La crise syrienne : l’heure de vérité pour Bachar el-Assad et pour l’opposition



 

 

Introduction

 

Ces dernières années, le président syrien, Bachar el-Assad, avait tenté de repositionner la Syrie sur la scène internationale, non sans un certain succès. L’insurrection générale qui a débuté en mars dernier a considérablement changé la donne politique. Le capital politique acquis, notamment lors du retrait syrien du Liban a été dilapidé en quelques semaines de répression sanglante.

 

Bachar el-Assad, arrivé au pouvoir faute de successeur légitime après le décès de son père, a donné le change pendant quelques années. En définitive et nous insistons sur cette dimension du problème, c’est uniquement en mettant fin, contraint et forcé, à l’occupation du Liban que le jeune président syrien est devenu « fréquentable » pour les pays européens. Par contre, la république syrienne n’a connu aucune avancée notable en matières de droits de l’homme et de bonne gouvernance. Les droits fondamentaux des citoyens déjà bien fragiles se sont encore détériorés depuis le début du soulèvement populaire. Le régime est désormais dans une impasse à l’heure où la révolte – exacerbée par les exemples tunisien, égyptien ou libyen – continue de s’étendre malgré une répression féroce.  Aujourd’hui, c’est la survie du régime  et de son entourage qui est en jeu.


Comment l’opposition est-elle organisée ? La conférence d’Antalya a-t-elle permis de fédérer l’opposition ? Quel est le rôle de l’opposition islamiste et plus particulièrement des Frères Musulmans ? A l’heure où le régime de Damas est peut-être en train d’abattre ses dernières cartes, retour sur la révolte syrienne.

 

Bref rappel historique

 

Depuis l’arrivée au pouvoir,en 1971, d’Hafez el-Assad, la Syrie est dirigée d’une main de fer par la minorité alaouite (communauté minoritaire d’obédience chiite). Hafez el- Assad gouverna de manière brutale en s’appuyant sur la délation et la police secrète. Son sécularisme lui attira cependant la bienveillance des minorités religieuses, notamment des chrétiens et des druzes dans une certaine mesure et bien évidemment celle de sa propre communauté, les alaouites.

 

A partir de 1979, les Frères Musulmans commencent à se positionner en  fer de lance de la contestation. Le  régime d’Hafez el- Assad est détesté par les Frères car il est à la fois laïc et aux mains de musulmans considérés comme hérétiques (les alaouites). La mise au pas des Frères Musulmans  fût impitoyable et s’acheva, provisoirement, en 1982, lorsque le pouvoir syrien fit raser par l’armée la ville de Hama, bastion syrien de la confrérie. Le bilan de cette opération est estimé à environ 20.000 victimes civiles.  A partir de cette date, les Frères Musulmans ont été, provisoirement, absents de la scène politique syrienne et leurs leaders se sont réfugiés en Jordanie, en Irak,  au Royaume-Uni et dans d’autres pays européens comme l’Allemagne.

 

Après la mort de Hafez el-Assad en 2000, c’est son fils cadet Bachar qui lui succéda (l’héritier présomptif Basel, fils aîné du Rais, était mort dans un accident de la route en 1994). Les timides réformes qu’il entama firent long feu. Le régime ayant démontré sa véritable nature en continuant à contrer systématiquement toutes les tentatives d’opposition démocratique par les enlèvements, la torture et les détentions arbitraires.

 

Pendant des années, Bachar el-Assad a eût la réputation d’être un jeune leader progressiste dans un monde arabe aux mains de dictateurs vieillissants. La crise actuelle que vit le régime syrien, soumis à une contestation populaire massive et déterminée, aurait pu être l’occasion pour le président syrien de prouver qu’il était capable d’envisager des réformes profondes, ce que son père n’avait jamais pu ou voulu faire.

 

Bachar el-Assad a tenté de donner le change pendant ses premières années à la tête de l’Etat  en accordant la liberté à quelques prisonniers politiques ou encore en permettant, pour un temps très court, le débat intellectuel dans de rares salons privilégiés de Damas ou d’Alep et en initiant de timides réformes économiques. Mais Le ’’Printemps de Damas’’ fût de courte durée. Dès 2005, la “Déclaration de Damas[1] provoqua une nouvelle série d’arrestation. En 2007, c’est une vague de répression contre l’opposition qui réduisit encore ce qui restait de l’espace de liberté accordé avant 2005. La répression avait rapidement repris le dessus sur fond de contestation de plus en plus vive probablement orchestrée par les dirigeants des Frères Musulmans progressivement revenus d’exil au début des années 2000 . Ils furent d’ailleurs très vraisemblablement les auteurs d’un attentat sanglant perpétré contre une mosquée chiite en 2008[2].

