Géorgie : le président Mikhaïl Saakachvili, plus isolé que jamais



 

 

Samedi 13 mars 2010. 20 heures. Tbilissi. À l’heure où les chaînes de télévision diffusent leur traditionnel journal du soir, l’une des principales, la chaîne Imedi (Espoir), déclenche la panique. Très discrètement et brièvement annoncé par la présentatrice, Natia Koberidzé, comme une fiction sensée illustrer ce qui pourrait arriver en Géorgie à la suite de troubles qui se seraient déclenchés dans tout le pays après la proclamation des résultats des élections municipales du 30 mai 2010, le journal Kronika est remplacé par un faux journal.

 

Pour les téléspectateurs, le choc est rude, insupportable. Les russes ont envahi le pays, la population fuit. À Tbilissi, les manifestants errent par milliers en tous sens, des chars approchent et des avions russes bombardent la ville. Le président est touché, il est donné pour mort. Des leaders de l’opposition se seraient emparés du pouvoir. Ils voudraient remettre les clés du pays aux envahisseurs. Le président russe, Dimitri Medvedev, annonce la fin du régime honni de Saakachvili. Hillary Clinton et Nicolas Sarkozy s’envolent pour Moscou. Le président Obama prend la parole à Washington. Les images défilent en boucle. Elles illustrent et appuient les propos des journalistes : scènes de rue, le Président, des blessés, des manifestations, des déclarations d’ambassadeurs, des interviews de leaders de l’opposition, etc.

 

Énième et surprenant avatar d’une vie politique et médiatique rythmée de coups de théâtre et de coups d’éclat depuis plusieurs années, cette histoire belge[1], à la sauce géorgienne, montre à l’évidence que, pour la population de ce pays sous haute tension internationale depuis plus de vingt ans et au bord de la crise de nerfs, tout particulièrement depuis l’été 2008, la soirée de ce samedi 13 mars 2010 constitue un sérieux rappel à l’ordre qui prouve que la stabilité est encore un rêve lointain en Géorgie.

 

Au-delà du choc émotionnel - mouvements de panique, réseaux de téléphonie saturés, pillage d’une station service à Gori, malaises cardiaques en série - le bilan de ce canular - critiques nationales, condamnation internationale et électrochoc pour l’opposition politique brusquement tirée de son hibernation - marquera fortement et durablement la fin de la présidence Saakachvili, prévue pour fin janvier 2013.

Voulue ou non, cautionnée ou pas, cette affaire du faux Kronika tombe au plus mauvais moment pour le médiatique tombeur d’Édouard Chevardnadzé. Il se retrouve propulsé en première ligne, alors qu’il apparaît de plus en plus isolé et fragilisé, tant aux yeux de ses concitoyens que sur la scène internationale.

 

  1. 1.    Un canular qui ne fait rire personne

 

a)  Entre condamnations internationales…

 

Aussitôt le « canular » révélé, les condamnations ont été unanimes et sans ambiguïtés. Le lendemain, John Bass, ambassadeur des États-Unis en Géorgie, déclare que « l’émission de la chaîne de télévision Imedi est irresponsable et qu’un tel comportement est aux antipodes de l’éthique journalistique[2]». Éric Fournier, ambassadeur de France, qui, avec les ambassadeurs du Royaume-Uni et de la République Tchèque, apparaît dans ce faux reportage[3], estime que « la chaîne Imedi a sérieusement écorné sa réputation journalistique et que ce reportage est complètement inadmissible[4] » Il condamne, fermement, l’utilisation des images d’archives sur lesquelles il apparaît. Denis Keefe, ambassadeur du Royaume-Uni, condamne lui aussi l’émission et l’utilisation de son image dans le faux reportage.

 

La représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, Dunja Mijatovic, déplore le « caractère irresponsable de ce reportage[5] ». Quant à la mission de surveillance de l’Union européenne en Géorgie (EUMM - European Union Monitoring Mission in Georgia), un communiqué de son état-major dénonce « un dangereux reportage qui aurait pu entraîner une sérieuse dégradation de la situation dans la région[6] ». Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, n’est pas en reste. Il attribue la responsabilité de cette affaire à la « paranoïa politique des dirigeants géorgiens qui ont ainsi causé de sérieux dommages à la sécurité et la stabilité de la région[7] ».

