Le 7 août dernier au soir, alors que le monde entier s’apprêtait à tourner les yeux vers Pékin pour la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques d’été, les forces armées géorgiennes se lancent à l’assaut de la province sécessionniste d’Ossétie du Sud. Présentée par Tbilissi comme une réponse aux provocations continuelles des forces ossètes, qui avaient émaillé les mois et les semaines précédentes[1], l’aventure pour la reconquête de cette province se termine, six jours plus tard, par l’annonce d’un cessez-le-feu, au goût amer de défaite pour la Géorgie. Elle a également entraîné dans le conflit les forces de sécurité d’une autre province séparatiste, l’Abkhazie. Face aux troupes russes venues, selon le président russe Dimitri Medvedev, « protéger les vies et garantir la dignité des citoyens russes, où qu’ils soient dans le monde[2]», la détermination géorgienne n’aura tenu que cinq jours.
Il est encore trop tôt pour tirer de cette guerre éclair toutes les conclusions qui s’imposent, tant sur le plan intérieur que sur le plan international. La vague de fond créée par cette opération ratée n’a pas fini de faire ressentir ses effets.
Ce conflit, qui a porté un sérieux coup aux capacités militaires de la Géorgie, soulève de nombreuses interrogations sur le moyen et long terme. Tant sur la viabilité de l’adhésion de ce pays à l’OTAN que sur sa capacité à surmonter, politiquement, diplomatiquement et économiquement, les conséquences d’une telle aventure. Au plan militaire, cette défaite est révélatrice des erreurs stratégiques des autorités géorgiennes et elle a mis en évidence certaines défaillances russes, en particulier dans les domaines de l'organisation et de l'équipement. Ce sont ces erreurs et ces défaillances que nous allons analyser.
Préparée par d’intenses tirs de barrage d’artillerie et l’utilisation de lance-roquettes multiples BM-21 Grad[3], équivalent moderne - mais toujours aussi peu précis - des « Orgues de Staline », l’opération s’est poursuivie par un assaut terrestre. Très rapidement, les autorités géorgiennes publient communiqués de victoire sur communiqués de victoire[4]laissant penser que la cause est entendue[5] et que c’est « la fleur au fusil » que les troupes géorgiennes ont réussi leur mission[6]. C’était sans compter avec la réaction russe. Moscou ne pouvait laisser passer une telle occasion ainsi offerte. Profitant de leur supériorité aérienne, une supériorité pas aussi aisément acquise que l’on pourrait le penser, les forces terrestres blindées et mécanisées russes se lancent dans la contre-attaque. Elles étaient, au moment du cessez-le-feu, parvenues à quelques dizaines de kilomètres de Tbilissi.
Parfaitement en ligne avec la rhétorique politique du président Saakashvili qui, au cours de la campagne présidentielle de janvier dernier, avait promis « dans un futur très proche, tout au plus quelques mois, avec l’aide de la communauté internationale, de créer les conditions du retour en sûreté et dans la dignité des personnes déplacées[7] », cette offensive constitue un malheureux et désastreux premier test pour une armée géorgienne formée, soutenue et entraînée par les États-Unis.
Ce qui, aux yeux des dirigeants géorgiens, se voulait une grande première sur le plan tactique, s’est transformé en un sérieux revers stratégique. Mise en déroute sur le terrain militaire, la Géorgie se voit désormais amputée de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Moscou n’a pas tardé à reconnaître leur indépendance, à établir des relations diplomatiques et à signer des accords de coopération militaire. Il y a tout lieu de penser que, dans le cadre de ces accords, les troupes russes ne soient pas prêtes de quitter Tskhinvali ou Soukhoumi.
A la fois rapide et puissante, la toute première opération militaire extérieure russe, depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, a surpris par son ampleur. La contre-attaque a été menée par la 58ème Armée qui, en tant qu’unité phare de la région militaire du Caucase du nord, est considérée comme l’une des plus performantes et plus aguerries des unités de l’armée russe. Spécifiquement formée en 1995 pour les opérations en Tchétchénie, cette armée a son quartier général (QG) à proximité de Vladikavkaz, la capitale de l’Ossétie du nord. Forte de 70.000 hommes, elle est équipée de près de 690 chars, 2000 véhicules blindés de transport de troupe et de combat de l’avant, 125 pièces d’artillerie, 190 rampes de lance-roquettes multiples de type BM-21 Grad ou BM-27 Ouragan[8] et de 450 canons de lutte antiaérienne. De plus, elle dispose de son propre appui aérien, soit 120 avions de combat et 70 hélicoptères.
a) Opérations terrestres
Après la projection d’un bataillon de parachutistes d’élite et d’une unité des forces spéciales - spetznaz -, ce sont près de 15.000 fantassins, 150 chars et pièces d’artillerie autopropulsées qui pénètrent en Ossétie du Sud.
