El Salvador : le retour des Comandantes pour bientôt ?



 

 

Alors qu’une bonne partie du monde suit avec attention la campagne présidentielle américaine, l’un des plus petits pays d’Amérique latine, le Salvador, vient de déclarer sa propre campagne ouverte dans l’indifférence quasi générale.

 

Pourtant, à l’instar du Nicaragua qui, en janvier 2007, a vu le retour au pouvoir du « révolutionnaire » sandiniste Daniel Ortega,  le Salvador risque fort, en  2009, d’installer sur le fauteuil présidentiel le candidat du front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN), protagoniste d’inspiration marxiste-léniniste de la guerre civile qui déchira le pays durant toutes les années ’80.

 

Avec l’avènement de Mauricio Funes viendrait donc s’allonger la liste des dirigeants latino-américains qui sont plus enclins aux embrassades fraternelles avec le Vénézuélien Hugo Chávez qu’à s’ouvrir au « retour » plus ou moins attendu de Washington au sud du Rio Grande.

 

Et l’Amérique latine compterait un nouveau chef d’Etat  susceptible de jouer les apprentis-sorciers en tissant des alliances aussi exotiques que potentiellement néfastes dont ces derniers temps ont illustré l’existence.

 

 

1)     Pourquoi le Salvador risque-t-il d’en arriver là ?

 

a) Les élections qui s’annoncent

 

 Le 1er septembre dernier, le Tribunal Suprême Electoral a fixé au 15 mars 2009 les élections destinées à désigner, pour une durée de 5 ans, les nouveaux président et vice-président de la république. Les quelque 4,2 millions d’électeurs devront préalablement élire, le 18 janvier et pour 3 ans, leurs 84 députés, 262 maires et 20 représentants au parlement centre-américain (Parlacen).

 

b) Le panorama politique de ces dernières années

 

Le pays a célébré en 2007 le 15e anniversaire des accords de paix signés le 16 janvier 1992 à Chapultepec (Mexique) entre le président Cristiani et les formations de gauche regroupées au sein du FMLN, acte qui mit fin à quelque 12 ans d’une guerre civile qui coûta la vie de 75 000 personnes à ce pays de 6 millions d’habitants.

Ces accords ont effectivement permis au Salvador de retrouver la paix intérieure, le chemin de la croissance économique, l’ouverture à l’environnement international et l’exercice de la démocratie.

 

Celle-ci se reflète dans l’existence d’un nombre assez limité de  partis politiques mais qui se répartissent le spectre complet traditionnel gauche - centre - droit. Cinq formations se détachent :

 

  • L’Alliance Républicaine Nationaliste (ARENA - droite) 
  • Le Front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN      - gauche) 
  • Le Parti de Conciliation Nationale (PCN - droite)
  • Le Parti Démocrate Chrétien (PDC - centre)
  • Changement Démocratique (CD - gauche).

 

Depuis les accords de Chapultepec, les élections présidentielles, législatives et municipales se sont déroulées dans de bonnes conditions de transparence, selon un calendrier, régulier et leurs résultats ont été avalisés par les partis et candidats en compétition.

L’ARENA, qui présidait aux destinées du Salvador en 1992 en la personne de M. Cristiani, a su conserver le fauteuil présidentiel à ses candidats au fil des 3 élections de post-conflit (1994, 1999 et 2004) et ce, avec de très confortables avances de plus de 20 points (36 points en 1994) sur les prétendants du FMLN. Les candidats des PCN, PDC et CD sont toujours arrivés loin derrière les deux challengers principaux avec des scores ne dépassant pas, pour le meilleur, 7% des voix.

Cette même domination de l’ARENA s’est confirmée dans le cadre de toutes les municipales (tous les 3 ans). Celles de 2006 lui ont donné plus de 56% des municipalités. Le FMLN (20% des municipalités en 2006) se classe toujours là aussi au 2e rang, mais les « petits » partis ont grignoté ses positions depuis 2000.

Le panorama est – curieusement – sensiblement différent au chapitre de la représentation des partis à l’assemblée législative qui est  constituée de 84 députés renouvelés tous les 3 ans.

