Israël-Iran, une guerre attendue



 

 

Depuis quelques semaines, la tension entre Israël et l’Iran est à son comble. Jérusalem agite la menace d’une frappe préventive sur les installations nucléaires iraniennes. Téhéran y répond en mettant en avant ses éventuelles capacités à bloquer le détroit d’Ormuz par où transite plus de 40% du fret pétrolier mondial[1] ou en menaçant Israël de destruction totale[2] et les Etats-Unis de frappes sur leurs bases du Golfe persique[3].

 

Le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) concernant le dossier iranien,  rendu public le 14 septembre 2012,  est venu renforcer la position israélienne qui met en doute l’efficacité de la politique des sanctions internationales. A l’évidence, l’Iran dissimule depuis des années les progrès de son programme nucléaire militaire et deviendra dans un avenir très proche un nouveau membre du club (encore) très fermé des puissances disposant d’une arme de destruction massive opérationnelle.

 

De plus, la menace d’une guerre israélo-iranienne s’est invitée dans la campagne pour l’élection américaine, suite à l’insistance de Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, de contraindre Barack Obama à accepter le principe d’une « ligne rouge »[4] qui serait imposée à la République iranienne.

 

Dans ce contexte qui voit les déclarations des différents protagonistes se multiplier, les analyses d’intervenants plus ou moins compétents abondent dans les médias du monde entier. On peut y lire les avis les plus divers sur les scénarii d’attaques israéliennes et sur les capacités de riposte iraniennes, sur les armements offensifs et défensifs en présence dans la région ou encore sur les intentions réelles ou mystificatrices[5] des Israéliens d’attaquer l’Iran sans l’appui de l’allié américain.

En définitive, dans le flux permanent d’informations relatives au risque de déclenchement d’une guerre irano-israélienne, avec ou sans la participation des Etats-Unis, la question centrale est celle de la détermination israélienne à rester fidèle à sa doctrine militaire. Celle-ci préconise notamment que les capacités militaires et l’usage occasionnel de la force doivent maintenir l’image et la réputation d’un pays implanté dans un environnement hostile[6] et qui ne peut se permettre la moindre défaillance face à ses ennemis.

 

Cette doctrine militaire fut, comme le démontre Peter Scott Ford[7], l’élément qui détermina la décision du gouvernement du Premier ministre israélien Menahem Begin de bombarder la centrale nucléaire iraquienne d’Osirak, le 7 juin 1981. Il est fort probable qu’en définitive la doctrine israélienne et la résolution des dirigeants politiques membres du Cabinet restreint  de  sécurité seront les éléments moteurs d’un processus décisionnel devant conduire à une guerre israélo-iranienne. Dans ce cas, la décision d’attaquer ou pas, de manière unilatérale, sera prise en Israël, en toute discrétion et ce, en dépit des sollicitations internationales appelant Jérusalem à patienter.

 

Israël et la menace nucléaire : une doctrine militaire menacée

 

Pour Peter Scott Ford, la doctrine militaire israélienne s’appuie depuis l’indépendance du pays sur 4 piliers centraux  que nous présentons succinctement :

 

  1. Les forces de défense doivent en permanence être considérées par les adversaires potentiels comme capables de riposter avec une grande efficacité. Ce principe de dissuasion reste fondamental jusqu’aujourd’hui. Les 3 principes suivants permettant de crédibiliser le principe de dissuasion.
  2. Les forces de défense doivent viser à une autonomie maximale. Ce principe est à l’origine des programmes d’armements lourds (blindés, missiles, avionique, etc.) développés par l’industrie de l’armement israélienne. Bien entendu, les forces armées israéliennes sont loin d’être complètement autonomes (F16, F15, F35 américains, sous-marins allemands, etc.).
  3. L’entraînement et l’exigence constante de disposer d’unités bien préparées et bien équipées.
  4. Les attaques préventives sont une des clefs, même si elles sont relativement rares, d’une politique de dissuasion efficace. Ajoutons que cette rareté exige que toute opération préventive démontre son efficacité en atteignant les objectifs fixés.

