Etats-Unis : transition présidentielle et implications pour la sécurité nationale en 2008-2009



 

 

Avec l’investiture de John McCain et Barack Obama par leur parti respectif, s’ouvre une période, hautement sensible, incluant l’élection et l’inauguration du quarante-quatrième président des Etats-Unis et qui s’achèvera lorsque la nouvelle administration sera pleinement installée. Cette phase dite de « transition présidentielle » revêt en effet une dimension cruciale pour la sécurité nationale du pays car les changements d’administration sont traditionnellement marqués par un ralentissement de l’activité gouvernementale accompagnant, d’un côté le départ et, de l’autre, l’arrivée d’un grand nombre d’officiels. A compter de l’inauguration du nouveau président, il faut généralement plusieurs mois avant que la bureaucratie entrante puisse fonctionner de manière optimale.

 

Or, l’histoire a montré que nombre de présidents américains ont eu à faire face à d’importantes crises nationales et internationales dès les premières semaines de leurs mandats. Sans remonter jusqu’à l’inauguration d’Abraham Lincoln, en pleine Guerre de Sécession, on se souviendra notamment du débarquement de la Baie des Cochons dont a hérité le président Kennedy en avril 1961, des bombardements au Cambodge décidés par Richard Nixon en mars 1969 ou encore de la détérioration de la situation en Somalie à laquelle Bill Clinton a été confronté en mai 1993.

 

Si une tradition de concertation entre le président sortant et son successeur, héritée d’Harry Truman, et diverses dispositions législatives ont permis des améliorations, cette phase de transition reste caractérisée par la vulnérabilité qu’elle engendre pour les Etats-Unis et leurs intérêts, surtout en temps de guerre.

 

Dès lors, en raison de l’instabilité du contexte international actuel et alors que la phase estivale de la campagne électorale a été largement marquée par le thème de la sécurité nationale[1], il paraît opportun de se pencher sur les enjeux de cette période courte mais qui peut marquer, de façon irréversible, le mandat du prochain locataire de la Maison-Blanche. A travers différents exemples, nous présenterons la dimension cruciale des transitions présidentielles avant de voir en quoi la prochaine sera particulièrement sensible. Enfin, nous nous pencherons sur les dispositions récemment prises et sur ce qu’il conviendrait d’entreprendre afin d’améliorer ce processus.

 

 

  1. Une période traditionnellement cruciale

 

Depuis que George Washington a transmis, en 1797, les pouvoirs de la présidence à John Adams, les Etats-Unis ont dû composer avec cette pratique qui n’a été codifiée que tardivement. Si la transition entre le premier président américain et celui qui était, à l’époque, son vice-président s’est opérée dans la douceur, cela n’a pas toujours été le cas, notamment lorsque la passation s’effectuait entre deux hommes issus de partis différents. Cette pratique s’est toutefois améliorée avec Harry Truman et ses successeurs mais demeure sensible comme en témoigne la dernière transition entre Bill Clinton et George W. Bush en 2000-2001.

 

w Exemples historiques de transition

 

C’est en effet le président Truman qui a, d’une manière informelle, instauré la tradition selon laquelle le président sortant facilite l’entrée en fonction de son successeur, même lorsqu’ils sont issus d’un parti différent. Le lendemain de la victoire de Dwight Eisenhower à l’élection de novembre 1952, Truman invita le général cinq étoiles à venir le rencontrer à la Maison-Blanche pour « évoquer les problèmes liés à cette période de transition afin de démontrer au monde que la nation est unie dans sa lutte pour la liberté et la paix[2] ». Parallèlement, le président démocrate demanda aux agences fédérales dépendant de l’Exécutif de le tenir informé des actions qu’elles entreprenaient pour faciliter l’arrivée à la Maison-Blanche de l’administration Eisenhower[3]. Durant la campagne électorale, Harry Truman avait déjà chargé la CIA (Central Intelligence Agency), en 1952, de fournir aux candidats à la présidence un briefing de renseignement quotidien, proche de celui qu’il recevait tous les matins[4].

