Elections israéliennes : Kadima l’emporte (provisoirement) mais le Likoud gagne les élections



 

 

Les Israéliens – préoccupés par la situation sécuritaire – se sont désintéressés de ces élections dont ils auraient certainement préféré qu’elles n’aient pas lieu. Au terme d’une campagne terne et dominée, ces dernières semaines, par la guerre avec le Hamas à Gaza, c’est finalement Kadima, le parti centriste, qui remporte – provisoirement – le scrutin, avec un siège d’avance sur le Likoud. Mais si Tzipi Livni devrait logiquement être chargée par Shimon Peres de la formation du gouvernement, c’est Benjamin Netanyahu, pourtant battu, qui est le mieux placé pour former une coalition gouvernementale de droite, principalement avec le parti nationaliste Ysrael Beitenou d’Avigdor Liberman. A l’heure où les défis qui attendent Israël sont considérables, la première tâche du futur Premier ministre sera de s’assurer que sa coalition – quelle qu’elle soit – sera suffisamment forte et cohérente dans la durée.

 

Le système électoral israélien

 

Si aucune démocratie n’est parfaite, les systèmes électoraux le sont encore moins. Le système israélien est un système à la proportionnelle. En d’autres termes, les différents partis en lice reçoivent un nombre de sièges calculé au prorata du nombre de votes qu’ils recueillent. Et, si le système a le mérite de donner à des petits (voire micros partis) l’occasion de participer au processus politique, il a l’énorme désavantage de fragmenter la scène politique et de compliquer la tâche – déjà bien difficile – de formation d’une coalition gouvernementale. Lors de ces élections, 34 partis ont présenté des listes et 12 ont recueilli suffisamment de suffrages pour être représentés à la Knesset.

 

Le système électoral a été remis en question durant toute la campagne électorale par plusieurs partis. Par Avigdor Liberman, tout d’abord, qui prône un système présidentiel de gouvernement afin d’évincer de toute représentation à la Knesset les Israéliens arabes. Le leader nationaliste a même fait de ce sujet son principal argument de campagne et son slogan électoral : ’’Pas de loyauté, pas de citoyenneté’’[1]. Tzipi Livni, fidèle à ses prises de positions par le passé, a elle aussi expliqué à plusieurs reprises la nécessité d’adopter un système présidentiel. Enfin, Ehud Barak a également remis en cause le système proportionnel en déplorant le nombre trop élevé de partis en lice.


En Israël, deux partis historiques, le parti travailliste (Ha’avoda) et le Likoud, se partagent le pouvoir depuis des décennies, parfois certes au prix d’alliances hétéroclites et donc de coalitions gouvernementales fragiles. L’introduction de l’élection directe du Premier ministre en 1996 avait permis aux petits partis d’augmenter leur représentation au détriment des deux grands partis. Ce système a rapidement été perçu comme une erreur et a finalement été modifié en 2001. Changer à nouveau de système électoral pour renforcer la représentation de ces deux partis favoriserait indubitablement la stabilité du gouvernement. Un changement qui n’a pu être mis en place jusqu’ici à cause de l’opposition logique des petits partis.

 

Au-delà du système, c’est véritablement la question de la participation des Israéliens arabes qui a été au centre de la campagne électorale. Un phénomène inquiétant, à tel point que le président Shimon Peres a du rappeler des choses évidentes : « Les Israéliens arabes sont des citoyens avec les mêmes droits en Israël (…) Tous les résidents, sans discrimination de leur nationalité, sexe, âge, ont les mêmes droits et responsabilités. C’est l’essence de la démocratie »[2].

 

Survol des principaux partis et des résultats (provisoire)

 

  1. Kadima

 

Contrairement à ce que les sondages annonçaient il y a encore deux semaines, c’est finalement Kadima, le parti formé par Ariel Sharon en 2005, qui remporte avec 28 sièges (un siège d’avance sur le Likoud) les élections législatives. Une faible avance, certes, mais une victoire personnelle pour Tzipi Livni qui a réussi à combler ces derniers jours l’écart face à son rival Benjamin Netanyahu. La ministre des Affaires étrangères, qui a fortement été critiquée durant la campagne, a pu compter sur le soutien de l’électorat jeune et féminin. Le parti centriste a également réussi à rassembler bon nombre d’indécis de centre-gauche car Tzipi Livni représentait pour eux le meilleur le moyen de stopper Benjamin Netanyahu.


La plate-forme politique de Kadima inclut la restitution de territoires contre la Paix et l’établissement d’un Etat palestinien tout en maintenant Jérusalem comme capitale unifiée d’Israël. Le parti centriste entend également aboutir à un accord de paix avec les Etats voisins d’Israël en vue d’établir des frontières permanentes.

