Il nous semble évident que l’opération « Plomb durci », dont le bilan humain risque fort de s’alourdir dans les jours à venir, induit une menace terroriste tant locale qu’internationale et qu’elle aura, du point de vue sécuritaire, des conséquences à moyen terme.
Les risques immédiats sont les suivants :
- Menace terroriste en Israël et dans la zone « Proche-Orient » (essentiellement en Egypte).
- Menace contre les intérêts américains et européens en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
- Menace générale contre les communautés juives au plan mondial.
1) La menace terroriste locale et régionale
La menace terroriste locale est, essentiellement, le fait du Hamas. Elle peut se manifester de deux manières différentes.
A) Les tirs de roquettes et de missiles
D’abord, les tirs de roquettes et de missiles risquent de se poursuivre sur le sud d’Israël. Certains missiles (les GRAD) ont une portée maximale de 40 à 45 kilomètres, ce qui met des villes comme Bersheeva et Ashdod à leur portée.
On peut penser que la pression exercée par les troupes au sol, la désorganisation des voies de communication par les bombardements, le « nettoyage » des zones proches de la « frontière » de la Bande de Gaza, la destruction de dépôts d’armes et l’élimination de chefs terroristes va peu à peu faire baisser cette menace. Toutefois, rien n’est moins sûr. Un scénario à la libanaise qui vit un engagement en profondeur de troupes israéliennes incapables d’empêcher les tirs du Hezbollah pourrait se répéter.
Ce scénario, outre le fait qu’il serait le pire du point de vue politique et stratégique pour Israël, laisserait intacte la menace qui a justifié l’opération « Plomb durci ». Dans le meilleur des cas, toutefois, on peut penser que le rayon effectif d’application de cette menace va se réduire, peut-être jusqu’à une quinzaine de kilomètres autour de la Bande de Gaza, auquel cas une ville comme Ashkelon resterait dans le rayon d’action des missiles. Des dizaines de localités de moindre importance sont évidemment également menacées.
B) La menace d’action terroriste en Israël
Le Hamas joue subtilement de sa position victimaire.
Il a donc tout intérêt, pour le moment, à ce que se concentrent sur Gaza les opérations militaires israéliennes et à espérer qu’elles fassent un maximum de victimes civiles possibles (c’est d’ailleurs pourquoi l’organisation terroriste a systématiquement recours à des « boucliers humains » et dissimule ses dépôts, bases et postes de commandements dans des mosquées, des écoles et d’autres lieux fréquentés par les civils).
Jusqu’à présent, cette stratégie a bien fonctionné et il ne nous semble pas évident que le Hamas souhaite, à l’heure actuelle, recourir aux attentats suicides contre la population civile en Israël, ce qui risquerait de provoquer un reflux des opinions favorables dans le monde.
Toutefois, l’action terroriste d’un clan ou de quelques individus ne peut être écartée.
Une autre option pour l’organisation serait de tenter un coup d’éclat : par exemple, un attentat contre une personnalité civile ou militaire israélienne ou contre l’armée israélienne à l’intérieur de l’Etat hébreu, action qui pourrait être présentée comme une riposte « miliaire » et non un acte terroriste. La diffusion par la télévision al-Aqsa, à plusieurs reprises ces derniers jours, d’un montage photographique montrant Ehud Olmert et un cercueil constitue une menace implicite et prouve que la direction du Hamas réfléchit à cette possibilité.
Enfin, il est évident que si la situation venait à évoluer dramatiquement pour le Hamas et si les buts de guerre d’Israël risquaient d’être atteints, la logique de l’organisation pourrait changer. Celle-ci serait tentée, comme dans le passé, de frapper en Israël même, avec pour objectif de provoquer une crise politique majeure à Jérusalem en démontrant que, malgré « Plomb durci », elle a gardé sa capacité de nuisance.
Reste à savoir si le Hamas ou une autre organisation radicale ont encore ou auront dans un proche avenir cette fameuse capacité opérationnelle.
Les possibilités du Hamas ou du Djihad islamique de Palestine à infiltrer des éléments depuis la Bande de Gaza pour perpétrer des attentats sur le sol israélien sont actuellement extrêmement réduites pour ne pas dire nulles du fait du bouclage et du contrôle militaires de la région. Mais ces deux organisations gardent sans doute la possibilité d’infiltrer des commandos ou des opérateurs depuis la Cisjordanie.
C) Le risque d’affrontement avec les services égyptiens de sécurité
Les projecteurs de l’actualité étant exclusivement focalisés sur les opérations israéliennes à Gaza, un autre affrontement, à bas bruit celui-là, passe, lui, inaperçu : celui que se livrent, depuis des mois, le Hamas et les services de sécurité égyptiens à la limite sud de la Bande de Gaza.