 

Il n’est pas surprenant que ces initiatives aient été prises par le président Truman étant donné la façon dont il a été propulsé, le 12 avril 1945, à la plus haute fonction de l’Exécutif américain. A la mort de Franklin D. Roosevelt, Truman a hérité de dossiers sensibles en matière de politique étrangère sur lesquels il n’avait pas été tenu informé. Il paraît ici évident qu’il a souhaité que ses successeurs ne se retrouvent pas dans une situation semblable à la sienne lorsqu’il est devenu président des Etats-Unis. Par ailleurs, Truman avait compris que les premières décisions de son successeur allaient être prises sur la base d’informations et des activités de son administration et que, dès lors, il convenait de familiariser le président entrant avec les dossiers en cours. De plus, comme il le laisse entendre dans son télégramme adressé à Dwight Eisenhower, Truman, conscient des impératifs de la Guerre froide, voulait, face à l’Union soviétique, donner une image d’unité et assurer au mieux la continuité du pouvoir exécutif.

 

Un autre exemple intéressant concerne la dernière transition présidentielle effectuée en temps de guerre, entre Lyndon B. Johnson (LBJ) et Richard Nixon en 1968-1969. En pleine Guerre du Vietnam, LBJ fut le premier président à convier, avant même l’élection de novembre, les équipes de campagne des deux candidats à des réunions afin de préparer la transition. Richard Nixon commença à préparer son éventuelle arrivée à la Maison-Blanche dès la fin de la Convention républicaine de juillet 1968 en s’inspirant de rapports décrivant les précédentes transitions. Moins d’un mois après son élection, Nixon avait choisi ses principaux collaborateurs chargés de l’assister dans la gestion de son administration[5]. En revanche, la sélection du Cabinet prit plus de temps mais ne prêta pas à conséquences car l’essentiel de la politique américaine allait être formulé depuis la Maison-Blanche par le président et ses proches conseillers comme Henry Kissinger. Les départements d’Etat et de la Défense ainsi que leurs responsables n’allaient jouer qu’un rôle administratif. Ce fonctionnement singulier a permis de limiter les ralentissements dus au changement d’administration. Cela s’est traduit dans les faits par la capacité de la Maison-Blanche de mener, dès le mois de mars 1969, une campagne de bombardements aériens contre le Cambodge.

 

w Transition de 2000-2001

 

En juillet 2004, la publication des travaux de la Commission du 11-Septembre a permis de mettre en lumière les déficiences du processus de transition et leurs conséquences sur le niveau de préparation de l’administration entrante. Dans le cas de la période 2000-2001, le flottement qui existe habituellement a été accentué par les contestations électorales en Floride, retardant ainsi le processus de plus d’un mois et, comme le souligne le rapport de la Commission du 11-Septembre, réduisant « de moitié la période normale de transition[6] ». Alors que l’élection avait eu lieu le 7 novembre 2000, ce n’est que le 13 décembre que le candidat démocrate Al Gore accepta sa défaite. Si des mesures ad hoc avaient été prises par l’équipe de George W. Bush depuis l’annonce des résultats de Floride le 26 novembre, la prise de possession des locaux mis à la disposition de l’administration entrante n’a été effective que le lendemain du discours du candidat démocrate. M. Bush n’aura ainsi eu que cinq semaines pour mettre en place son équipe avant son inauguration[7].

 

Ces circonstances ont, de toute évidence, « gêné la nouvelle administration dans l’identification, le recrutement, l’habilitation et la confirmation par le Sénat des principaux collaborateurs[8] ». L’expérience et la continuité ont clairement été favorisées. C’est ainsi qu’outre le vice-président Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Colin Powell ou encore Norman Mineta ont été choisis pour occuper des fonctions de premier plan. Le fait qu’ils aient tous trois déjà été confrontés aux auditions, à une confirmation par le Sénat et aux procédures d’habilitation de sécurité a indéniablement favorisé leur désignation. Parallèlement, l’équipe de transition de M. Bush, menée par M. Cheney, a choisi de conserver à leurs postes un certain nombre de hauts responsables. On pense notamment au directeur de la CIA George Tenet et à Richard Clarke, chargé du contre-terrorisme au Conseil de la sécurité nationale (NSC) depuis 1992. Le général Shelton, président du Comité des chefs d’état-major, a quant à lui conservé ses fonctions à la tête des forces armées américaines jusqu’au 30 septembre 2001.