 

  1. Likoud

 

Le Likoud a fait une percée exceptionnelle : avec 27 sièges, il fait plus que doubler son nombre actuel de sièges (12). Un résultat qui s’explique par une campagne menée avec efficacité autour de la question sécuritaire et de l’économie avec un slogan : ’’Fort sur la sécurité, fort sur l’économie’’. D’autre part, un grand nombre d’électeurs fidèles au Likoud et qui avaient voté pour Ariel Sharon lors des dernières élections ont préféré reporter leur vote sur le Likoud. Pourtant, le parti n’a pas réussi à tenir ses promesses et à s’imposer comme le premier parti, une défaite que l’on peut – en partie – attribuer au fait que le programme d’Ysrael Beitenou, plus marqué à droite, a séduit bon nombre d’électeurs du Likoud. Mais la défaite est aussi liée à la personnalité controversée de Benjamin Netanyahou.

 

Le leader du Likoud a promis de faire cesser la menace du Hamas et d’empêcher l’Iran d’acquérir la bombe nucléaire. Comme Avigdor Liberman, il estime qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix du côté palestinien et prône dès lors une ’’paix économique’’.  Le démantèlement des colonies sauvages, le droit au retour des Palestiniens et le statut de Jérusalem sont autant dossiers clefs pour la relance du processus de paix dont il ne veut – a priori – pas discuter. Il ne désire pas non plus continuer le dialogue avec les Syriens.

 

  1. Ysrael Beitenou

 

Le parti nationaliste d’Avigdor Liberman a, incontestablement, réussi à peser sur la campagne en fixant l’agenda politique même si son score (15 sièges) est inférieur à ce que prédisaient les derniers sondages (18-19 sièges). Troisième force politique du pays, il est désormais le parti le plus courtisé en vue de la formation du futur gouvernement.

 

Farouchement opposé à tout échange de territoires contre la paix, Avigdor Liberman a su développer un discours musclé non seulement vis-à-vis des Palestiniens et du Monde arabe mais également vis-à-vis des Israéliens arabes. Ces derniers ont souvent été présentés par Liberman comme étant peu ou pas loyaux envers Israël. Ysrael Beitenou est en faveur d’un accord de paix avec les Palestiniens à condition que la population israélienne arabe soit transférée vers le futur Etat palestinien ! Le parti nationaliste prône le mariage civil et d’autres avancées laïques dans le respect des traditions juives et du sionisme.

 

  1. Ha’avoda (travaillistes)

 

Le score du parti travailliste est historiquement bas (13 sièges), une défaite personnelle pour Ehud Barak qui n’a pas su se positionner comme futur Premier ministrable face à ses deux rivaux. L’actuel ministre de la Défense n’a pas réussi non plus à exploiter durant la campagne électorale sa bonne gestion de la guerre avec le Hamas. La question est désormais de savoir le leader d’Ha’avoda (quatrième parti) aura encore suffisamment de légitimité et de soutien pour continuer à diriger le parti.

 

Le parti d’Ehud Barak est en faveur de la poursuite des négociations avec les Palestiniens en vue d’un accord de Paix et de l’établissement d’un Etat palestinien. Le parti travailliste est celui qui pousse les concessions le plus avant puisqu’il est – sous certaines conditions – prêt à autoriser une souveraineté palestinienne sur plusieurs quartiers palestiniens de Jérusalem-Est et l’établissement de la capitale du futur Etat palestinien à Jérusalem-Est.

 

  1. Shas

 

Le Shas se maintient (11 sièges); un de moins par rapport aux précédentes élections. Le parti a perdu du terrain au sein de son électorat de droite dont une partie a préféré voter pour le Likoud et Ysrael Beitenou. Le parti ultra-orthodoxe est opposé à la restitution de territoires.

 

Quels scénarios pour le futur gouvernement israélien ?

 

  1. Un      gouvernement formé par Kadima

 

On se souviendra qu’à la suite de la démission d’Ehud Olmert, Tzipi Livni, à la fin du mois d’octobre dernier, n’avait pas été capable de former une coalition gouvernementale pour terminer la législature. La tâche au lendemain du scrutin ne s’annonce pas plus aisée qu’elle l’était il y a quelques mois, que du contraire ! Au soir des élections, forte de son score et elle a annoncé avec confiance qu’elle serait le futur Premier ministre : « La sécurité n’est pas que l’affaire de la droite, la paix n’est pas que l’affaire de la gauche », a-t-elle martelé, « rien ne peut empêcher la volonté du peuple d’Israël de se réaliser, les électeurs ont choisi Kadima, nous avons leur confiance et nous formerons un gouvernement d’unité »[3]. Un gouvernement, oui, mais comment ?