 

Efraim Inbar[8] considère que la doctrine militaire s’est adaptée à la menace nucléaire dès la fin des années soixante-dix. Depuis l’ère du Premier ministre Menahem Begin[9], Israël doit être en mesure d’intervenir rapidement et, si besoin est, en toute autonomie, pour détruire de manière anticipative toutes les infrastructures susceptibles de doter un pays ennemi[10]de l’arme nucléaire.

 

Dans cette perspective, le concept d’attaque préventive devient quasiment automatique en cas de menace nucléaire. L’Opération Opéra, menée le 7 juin 1981 par Israël contre la centrale iraquienne d’Osirak ou, plus récemment, le raid conduit par Israël le 6 septembre 2007 contre des installations nucléaires syriennes en cours de construction dans la région de Dir a-Zur[11] en  sont deux exemples.

 

Il faut néanmoins  souligner que les attaques de la force aérienne israélienne sur les objectifs iraquien et syrien se sont déroulées dans des contextes militaires et politiques très différents d’une éventuelle opération unilatérale ayant comme objectif les infrastructures iraniennes.

 

Au moment de l’Opération Opéra, l’Iraq était englué dans la guerre qui l’opposait à l’Iran. Une riposte à l’attaque israélienne aurait à coup sûr ouvert un nouveau front, un scénario catastrophique pour l’armée iraquienne.

 

De même, le sous-équipement de l’armée syrienne ne lui permettait pas d’envisager une réaction musclée suite au bombardement du site de Dir a-Zur. Cela, d’autant plus que le régime syrien n’avait rien à gagner à reconnaître implicitement qu’il était engagé dans la course à l’arme atomique.

 

Le cas de l’Iran est totalement différent. Téhéran a tout à gagner en ripostant avec énergie à une attaque israélienne. En agissant de la sorte, l’Iran chiite et perse, donc minoritaire dans un Moyen-Orient arabe et majoritairement sunnite, renforcera son crédit et son image dans un environnement qui considère Israël comme étant l’ « ennemi à abattre ».

 

De plus, l’Iran dispose de moyens militaires et d’alliés (la Syrie, le Hezbollah et, dans une moindre mesure, le Hamas) susceptibles de porter des coups sérieux à l’Etat juif. Le 15 août, la presse internationale avait répercuté les propos de Matan Vilnaï, le ministre sortant de la Défense passive qui pronostiquait qu’une guerre contre l’Iran ferait 500 morts civils en Israël et durerait un mois. A titre de comparaison la seconde guerre du Liban (2006) avait duré 33 jours et fait 48 morts civils côté israélien.

 

Enfin, l’Iran dispose sans doute des moyens nécessaires pour gêner très sérieusement la navigation dans le Golfe persique (minage du Détroit d’Ormuz) ainsi que pour porter atteinte directement aux bases militaires américaines dans la région.

Les conséquences internationales d’une attaque israélienne (flambée des prix du pétrole) et surtout le risque d’entraîner les Etats-Unis, à leur corps défendant, dans une guerre avec l’Iran feront à coup sûr réfléchir le gouvernement Netanyahou[12].

 

Il n’en reste pas moins que l’éventualité d’un Iran doté de l’arme nucléaire reste tout à fait inacceptable pour Israël. Non pas que les dirigeants politiques et les responsables militaires envisagent sérieusement une attaque nucléaire iranienne. Celle-ci entraînerait immédiatement une riposte israélienne définitive et, a priori, rien n’indique que le régime iranien soit suicidaire. Par contre, la sanctuarisation d’une République iranienne détentrice de capacités militaires nucléaires et le risque élevé de prolifération régionale à moyen terme endommageraient considérablement la confiance de la population israélienne en son avenir.

