Elections législatives en Albanie : le changement ?



 

 

Récemment intégrée officiellement à l’OTAN, l’Albanie vient de déposer il y a quelques semaines sa candidature à l’Union européenne. Deux événements majeurs s’il en est pour ce petit pays ’’oublié’’ des Balkans qui a vécu en quasi-totale autarcie durant des décennies sous l’ère communiste. C’est aussi une revanche pour le Premier ministre sortant, Sali Berisha (Parti démocratique), chassé de la présidence il y a douze ans suite au scandale des pyramides financières qui avait déclenché une guerre civile faisant plus de 2000 morts et entraîné une forte émigration.

A moins d’une semaine des élections législatives qui verront le renouvellement des 140 députés du Parlement, la classe politique au pouvoir continue de revendiquer et de promettre le changement. C’est d’ailleurs au nom du ’’changement’’ que les deux principaux partis ont initié en décembre 2008 un profond remaniement du code électoral qui institutionnalise désormais la bipolarité du système politique autour d’un axe formé par le Parti démocratique et le Parti socialiste.

Alors que cette réforme avait pour but de mettre fin au morcellement de la scène politique albanaise, elle renforce l’autocratisme des deux principaux leaders (PD et PS). Ainsi, plusieurs personnalités politiques de ces 20 dernières années ont été évincées des listes électorales.

 

 

’’Le changement’’ – leitmotiv de la campagne électorale

 

A l’instar de l’autre principale formation politique, Sali Berisha (PD) continue de promettre du ’’changement’’ aux Albanais. En effet, un rapide coup d’œil aux noms empruntés par deux des quatre coalitions de partis en lice ne laisse planer aucun doute quant à leurs objectifs de ’’changement’’. La coalition du PD s’appelle l’Alliance pour le changement  alors que la coalition regroupée autour d’Edi Rama, président du PS et maire de Tirana, s’intitule l’Unification pour le changement. L’analyse du programme du PD et du PS confirme par ailleurs cette volonté, tout comme les slogans. Celui du PD est : « L’Albanie en changement », quant à celui du PS : «  Nouvelles politiques pour le changement ».

 

Depuis l’effondrement du régime communiste, force est de constater que la société et l’Etat albanais ont subi de profondes mutations. Pour autant, la population albanaise attend-t-elle encore du changement ? Si oui, lesquels ? Comme l’explique un expert de la politique albanaise : « La classe politique albanaise appelle en permanence au changement quand la population, désorientée par les brutales transformations de la société, cherche la stabilité »[1].

Le dirigeant du PD met en avant son bilan à la tête du gouvernement qu’il a dirigé depuis 2005 et promet, un peu plus encore, de… changements  : « Ces quatre prochaines années seront celles du développement de notre pays (…) »[2]. Ainsi, alors que le pays est en proie à de graves difficultés économiques, le Premier ministre sortant entrevoit un vaste programme de réformes : création d’emplois dans le secteur public, augmentation des retraites et des salaires, etc. On peut légitimement s’interroger sur la faisabilité de ces objectifs dès lors que le gouvernement s’est déjà largement endetté et qu’il entend souscrire de nouveaux emprunts. La dette globale du pays qui atteint 6 milliards d’euros (soit 56% du PIB) n’est pas en passe de se résorber puisque la crise économique a entravé un peu plus encore les capacités de remboursement de la dette extérieure.

Par ailleurs, Sali Berisha promet, entre autres choses, d’augmenter le budget de l’éducation. Un investissement certes nécessaire eu égard à la situation précaire de l’éducation et de l’enseignement en Albanie ! Malheureusement, relever les budgets reste difficilement compatible avec les objectifs économiques à atteindre en vue de rejoindre l’UE, d’autant plus que l’Albanie ne cesse d’ignorer les conseils du Fond monétaire international (FMI) l’enjoignant de réduire ses investissements publics. Enfin, on notera, comme le souligne Ervin Qafmolla, que : « (…) les experts indépendants prédisent une baisse des investissements directs étrangers (IDE), une très mauvaise nouvelle pour l’Albanie en plein développement, qui a besoin de capitaux étrangers »[3], tout comme les prévisions du FMI[4] qui prévoient une croissance négative en 2009 (-0,4%). Ces nouvelles, on s’en doute, ne devraient logiquement pas inciter le gouvernement à augmenter les investissements publics pour doper le marché du travail.