 

C’est de l’OTAN que viendra la réaction la plus révélatrice de l’état d’exaspération dans lequel cette affaire a plongé les instances internationales. Interrogé sur cette affaire, le porte-parole de l’Organisation, James Appathurai, la considère comme « inutile et malvenue[8] » et, tout en se défendant de lier cette affaire avec celle de l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN, il n’a pu, néanmoins, s’empêcher d’ajouter que « l’adhésion de la Géorgie n’est certainement pas pour demain et les autorités géorgiennes ont encore, sur le long terme, un certain nombre de réformes fondamentales à entreprendre[9]».

 

b) … et autosatisfaction présidentielle…

 

Dépêchée sur place, en catastrophe, dans les studios d’Imedi, la porte-parole de la présidence, Manana Manjgaladzé, exprime, au nom du président Saakachvili, ses « inquiétudes et ses craintes[10] ». Elle reproche à la chaîne de « n’avoir pas suffisamment signalé le caractère fictif de l’émission[11] ». Un bandeau défilant durant l’intégralité du faux journal aurait permis de lever toute ambiguïté et de dissiper tout malentendu. Plusieurs membres de la majorité présidentielle condamnent aussi l’émission télévisée.

La réaction personnelle du président Mikhaïl Saakachvili, le lendemain, au cours d’une visite dans le district de Bolnisi, est plus ambiguë. Après avoir, très brièvement, critiqué Imedi pour ne pas avoir fait défiler de bandeau signalant qu’il s’agissait d’une fiction, il insiste surtout sur la plausibilité du scénario : « La chose la plus désagréable à propos du reportage d'hier, et je veux que chacun en soit pleinement conscient, c'est que ce reportage est très proche de la réalité et montre parfaitement ce qui pourrait arriver … l’ennemi a commencé, en août 2008, la projection d’un très mauvais film pour la Géorgie … nous avons réussi à interrompre sa diffusion mais nous n’ignorons pas que le réalisateur poursuit la rédaction du scénario d’un remake similaire à celui de la fiction d’hier soir[12] ».

 

Vantant le réalisme du faux reportage - Mikhaïl Saakachvili rappelle que l’opposante Nino Bourdjanadzé a récemment rencontré Vladimir Poutine à Moscou et que « sa poignée de mains avec un homme dont les mains sont couvertes de sang géorgien, prouve qu’elle n’a aucune dignité[13] » - le président géorgien ne cherche même pas à dissiper le soupçon selon lequel la diffusion du faux journal a été conçue et instrumentalisée par les plus hautes sphères gouvernementales.

 

c)  … l’opposition se réveille et se mobilise

 

Après un printemps de manifestations continues qui avaient paralysé la capitale d’avril à juin 2009 - le point d’orgue ayant été atteint le 26 mai[14] - la fièvre était progressivement retombée à l’approche de l’été et l’opposition était, depuis, entrée en semi léthargie.

 

Le 13 mars, peu avant 21h00, alors que le débat en direct, organisé à l’issue de la diffusion du journal Kronika, venait à peine de commencer, l’opposition politique, notamment les leaders visés dans le faux journal[15], organisaient une manifestation spontanée, de 200 à 300 personnes au plus, devant le siège d’Imedi. Des figures majeures de l’opposition y apparaissaient aux côtés d’organisations de la société civile et de groupes de citoyens anonymes en colère.

 

Mais en dehors de quelques injures et slogans, les différents partis d’opposition paraissaient relativement désorganisés et peu désireux d’entreprendre une action plus soutenue. Ils décidaient néanmoins d’annoncer un meeting public pour le lendemain, organisant ainsi la première manifestation de l’année, bien en avance sur le calendrier qu’ils avaient fixé en vue des élections municipales de fin mai.

 

Après quelques jours de réflexion, il semble bien que la majeure partie de l’opposition ait décidé d’exploiter l’événement et de surfer sur la vague d’indignations. Le 22 mars, une réunion initiée par le Parti Travailliste rassemble les représentants de six autres mouvements d’opposition[16]. Tous sont convenus de la nécessité de coordonner leurs actions et ont décidé de mettre sur pied un groupe de travail dirigé par Giorgi Khaindrava, ancien ministre d’État pour la résolution des conflits, avec pour mission d’établir une stratégie et un plan d’action conjoint pour la conquête du pouvoir[17].