 

C’est bien cet endommagement de la confiance nationale et cette précarisation de la doctrine militaire qui sont au centre des préoccupations du gouvernement israélien, de l’appareil sécuritaire du pays et, plus largement, de l’ensemble des forces vives israéliennes[13].

 

Les dissensions israéliennes

 

La décision éventuelle de lancer une opération militaire sur l’Iran relève, comme l’a rappelé récemment Benjamin Netanyahou, des seuls compétences du pouvoir exécutif : “Les décisions politiques sont prises à l’échelon politique, tandis que l’échelon militaire exécute ces décisions“. Cette mise au point du Premier ministre a fait suite à son interpellation musclée à la Knesset, le parlement israélien, par Shaul Mofaz, le président de Kadima, principal parti d’opposition : “Qui est notre ennemi l'Iran ou l'Amérique ? Quel gouvernement voudriez-vous voir tomber : celui de Washington ou de Téhéran ? Monsieur le Premier Ministre, à quel point êtes-vous prêt à préjudicier les relations avec l'Amérique ?[14].

 

Au sein même du Cabinet restreint de sécurité, l’atmosphère ne semble guère plus favorable à Netanyahou. Ce dernier a été jusqu’à annuler une séance du Cabinet qui devait se tenir le mercredi 5 septembre à la suite de « fuites » dans la presse israélienne.

 

Le ministre de la Défense, Ehud Barak et le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, tous deux membres du Cabinet se sont d’ailleurs empressés, au grand dam de Benjamin Netanyahou, de rejoindre l’avis déjà exprimé par le chef de l’opposition, à savoir la nécessité de ne pas embarrasser Barack Obama dans la dernière ligne droite de la campagne électorale.

 

Le chef d’état-major, Benny Ganz, ne rate, lui non plus, aucune occasion d’afficher une position embarrassante pour le chef du gouvernement dans la presse nationale en y répétant qu’il faut empêcher à tout prix l’Iran de se doter de l’arme nucléaire mais qu’il serait préférable qu’Israël obtienne pour ce faire l’aide militaire et diplomatique des Etats-Unis. Ces déclarations font bien entendu écho avec le refus actuel de l’administration Obama de fixer une « ligne rouge » à l’Iran.

D’autres voix éminentes de la communauté israélienne du renseignement se sont également fait entendre et ont fait part de leurs divergences avec le chef du gouvernement. L’une d’entre elles et non des moindres est certainement celle de Meir Dagan. Le dimanche 11 mars 2012, l’ancien chef du Mossad[15], le service de renseignement extérieur israélien, était interrogé sur la question par Lesley Stahl, journaliste de CBS News. A cette occasion, Dagan a très clairement exprimé son scepticisme quant à l’efficacité d’une attaque israélienne unilatérale sur les installations nucléaires iraniennes. Il y a également fait part des risques élevés de déflagration régionale en cas d’attaque israélienne[16].

 

Les conséquences sur une éventuelle décision israélienne d’attaquer les infrastructures nucléaires iraniennes des tensions incontestables et fortement médiatisées qui traversent la classe politique et l’appareil de sécurité israéliens ne doivent sans doute pas être surestimées. D’abord, comme nous l’avons évoqué au point précédent, parce qu’elles expriment plus le souci  de préserver la qualité des relations diplomatiques et sécuritaires que partagent les Etats-Unis et Israël[17] qu’un espoir réel de voir les sanctions économiques empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Ensuite parce que le débat israélien sur la question iranienne se déroule dans la perspective des prochaines élections législatives qui se tiendront en octobre 2013 et qu’au vu des résultats des sondages électoraux, les candidats[18] ont tout intérêt à réfréner, du moins publiquement, leurs ardeurs guerrières.