 

Si Sali Berisha était revenu au pouvoir pour : « restaurer l’État de droit et combattre la corruption qui gangrène la société albanaise »[5], la catastrophe de Gërdec[6] et l’implication de l’entourage du Premier ministre dans cette sombre affaire de trafic d’armes est venue rappeler que ’’tout n’avait pas changé’’. On notera également que le gouvernement Berisha a, durant son mandat, attaqué à plusieurs reprises les médias et les institutions indépendantes.

En 2008, un rapport de la Banque mondiale déclassait l’Albanie de plusieurs places dans le classement mondial des pays facilitant les investissements, en comparaison avec 2007. Dénonçant les lourdeurs bureaucratiques ou les taxes, le rapport épinglait l’Albanie qui tarde à engager les réformes nécessaires. En définitive, un bilan plus que mitigé pour Sali Berisha car, même si la Banque mondiale rapporte que 10 000 Albanais sont sortis de la pauvreté ces dernières années, près de 12,4% d’entre eux vivent toujours avec moins de 2 $ par jour.

Quant à Edi Rama (PS) – ’’empêché’’ de se présenter puisqu’il n’a pas démissionné de son poste de maire – il revendique, lui aussi, le changement et appuie son programme sur les réalisations qui ont transformé la ville de Tirana. Sa coalition, l’Unification pour le changement, regroupe principalement le Parti social-démocrate, le Parti de la social-démocratie (PDS) et le groupe 99 (G99).

Lors du lancement de la campagne électorale, le leader socialiste a déclaré lors d’un meeting au campus de l’Université de Tirana, devant une foule de supporters : « Je vous demande de voter pour participer au changement pour notre pays, ce qui va bien au-delà d’un vote pour un parti de gauche ou de droite. Je vous appelle à voter pour une nouvelle politique, de meilleures écoles, plus d’emplois, plus d’infrastructures et une meilleure qualité de vie pour tous, en tournant une page de notre histoire »[7]. Des objectifs similaires au PD nécessitant d’énormes investissements qui, comme nous venons de l’expliquer, semblent difficilement conciliables avec la situation économique de l’Albanie.

Tout au long de la campagne, les deux grands partis (PD et PS) se sont tirés à boulets rouges l’un sur l’autre. Ils ont mis en avant des réformes et des changements qui semblent utopiques eu égard à la situation économique actuelle et aux capacités financières à venir. Les petits partis ont, quant à eux, réussi à attirer l’attention de l’électorat en se concentrant sur ses besoins et ses attentes.

Si Sali Berisha n’a pas été épargné par les accusations de corruption, Edi Rama n’est pas en reste non plus. La polémique autour des permis de bâtir délivrés par le maire de Tirana a fortement nui au Parti socialiste. Evoquons également l’incompréhension suscitée par la décision ’’irrationnelle’’ de l’homme fort du PS de ne pas vouloir tirer la liste de son parti alors qu’il brigue le poste de Premier ministre.

A côté de ces deux grandes coalitions, notons également :

L’Alliance socialiste pour l’intégration emmenée le LSI (le Mouvement socialiste pour l’intégration) d’Ilir Meta (ancien Premier ministre, 1999-2002), avec le PSV91 de Petro Koci, le Parti vert, le Mouvement pour les droits de l’Homme et les libertés, le Parti ’’immigration’’ et le Parti ’’nouvelle tolérance’’ qui représente les Roms et les minorités ’’de couleurs’’.

Le Pole des Libertés (Poli i Lirisë) dirigé par le Parti démocratique chrétien regroupe le Parti conservateur, le Mouvement pour le développement national, le Parti pour l’union démocratique, le Parti ’’chemin de la liberté’’ et le Parti pour des réformes démocratiques.

La réforme du code électoral, la bipolarisation et ses conséquences sur le scrutin

 

Depuis la fin du régime communiste en 1992, les élections en Albanie n’ont cessé d’être entachées d’irrégularités, de corruption et de fraudes. Ces dernières constituent bien évidemment des obstacles à l’intégration européenne de Tirana. Depuis 1997, Bruxelles n’a cessé d’assister les autorités en exerçant notamment sur elles une « une tutelle très sévère »[8] pour assurer la reconstruction de l’Etat albanais. En 2006, l’Albanie et l’Union européenne signaient un accord de stabilisation et d’association (ASA) qui est entré en vigueur le 1er avril dernier ; une première étape dans le processus engagé par les autorités de Tirana. L’Accord, outre les aspects économiques, engage l’UE à aider l’Albanie dans le renforcement de sa démocratie et son cheminement vers une stabilisation politique, économique et institutionnelle.