 

Trois partis ne se sont pas joints à ce mouvement, La Voie de la Géorgie, de Salomé Zourabichvili, ancienne ministre des Affaires étrangères, les Chrétiens Démocrates et l’Alliance pour la Géorgie, d’Irakli Alassania, ancien conseiller du président et ancien ambassadeur aux Nations unies, mais Giorgi Khaindrava ne désespère pas de les voir rejoindre le mouvement initié le 22 mars.

 

Quelles que soient les motivations qui ont conduit la direction des programmes d’Imedi à diffuser ce faux journal - sombres manœuvres politiciennes de complaisance ou réel désir d’informer - l’une des conséquences, pour le moins inattendue, aura donc été le réveil de l’opposition et la relance, certes encore timide, de l’idée d’une coalition de tous les partis d’opposition pour les élections municipales. Reste à savoir si les dirigeants de ces partis sauront faire taire les démons qui ont, jusqu'à présent, réussi à plus les diviser qu’à les unir.

 

Il en va de leur crédibilité à l’approche d’un scrutin - le 30 mai prochain - où tout indique que la mairie de Tbilissi pourrait bien constituer une belle prise de guerre. Pour la première fois, l’élection du maire aura lieu au scrutin direct. Sur la base des résultats obtenus par le candidat de la coalition de l’opposition à la présidentielle de janvier 2008[18] ou par les différents candidats d’opposition aux élections législatives du printemps 2008[19], le parti du Président, le Mouvement national, est largement minoritaire dans la capitale.

 

Nul doute que la chute de Tbilissi aux mains de l’opposition serait un intéressant rebondissement qui ne manquerait pas de compliquer sérieusement le reste du deuxième et ultime quinquennat de Saakashvili.

 

  1. 2.   Un sentiment d’isolement

 

Portée aux nues par les démocraties occidentales, la « Révolution des Roses » du 22 novembre 2003 semblait devoir combler les immenses espoirs des Géorgiens. Première d’une série de trois révolutions - Révolution Orange en Ukraine en 2004 et Révolution des Tulipes au Kirghizistan en 2005 - la Révolution des Roses connaîtra, comme sa petite sœur ukrainienne, le destin que l’histoire réserve aux porteurs d’espoirs déçus. Sept ans après, force est de constater que des roses et des oranges, il ne subsiste guère que des épines et que des pépins. Avec le bilan désastreux de la guerre d’août 2008, c’est probablement la « défection » ukrainienne du 7 février 2010 qui aura le plus renforcé ce sentiment d’isolement.

 

a)  La désastreuse aventure militaire

 

Tragique à plus d’un titre - 162 militaires tués au combat, 8 disparus[20], 230 civils tués et

1. 800 blessés[21], près de 130.000 personnes déplacées[22] selon le HCR des Nations unies dont 35.000 n’ont toujours pas pu retourner chez elles, la perte de deux provinces, l’Abkhazie et l’Ossétie du sud, qui ont officiellement déclaré leur indépendance - la désastreuse aventure militaire du 7 août 2008 restera probablement dans l’histoire comme le point de départ de la chute vertigineuse de la cote de popularité de la Géorgie et de son président au niveau international.

 

De nombreux experts s’en doutaient et le disaient : la responsabilité première du conflit du 7 au 12 août 2008 repose sur la Géorgie. Le rapport d’enquête, commandé par l'Union européenne, le confirme, le 30 septembre 2009. Camouflet pour le président Saakachvili, on peut y lire que Tbilissi est responsable du déclenchement de la guerre russo-géorgienne d'août 2008. Ce rapport accuse aussi Moscou d’avoir réagi de manière disproportionnée et d’avoir favorisé le nettoyage ethnique.

 

Ce rapport tord donc le cou à la thèse défendue jusqu'ici, bec et ongles, par le président géorgien, qui présentait son offensive comme un acte de légitime défense. Dans un communiqué séparé, la présidente de la commission d'enquête mise sur pied par l'Union européenne, la diplomate suisse Heidi Tagliavini, souligne clairement que « du point de vue de la Commission, c'est la Géorgie qui a déclenché la guerre en attaquant Tskhinvali à l'artillerie lourde[23] ».