 

Il faut toutefois concéder à Hafez el-Assad et Bachar el-Assad qu’ils se sont efforcés de maintenir une coexistence interconfessionnelle pacifique à l’intérieur de la Syrie. Par contre, en dehors des frontières, ils ont tous deux usé et abusé des rivalités entre  groupes confessionnels pour asseoir leur autorité sur le Liban et plus généralement pour renforcer le statut politique syrien sur la scène régionale. L’exemple le plus flagrant étant sans doute leur utilisation des Frères musulmans du Hamas instrumentalisés et soutenus à bout de bras pour mettre à mal le Fatah de Yasser Arafat et plus globalement pour prendre le contrôle du mouvement palestinien. Rappelons également, leur exploitation éhontée du conflit irakien. A l’occasion d’un raid sur la ville de Sinjar à la frontière syro-irakienne en octobre 2007, les forces américaines ont découvert une série de documents établissant dans le détail les allées et venue des djihadistes transitant par la Syrie avant d’aller perpétrer leurs méfaits en Irak. L’analyse de ces documents par le “Combatting Terrorism Center“ de l’Académie militaire de West Point[3], a démontré sans réfutation possible que des centaines de combattants ont utilisé la filière syrienne pour rejoindre l’Irak entre septembre 2006 et septembre 2007. Le réseau Abu Ghadiyah, du nom de son leader, contrôlait toute la chaîne d’envoi de terroristes en Irak : le flux de fonds financiers, le trafic d’armes et d’explosifs, la mise à disposition de faux papiers et de planques, etc..

 

Dans le même temps, bien que s’étant officiellement retiré du Liban suite à l’assassinat de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri, la Syrie, par des moyens occultes – et en utilisant essentiellement ses nombreux services de renseignement et le Hezbollah et s continuait à peser lourdement sur la vie politique de Beyrouth.

 

Il est évidemment éminent regrettable, dans ce contexte, que des puissances occidentales, et au premier chef les Etats-Unis et la France aient jugé bon de légitimer le régime en place en favorisant sa «réintégration dans la communauté internationale.

 

L’insurrection et ses conséquences :

le moment de vérité pour Bachar el Assad

 

Au fur et à mesure de la radicalisation de la révolte populaire  et de sa répression par l’appareil sécuritaire contrôlé directement par le palais présidentiel et le clan de ses affidés, l’opinion internationale est contrainte, qu’elle le veuille ou non, de condamner de plus en plus sévèrement le régime de Bachar el-Assad. On peut craindre que les violences actuelles ne soient qu’un avant goût d’une situation qui risque de basculer dans une guerre civile totale et de déboucher sur un chaos généralisé. Différentes sources rapportent déjà que des cadres alaouites de l’armée et des services de renseignement ont pris la précaution de mettre leurs familles à l’abri en zone alaouite ou même à l’étranger.

 

Jean-Pierre Filiu, professeur invité à l’Université de Columbia et expert de la Syrie expliquait il y a quelques semaines : « c’est le moment de vérité pour Bachar el- Assad, il a l’opportunité d’imposer des réformes au sein du parti Baas, mais souhaite-t-il le faire ? »[4].

 

Jusqu’à récemment, Bachar el- Assad était souvent perçu comme étant “extérieur” au sérail. Ses années passées à Londres et le fait qu’il n’a pas été éduqué comme  dauphin putatif de son père peut expliquer cette perception assez commune, notamment dans les milieux diplomatiques. Il n’en reste pas moins, qu’aujourd’hui le président syrien est totalement responsable de la crise terrible que connaît son pays. Contrairement à ce qu’ avançait Jean-Pierre Filiu, il est de moins en moins probable que le président syrien soit encore en mesure de calmer le jeu en proposant des réformes. Il est de plus en plus évident que la révolte syrienne débouchera soit sur la chute du régime suivie d’une vague de violences à l’encontre de la minorité alaouite ou sur un bain de sang qui permettra la survie du système.