 

A ce propos, on se réfèrera au baromètre mensuel réalisé par l’Université de Tel Aviv pour le compte de l’Institut israélien pour la démocratie[19]. Le sondage réalisé pour la période allant du 7 juillet 2012 au 8 août 2012 est éloquent. On y apprend que la position défendue par Benjamin Netanyahou et Ehud Barak en faveur d’une attaque préventive contre l’Iran ne récoltait que 28% d’opinions favorables[20]. Il apparaît également dans l’étude que les sondés avaient tendance pour 57% d’entre eux à se rallier à la position plus attentiste prônée explicitement ou implicitement par les représentants de l’appareil sécuritaire. Enfin, 61% des répondants se déclaraient opposés à une attaque unilatérale israélienne. Dans ce contexte, on peut douter de l’efficacité de la stratégie de pression publique à l’encontre de l’administration Obama utilisée jusque très récemment[21] par Benjamin Netanyahou. Par contre, une opération militaire sur l’Iran couronnée de succès provoquerait assurément un retournement de situation particulièrement favorable au Premier ministre et à son équipe. Il va de soi que l’ambition électorale ne sera pas l’argument central d’une décision d’entrée en guerre mais on ne peut toutefois pas exclure totalement que cette question soit intégrée peu ou prou dans la prise de décision. Les déclarations de Shaul Mofaz et de Shelly Yachimovich (Parti travailliste-opposition), suite à la prise de parole de Benjamin Netanyahou aux Nations unies[22], sont caractéristiques du climat électoral. Les deux leaders de l’opposition ont réclamé un accord discret avec les Etats-Unis mais n’ont absolument pas remis en question la réalité de la menace iranienne. Il est plus que probable qu’en cas de déclenchement d’une attaque israélienne, ils feraient front commun avec le chef du gouvernement au nom de l’intérêt supérieur de la nation.

 

Une attaque israélienne sur l’Iran : une hypothèse réaliste ?

 

On se souvient que début septembre 2012, la presse mondiale diffusait une information relative à un éventuel projet israélien de lancer une impulsion électromagnétique sur l’Iran. Certains médias ont d’ailleurs prédit, dans un style apocalyptique, que l’Iran serait renvoyé à l’ « âge de pierre » après l’endommagement ou la destruction de tous ses appareils électroniques. A la source de cette « information », un spécialiste américain des questions de sécurité, Bill Gertz, qui tient une chronique sur le site conservateur “The Washington Free Beacon“. L’impulsion électromagnétique (IEM) est créée par une explosion nucléaire à très haute altitude. Si ce type d’attaque est techniquement possible, il est totalement exclu qu’Israël prenne le risque politique majeur d’être la première puissance nucléaire à utiliser l’arme atomique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela en dépit du fait qu’une telle procédure ne menace pas directement les populations au sol.

 

On ne peut, cependant, exclure, comme l’a suggéré Uzi Rubin[23], l’utilisation par Israël d’une impulsion électromagnétique non nucléaire (NNEMP), créée dans ce cas par des générateurs de micro-ondes convoyés par des missiles de croisière ou des drones. La portée d’une NNEMP est toutefois beaucoup moins importante que celle d’une IEM d’origine nucléaire.

 

Mais le scénario d’une attaque israélienne pourrait être beaucoup plus « classique » et surtout plus réaliste.

 

Parmi les très nombreux scenarii consacrés à la question d’une attaque israélienne unilatérale, celui[24] qui a été proposé par Whitney Raas et Austing Long est très certainement un des plus intéressants. Il se distingue des documents concurrents par trois qualités essentielles : l’expertise de ses auteurs[25], la qualité des sources utilisées ainsi que la rigueur d’un raisonnement élaboré partant d’armes et de munitions classiques.

 

Au terme d’une démonstration qui tient compte des forces aériennes en présence (Israël et Iran), des munitions détenues par Israël, des capacités anti-aériennes iraniennes ainsi que des routes aériennes possibles et des difficultés techniques liées au réapprovisionnement en carburant des avions israéliens, les deux auteurs concluent qu’Israël dispose vraisemblablement des capacités nécessaires à mener un raid qui retarderait durablement le programme nucléaire iranien. Ils ajoutent même que l’opération proprement dite ne serait pas plus risquée que celle qui fut menée contre le réacteur iraquien d’Osirak.