 

Empêtrée dans la campagne présidentielle qui battait son plein et sans doute déjà échaudée par le caractère imprévisible et incontrôlable de Mikhaïl Saakachvili, l’administration Bush s’est prudemment abstenue de toute interférence directe dans le conflit, se contentant de hausser le ton envers Moscou. On était loin des déclarations enflammées - « la Géorgie, phare de la liberté et de la démocratie » - d’un George W. Bush lors de sa visite à Tbilissi en mai 2005. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Obama et le réchauffement des relations entre Moscou et Washington, le cas géorgien n’occupe plus le devant de la scène comme par le passé.

 

b) La défection ukrainienne

 

Mikhaïl Saakachvili avait vu en Viktor Iouchtchenko, lui aussi porté au pouvoir en Ukraine à l’issue d’une révolution, la Révolution Orange, un alter ego, avec lequel il se sentirait moins isolé dans son combat sans fin contre Moscou. Les relations de gouvernement à gouvernement ont rapidement pris un tour hautement personnalisé entre ces deux amis de longue date. Viktor Iouchtchenko est le parrain d’un des enfants de Mikhaïl Saakachvili et ce dernier entretient également d’étroites relations avec Ioulia Timochenko, alliée de la première heure du président ukrainien et sa dernière première ministre. Moins d’un an après la Révolution Orange, le 12 août 2005, les deux hommes signent la Déclaration de Borjomi qui annonce la création d’une Communauté de choix démocratique et qui ambitionne de « réunir tous les États démocratiques des régions de la Baltique, de la mer Noire et de la Caspienne[24] ». Idée séduisante, surtout aux yeux d’une administration Bush toujours soucieuse de voir diminuer, au nom de la doctrine de l’endiguement, l’influence russe au sein de l’espace postsoviétique.

 

La première tentative de formation d’un contrepoids géopolitique à la Russie et à ses alliés, au sein de la Communauté des États Indépendants (CEI), s’était traduite par la création de l’alliance GUAM (Géorgie - Ukraine - Azerbaïdjan - Moldavie) qui avait émergé au milieu des années 1990 avec le soutien très actif et bienveillant des États-Unis. Cette initiative s’est cependant avérée inefficace et n’a pas réellement fonctionné, les États membres de cette alliance n’ayant pas réussi à s’accorder sur les domaines économique et politique. En outre, ils se sont surtout focalisés sur leurs problèmes personnels et leurs crises intérieures, préférant gérer leurs relations avec la Russie dans un cadre bilatéral, plutôt que de façon collective, par le biais d’un organe doté de pouvoirs en matière de politique étrangère et de sécurité commune.

 

Svante Cornell, spécialiste du Caucase, analyste à l’Université Johns Hopkins et éditeur du bulletin bimensuel, Central Asia-Caucasus Analyst[25], du Central Asia-Caucasus Institute and Silk Road Studies Program Joint Center, estimait lors d’un entretien publié par la revue en ligne Caucaz.com, que « les aspirations géorgiennes à un statut de puissance régionale [au travers de la proposition de Communauté de choix démocratique, ndlr] ne pourraient être que préjudiciables à la Géorgie, car elles seraient irréalistes et détourneraient l'attention des autorités des principales priorités pourtant évidentes : la construction d’un État digne de ce nom et la poursuite du processus de réformes[26] ». Et il recommandait à tous, acteurs politiques géorgiens et internationaux, de « tourner le dos à la mégalomanie et d’éviter soigneusement de véhiculer et d’entretenir ce genre d’idées dont la promotion va, en réalité, à l’encontre des intérêts les plus urgents de la Géorgie[27] ». 

 

Aussitôt que la victoire de Viktor Ianoukovitch est apparue plus que probable et avant même qu’elle ne soit officiellement annoncée, le président Saakachvili s’empressait de féliciter le tombeur de Ioulia Timochenko. Et d’ajouter que « cette élection qui consacre la victoire de la démocratie ukrainienne ne remet pas et ne remettra pas en cause le partenariat stratégique qui unit Tbilissi et Kiev[28]». De nombreux observateurs pensent que la victoire de Ianoukovitch se traduira néanmoins, tout du moins dans les premiers temps, par un certain refroidissement entre les deux capitales. Pour Ghia Nodia, analyste politique et enseignant auprès de l’Université d’Etat Ilia Chavchavadzé « la victoire de Ianoukovitch est, pour la Géorgie, un événement déplaisant mais pas catastrophique[29] ». Malgré la posture du nouveau président - opposé à l’intégration de l’Ukraine au sein de l’OTAN et désireux de reconnaître les deux républiques séparatistes de Géorgie - Ghia Nodia estime que l’administration Saakachvili n’a pas trop à redouter l’arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch. Comme le pense Alexandre Rondeli, président de la Fondation géorgienne d’études internationales et stratégiques, « le fossé important entre les électeurs ukrainiens pro-russes, d’un côté, et pro-occidentaux de l’autre, conduira Viktor Ianoukovitch à composer et faire preuve de réalisme[30] ».