Dans une deuxième phase, les Russes ouvrent un second front en positionnant trois compagnies d’assaut en Abkhazie, la deuxième région séparatiste de Géorgie. Acheminées par mer, depuis le port russe de Novorossisk, ces unités se déploient rapidement et créent une tête de pont qui servira de base de départ pour un assaut vers la vallée de Kodori[9], afin de couper les possibilités d’acheminent de renforts géorgiens.
Les opérations terrestres russes atteignent rapidement les objectifs fixés, à savoir la sécurisation des deux provinces rebelles. Un des principaux éléments de ce plan assignait aux forces armées russes la tâche de neutraliser les capacités militaires essentielles de la Géorgie, en poursuivant les unités en repli, en détruisant un maximum d’équipements lourds et en ciblant les installations et les bases militaires.
C’est ainsi que, selon les décomptes du ministère géorgien de la Défense[10], la base de Kojori Senaki (QG de la 3ème brigade motorisée), les bases de Gori et de Khelvachauri (QG des brigades blindées et des unités d’artillerie), les bases aériennes de Marneuli, Vaziani et Bolnisi, le QG du commandement de la défense aérienne à Tbilissi, les infrastructures du port de Poti, sur la mer Noire, l’aéroport civil de Tbilissi, les aérodromes de Kopitnari et Shiraki, les stations radars civiles de Shavshvebi et Leninisi, et l’usine d’assemblage des avions de combat Sukhoï Su-25[11] de Tbilaviamsheni, dans la banlieue de Tbilissi, ont fait l’objet de frappes aériennes.
b) Opérations aériennes
En termes de défense aérienne, les succès initiaux de la Géorgie - 7 avions russes ont été abattus - essentiellement dus aux systèmes de missiles S-125[12], S-200[13] et Buk-M1[14], n’ont pris fin qu’après les attaques russes sur les installations radar et le système national de surveillance aérienne[15]. Par la suite, après avoir ciblé - à l’aide d’opérations de guerre électronique et de cyber-attaques - les réseaux de commandement et de conduite des opérations aériennes, les forces russes n’ont eu aucun mal à neutraliser les neuf Sukhoï Su-25 et les neuf L-29 Delfin[16] géorgiens.
Outre l’obsolescence évidente des appareils et des équipements de l’armée de l’air géorgienne, le manque d’interopérabilité entre les postes de commandement de surveillance aérienne[17] a grandement contribué à l’effondrement des défenses géorgiennes.
c) La marine russe, comme à la parade
Afin d’imposer le blocus des ports géorgiens, Moscou mobilise, parmi les navires de sa flotte de la mer Noire, le croiseur Moskva, le patrouilleur Smetlivy ainsi que plusieurs escorteurs. Les patrouilles le long de la côte abkhaze débutent le 10 août. Le même jour ; les navires russes interceptent 4 navires lance-missiles géorgiens. Après un coup de semonce tiré par le patrouilleur Smetlivy en direction de l’un de ces navires, présenté comme l’auteur d’une série de manœuvres dangereuses, les russes le coulent pendant que les autres navires se dispersent aussitôt.
Cet engagement est le seul et unique combat naval du conflit. C’est, essentiellement, dû au fait que la marine géorgienne est dans un état d’infériorité manifeste. Le maintien à niveau de sa flotte, composée de neuf navires de combat, et la préparation opérationnelle de ses équipages ont été, ces dernières années, sacrifiés à la mise sur pied, l’entraînement et l’équipement d’une flotte de navires garde-côtes, d’aucun usage dans le cadre d’un conflit armé.
Les graves déficiences des capacités navales et aériennes des forces géorgiennes montrent clairement que la Géorgie n’a pas su, malgré le puissant soutien des États-Unis, se doter d’une défense globale et performante pour assurer la protection de son espace aérien et maritime.