 

Il faut également souligner que l’armée israélienne et la défense passive se préparent activement aux éventuelles conséquences d’une riposte des Iraniens et de leurs alliés. Les très récentes manœuvres militaires de grande envergure sont une des dernières manifestations de cette préparation. Le mercredi 19 septembre, l’armée a testé son système de mobilisation d’unités de réservistes qui ont été transportés vers le plateau du Golan (front nord). L’exercice a mobilisé des unités d’infanterie, des batteries d’artillerie lourdes et des hélicoptères de transport de troupes. En dépit des dénégations diplomatiques du porte-parole de Tsahal, ces manœuvres s’inscrivent dans le plan de préparation israélien à la riposte iranienne. Le front nord étant celui qui devra répondre aux tirs du Hezbollah, sans oublier, bien entendu, l’éventualité de l’entrée de la Syrie dans le conflit. Le régime chancelant d’al-Assad pouvant y trouver une « porte de sortie » honorable, attaquer l’ennemi sioniste, à une guerre civile dont personne ne peut prédire l’issue.

 

De même, les manœuvres navales,[26] baptisées « Incmex », qui ont réuni près de 30 flottes de guerre sous commandement américain dans le Golfe persique dans la deuxième quinzaine du mois de septembre, avaient pour but déclaré de répondre à une riposte iranienne à une attaque israélienne ou américano-israélienne. La crainte d’un minage du Détroit d’Ormuz, point de passage névralgique des approvisionnements en pétrole des pays occidentaux, ne pouvant être « prise à la légère ».

 

Le scénario d’une attaque israélienne

 

Une éventuelle  attaque israélienne unilatérale sur les infrastructures nucléaires iraniennes n’est envisageable qu’à condition que Jérusalem soit en mesure de faire face aux trois difficultés majeures : atteindre des objectifs lointains avec un nombre suffisant d’avions de combat, disposer de munitions adaptées à la nature des objectifs et éviter des pertes excessives qui compromettraient l’efficacité opérationnelle des bombardements.

 

Le premier défi qui attendra la force aérienne israélienne consistera à amener sur les cibles un nombre suffisant de chasseurs, sachant que quelle que soit la route empruntée[27], ceux-ci devront impérativement être ravitaillés en vol. Suivant les données fournies par le service de recherche du Congrès, Israël devrait engager 100 avions sur une opération visant simultanément les infrastructures de Natanz, d’Ispahan et d’Arak. Ces trois cibles garantissant, en cas de destruction ou au moins d’endommagement sérieux, un retard très significatif du programme nucléaire iranien[28]. Bien que la force aérienne israélienne dispose d’environ 350 avions de combats modernes, une opération qui exigerait l’utilisation d’une flotte de combat de 100 avions est très probablement au-dessus de ses  moyens. D’abord parce que seul un nombre limité d’avions de combat israéliens sont prévus pour effectuer des  missions à très longue distance, ce qui est le cas de figure d’une attaque sur l’Iran. Ensuite parce que les capacités de ravitaillement en vol de l’armée israélienne sont, d’après toutes les sources sérieuses, trop limitées[29]. Raas et Long[30] envisagent un scénario plus réaliste basé sur une attaque menée par 25 F15I et 25 F16I[31], spécialement conçus pour les missions à longue distance et qui opéreraient en trois vagues dédiées à chacune des trois cibles. Une telle opération permettrait de porter un coup très sérieux aux infrastructures iraniennes. Il faut remarquer que dans le cas d’une attaque, Israël aurait tout intérêt à retarder le plus possible la date de celle-ci. En effet, plus le temps passe, plus les Iraniens auront équipé Natanz en centrifugeuses. La destruction totale ou partielle du site devra être la plus tardive possible pour provoquer les dommages les plus conséquents.