 

Toutefois, ces efforts destinés à favoriser une transition dans la continuité se sont heurtés aux réalités des lenteurs administratives. Ainsi, il aura fallu plus de six mois pour que les collaborateurs de Colin Powell au Département d’Etat complètent le long processus qui précède leur entrée en fonction[9]. A la veille du 11 septembre 2001, seuls 227 des 508 postes à pourvoir par la présidence avaient un titulaire. Sur ce nombre, 106 personnes occupaient leur fonction depuis moins de huit semaines[10]. L’exemple le plus parlant est celui de Robert Mueller qui n’entra en fonction à la tête du FBI (Federal Bureau of Investigation) qu’une semaine avant les attentats de New York et Washington. Succédant à Louis Freeh, dont le départ fixé pour l’été 2001 était prévu de longue date, M. Mueller n’a été nommé que le 5 juillet et n’est devenu officiellement directeur du Bureau que le 4 septembre 2001. Comme le souligne Michael Chertoff, actuel secrétaire à la Sécurité intérieure, « nous avons vécu le 11-Septembre avec de nombreux postes vacants. Ce n’est pas une façon responsable d’affronter les menaces auxquelles nous sommes désormais confrontés[11] ».

 

 

  1. Une conjonction inédite de menaces et de      vulnérabilités

 

Ces paroles de Michael Chertoff sont tout à fait appropriées à la période qui se profile en raison d’un contexte international particulièrement sensible et d’un appareil de sécurité national, largement réformé par l’administration Bush, et pour lequel cette passation de pouvoirs entre deux administrations sera une première.

 

w Un contexte sécuritaire  particulièrement sensible

 

La période de transition présidentielle de 2008-2009 est la première depuis le 11-Septembre. Elle s’annonce unique en raison de la variété et de la quantité des menaces qui pèsent sur les Etats-Unis. Selon un rapport du Département de la Sécurité intérieure, la vulnérabilité est la plus importante « 30 jours avant, (…), et jusqu’à six mois après le changement d’administrations[12] ». Concernant la sécurité nationale, trois catégories de risques peuvent être distinguées.

 

Tout d’abord, ce changement d’administration intervient en temps de guerre, les forces armées américaines étant en effet engagées en Afghanistan depuis octobre 2001 et en Irak depuis mars 2003. C’est la première fois depuis quarante ans et la passation de pouvoirs entre LBJ et Richard Nixon qu’un président va être inauguré en temps de guerre. A la différence de 1968-1969, les forces armées américaines sont actuellement déployées sur deux théâtres d’opération différents. Les Etats-Unis ont en effet un peu plus de 140 000 hommes en Irak et environ 34 000 en Afghanistan[13]. Le maintien de tels effectifs exige, de la part de la direction du Pentagone, une gestion irréprochable qui ne peut se permettre d’être perturbée par la transition présidentielle. Par ailleurs, des initiatives concernant la Transformation des forces armées américaines[14], actuellement en cours, nécessitent également le maintien d’une continuité pendant le changement d’administration[15]. Pour le secrétaire à la Défense Robert Gates, dont la carrière au sein de l’appareil de sécurité nationale américain remonte aux années 1960, cette période demeure problématique. D’après M. Gates, ce processus s’est « détérioré » au cours de ces vingt-cinq dernières années et il faut de plus en plus de temps pour que les nouvelles équipes du Pentagone se mettent en place[16].

 

Ensuite, il n’a échappé à personne que l’élection présidentielle américaine intervient dans un contexte international particulièrement tendu et marqué par le développement de menaces régionales. On pense bien évidemment à l’Iran ou à la Corée du Nord qui pourraient chercher à profiter de la situation. Un regain de tensions a également été constaté entre Washington et certaines capitales d’Amérique latine comme Caracas et La Paz[17]. Par ailleurs, la crise survenue en août dernier entre la Russie et la Géorgie illustre parfaitement la vulnérabilité des autorités américaines dans une période de transition présidentielle. Si l’initiative de ces troubles revient à la Géorgie et non à la Russie, Moscou a habilement exploité le contexte et la marge de manœuvre limitée d’une administration Bush sur le départ. Il n’est pas improbable que l’impuissance de la Maison-Blanche ait renforcé la détermination du Kremlin à adopter une ligne dure à l’égard de l’Occident. On peut dès lors s’interroger sur la façon dont les événements se seraient déroulés si une telle crise était intervenue à la fin du mois de décembre, alors que les équipes de la Maison-Blanche et du Pentagone sont occupées à préparer leur déménagement.