 

Le lendemain de la victoire de Viktor Ianoukovitch, le président Saakachvili tirait les leçons de ce scrutin devant les parlementaires de sa majorité. L’incapacité du gouvernement ukrainien à maintenir l’unité du pays semble être, à ses yeux, la raison majeure de l’échec de l’équipe Iouchtchenko. Aussi a-t-il jugé bon de mettre en garde sa majorité sur le destin identique que la Géorgie pourrait connaître si ses classes dirigeantes et ses élites ne parvenaient pas à s’entendre sur les problèmes essentiels et à maintenir l’unité du pays. Et de dénoncer au passage, sans ouvertement les nommer, les éléments radicaux qui, dans et en dehors du pays, œuvrent contre la Géorgie. À quelques jours de la diffusion contestée du faux journal Kronika dans lequel deux des figures les plus marquantes de l’opposition ont été mises en cause et accusées de trahison, cette dénonciation anticipée prend toute son sens et toute sa valeur.

 

Histoire de motiver ses troupes, le président Saakachvili a conclu cette réunion par un passage en revue des bilans comparés de la Géorgie et de l’Ukraine. Des chiffres qu’il a présentés, il ressort que la Géorgie surclasserait l’Ukraine dans tous les domaines. Avec un PIB, par tête, de 2. 930 dollars contre 2. 700 à l’Ukraine, un bond en avant de 77 places au classement de la lutte contre la corruption alors que l’Ukraine reste dans les profondeurs du classement, une 11ème place mondiale en matière de climat des affaires tandis que l’Ukraine se retrouve à la 120ème, un gain de 99 places en matière de liberté économique pour se retrouver à la 32ème place mondiale, loin devant l’Ukraine qui, avec la Russie, stagne au 133ème rang, le tableau est proprement idyllique. C’est le président lui-même qui le dit : « Nous sommes en train de faire de la Géorgie l’un des plus beaux endroits au monde, si ce n’est le plus magnifique ! [31]».

 

Ces dernières années, l’Ukraine de Viktor Iouchtchenko a servi de passerelle aux ambitions européennes et occidentales de la Géorgie. Ce n’était certes pas la seule, mais elle faisait, néanmoins, office de trait d’union important. L’Ukraine, malgré tout le mal que semble en penser maintenant le président Saakachvili, pèse d’un poids géopolitique et économique autrement plus important que celui de la Géorgie. Géographiquement, Kiev est beaucoup plus près du cœur de l’Europe que Tbilissi et l’Ukraine occupe une place stratégique essentielle en matière d’approvisionnements gaziers vers l’Europe. Et il sera toujours plus difficile aux occidentaux et aux européens d’ignorer les ambitions otaniennes et européennes de l’Ukraine que de renvoyer aux calendes grecques ou de balayer d’un revers de main celles de Tbilissi. En outre, le contexte est actuellement des plus sombres pour une Géorgie qui se sent de plus en plus isolée. Notamment après la visite de Dimitri Medvedev à Paris, début mars, visite qui s’est conclue par l’ouverture de négociations d’un contrat d’armement portant sur la vente, par la France à la Russie, de quatre navires Mistral.

 

  1. 3.   Conclusion

 

L’affaire du faux Kronika est révélatrice de l’isolement grandissant de Mikhaïl Saakachvili. Après avoir systématiquement vu ses principaux collaborateurs rejoindre les rangs de l’opposition - entre autres, Nino Bourdjanadzé, ancienne présidente du Parlement, Zourab Nogaïdéli, ancien Premier ministre, Salomé Zourabichvili, ancienne ministre des Affaires étrangères, Irakli Alassania, ancien ambassadeur aux Nations unies et Giorgi Khaindrava, ancien ministre d’État pour la résolution des conflits - le président, dont le mandat ne se termine qu’en 2013, est sans doute en train de constater que sa succession est déjà ouverte.