L’utilisation de l’arme cybernétique est une constante des conflits caucasiens. Elle a déjà été utilisée dans le cadre du conflit tchétchène. L’Arménie et l’Azerbaïdjan y ont également eu recours dans leur différend au sujet du Haut-Karabakh. Mais jamais encore elle n’avait été utilisée en même temps qu’une opération militaire.
Comparable aux attaques qui avaient, en avril et mai 2007, paralysé les sites officiels de l’administration estonienne, l’attaque russe a initialement ciblé les sites gouvernementaux géorgiens. Par la suite, elle s’en est prise aux sites des médias, avec même une incursion sur le site de l’agence de presse azerbaïdjanaise Day.Az, jugé trop « pro-Géorgie » dans ses commentaires. C’est ainsi que, dès les premières heures du conflit, les sites officiels de la présidence de la république, du Parlement, du ministre de la Défense, du ministère des Affaires étrangères, de la banque nationale de Géorgie et les sites des agences d’information en ligne d’expression anglaise, The Messenger et Civil.ge, ainsi que celui de la chaîne de télévision Rustavi sont submergés et paralysés par un nombre exponentiel de demandes de connexions[18].
Un peu plus tard, les pirates informatiques iront même jusqu’à poster sur le site du ministère des Affaires étrangères une image du président Saakashvili en surimpression sur un montage de photos d’Adolf Hitler et une vidéo trafiquée, où il apparaît suppliant le président polonais, Lech Kaczisnki, de mettre le site officiel de la présidence polonaise à la disposition des autorités géorgiennes.
En relocalisant leurs sites sur des serveurs américains, les autorités géorgiennes ont réussi à atténuer rapidement les effets de cette attaque. Ce faisant, elles ont obligé les hackers russes à, soit les cesser, soit prendre le risque d’une confrontation cybernétique plus importante. Cette attaque est très instructrice. C’est, en effet, la toute première fois qu’une attaque de ce type est coordonnée avec une opération militaire et qu’en la complétant et en la renforçant, elle agit en parfaite synergie avec elle. Pour Dominique Fedronic, directeur technique d’une firme de sécurité informatique, ActivIdentity, « l’objectif russe était de faire la preuve de la faiblesse des autorités géorgiennes et la réponse fut loin d’être celle que Moscou espérait. Les autorités russes se sont retrouvées confrontées à une situation délicate. Soit cesser, soit s’en prendre directement aux serveurs informatiques américains[19] ».
Si, lors de cette opération, les Russes se sont abstenus de franchir la ligne rouge, il n’en demeure pas moins certain que l’on risque bien d’assister, lors des conflits à venir, à une généralisation des attaques cybernétiques.
A la lumière des erreurs tactiques et des très sérieuses gaffes stratégiques, il apparaît évident que deux fautes d’appréciation majeures sont à la base du fiasco des stratèges géorgiens. En premier lieu, la stratégie de Tbilissi aura, essentiellement, péché par excès de confiance. Un excès de confiance irrationnel dans les capacités opérationnelles de ses forces armées. En second lieu, les stratèges géorgiens ont mal analysé et évalué la menace et, surtout, ils ont sous-estimé la réponse russe.
a) Des programmes incomplets
En dépit d’un impressionnant effort financier américain et après sept ans d’instruction et de mise à niveau des équipements, il faut souligner la nature hétérogène et « semi-féodale » de l’armée géorgienne et de sa chaîne de commandement. À la suite des programmes d’aide militaire américains, dont l’ampleur s’est considérablement accrue quand la Géorgie a accepté de se joindre aux États-Unis dans l’opération Iraqi Freedom, l’armée géorgienne s’est retrouvée scindée en deux. D’un côté, des professionnels, peu nombreux mais soutenus et encadrés par les instructeurs américains, et dont la solde est, par rapport au niveau de vie moyen, considérable. De l’autre, des conscrits, peu soldés, mal équipés et à peine entraînés. Les profondes différences de traitements, de considération et de statut n’ont assurément pas contribué à la cohésion, au moral et à la combattivité.