 

Enfin, on ne saurait éluder la question du terrorisme. Al-Qaïda et ses affiliés ont en effet souvent utilisé les élections et les périodes de transition pour mener des attaques. On se rappellera des attentats de Madrid du 11 mars 2004 qui eurent un impact sur les élections législatives espagnoles, organisées quelques jours plus tard. De même, les 29 et 30 juin 2007, soit cinq jours seulement après l’entrée en fonction de Gordon Brown au poste de Premier ministre, le Royaume-Uni échappait à plusieurs attentats à Londres et à Glasgow. Si pour le cas de l’Espagne, la relation entre les élections et les attentats est incontestable, des doutes subsistent en ce qui concerne le lien entre l’arrivée de M. Brown et ces trois tentatives. Ces précédents indiquent toutefois que le risque doit être pris au sérieux pour les Etats-Unis mais aussi pour leurs intérêts à l’étranger. L’ambassade des Etats-Unis au Yémen a d’ailleurs récemment été la cible d’une attaque de la branche locale d’al-Qaïda[18]. Un haut responsable du Département de la Sécurité intérieure admet que « des attentats terroristes majeurs, à la fois ici et à l’étranger, sont souvent commis peu avant ou après des élections nationales[19] ». En ce qui concerne des menaces précises, la communauté du renseignement américaine estime que « al-Qaïda va augmenter la fréquence, la sophistication, l’opportunisme et le caractère anti-occidental de sa propagande au fur et à mesure que les Etats-Unis se rapprocheront de l’élection présidentielle[20] ».

 

            w Un appareil de sécurité nationale largement rénové

 

La portée des menaces précédemment évoquées est renforcée par l’absence d’expérience en matière de transition présidentielle d’une partie de la bureaucratie américaine réorganisée durant les deux mandats de M. Bush et pour laquelle cette passation de pouvoirs sera donc une première. On pense notamment au Département de la Sécurité intérieure (DHS, Department of Homeland Security), à l’ODNI (Office of the Director of National Intelligence) et au NCTC (National Counterterrorism Center).

 

Le cas le plus préoccupant est sans conteste celui du Département de la Sécurité intérieure. Créé en novembre 2002 par le Homeland Security Act of 2002, le DHS supervise et coordonne le travail de vingt-deux agences fédérales comme les douanes, les gardes-côtes, le Secret Service ou la FEMA (Federal Emergency Management Agency) dont les activités sont liées à la sécurité du territoire national. Il emploie environ 200 000 personnes. La création de ce département a entraîné la réorganisation bureaucratique la plus importante que les Etats-Unis aient connue depuis la création du Département de la Défense en 1947. Cette transition présidentielle sera donc une première pour ce département. Elle sera d’autant plus sensible que, d’après un rapport du Congrès, « un des problèmes récurrents [du DHS] est la surpolitisation du rang le plus élevé de sa direction[21] ». Cela signifie qu’une part trop importante de cadres de cette structure est soumise aux aléas de l’alternance politique. Par exemple, sur les dix principaux dirigeants de la FEMA, seuls deux sont actuellement des fonctionnaires de carrière[22]. Un rapport rédigé par une société privée de consultance évalue à 11% les « pertes de leadership » auxquelles le DHS sera confronté lors de la transition 2008-2009[23].

 

Les problèmes sont similaires pour les deux autres créations de l’administration Bush que sont l’ODNI et le NCTC. Le premier, chargé de coordonner les activités de la communauté du renseignement américaine, a été créé en 2004 dans le cadre de la plus importante réforme des services de renseignement depuis la création de la CIA (Central Intelligence Agency) en 1947. L’Intelligence Reform and Terrorism Prevention Act of 2004 (IRTPA) [24] réorganise en effet le fonctionnement des seize agences de renseignement autour du directeur du renseignement national (Director of National Intelligence, DNI) chargé d’en définir les objectifs et les priorités dans les domaines de la collecte, du traitement, de l’analyse et de la diffusion. Pièce maîtresse de ce dispositif, le DNI, nommé par le président, est assisté par l’ODNI dont la composition sera vraisemblablement modifiée par la prochaine administration. Toutefois, l’amiral Mike McConnell, actuel directeur du renseignement national, a laissé entendre qu’il était disposé à conserver son poste pendant six mois après l’inauguration du prochain président afin de faciliter la transition[25].