L’ARENA et le FMLN ont eu tour à tour et à quelques députés près le plus grand nombre de représentants mais sans jamais obtenir la majorité absolue, les PCN, PDC et CD étant les seules autres formations politiques capables d’obtenir des sièges. Les dernières législatives ont ainsi attribué 34 fauteuils à l’ARENA, 32 au FMLN, 10 au PCN, 6 au PDC et 2 à CD.

 

En dépit de cette situation presque immobile depuis 15 ans, de très nombreux observateurs s’accordent pour prédire un renversement au profit du FMLN en 2009, année qui va inviter les Salvadoriens à renouveler l’ensemble de leurs élus.

c) Les motifs du basculement de l’opinion

 

Au premier plan des raisons pouvant pousser les Salvadoriens à ne plus attribuer leur confiance à un représentant de l’ARENA, se range sans doute la détérioration récente du niveau de vie qui s’ajoute au constat récurrent de retards sur le plan social qui n’a pas enregistré d’améliorations à la hauteur de la croissance économique.

 

En effet, depuis le début des années 2000 et notamment après le choix de la « dollarisation », le Salvador a doublé son PIB tandis que la compétitivité de son économie, soutenue par des réformes d’inspiration libérale, se classe aujourd’hui parmi les meilleures d’Amérique latine.

La volonté du gouvernement d’ouvrir l’économie à l’extérieur s’est traduite par la signature et l’application du traité de libre échange avec les Etats-Unis[1], l’Amérique centrale et la République dominicaine (le CAFTA-DR en 2006) ainsi que par des traités similaires avec d’autres pays latino-américains et Taiwan.

En 2007, le PIB (22 Md de dollars américains) a enregistré une progression de 4,5% grâce aux bonnes performances des secteurs de l’élevage, manufacturier et des services[2]. Autre signe de bonne santé, les IED ont quadruplé par rapport à 2006.

 

Ce constat général mérite d’être nuancé au regard de l’importance que jouent les transferts des très nombreux Salvadoriens, émigrés pour raisons économiques principalement aux Etats-Unis : les remesas de ces quelque 2,5 millions de personnes[3] correspondraient à près de 20% du PIB.

Par ailleurs, l’ouverture à l’extérieur a provoqué la réduction d’activités et des capacités d’emploi des industries textiles.

Enfin et surtout, sous l’influence de l’augmentation des produits pétroliers, l’inflation s’est établie à 5% depuis 2006, tandis qu’en 2007 les revenus minimum ont globalement enregistré une baisse, au fil des variations qui se sont produites d’un trimestre à l’autre. Au 1e  semestre 2008, la capacité d’achat des ménages a été durement affectée par une envolée de l’inflation officiellement évaluée à 9,6% pour les 6 premiers mois de l’année.

 

Le taux officiel du chômage serait de 6,2% (30% selon certaines estimations) et celui d’alphabétisation de la population de 80,6%.

Mais en contre-point de ces chiffres, qui restent relativement modérés au regard de la réalité d’autres pays de la région, le PNUD attribue au Salvador un indice de développement humain (IDH) de 0,735 qui le classe au 103e rang des 177 pays qu’il a étudiés, soulignant ainsi les graves insuffisances du dispositif de redistribution des richesses[4].

 

Le second grand sujet de préoccupation et d’insatisfaction des Salvadoriens touche à la sécurité publique.

Aucun progrès sur le fond de la question n’est enregistré dans ce domaine en dépit de l’annonce de la baisse de 10% des homicides au titre du 1er trimestre 2008, la moyenne quotidienne du nombre de meurtres étant passée de 9,8 à  8,7 pour la première fois depuis 5 ans[5].

Les responsables de cette criminalité galopante sont les membres des maras, bandes de jeunes « en rupture avec la société » issus des classes pauvres et se livrant à des activités illicites et criminelles désormais étroitement liées - selon les autorités locales - au crime organisé.

Le président Flores (1999-2004) avait opté pour la méthode répressive (plan Mano Dura en 2003), et M. Saca a confirmé le choix avec le plan Super Mano Dura qui a rempli les prisons de pandilleros (4500 sur 14 600 prisonniers)  sans épuiser les ressources de cette criminalité, d’autant que les Etats-Unis ont augmenté les expulsions d’émigrés clandestins salvadoriens, dont 20% avec antécédents pénaux[6].