D’autre part, pour remédier à cette image désastreuse de corruption, un fonds spécial de 65 millions de leks (500 000 euros) a récemment été alloué aux partis politiques représentés au Parlement et dont les deux principaux partis (PD et PS) en seront les principaux bénéficiaires[9].

 

Si, comme nous venons de l’évoquer, la réforme du code électoral est en partie le résultat des pressions extérieures sur l’Albanie (principalement de l’OSCE afin d’assainir le système politique : éviter le marchandage des voix et la représentation faussée), il n’en demeure pas moins que celui-ci marginalise désormais les petits partis[10]. En effet, la plupart des partis risquent de disparaître – seul le LSI et, peut-être, le LZHK devraient subsister. Une bipolarité qui s’installe au détriment des petites formations politiques et qui, en définitive, n’est pas favorable au débat démocratique et constitue un sérieux frein à une juste représentation de l’électorat.

La réforme du code électoral et de la commission centrale des élections a engendré un manque criant de confiance des petits partis concernant l’administration et le bon déroulement des élections. Beaucoup d’entre eux s’attendent par ailleurs à des irrégularités le jour du scrutin et particulièrement en ce qui concerne le décompte des voix. D’autre part, l’incapacité du gouvernement à fournir des cartes d’identité aux citoyens albanais à temps risque de priver nombre d’entre eux du droit de vote.

 

La publication des listes a suscité beaucoup d’intérêt tant pour l’opinion publique que pour les observateurs politiques. En effet, Le PD et le PS ont décidé d’adopter la même stratégie quant à la confection des listes de candidats. Ainsi, le PD a choisi de présenter un grand nombre d’intellectuels et d’ ’’oublier’’ bon nombre de personnalités politiques. Quant au Parti socialiste, c’est la même logique, comme l’explique un récent article de l’International Institute Ifimes[11] : « Le Parti socialiste cherche à convaincre le public de sa détermination à soutenir l’intellectualisme progressif, mais la réalité est qu'il entend promouvoir des personnes ayant des relations d'affaires etun passé douteux, cela met en exergue la manipulation de la composition des listes de candidats ».

On notera au passage l’éviction de personnalités telles que le leader historique de la gauche M. Fatos Nano et de messieurs Besnik Mustafa (ancien ministre des Affaires étrangères), Zogaj, Karapicit ou encore Biberaj, tous membres importants du Parti démocratique. 

 

Le rôle des médias durant la campagne électorale

 

L’Albanie dispose d’un grand nombre de médias. A côté de la radio télévision albanaise (RTSH), le Conseil national de la radio et de la télévision a accordé 3 licences à des chaînes de TV commerciales qui bénéficient d’un droit de diffusion sur l’ensemble du territoire. Le pays compte également près de 70 chaînes de télévision locales et 50 chaînes du câble.  

Si la plupart des médias sont considérés comme ’’modérés’’, ils ne sont pas pour autant indépendants. En effet, comme l’indique un récent rapport de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe[12] : « Les plus importants médias audiovisuels et les médias de la presse écrite sont généralement considérés comme alignés avec l'un ou l'autre des deux principaux partis politiques, les médias sont en général considérés par beaucoup comme pluralistes, mais pas indépendants de toute influence politique ». Durant la campagne, certains médias ont tenté de vendre l’idée selon laquelle le système politique était désormais devenu totalement bipolaire, insistant sur le PD et le PS au détriment des ’’petits partis’’. Une tactique qui semblerait avoir échoué. En effet, le succès des émissions satiriques politiques – à l’instar des Guignols de l’info en France – telles que Portakalli (sur la chaîne Top Channel) connaissent un réel succès en Albanie et mettent en avant le : « décalage entre la maturité de population et la classe politique qui vit en vase clos », nous explique un observateur averti de la politique albanaise. 

Le rapport de l’OSCE met également en exergue que la radio RTSH – dont la réforme n’a pas abouti – dispose de la plus large couverture sur le territoire et demeure financièrement dépendante de l’Etat : « La RTSH est perçue par beaucoup d’interlocuteurs comme servant le gouvernement et le parti au pouvoir ». Une affirmation confirmée par notre témoin quand il nous explique que : « la TV nationale change d’orientation politique à chaque fois que le gouvernement change ».

