La seule question qui se pose, concernant l’offensive terrestre israélienne contre le Hamas, n’est pas de savoir SI elle aura lieu mais bien QUAND elle commencera. Avec, comme interrogations subsidiaires : quelle sera son ampleur et jusqu’où s’étendra-t-elle ?
Certains commentateurs en sont encore à se demander si l’offensive terrestre israélienne aura lieu, estimant soit qu’elle sera trop risquée et coûteuse en vies humaines pour qu’Israël tente « l’aventure », soit que l’existence de 100 à 200 otages la rend de facto impossible.
Cette offensive terrestre aura pourtant bien lieu et elle pourrait même être imminente. En effet :
1) Les conditions de l’offensive
Mais le déclenchement de cette offensive terrestre nécessite que quatre conditions soient remplies :
Aujourd’hui (12 octobre), deux de ces conditions sont d’ores et déjà remplies :
Une troisième condition est presque atteinte : le déploiement militaire massif (rendu possible par la mobilisation de 300 000 réservistes, soit les trois quarts de la réserve opérationnelle de Tsahal), réparti entre le sud (majoritairement) et le front nord pour faire face à une éventuelle offensive du Hezbollah est en voie d’achèvement.
La quatrième question, celle de l’établissement de couloirs d’évacuation vers l’Egypte, est en cours de résolution via des négociations tripartites entre Israël, l’Egypte et les Etats-Unis. Cette évacuation des civils est essentielle et répond à des motivations aussi bien humanitaires que tactiques. D’abord, elle minimise le risque de dégâts collatéraux, d’autant plus difficiles à supporter qu’ils seront largement instrumentalisés par la propagande du Hamas. Ensuite, « vider le marécage » dans lequel évolue le Hamas permet de repérer plus facilement les combattants pour les détruire, ce qui reste le but de guerre premier.
2) Buts de guerre, moyens de les atteindre et doctrine militaire de Tsahal
Le but de guerre essentiel est clairement affiché : éradiquer le Hamas, « l’effacer de la surface de la terre » (Benjamin Netanyahu dans la soirée du mercredi 11 octobre : « Tout membre du Hamas est un homme mort »). La Qyriat (quartier général de Tsahal, à Tel Aviv) ne parviendra peut-être pas à atteindre ce but, mais il est possible d’infliger au groupe terroriste des pertes maximales dont il aura du mal à se relever.
Ce but correspond à la doctrine militaire d’Israël
La doctrine militaire israélienne telle qu’elle est appliquée par Tsahal est connue et repose, entre autres, sur la « doctrine Dahiya » développée par le général Gadi Eizenkot, chef d’Etat-major général de 2015 à 2019 (et, par ailleurs, ardent défenseur d’une paix à deux Etats, d’un approfondissement de la démocratie et d’une séparation accrue des pouvoirs…).
Dahiya repose sur le concept d'une guerre asymétrique rapide qui implique la destruction des infrastructures civiles des régimes jugés hostiles, pour empêcher les combattants ennemis de les utiliser, et sur l’emploi d'une puissance « disproportionnée » pour anéantir les forces adverses.
En fait, Dahiya ne fait que synthétiser ce qui a toujours été la stratégie de l’Etat hébreu : maintenir en tout temps et en toutes circonstances une supériorité stratégique et tactique afin d’assurer la survie d’Israël. Tout adversaire potentiel doit savoir qu’il paiera un prix énorme et déraisonnable s’il agresse le pays. Ipso facto, cela signifie que chaque acte hostile doit donner lieu à une réplique immédiate et écrasante. Le but, ici, est de montrer à l’ennemi qu’il ne peut pas espérer gagner.
Dans le cas qui nous occupe, les pertes du Hamas devraient être infiniment supérieures (numériquement parlant) à celles subies par Israël (c’est l’aspect « non proportionnel » de la doctrine).
Le siège total de Gaza, tel qu’il est pratiqué à ce jour, correspond à l’une des phases de Dahiya.