Par ailleurs, beaucoup de Salvadoriens se sont inquiétés face au choix du gouvernement de recourir depuis l’an passé à des méthodes autoritaires dans le règlement de conflits sociaux.

Ainsi, les fauteurs de troubles arrêtés lors de manifestations portant sur des activités de commerce de rue ou  provoquées par l’annonce de la politique de « décentralisation de l’eau », ont-ils été initialement traduits devant les tribunaux comme justiciables de l’application de la loi antiterroriste.

A plusieurs reprises, le gouvernement a été accusé d’un abus disproportionné de la force lors d’opérations de rétablissement de l’ordre public dans le cadre de conflits sociaux souvent locaux.

 

Illustrant les effets dévastateurs de la détérioration récente des conditions générales de vie de la population, une enquête d’opinion menée début septembre montrait que 78% des Salvadoriens classent les problèmes économiques en tête des problèmes nationaux, devant l’insécurité puis les questions sociales (pauvreté, chômage).

De plus, les trois-quarts des personnes considèrent que le gouvernement n’a rien fait ou peu fait pour s’attaquer aux problèmes économiques et pour plus de la moitié, les solutions adoptées ne mènent à rien….

 

Mais selon certains observateurs, il existerait des raisons moins « objectives » à ce basculement d’une opinion publique qui, depuis la fin de la guerre civile, n’a guère varié dans ses choix malgré un contexte de politique intérieure fortement bipolarisé.

 

Dans ce contexte, il semble en effet que le FMLN ait joué un tour de maître politicien en réussissant à présenter bien avant les autres partis  – dès septembre 2007 - et en la personne du journaliste de télévision Mauricio Funes son candidat à la présidence. Agé de 49 ans, personnage à la fois connu et très populaire pour ses « talk show » volontiers critiques des actions du gouvernement, M. Funes n’est devenu membre du Front qu’en août 2008. Mais il est solidement épaulé par le chef de file du Front à l’assemblée législative, Sanchez Cerén. Agé de 65 ans, ex-commandant guérillero et compagnon de Shafik Handal[7], M. Cerén  postule en effet au poste de vice-président.

 

Cette initiative a pris de court l’ARENA, a provoqué très tôt des prises de position raidies sur des préoccupations électoralistes et a bloqué à l’assemblée bon nombre des propositions du gouvernement, renforçant ainsi dans l’opinion l’impression d’immobilisme de l’exécutif face aux difficultés croissantes de la vie quotidienne.

 

 

2)    Ce que proposent le FMLN et Mauricio Funes

 

Lors de l’approbation de sa candidature par la 23e convention nationale du parti de novembre 2007, M. Funes a donné le ton, sans véritable surprise, sur le fond mais en démontrant une habileté certaine dans la présentation.

 

Prudent, il a demandé de pouvoir réaliser des alliances avec d’autres partis.

 

Après que le coordinateur du Front ait affirmé, en introduction, que le FMLN est  « un parti uni, scientifique, pragmatique et souple » il a soigneusement évité de développer les sujets les plus épineux tels que les affinités idéologiques avec les régimes cubain et vénézuélien ou bien les références à Dieu.

 

Bien entendu, M. Funes s’est engagé à promouvoir « la construction d’une société juste et solidaire », à régler les problèmes de la pauvreté et de la délinquance en investissant dans l’action sociale et en pourfendant les privilèges des nantis. Il a promis de respecter les investissements mais en conformité avec les lois ainsi que les accords existants avec les Etats-Unis « dans le respect du droit à l’autodétermination des peuples ». Enfin, il a annoncé l’ouverture de relations avec Cuba et la République populaire de Chine ainsi que le renforcement des liens avec le Venezuela.

 

En août dernier, lors de la 24e convention nationale du Front, M. Funes a présenté son programme de gouvernement. On a remarqué un ton plus agressif vis-à-vis de l’ARENA et de l’administration en place ainsi que la promesse d’une vraie liberté d’expression des media… quelques instants après que Sanchez Cerén les ait accusés de manipuler les informations et de chercher à effrayer les citoyens.