 

De plus, il convient de se rappeler que le clan familial des Assad, largement impliqué dans l’appareil d’Etat ne facilitera rien. Maher el- Assad, le frère du président, qui commande la 4ème Division blindée, et son beau-frère Assef Shawkat, responsable des services de renseignement sont connus pour leur propension quasi pathologique à réprimer sans aucune pitié toute velléité d’opposition . La famille el- Assad et ses proches s’est enfermée dans une position jusqu’au boutiste qui laisse peu d’espoir à une solution négociée.

 

Les options de Bachar el-Assad sont, de plus, limitées par la logique ethnique. Sa famille, qui dirige sans partage la Syrie depuis 1971, appartient à la minorité alaouite qui ne représente que 12% des 23 millions de Syriens. Cette domination de la minorité est une des sources essentielle du profond ressentiment de la majorité sunnite. Les violences de ces dernières semaines n’ont fait que renforcer le conflit latent mais explosif qui prévaut de longue date entre les deux groupes confessionnels. A tel point que craignant des mutineries au sein de l’armée, Bachar el-Assad s’est appuyé quasiment exclusivement sur des unités alaouites ou commandées par des membres de la minorité, telle que la division commandée par son frère, pour écraser dans le sang le soulèvement.

 

Pour Joshua Landis, spécialiste du Moyen Orient et enseignant à l’Université d’Oklahoma : « Bachar sait que son régime est basé sur 2 piliers : la peur et le népotisme. Et la peur a désormais disparu (…)»[5]. Bachar el-Assad pourrait peut-être encore éviter le pire, à savoir une guerre civile totale, en desserrant l’emprise du parti Baas sur la société (comme il l’a timidement suggéré lors de son discours du 20 juin) ou en annonçant des élections. Mais force est de constater que ses tentatives d’apaisement ont été rejetées par une opinion syrienne excédée par des décennies de violence, de mensonges et de dictature.

 

Jusqu’à présent, selon le Haut-Commissaire au Droits de l’Homme des Nations Unies, 1100 personnes ont perdu la vie dans la répression (1300 selon d’autres sources) alors que près de 10.000 ont été arrêtées et plus de 10.000 (selon les derniers chiffres disponibles ) ont fuit vers la Turquie voisine.

 

-         Un profond impact sur la géopolitique du Moyen-Orient

 

Les condamnations des Etats-Unis, de l’Europe et de certaines puissances régionales comme la Turquie sont de plus en sévères. Après la période de début de normalisation des relations diplomatiques de ces dernières années, avec l’Occident et le Liban notamment, le régime de Damas est à nouveau mis au ban de la communauté internationale à l’exception notoire de ses deux alliés les plus proches : l’Iran et la Russie. Si le régime de Bachar el-Assad devait tomber, ce serait incontestablement un échec majeur pour la diplomatie iranienne qui utilise la Syrie dans sa politique de déstabilisation du Liban via le Hezbollah ainsi que dans sa volonté de peser sur le conflit israélo-palestinien par l’intermédiaire du Hamas dont le chef politique, Khaled Meshaal est réfugié à Damas

 

A Tripoli (Liban), des combats entre adversaires de Bachar el-Assad et miliciens alaouites ont fait plusieurs morts ces derniers jours. Ces affrontements  sont directement liés à la crise syrienne et très probablement favorisés par le nouveau gouvernement libanais pro syrien du premier ministre Najib Mikati.

 

La Turquie, qui doit faire face à un afflux sans précédent de réfugiés est de plus en plus ouvertement hostile au régime de Bachar el- Assad. D’autant que la Syrie vient de déployer des troupes à la frontière au risque d’envenimer encore plus la situation.

 

Si le régime de Bachar el- Assad survit à cette crise, le soulèvement aura très probablement des répercussions à long terme sur la politique régionale. Les principes des diplomaties européennes et américaines à l’égard de la Syrie devront être revues. Comme l’explique Andrew Tabler, analyste au Washington Institute for the Near East Policy : « ces dernières années, notre politique a eu comme objectif de ramener la Syrie à la table de négociation, maintenant que Bachar accuse Israël et les USA de fomenter les troubles dans le pays, il lui sera très difficile de négocier avec eux ».