Selon le Comité international de la Croix Rouge[1], le siège (« une tactique pour encercler les forces armées d’un ennemi afin de l’empêcher de faire le moindre mouvement ou de le couper de tout soutien et des canaux d’approvisionnement ») « n’est pas en tant que tel interdit par le droit international humanitaire, à condition [qu’il] soit effectué uniquement contre des objectifs militaires. Autrement dit, la tactique du siège doit être employée seulement contre des biens qui par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre un avantage militaire précis en vertu de l’article 52(2) du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) et de la règle 8 de droit international humanitaire coutumier tel qu’identifié par le Comité international de la Croix-Rouge. »
Les bombardements, eux, ont pour but de neutraliser les installations du Hamas, à couper ses voies logistiques et de communication, à épuiser ses forces et à détruire un certain nombre de « points hauts » (buildings) offrant des positions de tirs à l’organisation. A titre subsidiaire, il permet déjà l’élimination d’un certain nombre de ses dirigeants.
Mais on voit ici les limites des opérations israéliennes de siège et de bombardements puisqu’elles touchent à la fois « combattants » et civils, le Hamas se dissimulant au milieu de la population civile (en application du slogan de Mao Tse Toung : « Le rebelle vit dans la population comme un poisson dans l’eau »).
Le siège vise, d’une part, à empêcher le ravitaillement du Hamas et, d’autre part, à pousser la population à quitter le théâtre du futur affrontement (« assécher le marais », comme nous le disions plus haut). Il ne peut toutefois durer trop longtemps sans se retourner contre Israël : le Hamas souhaite que siège et bombardements fasse le maximum de victimes civiles, de manière à radicaliser la population et à utiliser ses souffrances (bien réelles) comme moyen de guerre psychologique. Faire durer cette phase, c’est offrir une victoire symbolique aux terroristes.
L’opération terrestre, quand elle débutera, verra (probablement) l’engagement de forces massives destinées à saturer le terrain et à « sidérer » l’adversaire par une supériorité absolue du tir, combinées à des unités spéciales qui mèneront des opérations « chirurgicales ». L’objectif sera de tuer les commandants des Brigades Izz ad-Din al-Qassam (la branche militaire du Hamas) et le maximum de leurs « combattants » et « réservistes ». En particulier, Tsahal recherchera à anéantir la force Nukhba (« élite »), les forces spéciales de cette branche armées qui ont joué un rôle central dans les attaques et les atrocités commises entre le 7 et le 10 octobre. Seront également visés les stocks d’armements, les infrastructures logistiques (entre autres, les tunnels), les centres de commandement, de renseignement et de communication.
Il est plus probable, sinon certain, que des opérations d’éliminations ciblées (« targeted killing ») seront également menées par les services spéciaux dans les pays où vivent, loin de Gaza, les dirigeants politiques (et certains chefs « militaires ») du Hamas : Liban, Syrie, Iran et peut-être Qatar.
Un autre but de guerre, important mais secondaire, consistera à localiser et à libérer le maximum d’otages.
Cela peut être réalisé par deux moyens : des opérations de forces spéciales terrestres menées de manière continue tant que durera la présence militaire massive à Gaza et la capture de tout membre du Hamas qui ne sera pas « neutralisé » afin de disposer, en fin de conflit ouvert, d’une masse de détenus qui pourront, éventuellement, servir de monnaie d’échange.
Enfin, il st important de noter que l’opération doit être la plus rapide et la plus courte possible afin, tout à la fois, d’éviter l’accumulation de victimes collatérales et de limiter le poids insupportable pour l’économie israélienne que fait peser la mobilisation de centaines de milliers de combattants.
3) Le conflit peut-il s’étendre ?
Reste une question à laquelle il est impossible de répondre à l’heure où nous écrivons : le conflit peut-il s’étendre ? On pense évidemment à une offensive du Hezbollah dans le nord, à une « intifada » en Cisjordanie, voire à une intervention directe de l’Iran.
Il est peu probable que le Hezbollah décide de s’impliquer directement, autrement que par des tirs de roquettes symboliques, dans le conflit, et l’Iran se gardera probablement de toute provocation (entre autres du fait de la présence de la marine américaine).
Toutefois, si les preuves de l’implication de Téhéran dans l’opération du Hamas étaient décisives, c’est Israël qui pourrait être tenté de frapper. Le conflit changerait alors totalement de dimension, mais nous n’en sommes pas là.
En Cisjordanie, la situation est extrêmement tendue, mais il n’y a pas, à l’heure actuelle, de signes évidents d’une large mobilisation pouvant conduire à une insurrection généralisée.
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[1] CICR : International Humanitarian Law and the Challenges of Contemporary Conflicts – Recommitting to Protection in Armed Conflict on the 70th Anniversary of the Geneva Conventions, page 26 de l’édition en français.