 

Afin de renforcer les efforts dans le domaine du contre-terrorisme, l’IRTPA a également créé le NCTC pour analyser et fusionner l’ensemble du renseignement dont dispose le gouvernement des Etats-Unis dans le domaine du terrorisme. Son directeur est également nommé par le président et doit rendre des comptes à la fois à la Maison-Blanche et à l’ODNI. Ceci en fait un élément central des efforts de contre-terrorisme des Etats-Unis qui ne peut se permettre de fonctionner au ralenti durant une période si sensible.

           

 

  1. Limites de la vulnérabilité américaine

 

Les considérations et les risques évoqués précédemment ont bien évidemment été pris en compte à Washington où une série de dispositions a été prise par l’administration Bush. Sur cette question, le débat est prolifique et de nombreuses recommandations ont été présentées afin de faciliter la passation de pouvoirs entre les deux présidents.

 

w Dispositions destinées à réduire les risques liés à la transition

 

La problématique des transitions n’est pas nouvelle pour les autorités américaines qui ont, de tout temps, cherché des solutions pour perfectionner ce processus. C’est par exemple dans cette optique que la date de l’inauguration du nouveau président a été avancée du 4 mars au 20 janvier par la ratification du vingtième amendement en 1933[26]. De même, le président Kennedy fit adopter le Presidential Transition Act of 1963 qui permit au candidat élu et à ses collaborateurs de disposer de fonds gouvernementaux et de locaux afin de préparer, dans les meilleures conditions, l’entrée en fonction de son administration[27].

 

En ce qui concerne la transition 2008-2009, plusieurs mesures ont été prises pour limiter la période d’inertie qui caractérise les passations de pouvoirs. Le secrétaire à la Défense Robert Gates et le président du Comité des chefs d’état-major, l’amiral Mike Mullen, ont respectivement demandé à un groupe de civils et à un groupe d’officiers de préparer le Pentagone au changement d’administration. D’après un mémo de son président John Hamre, la   Defense Policy Board a identifié un certain nombre de points sur lesquels la nouvelle équipe en charge du Département de la Défense devra se concentrer afin de pouvoir être efficace dès sa prise de fonction. Du côté militaire, une équipe de transition a été mise en place au sein de l’état-major interarmées[28]. De plus, afin d’éviter des taux de vacance aux postes d’assistant secrétaire dépassant, d’après lui, souvent les 20% en début de mandat, M. Gates a enjoint les principaux cadres civils du département à se préparer à conserver leur poste jusqu’à ce que leur successeur ait été confirmé par le Sénat. L’objectif pour le successeur de Donald Rumsfeld est d’éviter « d’avoir beaucoup de chaises vides du côté civil[29] » pendant une guerre.

 

Le Département de la Sécurité intérieure, sous la direction de Michael Chertoff, a également cherché à anticiper les problèmes liés à cette période en créant un groupe de travail qui a présenté ses recommandations en janvier dernier[30]. Un plan élaboré à partir de ces propositions doit être présenté en octobre. Par ailleurs, le DHS a organisé plusieurs conférences et exercices depuis le mois de février. L’ordre de succession du département a également été réorganisé pour limiter l’emprise des titulaires de fonctions politiques. De plus, vingt-cinq postes clés ont été identifiés et des hauts fonctionnaires de carrière ont été désignés pour assurer l’intérim[31]. Ainsi, Nancy Ward, responsable de l’antenne de la FEMA à Oakland (Californie), a été choisie pour diriger l’agence fédérale de gestion des situations d’urgence jusqu’à ce que la personne désignée par le prochain président soit entrée en fonction[32].