 

A priori, l’excellence des équipages et la qualité du matériel permettent de considérer que l’hypothèse d’une attaque israélienne sur les cibles iraniennes serait couronnée de succès. Du moins si on considère qu’un retard de plusieurs années pris par le programme nucléaire iranien militaire serait une réussite. Par contre, seule la chute du régime iranien ou au moins son changement radical de doctrine militaire serait susceptible de mettre un point final aux ambitions iraniennes en matière de nucléaire militaire.

 

Conclusion

 

La plupart des observateurs parient ces derniers jours sur une opération de bluff, maladroite de surcroît, menée par Benjamin Netanyahou. Une campagne anti-iranienne dont les modalités, plus particulièrement la mise en difficulté de l’administration Obama, sont d’ailleurs décriées en Israël même. Sans oublier que les capacités de riposte de la République iranienne et de ses alliés sont loin d’être négligeables.

Dans ce contexte, et sans prêter attention aux délires de certains qui prédisent un Iran renvoyé à l’ « âge de la pierre », tout porte apparemment à penser qu’Israël ne s’embarquera pas dans une guerre avec l’Iran sans l’accord, et mieux, la participation militaire des Etats-Unis.

 

Mais c’est peut-être oublier trop rapidement l’enjeu réel de la situation tel qu’il est vécu en Israël. Rappelons-le, un Iran qui serait sanctuarisé par la bombe nucléaire est un Iran qui anéantirait la doctrine militaire israélienne et, au-delà, le modèle même de développement de l'unique société démocratique du Moyen-Orient.

 

L’imminence d’une attaque unilatérale israélienne sur l’Iran est peut-être beaucoup plus proche que ne le suggèrent ceux, de plus en plus nombreux, qui parient sur une stratégie du bluff.

 

 

 

 

© ESISC 2012



[1] Le dimanche 16 septembre ont débuté les plus importantes manœuvres navales de l’histoire du Golfe persique. Prévu pour durer 11 jours, cet exercice de déminage dirigé par l’US Navy associe les marines de guerre américaine,  anglaise et française ainsi que des unités de près de 30 autres nations. Un porte-parole de la Ve flotte américaine, basée à Bahreïn, a indiqué que l’exercice : “Était destiné à assurer la liberté de navigation dans les eaux internationales du Moyen-Orient et à promouvoir la stabilité régionale“. Cité par l’édition électronique de L’Orient Le jour datée du 18 septembre :

http://www.lorientlejour.com/category/Moyen+Orient+et+Monde/article/778718/Les_Etats-Unis_conduisent_un_imposant_exercice_naval_dans_le_Golfe.html

[2] Le général Mohammad Ali Jafari, le commandant en chef des Gardiens de la Révolution, déclarait  le dimanche 16 septembre, à l’occasion d’une de ses très rares conférences de presse : “Il ne restera rien d’Israël compte tenu de sa petite taille et de nos capacités balistiques. Aucune région d’Israël ne sera épargnée, et cela doit constituer un élément de dissuasion“.

[3] Ibid.

[4] Le Premier ministre israélien a accordé, le dimanche 16 septembre, un entretien aux télévisions américaines au cours duquel il a à nouveau insisté sur la nécessité de fixer une « ligne rouge » à l’Iran. Netanyahou a déclaré que l’Iran serait capable, dans un délai de 6 mois, de produire une arme nucléaire qui représenterait un danger non pas uniquement pour Israël mais également pour les Etats-Unis et la communauté internationale. Il faut souligner que la conférence de presse du général Ali Jafari a été donnée en réponse immédiate à celle du Premier ministre israélien.

[5] Les menaces israéliennes d’une attaque préventive et unilatérale contre l’Iran sont régulièrement considérées comme une technique de bluff et de pression sur le gouvernement américain et, plus généralement, sur l’opinion internationale.