Le 28 décembre, un officier égyptien a été tué près de Rafah et le 31 décembre, un autre a été blessé.
D’après des sources sécuritaires égyptiennes avec lesquelles nous avons été en contact, « au moins une centaine d’opérateurs du Hamas se sont infiltrés en Egypte depuis le début de l’offensive israélienne, en grande partie pour se mettre à l’abri ». Plusieurs dizaines d’entre eux ont été arrêtés et les autres sont activement recherchés.
Stratégiquement, le Hamas n’a aucun intérêt à ouvrir un « deuxième front » avec l’Egypte (et sa maison mère, les Frères musulmans d’Egypte, s’y opposerait de toute façon), mais, tactiquement, il se doit de garantir la liberté de mouvement de ses hommes et de ses cadres à la frontière égyptienne, ce qui peut donner lieu à des affrontements sporadiques dans la région de Rafah.
D) Le risque al-Qaïda
Si le Hamas n’a aucun intérêt, pour le moment, à se livrer à des attentats suicides de grande envergure contre la population civile israélienne, il n’en va évidemment pas de même de la mouvance al-Qaïda.
Depuis quelques années, al-Qaïda a tenté de s’implanter dans la Bande de Gaza. L’organisation salafiste n’y a pas rencontré un grand succès du fait de la mainmise du Hamas sur la zone. De même, le seul attentat commis en Israël qui soit probablement attribuable à la mouvance al-Qaïda – contre le bar Mike’s Place, à Tel Aviv, dans la nuit du 29 au 30 avril 2003[1] - a été un échec. Bien entendu, pour al-Qaïda, introduire des opérateurs en Israël et y commettre un attentat serait une victoire. Mais il est extrêmement douteux que la mouvance de Cheikh Oussama puisse atteindre cet objectif.
En tout état de cause, il est probable que, pour se faire, elle devrait sacrifier des moudjahidin convertis d’origine européenne dont elle pourrait avoir un meilleur usage ailleurs…
On remarquera toutefois qu’un nouveau message du Docteur Ayman al-Zawahiri, principal idéologue d’al-Qaïda, message consacré à la crise de Gaza, a été annoncé comme « imminent » par plusieurs sites islamistes dans la soirée du 5 janvier.
E) Le risque d’actions terroristes de réseaux arabes israéliens
Ces deux dernières années, de petites cellules terroristes formées d’arabes israéliens ont été démantelées par les services de sécurité.
On se doit de souligner que cette tendance est extrêmement minoritaire au sein de la population arabe jouissant de la nationalité israélienne.
Le risque d’une action terroriste émanant d’arabes israéliens peut donc être considéré comme mineur, mais des émeutes sporadiques sont possibles, dans le Nord d’Israël.
F) Le risque d’attaques contre des touristes israéliens ou européens dans le Sinaï
En 2004, 2005 et 2006, des attentats suicides avaient visés des installations touristiques importantes et bien protégées, fréquentées par des Israéliens et des Européens dans le Sinaï.[2] D’autres attentats ont été déjoués depuis et les services de sécurité égyptiens ont porté des coups très durs aux réseaux responsables de ces attentats.
Le risque d’attentats dans le Sinaï ne peut être écarté mais peut probablement être considéré comme peu important.
2) La menace terroriste au plan international
La situation au plan international est tendue et peut donner lieu aussi bien à des attentats qu’à des agressions contre des communautés juives.
A) La menace du Hamas
Nous estimons que le Hamas en tant que tel n’a ni les moyens opérationnels ni la volonté politique ni l’intérêt de commettre des attentats à l’étranger, contrairement, par exemple, au Hezbollah qui, pour son propre compte ou pour celui de l’Iran, a perpétré de nombreuses attaques terroristes à l’étranger dans les années ’80 et ‘90.
Certes, le Hamas entretient en Europe – d’ailleurs en toute illégalité, puisqu’il est porté sur la liste européenne des organisations terroristes – des réseaux de collecte de fonds et de propagande via la Fondation al-Aqsa. Le 29 mai 2003, le département américain du Trésor qualifiait cette fondation de « Financier du Terrorisme »[3] . Mais le réseau de collecte bâti par al-Aqsa est important pour le Hamas[4] et il est très peu probable que cette organisation mette en péril son existence comme il est infiniment peu probable qu’il se compromette dans des attentats en Europe ou hors de la zone de conflit, ce qui serait contraire à la fois à ses intérêts stratégiques et à l’idéologie même de sa « maison mère », les Frères musulmans égyptiens qui ont toujours rejeté l’usage de la violence en dehors des terrains de Djihad « légitimes ».[5]
Il existe toutefois, au plan international, un double risque terroriste lié à la situation à Gaza mais totalement indépendant de l’influence directe du Hamas.