 

 

-         Quelles perspectives ?

 

Pour Joshua Landis : « les Frères Musulmans sont les seuls à pouvoir avoir un rôle dans la militarisation de l’opposition, car les puissances régionales n’agiront pas en ce sens ».[6] Aucun pays de la région, pas même Israël, ne déborde d’enthousiasme à l’idée d’une chute précipitée du régime syrien. Une telle hypothèse évoquant une montée en puissance des islamistes sunnites dont personne ne peut prévoir les conséquences.

 

La probabilité d’une intervention directe des puissances occidentales, que ce soit l’Europe ou les Etats-Unis, est faible, sinon nulle. Peu confiants dans les possibilités de l’avènement d’un régime démocratique en Syrie, ces puissances craignent le risque d’une guerre civile dans un pays complexe, multi-religieux (sunnites, alaouites, chrétiens et druzes) et multiethniques (arabes et kurdes) et, dans le cas européen, un afflux supplémentaire de réfugiés arabes au sein de l’Union européenne, qui peine déjà à gérer le flux en provenance de la rive sud de la Méditerranée[7].

 

Le rôle de plus en plus évident des autorités religieuses dans le conflit est également préoccupant. L’union internationale des oulémas musulmans a récemment appelé dans un communiqué : « tous les peuples musulmans à manifester massivement le 24 juin, après la prière dans leur pays respectifs pour exprimer leur soutient à la révolution syrienne pacifique ». Plusieurs associations d’oulémas - dont les principales sont : la Coordination des oulémas du Golfe, la Coordination des oulémas syriens à l’étranger, la Coordination des oulémas sunnites et l’Union des organisations islamiques en Europe[8] - se sont également jointes à cet appel.

 

-         Une opposition politique fragmentée et affaiblie

 

La réunion de l’opposition syrienne qui s’est déroulée du 31 mai au 2 juin dernier à Antalya en Turquie n’a pas eu un grand impact sur l’organisation de la contestation. Notamment parce que d’importants leaders du camp anti-Assad  ainsi que la plupart des partis kurdes ont décliné l’invitation pour des raisons tactiques ou stratégiques.

 

L’objectif de cette conférence était de coordonner les manifestations devant les représentations diplomatiques syriennes à l’étranger, de parler d’une seule voix lors des contacts avec les grandes puissances occidentales et surtout de donner de la visibilité à l’opposition en exil vis-à-vis des Syriens de l’intérieur alors que le black out de l’information et l’expulsion des journalistes étrangers cadenassent l’information dans le pays.

 

La conférence d’Antalya a été marquée par la lutte d’influence entre le camp laïque et le camp islamiste. Ce dernier a accepté in extremis l’exigence des laïcs de mettre en place un régime séculier après la chute attendue de Bachar el-Assad. Mais rien ne permet d’affirmer que cette acceptation soit autre chose qu’une posture tactique et médiatique qui ne serait pas respectée dans le cas d’une chute du régime.

A l’issue de la conférence un executive board  de 31 personnes, dont 9 à temps plein, a été élu et un appel à rejeter toute intervention extérieure dans les affaires syriennes et à maintenir l’intégrité territoriale du pays a été entériné. Par ailleurs, des garanties en faveur de la protection des Alaouites – de plus en plus menacés – ont été  publiquement promises[9].

 

 

 

-         Principaux acteurs de l’opposition syrienne

 

-          Michel Kilo : se définit comme le tenant d’un arabisme démocratique et de gauche. Kilo était à la base de la Déclaration de Damas qui, en 2005, a appelé à la libéralisation du régime, considérant le pouvoir de Bachar el- Assad comme “autoritaire, totalitaire et népotique“. Il fut condamné à une peine de prison de 3 ans en 2006 pour avoir signé la Déclaration « Beyrouth-Damas » appelant à une normalisation des relations entre le Liban et la Syrie. Il était jusqu’ici partisan d’une transition douce mais son discours s’est récemment radicalisé face à la brutalité de la répression.