 

Les révélations du 15 mars, sur Internet, semblent bien indiquer que la lutte pour le poste de président sera féroce. Ce jour là, un internaute met en ligne deux conversations téléphoniques enregistrées. Dans la première, les interlocuteurs sont présentés comme étant le directeur d’Imedi et son adjointe. L’homme affirme avoir reçu l’aval du Président pour la diffusion du faux journal. Le directeur d’Imedi, Giorgi Arveladzé, confirme reconnaître sa voix mais dénonce un montage audio[32]. La seconde, mise en ligne peu après, est supposée se dérouler entre le président Saakachvili et le ministre géorgien de la Culture. Ces deux dialogues, sont en cours d’authentification.

 

Certains experts, ainsi que les milieux proches du pouvoir, estiment que ces révélations sont à mettre au compte du FSB - le service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie - qui chercherait ainsi, avec la bénédiction du Kremlin, à dénigrer et affaiblir le Président géorgien. D’autres estiment au contraire que le ministre de l’Intérieur, Vano Mérabichvili, supposé détenir un pouvoir exceptionnel en Géorgie, serait à l’origine de ces révélations. Son but serait de rappeler, au Président et aux autres éventuels candidats à la succession, son pouvoir en vue de se positionner pour l’élection présidentielle de 2013.

 

Toujours est-il qu’en jouant d’une manière totalement irresponsable avec des images toutes plus catastrophiques les unes que les autres - y compris celles d’une reddition massive de l’armée - le faux Kronika induit dangereusement l’idée que le sentiment de peur et la notion de victimisation, perpétuellement brandis par les autorités gouvernementales, Mikhaïl Saakachvili en tête, hantent maintenant et de manière permanente le quotidien de la population géorgienne.

 

La peur que provoque la Russie est un sentiment parfaitement compréhensible et légitime en Géorgie. Mais si ce sentiment de peur et l’impression de victimisation sans fin qui en découle sont instrumentalisés au point de devenir les deux seules et uniques caractéristiques sociologiques de la population géorgienne, on pourra alors en conclure que Moscou a gagné, sans avoir eu besoin de tirer un seul coup de feu supplémentaire.

 

 

 

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[1] La télévision belge, RTBF, annonçait, le 13 décembre 2006, au cours d’un flash spécial d’informations, la désintégration de l’État belge. Cette annonce, avait été aussitôt suivie de pseudo reportages, tous plus réalistes les uns que les autres, qui avaient provoqué un profond émoi et un choc important parmi la population et au sein de la classe politique belge.

[3] Imedi a illustré son faux reportage de vraies séquences d’archives tournées au moment de la guerre d’août 2008.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[9] Ibíd.

[11] Ibíd.

[13] Ibid.

[14] Ce jour là, plus 50.000 manifestants avaient célébré la fête nationale géorgienne dans le stade du FC Dynamo et obligé les autorités à annuler le traditionnel défilé militaire.

[15] Nino Bourdjanadzé, ancienne présidente du Parlement, et Zourab Nogaïdéli, ancien Premier ministre, avaient été ouvertement présentés dans ce faux journal comme agitateurs et traîtres au pays.

[16] Prennent part à cette réunion : Le Mouvement démocratique - Géorgie unie, de Nino Bourdjanadzé, le Mouvement pour une Géorgie juste, de l’ancien Premier ministre Zourab Nogaïdéli, le Mouvement Défendons la Géorgie de l’ancien candidat de la coalition de l’opposition à l’élection présidentielle de 2008, Levan Gachechiladzé, le Parti Conservateur, le Parti du Peuple, le Parti de la Liberté, du fils de l’ancien président Zviad Gamsakhourdia, et le Parti des Travaillistes, de Gogi Topadzé.

[18] Levan Gachechiladzé, candidat de l’opposition unie, l’avait emporté dans 8 circonscriptions sur les 10 que compte la capitale avec plus de 40% des voix et plus de 8 points d’avance sur Saakashvili.

[19] Si le bloc uni de neuf des partis de l’opposition n’a obtenu, au scrutin majoritaire, que 2 sièges de députés sur les 10 que compte la capitale, l’opposition, toutes composantes confondues, était majoritaire en voix à Tbilissi.

[27] Ibid.

[30] Ibid.


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