 

 

En guise de conclusion

 

Signe que beaucoup d’incertitudes planent encore sur le caractère démocratique des prochaines élections, plusieurs ambassadeurs européens et celui des Etats-Unis ont récemment rencontré les deux hommes forts de Tirana, Sali Berisha et Edi Rama, pour leur faire part de leurs préoccupations quant à la transparence du scrutin. Quant à l’OSCE, qui surveillera de près les élections avec 439 observateurs, elle espère, par la voix de son responsable à Tirana, l’Ambassadeur Robert Bosch, que : « (…) la classe politique ainsi que toute l’administration albanaises travailleront à ce que ces élections législatives soient les plus démocratiques jamais organisées dans le pays de façon à ce que l’Albanie puisse vraiment par la suite faire un grand pas en avant »[13].

Si les deux principaux partis – favorisés par le mode de scrutin – sont au coude à coude à quelques semaines des élections il apparaît à la lecture des derniers sondages que le PD pourrait se retrouver dans l’impossibilité de former une coalition gouvernementale avec le Pole des Libertés. En effet, celui-ci ne recueillerait pas suffisamment de voix. Et, si le PS et le PD pouvaient décider de retourner au pouvoir ensemble, les divergences durant la campagne devraient selon toute vraisemblance les empêcher de former à nouveau une coalition.

Dès lors, l’alternative pourrait émerger d’une coalition comprenant le PS d’Edi Rama et deux partis « au profil politique clair »[14] : le LSI de l’ancien Premier ministre Ilir Meta et le PSV91. Si tel était le cas, ce serait vraisemblablement la fin de l’ère Berisha et, ironiquement, l’avènement du changement pour l’Albanie. Quel que soit le scénario de coalition, il semble aujourd’hui évident que le LSI aura un rôle clef à jouer pour la formation du futur gouvernement.

 



[1] La libre Belgique, « L’Albanie et l’Europe », le 25 mai 2009.

[2] BIRN, le 29 mai 2009 inLe Courrier des Balkans, le 2 juin 2009.

[3] Ervin Qafmolla, « Législatives en Albanie : l’économie au cœur de la campagne de Sali Berisha », Mapo, le 9 juin 2009 inLe Courrier des Balkans.

[4] Srečko Latal, « Crise économique dans les Balkans : le FMI tire la sonnette d’alarme », Belgrade Insight, le 1er mai 2009 inLe Courrier des Balkans, le 14 mai 2009.

[5] TemAonline, le 22 mars 2008.

[6] Le 15 mars 2008, une gigantesque explosion survient dans le village de Gërdec, à 14 kilomètres de Tirana. Un dépôt de munition de l’armée albanaise explose causant la mort de plus de 20 personnes et en blessant près de 300. Par ailleurs, l’explosion touche près de 2300 bâtiments alors que 4000 personnes ont dû être évacuées hors de la zone touchée.

[7] BIRN, le 29 mai 2009 inLe Courrier des Balkans.

[8] La libre Belgique, « L’Albanie et l’Europe », le 25 mai 2009. 

[9] BalkanInsight, « Albanian Funds Parties Ahead of Election », Tirana, 25 May 2009

[10] Voir à ce sujet la note de Claude Moniquet, Président de l’ESISC, « Albania: When a Reform of the Electoral Code Weakens Democracy», ESISC, 15 October 2008, inhttp://www.esisc.org/documents/pdf/en/albania-reform-of-the-electoral-code-414.pdf

[11] IFIMES, International Institute for Middle East and Balkan Studies, «Socialist Alliance for Integration – The Key to Composing the New Government», le 8 juin 2009 in http://www.ifimes.org/default.cfm?Jezik=En&Kat=10&ID=467

[12] OSCE Office for Democratic Institutions and Human Rights, Election Observation Mission, Republic of Albania, Parliamentary Elections 2009, INTERIM REPORT NO.1, 8-21 May 2009 inhttp://www.osce.org/documents/odihr/2009/05/37843_en.pdf

[13] OSCE Office for Democratic Institutions and Human Rights, Election Observation Mission, Republic of Albania, op.cit.

[14] IFIMES, International Institute for Middle East and Balkan Studies, op.cit.


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