, le décompte était déjà de 11 frappes, soit une tous les deux jours. Le tournant a été l'attentat du 30 décembre 2009 sur la base de Chapman à Khost, une ville afghane proche de la frontière avec le Pakistan, où 7 agents de la CIA ont été tués. Cette base est d’une importance stratégique pour les Américains et joue un rôle majeur dans la collecte d'informations sur les cibles à viser au Pakistan.

 

La quasi totalité des attaques de drones ont visé le Nord et le Sud-Waziristan, où, au-delà des leaders talibans pakistanais, une quinzaine de dirigeants d'Al-Qaïda ont été tués, notamment, Saleh Al- Somali et de nombreux volontaires étrangers (palestiniens, ouzbeks, philippins...). Ceci démontre s’il le faut l’enracinement d'Al-Qaïda dans la zone. Fort de ces succès, il est probable que les Etats-Unis vont accentuer l’utilisation de ce type de matériel, flexible, efficace et qui n’entraîne pas de pertes militaires américaines.

 

Si les dirigeants pakistanais ne protestent que mollement contre ces intrusions américaines dans leur espace aérien et les actions qui en découlent, il semble malgré tout qu’Islamabad voit son double jeu cynique vis-à-vis des islamistes perturbé par l’activisme militaire américain. D’un côté, les dirigeants pakistanais se félicitent que les Predator de la CIA visent le mouvement Tehrik-i-taliban (les talibans pakistanais, TTP) dans le Sud-Waziristan, qui s'est retourné contre eux ; de l’autre, ils s’inquiètent que des groupes liés à l’appareil de sécurité d'Islamabad et destinés à la lutte en Afghanistan soient également des cibles au Waziristan : au Nord de la province, respectivement le réseau Haqqani (du nom du vétéran afghan de la guerre antisoviétique Jalaluddin Haqqani) ainsi que l’organisation de Gul Bahadur et, au Sud, le groupe du mollah Nazir. Plus de la moitié des frappes les ont visés alors que ces groupes sont considérés comme de « bons talibans » par Islamabad et liés à l’appareil de sécurité pakistanais par des accords de non-agression. Comme on le voit, les drones remettent en cause la toile d’araignée tissée par les services secrets pakistanais. On ne sera pas surpris que l’une des principales revendications des Pakistanais soit d’ailleurs de se voir transférer le contrôle de cette technologie[12].

 

Dans le même temps, Washington renforce son aide économique à l'Afghanistan et au Pakistan, qui se partageront 7,1 milliards de dollars d'aide américaine en 2011. L’objectif de cette manne - 4 milliards pour l'Afghanistan et 3,1 pour le Pakistan -, qui ne sera qu’une partie de l’aide budgétaire civile américaine, est de « vaincre Al-Qaïda en augmentant l'assistance aux deux pays et en fournissant des fonds pour la gouvernance, la reconstruction et le développement ». Tout un symbole de l’importance croissante du Pakistan dans la donne régionale : ces fonds représentent un doublement des crédits du département d'Etat alloués au Pakistan et une légère baisse pour l'Afghanistan[13].

 

III. Conclusion : verra-t-on les talibans au pouvoir à Islamabad ?

 

L’armée pakistanaise, qui emploie un demi million de soldats, reste malgré tout un rempart contre les talibans et semble décidée à ne pas les laisser aller trop loin, même si une partie de la troupe est assez favorable aux islamistes. Il ne faut cependant pas négliger la capacité de nuisance des talibans et des groupes se réclamant d’Al-Qaïda, qui n’ont plus rien à prouver à cet égard.

 

Ils pourraient déstabiliser encore davantage le Pakistan et la région, créant un contexte politique, économique et social explosif où tout devient possible. En raison du conflit entre l'armée et les talibans et de la crise économique, le Pakistan risque d’être confronté à des millions de réfugiés et à un chômage massif[14] qui seront un terreau fertile où l’islamisme radical aura tout loisir de prospérer. Car l’avenir d’un Pakistan stable sera conditionné par le rapport que le pouvoir politique et la société vont entretenir avec la religion musulmane, trop souvent instrumentalisée, que ce soit par des groupes terroristes ultra violents ou des politiciens calculateurs tirant les ficelles en coulisse.

 

Le Pakistan de Pervez Musharraf et de son successeur Asif Ali Zardari est en définitive une pièce incontournable pour l’Occident dans sa lutte contre le terrorisme islamiste, malgré le double jeu des services secrets pakistanais vis-à-vis des talibans, qui a fini par coûter très cher au pays. Les offensives militaires, qu’elles fassent reculer la menace djihadiste ou non, resteront sans effets durables si les autorités du Pakistan continuent à manipuler cet explosif instable que constitue l’islamisme armé au gré de leur intérêt supposé.

 

La situation est difficile pour le président Zardari dont la capacité d’action est de plus en plus limitée. Si les institutions démocratiques sombrent dans l’impuissance, le Pakistan risque de se tourner vers un acteur considéré comme le plus apte à ramener la stabilité et l’ordre : l’armée. Bien vu par Washington, le chef d’état-major, le Général Ashfaq Kayani, est le principal interlocuteur de l’administration américaine. Même s’il exclut tout rôle politique, l’importance du Général Kayani sera sans doute appelée à croître si l’instabilité perdure au Pakistan[15].

 

Ce qui avait commencé 30 ans plus tôt comme une stratégie de riposte à l’invasion soviétique de l’Afghanistan a dégénéré en un long conflit régional et international dont nul ne peut prédire ni les conséquences ni le résultat final. Mais en caressant pendant des années l’islamisme radical dans le sens du poil, le Pakistan a pris le risque de jouer l’apprenti sorcier et de perdre complètement le contrôle de la situation.

 

 

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[1] Strengthening EU Action in Afghanistan and Pakistan, PSC, 21/10/09, http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/09/st14/st14064.en09.pdf

[2] Comité des Représentants Permanents.

[3] Capacité d'un acteur politique d'influencer indirectement le comportement d'un autre acteur à travers des moyens non coercitifs (économiques, culturels ou idéologiques, par exemple).

[4] Mots de Rudyard Kipling pour décrire la passe de Khyber.

[5] CNN, Soldiers of God, Documentary, 2001.

[6] Le même qui, plus de 20 plus tard, revendiquera l’embuscade de Subori en août 2008 où 10 soldats français ont perdu la vie. Il est recherché comme terroriste par les Etats-Unis. Source : 20080929-afghan-warlord-hekmatyar-claims-ambush-french-troops-afghanistan

 

[7] L’engrenage Taliban au Pakistan, L’Express, Dominique Lagarde avec Eric de Lavarène, publié le 23/09/2008.

[8] Les Talibans pakistanais imposent la Charia dans la vallée du Swat, NetLex Focus, avril 2009, http://www.netlexfrance.net/07/04/2009/les-talibans-pakistanais-imposent-la-charia-dans-la-vallee-du-swat/

 

[11] http://www.nytimes.com/2010/01/25/world/asia/25waziristan.html

 

[13] http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/02/01/01011-20100201FILWWW00690-afghanistanpakistan-7-mds-d-aide.php

http://www.topnews.in/usa/obama-seeks-31-bn-aid-pakistan-defeat-al-qaeda-23372

[14] Pakistan : le danger Taliban, entretien avec Ahmed Rashid, le Nouvel Obs, 18/6/2009, http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2328/articles/a403854-.html 

[15] Le Pakistan dans un équilibre précaire, Romain Bartolo, 8/1/10, Affaires Stratégiques-infos, http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article2600


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