Les forces armées géorgiennes bénéficient de deux programmes, financés par les États-Unis (coût total : 45 millions d’euros), le « Georgia train and Equip Programme (GTEP) » et le « Sustainment and Stability Operations Programme (SSOP) ». Aucun de ces deux programmes n’est réellement dimensionné pour améliorer la préparation au combat et renforcer les capacités offensives des forces géorgiennes. Présenté comme un programme d’entraînement adapté et progressif, le GTEP se limite à l’entraînement et l’équipement des 2600 hommes, du ministère de la Défense et du ministère de l’Intérieur, sélectionnés pour lutter contre le terrorisme. Quant au SSOP, son unique objectif est de former les unités appelées à être déployées en Irak, au sein des forces de la coalition qui participent à l’opération Iraqi Freedom.
b) Des erreurs d’appréciation et de conduite
La sous-estimation de la menace trouve son explication dans les différents plans nationaux géorgiens - Concept de sécurité[20], Évaluation de la menace[21] et Stratégie militaire[22] - qui minimisent, voire ignorent, la menace russe. Leurs conclusions - « il n’y a pratiquement aucune possibilité d’agression militaire ouverte contre la Géorgie » et « la probabilité d’une telle agression est relativement basse » - sont édifiantes. La plupart des déclarations recueillies par Eurasianet[23] auprès des hauts responsables de la défense et de la sécurité nationale montrent bien que la possibilité d’une confrontation de grande envergure avec la Russie n’avait jamais été envisagée. Pour le vice-ministre de la défense, Batu Kutelia, « personne ne pouvait imaginer que la Russie se risquerait à mettre en jeu sa réputation internationale en envahissant un pays souverain[24] ».
L’enquête d’Eurasianet fait également ressortir le sentiment d’improvisation et d’amateurisme dans la conduite des opérations terrestres. Selon un lieutenant de la 4ème Brigade d’infanterie, l’opération a été lancée sans aucune préparation particulière. Il reconnaît qu’au moment où celle-ci a été décidée, les esprits étaient plus tournés vers les vacances d’été ou la préparation d’un prochain déploiement en Irak. Ceci explique sans doute qu’au lieu de concentrer leurs efforts sur le « point-clé » de l’opération, les troupes géorgiennes aient préféré mettre l’accent sur la conquête, très médiatique, de Tskhinvali. La province rebelle d’Ossétie du Sud est reliée à sa sœur jumelle russe, l’Ossétie du Nord, par un tunnel de quatre kilomètres, le tunnel de Roki, seul réel point de passage au travers de la chaîne caucasienne. S’en emparer aurait dû constituer l’axe d’effort principal et essentiel des forces géorgiennes. Si son importance stratégique n’a pas échappé aux planificateurs géorgiens, les tacticiens n’ont, cependant, pas disposé des moyens nécessaires à sa conquête[25]. Cette erreur, qui a offert aux troupes russes un accès inespéré en Ossétie du Sud est l’une des causes du désastre militaire géorgien[26].
Plus important encore, l’état de préparation des forces armées géorgiennes, au moment du déclenchement du conflit, montre bien que, si l’offensive de Tbilissi avait quelques chances de se conclure favorablement, face aux seules forces de la province séparatiste, elle était vouée à l’échec contre une force russe, beaucoup plus opérationnelle et mieux équipée. L’incapacité géorgienne à soutenir un combat de grande envergure et de forte intensité, un manque évident d’entraînement interarmes et interarmées et un soutien logistique insuffisant condamnaient l’opération dès le premier coup de canon.
c) Un gâchis financier
Du temps du président Chevardnadzé, au début des années 2000, le budget militaire de la Géorgie avoisinait les 36 millions d’euros. Sept ans plus tard, il est multiplié par presque douze - 405 millions d’euros - et a même atteint 714 millions d’euros cette année. Cette formidable augmentation est le résultat du renforcement militaire et politique de l’alliance avec les États-Unis, dont l’aspect le plus visible s’est matérialisé par le déploiement d’un contingent de 2000 hommes en Irak.
Force est de constater, avec Gérard Chaliand, géopoliticien français et expert des conflits, qu’il y a une profonde différence entre les « militaires » et les « guerriers »[27]. Les militaires sont des hommes qui « travaillent au sein d’une armée, qui portent un uniforme, classifient des documents et exécutent les ordres reçus. Les guerriers sont avant tout des combattants ». Les 2,15 milliards d’euros que la Géorgie a investis au cours des dernières années lui ont certainement permis d’avoir une armée moderne, mais ils ne lui ont pas fourni les « guerriers » qui lui auraient permis de se battre plus efficacement. En réponse à l’erreur de calcul du président Saakashvili, qui a ordonné l’assaut sur Tskhinvali, la Russie n’a pas hésité à enrôler, aux côtés de ses troupes régulières, déjà aguerries, le redoutable bataillon Vostok composé d’anciens rebelles tchéchènes ralliés à Moscou et placés sous les ordres du GRU, le service de renseignement du ministère de la Défense russe[28].