 

Le programme, qui reprend bon nombre de propositions présentées par le FMLN à l’assemblée législative et qui utilise abondamment un vocabulaire se prêtant à des interprétations radicales,  s’organise sur 4 chapitres-catalogues :

 

  • réforme sociale se traduisant par de très nombreuses      mesures : éducation, sécurité sociale et logement pour tous, lutte      contre la malnutrition, le travail des enfants, etc… ;
  • réforme économique associée au développement de      l’emploi et des droits des travailleurs et à l’aide au développement des      PME mais aussi à une « réforme fiscale intégrale »;
  • gestion de l’environnement ;
  • réforme politique dans laquelle se détache le choix de      la démocratie participative et qui vise parallèlement l’instauration d’un      « Etat social fort et efficace ».

 

Par ailleurs, ces derniers mois, aux cotés d’un M. Funes, qui s’efforce de ne pas être confondu dans le discours et l’attitude avec les cadres du parti,  les dirigeants du FMLN se sont faits plus présents dans la démarche électorale.

C’est notamment le cas de Medardo  Gonzales, « coordinateur général» du Front, qui, sans tenir compte des appels aux alliances lancés depuis un an par Mauricio Funes, a déclaré à la veille de la dernière convention nationale qu’il n’était pas question d’accepter à un poste de député du FMLN des candidats qui n’appartiendraient pas au parti.

 

De cette sorte de quiproquo dont beaucoup d’électeurs semblent se satisfaire, M. Funes continue aujourd’hui à tirer avantage et tient confortablement la corde dans les sondages sur les intentions de vote de ses compatriotes. L’opposition et le président Saca le premier n’hésitent plus à le désigner comme un cheval de Troie des communistes.

 

 

3)    Et l’opposition ?

 

Il est clair que, plus que jamais, l’opposition est incarnée par l’ARENA, même si les partis de moindre audience s’efforcent à ce jour de se singulariser en maintenant coûte que coûte un discours d’indépendance, notamment le CD à gauche et le PCN à droite[8].

Ce n’est qu’en avril 2008, soit près de 6 mois après le FMLN, que l’ARENA a désigné comme son candidat à la présidence M. Rodrigo Avila.

Agé de 44 ans, M. Avila a, depuis 1992, alterné des fonctions de directeur de la Police nationale civile, de vice-ministre chargé de la sécurité et de député du parti ARENA.

 

Bien que l’ARENA soit à ce jour bien entrée dans la campagne électorale, on remarque néanmoins qu’à la mi-septembre, M. Avila n’a toujours pas choisi la personne qui postulera à ses côtés aux fonctions de vice-président.

 

D’emblée, M. Avila a attaqué les ambitions du FMLN en dénonçant l’ambiguïté d’un parti qui, selon lui, puise ses références idéologiques à l’étranger et place « au-dessus de notre drapeau… les drapeaux de pays dont les systèmes de vie sont totalement opposés aux nôtres ».

 

Faisant en quelque sorte écho à Mauricio Funes qui prétend incarner une nouvelle gauche sous la bannière d’un vieux parti, M. Avila se présente comme le représentant d’une nouvelle droite populaire oeuvrant « pour un pays plus juste ».

 

C’est d’ailleurs sous cette devise que Rodrigo Avila a placé son « Plan pour la Nation 2009 – 2014 » promu par « une droite au visage plus solidaire, plus juste… défendant le libre commerce … tout en étant le plus acharné protecteur des familles et des travailleurs ».

 

En fait, dans ses grandes lignes, le programme de l’ARENA ne présente guère de différence avec celui du FMLN, à ceci près qu’il préfère le terme de « gestion » à celui de « réforme » :

 

  • gestion sociale ;
  • gestion économique ;
  • gestion de l’environnement ;
  • gestion de la justice ;
  • gestion politique.