Voir par exemple à ce propos l’article de Jodi Rudoren, publié dans le New York Times daté du 15 août, disponible en ligne : http://www.nytimes.com/2012/08/16/world/middleeast/israeli-leaders-dissuaded-strike-iran-us-sanctions.html?_r=1&smid=tw-share

Ou encore sur le même sujet, l’analyse, très critique, de la Foundation For Middle East Peace : http://www.fmep.org/analysis/analysis/the-israeli-bluff

[6] On ne saurait trop conseiller à ce propos la lecture de l’article d’Efraim Inbar : “Israeli National Security, 1973-1996 “ publié en janvier 1998 dans la très sérieuse revue “The Annals of the American Academy of Political and Social Sciences“.

[7] Ford P.S. : “Israel’s attack on Osiraq: A model for future preventive strikes ?“, travail de fin d’étude présenté devant la Naval Postgraduate School en 2004. Voir page 9

[8] Opus cité, voir pages 64 et suivantes.

[9] Il faut souligner la proximité idéologique en matière de prévention du risque nucléaire qui prévaut entre Menahem Begin et Benjamin Netanyahou.

[10]  L’idée de pays ami ou ennemi mériterait à lui seul un article fouillé dans le cas très complexe de la politique étrangère israélienne. Le cas de l’Egypte, avec qui Israël est officiellement en paix et entretient des relations diplomatiques, permet d’appréhender cette complexité. En dépit de l’état de paix qui prévaut actuellement entre les deux pays, il très peu probable, pour ne pas dire impensable,  qu’Israël accepterait sans réagir de voir l’Egypte se lancer dans la course à l’arme nucléaire.

[11] Bien que l’information n’ait jamais été officiellement confirmée par Israël, sa réalité ne fait plus aucun doute. A ce propos, le quotidien français Le Figaro rappelle la note datée du 25 avril 2008 diffusée par Wikileaks. Condoleezza Rice, alors secrétaire d’Etat, y avait écrit aux représentants diplomatiques américains à l’étranger que : “Le 6 septembre 2007, Israël a détruit le réacteur nucléaire construit secrètement par la Syrie apparemment avec l’aide de la Corée du Nord

http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/12/24/97001-20101224FILWWW00340-syrie-israel-a-vise-un-reacteur-nucleaire.php

[12] A ce propos, on pourra se référer à la remarquable notre préparée par le service de recherche du Congrès des Etats-Unis sous le titre “Israel: Posssible Military Strike Against Iran’s Nuclear Facilities“. Le document très complet est disponible en ligne :

http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/R42443.pdf

[13] Voir à ce propos le chapitre consacré au programme nucléaire iranien (pages 14 à 17) dans la note publiée par le service de recherche du Congrès américain sous le titre : “Israël: Background and US Relations“. La note est disponible en ligne :

http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/RL33476.pdf

[14] Cette interpellation du Premier ministre par le chef de l’opposition s’est déroulée sous fond de tensions croissantes entre Netanyahou et Barack Obama dans les jours qui suivirent la récente et déjà fameuse affaire de la « ligne rouge ». Voir note n°4.

[15] Les cadres d’active des services de renseignement ne sont pas habilités à s’exprimer publiquement.

[16] Les réticences de Meir Dagan sont prises très au sérieux par l’opinion publique israélienne. Celle-ci n’a pas oublié qu’en sa qualité de chef du Mossad, il fut une des chevilles ouvrières du raid  sur Dir a-Zur ainsi que des opérations d’élimination des ingénieurs iraniens engagés dans le programme nucléaire iranien .

[17] Relations indispensables à la sécurité d’Israël. Sans même évoquer le rôle « protecteur » des Etats-Unis au Conseil de sécurité des Nations unies, l’aide économique et militaire américaine restent indispensables pour Jérusalem.