 

-          Riad Seif : homme d’affaire et ex-membre du Parlement, il a pris ses distances vis-à-vis du régime quand il s’est rendu compte de l’impossibilité de le réformer de l’intérieur. Pour lui, « la corruption [du régime] est le résultat naturel de la tyrannie et son émanation légitime ». Il fut l’un des acteurs de l’éphémère Printemps de Damas et a, pour cette raison, fait de nombreux allers-retours en prison ces dernières années. Il a été accusé par le régime « de tentative de modifier la constitution par des moyens illégaux » et « d’incitation à la haine raciale et communautaire ». Il vit actuellement à Damas.

 

-          Abdul Halim Khaddam : ex-vice-Président, artisan de la présence syrienne au Liban dans les années 1990 et allié de feu Rafic Hariri, l’ancien Premier Ministre libanais assassiné vraisemblablement par le régime syrien. Il est tombé en disgrâce après 2005 et a fui à Paris après avoir démissionné de tous ses postes officiels. Depuis lors, il a tenté sans succès de fédérer l’opposition syrienne depuis la France Il fût associé aux Frères Musulmans en 2006. Une alliance qui pris fin dès 2009. Cet échec étant probablement du au fait qu’une partie des opposants au régime l’associe à celui-ci et considèrent que son opposition à Bachar el- Assad est davantage  la manifestation de son ambition personnelle que d’une réelle volonté de libéraliser les institutions. Le régime s’efforce de discréditer Khaddam, un sunnite, en le décrivant comme un traître à la solde de l’étranger et en accusant son fils d’avoir touché 400.000 dollars de la part du Prince saoudien Turki bin Abdul Aziz[10]. On notera qu’il n’a pas été convié à la conférence d’Antalya.

 

-          Les Frères Musulmans syriens, bien qu’ils ne soient plus aussi puissants qu’en 1982, ont pris le train de la contestation en marche. Leur ancien leader, Ali al Bayanouni, en exil à Londres, a publié un article dans le Guardian[11] en avril 2011, dans lequel il traite Bachar el-Assad de « dictateur » tout en précisant que les Frères Musulmans n’étaient pas à l’origine du soulèvement. La confrérie est convaincue que « l’Islam est la solution ». Elle milite pour l’instauration d’un Etat religieux et pour le rejet de toute forme de laïcité même s’ils appellent dans leurs discours  à la formation d’un Etat démocratique. Le but ultime de la confrérie est la mise en place d’un Etat islamique sunnite et arabe qui exclura du pouvoir toutes les autres ethnies et minorités religieuses. On notera que la branche syrienne de la Confrérie est connue pour la radicalité de ses positions.

 

Il convient également de souligner le soutien de la Turquie, l’ancien allié du régime en place à Damas, à l’action des Frères Musulmans syriens. Le secrétaire général du mouvement, Riad al-Shaqfa, et son chef politique, Mohamed Tayfur, ont tenu une conférence de presse à Istanbul début avril 2011 durant laquelle ils encouragèrent les manifestants à s’opposer à Bachar el- Assad. On notera enfin à propos de la reconnaissances des différentes minorités présentes en Syrie, la réaction du Président turc, Abdullah Gul qui a déclaré, à propos du discours du 20 juin du Président Bachar, que : « ces réformes n’étaient pas suffisantes ».

 

Enfin, selon un récent rapport des services de renseignements allemands, plusieurs dizaines de membres de la confrérie des Frères Musulmans participent activement et militairement à l’insurrection dans différentes villes du pays alors qu’ils déclaraient encore le 7 juin : « Nous assurons l'opinion publique internationale, arabe et nationale que la révolution syrienne est pacifique (…) »[12]

 

-          Les Kurdes représentent une autre catégorie de la population qui souhaite la chute du régime. Les Kurdes de Syrie, qui représentent 10 % de la population, ont toujours été marginalisés par le régime et l’une des premières concessions de Bachar el- Assad aux manifestants fut d’octroyer le 7 avril dernier la nationalité syrienne à 300.000 kurdes apatrides. Mais il apparaît ici encore que cette tentative d’apaisement fût perçue comme trop tardive et insuffisante[13].

 

-          Nasser al Hariri et Kalil al Rifae, sont également 2 noms à surveiller : ces deux membres du parlement syrien représentant la ville de Deraa ont démissionné le 23 avril dernier pour protester contre la violente répression des manifestations[14].

 

-          Demain la chute de  Bachar el- Assad ?