 

Ne parvenant pas à reprendre l’avantage du discours ni la vedette de la scène électorale, Rodrigo Avila a tendance à s’en prendre aux personnes, accusant son rival d’avoir copié son programme ( !), mettant en doute son autorité au sein du parti, déclarant qu’un futur débat public devrait plutôt le placer face au « directoire communiste » que face à M. Funes…

 

Comme il fallait s’y attendre, le FMLN a été accusé de recevoir une aide du Vénézuélien Hugo Chávez.

Le président Saca lui-même est intervenu sur la question en rappelant son chargé d’affaires à Caracas afin d’élucider les rumeurs selon lesquelles certaines municipalités aux mains du FMLN recevraient du pétrole vénézuélien à bas prix….

 

Ainsi, bien que depuis l’entrée en lice de M. Avila, l’insolente avance dans les sondages de M. Funes se soit réduite, il serait aujourd’hui risqué de dire que le candidat de l’ARENA parviendra à neutraliser le fort penchant d’une opinion publique en faveur d’une figure qui a, depuis longtemps, gagné sa popularité personnelle par la voie des media, en l’accusant, à tort ou à raison, d’être la marionnette des « rouges ».

 

 

4)    Des difficultés supplémentaires en perspectives pour Washington

 

L’actualité de ces derniers mois a permis de mesurer combien les relations politiques des Etats-Unis avec l’Amérique latine se sont dégradées durant les années de l’administration Bush, années qui ont enregistré l’avènement de plusieurs leaders populistes, aux tendances « caudillesques » et prônant un mélange de socialisme du XXIe siècle, et d’un retour aux sources bolivariennes ou indigènes.

 

L’illustration la plus voyante a été constituée par l’expulsion, début septembre, de l’ambassadeur américain à La Paz par le président bolivien Morales l’accusant d’avoir encouragé des groupes violents de l’opposition. Cette expulsion a été suivie de celle de son homologue à Caracas par Hugo Chávez par solidarité avec Evo Morales, tandis que Daniel Ortega au Nicaragua déclarait la mesure tout à fait justifiée. Immédiatement après l’initiative de M. Chávez, le président du Honduras, M.Zelaya (qui vient d’adhérer à l’ALBA), ajournait sine die la présentation des lettres de créance du nouveau représentant de Washington à Tegucigalpa, en invoquant sa solidarité avec le président bolivien.

 

Les questions de sécurité et de défense pourraient bien constituer le premier terrain de tensions avec Washington choisi par un gouvernement contrôlé par le FMLN et sous la pression de régimes « frères ».

A ce propos, la réactivation de la IVe  Flotte de l’US Navy le 1er juillet dernier a provoqué des réactions très critiques de la part des adversaires les plus affirmés de Washington en Amérique latine[9], Fidel Castro déclarant le premier qu’elle était destinée « à semer la terreur et la mort, et non à lutter contre le terrorisme et les activités illicites ».

Bien que Mauricio Funes se soit risqué à des propos relativement confiants sur l’avenir de la coopération du Salvador avec les Etats-Unis dans le domaine de la sécurité et de la défense, la direction du FMLN a depuis longtemps exprimé son opposition à son maintien.

Ainsi, il est certain que le nouveau gouvernement retirerait d’Irak le bataillon Cuscatlán[10] qu’il y a engagé depuis 2003.

Par ailleurs, le Salvador pourrait suivre l’exemple de l’Equateur de Rafael Correa, qui a décidé de fermer la base américaine de Manta, et exiger la fermeture de celle de Comalapa (ouverte en 2000) en arguant du fait que les équipements qui y sont mis en œuvre ne servent pas qu’à lutter contre les trafics illicites.

Autre instrument de coopération avec Washington, l’Académie Internationale d’Application de la Loi (International Law Enforcement Academy – ILEA) ouverte en 2005 pour participer à la formation de la police salvadorienne à la lutte contre les trafics illicites, a subi dès son installation le feu des critiques et des « interrogations » du Front. Son maintien ne paraît donc pas garanti.

 

Suivant l’exemple du Venezuela, de la Bolivie, de l’Equateur ou du Nicaragua, le Salvador de Mauricio Funes pourrait également à son tour se laisser aller à la tentation simpliste de considérer que « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ».