Cette guerre a mis en évidence certaines faiblesses dans l'organisation et l'équipement des forces armées russes. Dans le cas d'une confrontation avec un adversaire plus puissant, ces défaillances auraient pu sérieusement compliquer le déroulement de leurs opérations militaires. Les premiers enseignements conduisent à penser que l’armée russe va devoir procéder à des révisions d'ordre organisationnel, en particulier dans l’élaboration de nouvelles procédures de commandement et de conduite des opérations, et à des changements en matière d’équipements.
a) Des équipements vieillissants
Si les troupes terrestres ont montré, au cours de cette opération, un niveau assez élevé d'interopérabilité entre les différents groupements interarmes, les forces aériennes ont essuyé des pertes relativement lourdes - 7 appareils - dont un bombardier à long rayon d'action Tu-22M3[29]. Pour ne pas avoir neutralisé suffisamment à temps la défense aérienne géorgienne, ces forces aériennes se sont retrouvées confrontées à deux problèmes : un soutien aérien rapproché de leurs troupes peu efficace et une cruelle absence de renseignements fiables.
Les programmes de modernisation du matériel aéronautique qui sont actuellement en cours concernent, pour l'essentiel, les unités aériennes du commandement spécial (KSpN), des 11ème et 37ème armées des forces aériennes (Russie centrale et Extrême-Orient). La 4ème armée des forces aériennes, qui a participé à cette guerre, n’est dotée que d’appareils anciens, dont la technologie la plus récente date des années 1980. Les décisions qui seront prises par le Programme GPV 2011 - 2020 (commandes d’armements de l’État russe et programmes de développement), dont l’adoption est prévue en 2010, donneront certainement une indication sur les orientations choisies en matière aéronautique.
Malgré les brillants résultats de l'opération, les équipements des forces terrestres ont également besoin d'être revus et modernisés. A l'instar des forces aériennes, les principales troupes terrestres dotées de nouveaux équipements se trouvent loin de la Région militaire du Caucase du Nord. C'est pourquoi, hormis quelques rares armements modernes utilisés au cours de cette guerre[30], la majeure partie du matériel utilisé - chars T-62 et T-72, véhicules blindés de combat d'infanterie BMP-1 et BMP-2, véhicules blindés de transport de troupes BTR-70 et BTR-80, canons automoteurs Gvozdika et Akatsia et lance-roquettes multiples Grad - date des années 70-80. Ces équipements n'ont été, au mieux, que légèrement modernisés. Par ailleurs, le général Vladimir Boldyrev, commandant en chef des forces interarmes qui ont participé à cette guerre relève des problèmes de transmissions des ordres et de coordination des systèmes d’armes au sein des unités blindées[31].
En plus du matériel de combat, la révision de l’équipement des troupes terrestres devrait également concerner les moyens de reconnaissance, d’acquisition d’objectifs et de commandement et de conduite des opérations. Les défauts mis à jour dans ces domaines sont évidents. En trois jours de combats, dans la région de Tskhinvali, l’artillerie russe n’a pas réussi à neutraliser ou détruire l’artillerie géorgienne, qui est restée opérationnelle jusqu’au moment du repli ordonné par Tbilissi. L'absence d'indications précises sur les cibles (les forces russes n’ont disposé d’aucun drone), un nombre insuffisant de munitions guidées et leur imprécision en raison de l’absence de renseignements, des défaillances dans les systèmes d’acquisition d’objectifs et de conduite des tirs sont les principaux responsables des difficultés rencontrées.
Seule armée à réellement avoir tiré son épingle du jeu, la marine russe a parfaitement rempli sa mission qui était de bloquer le littoral dans la zone du conflit. Mais il semble inutile de se faire trop d’illusions à ce sujet. L’opposition était quasiment inexistante. La flotte russe de la mer Noire est vieillissante. Ses principaux bâtiments sont âgés de plus de 20 ans et devront être retirés du service au cours des décennies à venir. D’un point de vue stratégique, la flotte doit également être renforcée en raison de la détérioration évidente des rapports entre la Russie et l'OTAN. Au moins, en vue d'assurer la défense de son littoral en cas de conflit grave et, au mieux, afin de dissuader efficacement un adversaire potentiel.