 

w Ce qu’il reste à faire

 

Les différents rapports publiés sur les enjeux de la transition présidentielle ainsi que l’intérêt porté par la presse ont permis l’ouverture d’un véritable débat autour de ces questions. Dans une tribune publiée par le Washington Post, Richard Armitage, ancien secrétaire d’Etat adjoint de Colin Powell et Michèle A. Flournoy, ancienne assistant secrétaire à la Défense sous l’administration Clinton, appèlent à l’émergence d’un « consensus bipartisan pour mettre en place un processus d’habilitation et de confirmation accéléré pour les 40 ou 50 principaux membres de l’équipe de sécurité nationale du nouveau président [33] ». Les auteurs sollicitent également l’engagement du FBI et de l’administration sortante. En plus d’une audition par les commissions sénatoriales compétentes, les personnes nommées doivent en effet remplir plus de soixante pages de formulaires et sont soumises à d’importantes vérifications effectuées par le FBI. Elles doivent également mentionner les établissements scolaires dans lesquelles elles ont été inscrites et justifier de tous leurs séjours effectués à l’étranger, y compris au Canada et au Mexique, durant les quinze dernières années[34].

 

Parallèlement, Jamie Gorelick et Slade Gordon, deux anciens membres de la Commission du 11-Septembre, se prononcent également en faveur de changements drastiques.  Ils souhaitent tout d’abord que les candidats aient accès, en plus des briefings de renseignement, aux principaux dossiers et programmes concernant la sécurité nationale. Les auteurs préconisent ensuite que les candidats fournissent, avant même l’élection, les noms de ceux qu’ils entendent nommer afin que les autorités compétentes comme le FBI puissent commencer les enquêtes. L’objectif étant, avec le soutien d’un Congrès qui s’engagerait à organiser les auditions des nommés dès le début du mois de janvier, que les principaux postes soient en mesure d’être occupés dès le lendemain de l’inauguration du nouveau président. Les deux anciens membres de la Commission du 11-Septembre estiment enfin que les personnes pressenties pour assurer les fonctions de directeur d’agence devraient, dès le lendemain de l’élection,  rencontrer ceux à qui ils vont succéder afin de pouvoir s’acclimater à leur nouveau poste dans les meilleures conditions[35].

 

Les deux candidats à l’élection présidentielle ont également pris des dispositions pour anticiper la transition présidentielle. Dès le mois de juillet, Barack Obama a mis en place une équipe chargée de planifier les activités de cette période dans l’optique où le sénateur de l’Illinois serait élu le 4 novembre[36]. John McCain a fait de même en septembre en confiant la préparation de son éventuelle entrée à la Maison-Blanche à William E. Timmons, ancien membre des équipes de transition de Ronald Reagan en 1980 et de George W. Bush en 2000[37]. On remarquera toutefois que les deux candidats, dont les dispositions prises à propos de cette question n’ont rien d’innovant, ne semblent pas accorder aux enjeux liés à la transition présidentielle une attention à la hauteur des enjeux. Il semble même que les décisions prises par les deux campagnes sur cette question soient exploitées à des fins politiques. Lors de l’annonce de l’équipe de M. Obama, les républicains ont critiqué le candidat démocrate pour l’arrogance de sa décision. De même, il y a de fortes chances pour que le passé de lobbyiste de M. Timmons soit utilisé par l’équipe du sénateur de l’Illinois pour attaquer son homologue de l’Arizona.

 

 

  1. Conclusion

 

La première transition présidentielle de l’après-11-Septembre constitue un défi de premier ordre pour l’ensemble de l’appareil d’Etat américain. La conjonction des menaces extérieures et intérieures ainsi que la vulnérabilité accrue d’une partie de l’administration qui n’a jamais vécu ce processus rendent cette période particulièrement sensible.

 

Il semble toutefois que le débat public qui s’est ouvert sur ces questions a permis aux différents acteurs de ce processus de prendre des mesures afin de faciliter le changement d’administration.

 

Si un incident peut toujours survenir avant ou après l’élection, l’enjeu principal pour l’administration entrante est d’arriver, au lendemain de l’inauguration du 20 janvier, prête à assumer ses fonctions. Pour cela, le président Bush et son successeur vont devoir travailler ensemble dès le lendemain de l’élection du 4 novembre. Cette coopération sera essentielle à la préparation de l’équipe du prochain locataire de la Maison-Blanche. Si on peut penser que le président entrant aura à cœur d’utiliser au mieux les onze semaines précédant sa prise de fonction, il sera dépendant de la bonne volonté de l’administration en place. Il semble que le président Bush en soit conscient et s’efforce de placer son successeur dans les meilleures dispositions car il n’est pas sans savoir qu’un incident survenant très tôt dans le mandat du nouveau président viendrait également ternir son bilan.