 

Coalition Kadima-Likoud-Travaillistes (union nationale). Un tel scénario recueillerait 71 sièges sur 120 mais semble aujourd’hui impossible dès lors que Benjamin Netanyahu réclame le poste de Premier ministre et entend envisager prioritairement un gouvernement de droite.

 

Kadima-Travaillistes-Ysrael Beitenou, ce scénario peu probable ne recueille de toute façon pas suffisamment de sièges pour former un gouvernement. En effet, en s’adjoignant Liberman, notamment en proposant au parti nationaliste de soutenir sa proposition de mariage civil et une réforme du système électorale, Tzipi Livni verrait ses chances de rallier le Meretz et les partis arabes s’envoler puisque ces derniers ne supporteraient de faire partie d’une coalition incluant Liberman. Quoiqu’il en soit, Tzipi Livni s’est refusée durant la campagne à nouer une quelconque alliance avec les partis arabes.

 

Une coalition avec le parti Shas semble également exclue dès lors que Tzipi Livni a coupé les ponts avec le parti ultra orthodoxe. En conclusion provisoire, la tâche de Madame Livni pour former une coalition s’annonce ardue, sinon impossible.

 

  1. Un      gouvernement formé par le Likoud

 

Durant la campagne, Benjamin Netanyahu n’a pas caché son intention de former une coalition de droite, un ’’camp nationaliste’’ comprenant Likoud-Ysrael Beitenou-Shas et les 3 autres petits partis de droite (Torah unifiée Judaïsme, Maison juive, Union nationale). Une telle coalition recueillerait 65 sièges à la Knesset mais dans un tel scénario, les partis religieux devraient transiger avec certains projets laïques d’Avigdor Liberman. Une tâche difficile lorsque l’on sait que le leader spirituel du Shas a déclaré que ceux qui voteraient pour Liberman : « donneraient le pouvoir au diable » et qu’il était absolument « absolument interdit » de voter pour un parti qui : « approuve les magasins qui vendent du porc et qui approuve le mariage civil »[4]. Le parti nationaliste se revendique pourtant ’’Kasher’’ et assure que ses propositions (notamment sur le mariage civil) ont reçu l’aval de nombreux Rabbins orthodoxes[5]. Si, dans les prochains jours, Benjamin Netanyahu dispose des faveurs des partis nationalistes et religieux, il ne fait quasiment aucun doute qu’il sera nommé par Shimon Peres pour former le gouvernement.

 

Une coalition Likoud-Ysrael Beitenou-Travaillistes-Shas est un autre scénario plausible qui verrait probablement la nomination d’Ehud Barak comme ministre de la Défense. Car, si l’alliance entre le Likoud et Ysrael Beitenou semble logique, il n’en demeure pas moins que Benjamin Netanyahu n’est nullement disposé à céder ce poste stratégique à Avigdor Liberman.

 

Enfin, un gouvernement d’union nationale : une coalition Likoud-Kadima-Travaillistes reste théoriquement possible à la condition que Tzipi Livni accepte de joindre un gouvernement mené par Benjamin Netanyahu. Un scénario néanmoins peu probable eu égard aux dernières déclarations de l’intéressée.

 

En guise de conclusion

 

Malgré la victoire provisoire du parti centriste, Israël se tourne vers la droite (avec 65 députés sur 120). L’excellent score du Likoud et le bon score du parti nationaliste sont des signaux qui indiquent clairement qu’une importante partie des Israéliens attendent plus de ’’sécurité’’ et sont moins disposés aux compromis. Logiquement, le bon score du parti Kadima démontre que l’autre moitié des Israéliens désirent garder la porte des négociations avec les Palestiniens ouverte. Quelle que soit la coalition, une chose est relativement sûre : sans l’appui du parti nationaliste, un gouvernement semble quasiment inenvisageable ! Israël est à un carrefour entre d’une part une politique sécuritaire relativement intransigeante menée par une coalition de droite (et d’extrême droite) et, d’autre part, une politique sécuritaire plus pragmatique couplée à la poursuite des négociations avec les Palestiniens qui serait menée par une coalition ’’de gauche’’. Les tractations vont continuer dans les prochains jours mais les alliances d’hier et d’aujourd’hui n’auront peut être plus cours demain. Dès lors, on peut vraisemblablement s’attendre encore à quelques rebondissements. Peut-être un gouvernement d’union nationale ?

 

 

Copyright© ESISC 2009



[1] « No loyalty, no citizenship »

[2] Haaretz, le 9 février 2009

[3] Israeli TV Channel 2

[4] Haaretz, le 9 février 2009.

[5] « Israel Beitenu defends platform as perfectly ‘kosher’ », Jerusalem Post, le 8 février 2009.


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