Un budget militaire russe en forte hausse pour 2009
Le 11 septembre dernier, tirant les enseignements de cette guerre éclair, le président Medvedev a estimé que « la modernisation des forces et des équipements et que l’amélioration des niveaux opérationnels et des capacités militaires constituaient une priorité majeure[32] ». Il justifie cette décision par la nécessité de faire face, à l’avenir, au réarmement en cours de la Géorgie. Le chef d’état-major de l’état-major interarmées, le général Nikolaï Makarov, pour sa part, estime qu’il convient de développer un nouveau concept stratégique et que la priorité en matière d’armements modernes doit porter sur les armes intelligentes (armes de précision), les satellites, la défense aérienne et les forces aériennes[33].
Quatre jours plus tard, son Premier ministre, Vladimir Poutine, annonce une augmentation de 27% du budget de la défense pour 2009[34]. Il atteindrait ainsi la somme de 36 milliards d’euros. Dans le même temps, le budget de la sécurité nationale, qui comprend le budget des forces militaires du ministère de l’Intérieur et celui des services de renseignement, serait porté à 31 milliards d’euros, soit une augmentation de 32% par rapport à 2008[35]. Malgré de telles augmentations, les analystes et experts militaires estiment que les postes « recherche et développement » du budget militaire sont encore trop négligés.
Comme dans de nombreux cas, le bilan humain de tels conflits est difficile à établir. Le 15 septembre dernier, les ministères géorgiens de la Défense, de l’Intérieur et de la Santé ont communiqué les bilans officiels[36]. Selon Batu Kutelia, vice-ministre de la Défense, les pertes militaires s’élèvent à 168 soldats, dont seulement 110 ont pu être identifiés. Les autres resteront à jamais des « soldats inconnus[37] ». Pour le ministre du Travail, de la Santé et de la Protection sociale, Aleksander Kvitashvili, les pertes civiles s’élèvent à 188, la plupart lors des bombardements. Quant au vice-ministre de l’Intérieur, Ekaterine Zguladzé, elle a annoncé 6 disparus et la perte de 16 officiers.
De leur côté, les autorités russes font état de 66 tués et 340 blessés. Elles estiment que les pertes militaires réelles géorgiennes s’élèveraient à 3000 morts.
S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, à moyen et long terme, sur les retombées géopolitiques et diplomatiques de ce conflit, sur la nécessaire redistribution des cartes à laquelle nous devrions assister au cours des prochains mois, la déroute militaire géorgienne est riche d’enseignements qui permettront d’éclairer les profonds changements qui se dessinent.
Les amateurs d’anecdotes et de « petite histoire » découvriront, avec étonnement, que le scénario étrangement prémonitoire de ce conflit remonte à 2001 et qu’il avait été imaginé par les concepteurs d’un jeu électronique, Ghost Recon[38]. La scène se passe en 2008. Des ultranationalistes radicaux ont pris le pouvoir à Moscou avec pour but la restauration de l’empire soviétique. Les blindés russes assiègent le Caucase et les forêts baltiques, prêts à s'élancer vers l’ouest et le sud. Redoutant le pire, le monde entier retient son souffle et attend. Pour un petit groupe de soldats d'élite, la guerre a cependant déjà commencé.
Déployée pour maintenir la paix en Géorgie, une poignée de Bérets verts américains constitue la première ligne de défense et le véritable fer de lance de la reconquête. Rapides, silencieux et invisibles, dotés des derniers équipements et entraînés aux techniques les plus récentes pour une guerre de l'ombre, ils se sont baptisés « les Ghosts (les fantômes) ». Selon l’habilité et le niveau des joueurs, cette poignée de soldats d’élite parvient, plus ou moins aisément, à infliger une cuisante défaite aux troupes russes.