 

Enfin, la lourdeur du processus d’habilitation et de confirmation pose la question de la politisation de certaines fonctions de l’appareil d’Etat américain. Si d’un point de vue démocratique, les vertus de ce système sont incontestables – la France s’en est d’ailleurs inspirée à l’occasion de sa réforme constitutionnelle – ces procédures semblent peu adaptées aux exigences du monde contemporain et à l’immédiateté des menaces. Les quatre années du mandat du président des Etats-Unis en faisant un des plus courts des démocraties occidentales, il n’est aujourd’hui plus acceptable qu’un département comme le Pentagone ne soit pas en mesure de fonctionner de manière optimale pendant les six premiers mois de la nouvelle administration. Si la prise de conscience de ces problèmes et les mesures ad hoc prises par chaque département vont faciliter la prochaine transition, une réflexion de fond devra être menée par la prochaine administration et par le Congrès pour que des dispositions législatives durables soient prises.

 

 

 

 

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[1] Alors que les sondages successifs placent l’économie et notamment les considérations liées aux prix de l’énergie en tête des préoccupations des électeurs américains, la sécurité nationale – et notamment l’Irak – a occupé un place très importante des déclarations et des événements de campagne de John McCain et Barack Obama. La présence de cette thématique n’est cependant pas surprenante car elle constitue un point de clivage fort entre les deux candidats. Ces derniers ont en effet intérêt à exploiter au maximum ce thème qui véhicule parfaitement le message qu’ils souhaitent incarner : l’expérience pour McCain et le changement pour Obama.

[2] Stephanie Smith, Presidential Transitions, Congressional Research Service, RL30736, Washington D.C., décembre 2007, pp. 11-12. http://fas.org/sgp/crs/misc/RL30736.pdf

[3] Ibid., p. 12.

[4] Sur ce point, voir John L. Helgerson, Getting to Know the President: CIA Briefings of Presidential Candidates, 1952-1992, Washington D.C., Central Intelligence Agency, 1996. https://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-intelligence/csi-publications/books-and-monographs/cia-briefings-of-presidential-candidates/cia-1.htm

[5] Stephanie Smith, op. cit., pp. 13-14.

[6] The 9/11 Commission Report, National Commission on Terrorist Attacks Upon the United States, Washington D.C., U.S. Government Printing Office, 2004, p. 198. http://www.gpoaccess.gov/911/pdf/fullreport.pdf

[7] Stephanie Smith, op. cit., pp. 20-21.

[8] The 9/11 Commission Report, op. cit., p. 198.

[9] Richard Armitage, Michèle A. Flournoy, « No Time for ‘Nobody Home’ », The Washington Post, 9 juin 2008. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/06/08/AR2008060801688.html 

[10] Spencer S. Hsu, « Citing Risks, Study Suggests Ways To Ease National Security Handoff », The Washington Post, 25 avril 2008. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/04/24/AR2008042403624.html

[11] Scott Lindlaw, « Federal agencies planning for White House handoff », The Oakland Tribune, 18 avril 2008.

[12] Report of the Administration Transition Task Force, Homeland Security Advisory Council, U.S. Department of Homeland Security, janvier 2008, p. 1.  http://www.dhs.gov/xlibrary/assets/hsac_ATTF_Report.pdf

[13] Le président Bush a décidé de réduire la présence américaine en Iraq d’environ 8 000 hommes d’ici février 2009, ce qui devrait porter le nombre de militaires à environ 138 000. Dans le même temps, environ 5 000 soldats supplémentaires devraient être déployés en Afghanistan. Thom Shanker, « 8,000 Troops to Leave Iraq Next Year », The New York Times, 8 septembre 2008. http://www.nytimes.com/2008/09/09/world/middleeast/09prexy.html?_r=1&scp=2&sq=bush%20iraq&st=cse&oref=slogin