 

Sans aller d’entrée jusqu’aux extrêmes dans lesquels s’est récemment risqué Hugo Chávez en connivence avec Moscou[11], mais « encouragé » par l’aide que lui fournirait Caracas pour réduire - par exemple - sa facture pétrolière, le Salvador contrôlé par le FMLN est susceptible d’aller à son tour se risquer au jeu des liaisons dangereuses avec l’Iran.

 

On se souviendra que le Nicaragua de Daniel Ortega a déjà emprunté ce chemin en rétablissant ses relations diplomatiques avec l’Iran dès janvier 2007 et en soutenant depuis lors le programme nucléaire iranien en contre-partie de projets d’investissements dans le domaine de l’énergie.

Sur ce plan, le président bolivien Evo Morales vient aussi de montrer la voie en se rendant début septembre en visite officielle à Téhéran pour y retrouver son « camarade révolutionnaire et frère » Ahmadinejad. Il est vrai que celui-ci avait annoncé lors de sa visite à La Paz en 2007 un investissement en Bolivie de plus d’un milliard de dollars pour soutenir le développement du secteur agroalimentaire et de la recherche d’hydrocarbures mais aussi l’ouverture de stations de radio et de télévision.

 

Washington se trouve donc confronté à la perspective de l’ouverture de nouvelles facilités faites sur ses approches sud, à un régime dont les références idéologiques sont à des lieues de celles de ses nouveaux « frères » et qui soutient des groupes terroristes islamistes.

Il est dommage que la myopie politique des nouveaux révolutionnaires latino-américains ne leur ait pas encore permis d’appréhender le marché de dupes dans lequel ils s’engagent sous des bannières d’un autre temps. Rien ne laisse jusqu’ici espérer que les ex-comandantes du FMLN qui encadrent Mauricio Funes n’en souffrent point[12].

 

 

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[1] Les Etats-Unis absorbent 50% des exportations et fournissent 32% des importations du pays.

[2] Structure du PIB 2007 : services 63%, industries 27%, agriculture 10%.

[3] Soit le quart de la population dont le taux de croissance annuel est de 2,2%.

[4] Néanmoins, parallèlement, le gouvernement s’efforce d’améliorer les prestations sociales. Ainsi, fin août dernier, a été officiellement mis en place le Système National de Santé (SNS) qui va coordonner les actions des différentes institutions du secteur de la santé publique et classer les prestations médicales en 3 catégories sur la base d’une prise en compte par foyer.

[5] Fin 2007, le pourcentage des meurtres s’élevait à 61 pour 100 000 habitants,  soit un chiffre 5 fois supérieur à ce que l’OMS classe comme « épidémie » au chapitre des maladies mortelles.

[6] D’autres pays frappés par le phénomène des maras ont adopté des plans similaires (Poing d’Acier pour le Honduras, Balai pour le Guatemala). Washington a apporté son soutien à ces options après le « nine-eleven » dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Désormais se réunit annuellement auSalvador la Convention Internationale Anti-bandes (USA, Mexique, Salvador, Guatemala, Honduras, Puerto Rico, Costa Rica).

 

[7] Shafik Handal, figure emblématique du FMLN, décédé en 2006, fut l’un des membres du commandement général du FMLN durant la guerre civile. Il occupa, durant les 10 dernières années de sa vie et avant Sanchez Cerén, la place de chef de file des députés du Front à l’assemblée législative.

 

[8] Le PCN a choisi comme candidat à la présidence M. Tomas Chévez, membre important de l’église évangélique Elim.

 

[9] Et des interrogations officielles chez d’autres comme le Brésil et l’Argentine.

[10] Fort initialement de 380 personnels, son effectif est aujourd’hui de quelque 280 soldats. Le président Saca a confirmé en août dernier une nouvelle relève. Le bataillon a enregistré  une vingtaine de blessés depuis le début de son engagement.

[11] Accueil de 2 bombardiers stratégiques, annonce de manœuvres à la mer avec des bâtiments de guerre, allusion à la possibilité de l’ouverture d’une base militaire russe au Venezuela.

 

[12] Voir l’analyse « Amérique Latine, Caraïbes, Islamisme et terrorisme » du 02/03/2007.

 


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