[18] Shaul Mofaz, Avigdor Lieberman et Ehud Barak sont d’ores et déjà candidats. Il est très probable que l’actuel chef d’état-major, Benny Ganz, qui approche de la fin de sa carrière, songe très sérieusement à une reconversion politique, à l’instar de ses prédécesseurs  Mofaz et Barak. Enfin, les ambitions politiques de Meir Dagan sont évoquées de plus en plus régulièrement.

[20] Ces chiffres ont très probablement incité le ministre de la Défense à se distancier progressivement du Premier ministre.

[21] Prise de parole du Premier ministre israélien aux Nations unies le jeudi 27 septembre 2012.

[22] Le Premier ministre israélien y est revenu sur son exigence d’une « ligne rouge » américaine et internationale au  programme nucléaire iranien.

[23] Uzi Rubin est un ingénieur  qui a notamment participé à la mise au point du bouclier antimissiles israélien. Il a été interviewé par le Sunday Times (édition datée du 9 septembre). Dans cet entretien, Uzi Rubin a déclaré qu’ : “il était hors de question qu’Israël utilise un engin nucléaire, même pour un usage non létal comme une IEM. Il y a des méthodes pour créer une IEM depuis le sol“. Repris par Le Monde :

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/09/09/israel-songerait-a-lancer-une-impulsion-electromagnetique-sur-l-iran_1757695_3218.html

[24] Raas W. et Long A. ;“Osirak Redux ? Assessing Israeli Capabilities to Destroy Iranian Nuclear Facilities“, disponible en ligne sur le site de l’université d’Harvard

http://belfercenter.ksg.harvard.edu/files/is3104_pp007-033_raas_long.pdf

[25] Whitney Raas est chercheuse au Center for Naval Analyses in Alexandra, Virginia. Elle est par ailleurs diplômée en sciences-politiques et en  ingénierie nucléaire du Masssachusetts Institute of Technology (MIT). Austin Long est doctorant en sciences-politiques au MIT et il est également membre associé du programme d’études en politiques de sécurité du même MIT.

[26] Les plus importantes manœuvres en nombre de tonnes engagées de l’histoire du Golfe persique. Voir note de bas de page n°1.

[27] A l’heure actuelle, la route la plus évidente est la plus directe : survol de la Jordanie, de l’Iraq et pénétration dans l’espace aérien iranien. Vu la qualité des relations existants en matière de sécurité entre le Royaume Hachémite et Israël, on peut estimer qu’Amman laissera passer et revenir la flotte israélienne, quitte à protester énergiquement « pour la forme » après. De même, les Etats-Unis n’assurent plus la protection du ciel iraquien depuis leur retrait du pays en décembre 2001. Cette situation récente permet d’éviter une situation diplomatiquement sensible. De plus, les moyens anti-aériens de l’Iraq sont actuellement quasi inexistants.  Enfin, cette route directe est également la plus courte. Elle est même compatible avec le rayon de combat  (Natanz se trouve à 1750 km des bases israéliennes) des F15I et F16I.

[28] Israel: Posssible Military Strike Against Iran’s Nuclear Facilities, opus cite, voir page 29.

[29] Suivant les sources fiables, Israël disposerait approximativement de 7  avions ravitailleurs et serait en mesure de faire face aux besoins en carburant  d’une cinquantaine d’avions.

[30] Opus cité, voir page voir page 20 et suivantes.

[31] Raas et Long proposent des calculs d’efficacité des bombardements partant de munitions expérimentées depuis longtemps (BLU 109 et 113 ou GRU 10). Le scénario qu’ils proposent tient compte des capacités d’emport des chasseurs-bombardiers israéliens, de la nature des défenses (terre, béton et profondeur d’enfouissement des infrastructures iraniennes) ainsi que d’une perte de 8 à 10% des avions engagés (problèmes mécaniques, DCA, chasse ennemie).


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