[14] Military Transformation: A Strategic Approach, U.S. Department of Defense, Washington D.C., automne 2003. http://www.oft.osd.mil/library/library_files/document_297_MT_StrategyDoc1.pdf

[15] Scott Foster, « New president means big changes at the Pentagon », NBC News, 17 juin 2008. http://www.msnbc.msn.com/id/25213812/  

[16] Robert Burns, « Gates begins wartime transition to new leadership », AP, 10 juin 2008. http://www.boston.com/news/nation/washington/articles/2008/06/11/gates_begins_wartime_transition_to_new_leadership/

[17] Simon Romero, « U.S. Says It Will Oust Venezuela Envoy, and Names 2 Officials as Rebel Backers », The New York Times, 12 septembre 2008. http://www.nytimes.com/2008/09/13/world/americas/13venez.html?ref=americas

[18] Ellen Knickmeyer, « U.S. Embassy in Yemen Attacked », The Washington Post, 17 septembre 2008. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/09/17/AR2008091700317.html?hpid=artslot

[19] Richard Weitz, « U.S. Presidential Transition Will Create Terrorism Vulnerabilities », World Politics Review, 6 mai 2008. http://www.worldpoliticsreview.com/Article.aspx?id=2063

[20] John Rollins, 2008-2009 Presidential Transition: National Security Considerations and Options, Congressional Research Service, RL34456, Washington D.C., avril 2008, p. 2. http://fas.org/sgp/crs/natsec/RL34456.pdf

[21] Spencer S. Hsu, « Job Vacancies At DHS Said to Hurt U.S. Prepardness », The Washington Post, 9 juillet 2007. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/07/08/AR2007070801201.html

[22] Report of the Administration Transition Task Force, op. cit., pp. 22-23.

[23] Robert Brodsky, « Transition could create leadership void, report says », Government Executive, 6 mai 2008. http://www.govexec.com/story_page.cfm?filepath=/dailyfed/0508/050608rb1.htm 

[24] Intelligence Reform and Terrorism Prevention Act of 2004, Public Law 108-458, 108th Congress of the United States of America at the Second Session, Washington D.C., 17 décembre, 2004. http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=108_cong_public_laws&docid=f:publ458.108.pdf

[25] Barbara Starr, « McConnell willing to stay on as DNI during presidential transition », CNN, 5 juin 2008. http://politicalticker.blogs.cnn.com/2008/06/05/mcconnell-willing-to-stay-on-as-dni-during-presidential-transition/

[26] Les conséquences de la Grande Dépression, notamment la nécessité pour le gouvernement d’être plus réactif, ainsi que l’évolution des moyens de transport et de communication ont motivé cet amendement constitutionnel.

[27] Stephanie Smith, op. cit., p. 3.

[28] Gordon Lubold, « Pentagon ponders transition in time of war », The Christian Science Monitor, 18 juin 2008. http://www.csmonitor.com/2008/0619/p03s01-uspo.html

[29] Julian E. Barnes, « Gates working to make Pentagon’s postelection transition smooth », The Los Angeles Times, 11 juin 2008. http://articles.latimes.com/2008/jun/11/nation/na-gates11

[30] Report of the Administration Transition Task Force, op. cit.

[31] Spencer S. Hsu, « Citing Risks, Study Suggests Ways To Ease National Security Handoff », op cit.

[32] Scott Lindlaw, op. cit.

[33] Richard Armitage, Michèle A. Flournoy, op cit.

[34] Paul C. Light, « Hit the Rose Garden running », The Los Angeles Times, 22 juillet 2008. http://www.latimes.com/news/opinion/la-oe-light22-2008jul22,0,4789856.story

[35] Jamie Gorelick, Slade Gordon, « Between Presidents, a Dangerous Gap », The New York Times, 16 juillet 2008. http://www.nytimes.com/2008/07/16/opinion/16gorelick.html

[36] Marc Ambinder, « Obama Team Begins Work on Presidential Transition », The Atlantic, 24 juillet 2008. http://marcambinder.theatlantic.com/archives/2008/07/obama_team_begins_work_on_pres.php

[37] Michael Scherer, « McCain Taps Lobbyist for Transition », Time, 12 septembre 2008. http://www.time.com/time/printout/0,8816,1840722,00.html


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