Si la frontière entre fiction et réalité est parfois étrangement ténue, une chose est sûre : les militaires géorgiens sont encore loin d’avoir les capacités des Bérets verts américains et la partition qu’ils ont jouée sur le terrain était, pour le moins, aux antipodes du séduisant scénario de 2001. L’avenir de l’armée géorgienne dépend maintenant, pour une bonne part, du résultat de l’élection présidentielle américaine. Tout récemment, deux sénateurs démocrates indépendants, Joe Lieberman et Lindsay Graham, proches du candidat républicain John McCain, ont estimé, dans le Wall Street Journal, qu’il était temps de mettre fin aux réticences et atermoiements de l’administration Bush et qu’il fallait « donner à la Géorgie les moyens militaires adéquats de dissuader la Russie de toute nouvelle agression[39] ».
Jusqu’à présent, et malgré les véhémentes protestations des autorités américaines - le 4 septembre, le vice-président Dick Cheney dénonçait « l’illégitimité du changement par la force des frontières géorgiennes » - l’administration a fait la sourde oreille aux différents appels en vue d’une aide militaire accrue et de la remise à niveau du potentiel opérationnel géorgien par la livraison d’armements modernes et performants. Une position, empreinte de sagesse et de retenue, bienvenue en ces temps d’incertitude.
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[1] Arrivée, sur le territoire ossète, de nouvelles forces russes de maintien de la paix, tirs de mortiers contre des villages géorgiens et perte de plusieurs drones géorgiens de fabrication israélienne.
[3] Entré en service au début des années 1960, le BM-21 Grad est un lance-roquettes multiples (salves de 40 roquettes) de 122 mm.
[8] Entré en service à la fin des années 1970, le BM-27 Ouragan est un lance-roquettes multiples (salves de 16 roquettes) de 220 mm.
[9] Cette vallée, sous administration géorgienne, constitue un nœud stratégique en matière de voies de communication. Le 27 septembre 2006, les autorités géorgiennes y procédaient à l’installation de l’administration temporaire d’Abkhazie placée sous l’autorité du président du conseil du gouvernement abkhaz en exil, Malchaz Akishbaia.
[11] Produit à partir des années 1978, le Shukoï Su-25 est un réacteur monoplace destiné à l’appui aérien rapproché. Son appellation conventionnelle par l’OTAN est « Frogfoot ».
[12] Le S-125 Neva/Pechora (appellation OTAN : SA-3 « Goa »), entré en service en 1963, est un système de missiles sol-air à courte portée et basse altitude.
[13] Le S-200 Angara/Vega/Dubna (appellation OTAN : SA-5 « Gammon ») est un système de missiles sol-air de très longue portée et de moyenne à haute altitude. Comme son petit frère, le S-125, il est entré en service en 1963.
[14] Système de missiles sol-air de moyenne portée, le Buk-M1, connu sous l’appellation OTAN de SA-11 « Gadfly », est entré en service en 1983. L’Ukraine en aurait vendu quelques exemplaires à la Géorgie.
[15] Ce système est constitué de radars P-18, de conception russe. Développé au début des années 1970, le radar P-18 a longtemps été le principal radar de surveillance et de ciblage utilisé à la fois par les systèmes russes de contrôle du trafic aérien et de défense aérienne.
[16] Avion d’entraînement, le L-29 Delfin, d’origine tchèque, est, au début des années 1960, l’avion de référence, en matière d’entraînement, au sein de forces du pacte de Varsovie. Bien que destiné à l’entraînement, le L-29 Delfin possède une capacité d’emport de près de 200 kg de munitions diverses (canons, roquettes, bombes et missiles).
[17] Théoriquement interopérable avec ses unités de défense aérienne, le commandement de la surveillance aérienne a encore recours à des moyens - téléphone et radio - non-intégrés pour la transmission de ses ordres de conduite.
[21] Ibid.
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] Le 13 août, lors d’une conférence de presse, le président Saakahsvili a tenté de minimiser cette erreur d’appréciation (cf. : http://www.civil.ge/eng/article.php?id=19109&search). Selon lui, le plan prévoyait bien « d’arrêter les troupes russes au niveau du tunnel » mais « nous sommes arrivés trop tard et les Russes étaient trop nombreux ».
[29] Entré en service en 1983, le bombardier stratégique Tu-22M3, connu aussi sous le nom de Backfire, est utilisé au combat pour la première fois en Afghanistan de 1987 à 1989 puis lors des deux conflits tchétchènes.
[30] Canons automoteurs Msta, des missiles Totchka (les autorités russes ont démenti avoir fait usage de ce type de missile cf. http://fr.rian.ru/world/20080818/116108781.html) et lance-roquettes multiples Smertch.