 

Les analystes et les diplomates commencent à envisager une Syrie post dynastie Assad, Il faut préciser que différentes sources estiment  que le régime actuel ne disposerait plus que de quelques mois de ressources militaires  (munitions) et financières, du moins si la situation actuelle devait perdurer. On peut légitimement remettre en question ce type d’analyse prospective mais il n’en reste pas moins que la situation du clan présidentiel sera de plus en plus difficile à tenir. Et comme en dépit de la poursuite des arrestations, des tortures et des fusillades, les protestations continuent rien ne permet de parier sur le retour au calme. Le risque est grand de voir, à l’instar de la situation qui prévaut en Libye, le  régime se battre jusqu’à la fin, avec comme seule stratégie la radicalisation de la répression et l’augmentation du nombre de victimes civiles. En corollaire, l’opposition se durcira et les affrontements se transformeront en véritable guerre.

 

Conclusion

 

Il est impossible de prédire l’avenir de la Syrie. Tous les observateurs sont contraints de multiplier les scénarios.

 

 Le régime actuel peut survivre mais ce sera au prix d’un bain de sang terrible et surtout sa survie ne sera vraisemblablement que provisoire.

 

A l’heure actuelle, l’hypothèse d’un coup d’Etat militaire n’est pas à exclure. Une tel scénario maintiendrait provisoirement le statut quo. Tout indique cependant, que ce ne serait que partie remise et que la contestation et son cortège de victimes, reprendrait rapidement.

 

 A l’heure où le régime de Damas vit peut-être ces dernières heures, il conviendrait également que la Communauté internationale et l’Union européenne en particulier envisagent les conséquences d’une prise du pouvoir par les Frères Musulmans, seule force susceptible de s’organiser efficacement dans le cadre d’un conflit armé de haute intensité. Le risque d’assister à une « libanisation » de la Syrie est non négligeable. Jamais, les minorités kurdes et alaouites n’accepteront pareille situation.

 

La solution la plus réaliste consiste peut-être en l’identification par la communauté internationale d’un nouveau leadership, démocratique et crédible. Sans cela, il y a fort à parier que le désastre humanitaire actuel se poursuive sur fond de déstabilisation extrêmement dangereuse pour une région, le Moyen-Orient, qui est déjà considéré comme un baril de poudre.

 

 

© ESISC 2011



[1] En octobre 2005, des partis et des personnalités arabes et kurdes d’obédiences politiques diverses se fédèrent autour d’une plate-forme intitulée « Déclaration de Damas pour le changement national démocratique » dont l’objectif est d’aboutir à un changement de régime en vue d’instaurer un ’’Etat de droit’’. Finalement rejoints par les Frères Musulmans, les signataires entendaient instaurer : « pacifiquement, progressivement, par le dialogue, l’entente et la reconnaissance de l’autre, un régime démocratique (…) ». Cette initiative a débouché sur la constitution d’un Conseil national en février 2006 mais depuis cette date, hormis quelques réunions et déclarations, la Déclaration de Damas, n’a pas réussi ses objectifs et plusieurs de ses leaders ont été emprisonnés.

[2] The Daily Telegraph, le 24 mars 2011.

[4] The New York Times, le 24 avril 2011.

[5] Assad's Crackdown Could Drive Syrian Opposition to Armed Revolt, The World  Politics Review, le 25 avril 2011.

[6] Assad's Crackdown Could Drive Syrian Opposition to Armed Revolt, The World  Politics Review, le 25 avril 2011.

[7] Ibidem. 

[8] Aljazeera, le 21 juin 2011.

[9] Syrian Opposition Meeting in Antalya: Day Two in http://www.joshualandis.com/blog/?p=10053

[10] Sachant que l’Arabie saoudite est souvent présentée comme la puissance régionale protectrice des sunnites.

[11] No one owns the Syria’s uprising, The Guardian, le 16 avril 2011.

[12] L’Orient-Le Jour, le 7 juin 2011.

[13] Who’s Who in the Syrian opposition, Foreign Policy, le 29 avril 2011. inhttp://www.foreignpolicy.com/articles/2011/04/29/who_s_who_in_the_syrian_opposition?page=0,5

[14] Ces dernières semaines, près de 200 personnes ont également démissionné du Parti Baas dans cette région.


© 2012 ESISC - European Strategic Intelligence and Security Center Powered by Advensys