B) La menace al-Qaïda (hors d’Israël)
Autant la menace de la mouvance al-Qaïda sur zone nous semble minime, autant elle doit être prise au sérieux dans le reste du monde.
Un message signé par « l’Emir national » de l’AQMI (al-Qaïda au Maghreb islamique), Abdelmalek Droukdel, appelant « les musulmans » à « viser les intérêts juifs et les Juifs », a été diffusé le week-end du 3 janvier sur plusieurs sites islamistes en langue arabe dont l’ESISC assure le monitoring permanent.
La menace de l’AQMI vise « les intérêts juifs et les Juifs partout dans le monde, notamment en Afrique du Nord ». Le communiqué attaque violemment les dirigeants des pays arabes, qualifiés de « traîtres » et « d'alliés des Etats-Unis et d’Israël ». Plusieurs internautes ont réagi à cet appel en postant des messages proposant de s’attaquer aux « intérêts juifs au Maroc » pour venger « les frères de Gaza ».
Depuis 2001, les « intérêts juifs » (pour reprendre la phraséologie islamiste) ont été attaqués à plusieurs reprises en Afrique du Nord.
En 2002, la synagogue de la Ghriba, à Djerba, en Tunisie, a été la cible d’un attentat sanglant, en mai 2003, la communauté juive marocaine a été l’une des cibles de la vague d’attentats qui a fait plus de 40 morts à Casablanca et l’ambassade d’Israël en Mauritanie a été visée par un attentat le 1er février 2008. Le 8 août dernier, l’AQMI avait d’ailleurs à nouveau appelé à frapper cette ambassade.
En Afrique du Nord, les cibles pourraient être les petites mais influentes communautés juives du Maroc ou de Tunisie ainsi que l’ambassade d’Israël à Nouakchott. Les ambassades d’Israël en Egypte et en Jordanie pourraient également être visées.
L’ESISC estime toutefois que des intérêts américains et européens pourraient également être visés en Afrique du Nord ou ailleurs : les Etats-Unis sont perçus comme un soutien inconditionnel à Israël et la présidence tchèque de l’Union européenne a qualifié, samedi 3 janvier, l’action militaire israélienne de « défensive ».
Enfin, il est évident que les ambassades, consulats et installations commerciales ou culturelles israéliennes sont directement menacées au plan mondial.
Al-Qaïda pourrait également tenter de s’en prendre aux communautés juives européennes ou sud-américaines[6].
C) La menace du terrorisme rampant
Etant donné le climat détestable qui règne dans certains pans des communautés musulmanes en Europe et les incidents graves qui ont marqué certaines manifestations de soutien à Gaza ces derniers jours – entre autres à Paris et à Londres -, nous estimons que des actions terroristes isolées contre des communautés juives européennes sont possibles dans les jours à venir.
On remarquera que, ces derniers jours, des actions particulièrement violentes ont été enregistrées dans plusieurs pays :
- Le 31 décembre, deux commerçants israéliens vendant des produits de la Mer morte ont été l’objet de tirs et ont été blessés dans un centre commercial de Copenhague.
- Dans la nuit du 3 au 4 janvier, un incendie criminel a visé une habitation privée de Borgherout (banlieue d’Anvers) dans laquelle vivent plusieurs familles juives.
- Dans la soirée du lundi 5 janvier, un véhicule en flammes a été jeté contre une synagogue de Toulouse.
- Dans la soirée du lundi 5 janvier, un incendie criminel a visé une synagogue libérale de Bruxelles.
Enfin, on signalera qu’une vidéo menaçant un établissement parisien (« Le Bataclan ») qui doit abriter, le 21 janvier, une soirée de gala de soutien à la police israélienne des frontières, a été « postée » il y a quelques jours sur «youtube » et était toujours visible le 6 janvier à 13H00. Sur cette vidéo, une dizaine de jeunes gens masqués menacent ouvertement la direction du « Bataclan » qui doit « assumer la responsabilité de ses actes » et concluent « la prochaine fois on ne viendra pas pour parler ». La vidéo se termine par une incrustation donnant « Rendez-vous le 21 janvier »[7].
La diffusion de cette vidéo a donné lieu à un certain nombre de « posts » particulièrement agressifs, dont celui-ci, qui donne un exemple de la tonalité générale de ces interventions (nous avons respecté l’orthographe particulièrement créative de l’auteur) :
« pro palestine" a bruxelle et a liége on est avec vous les mecs, ns somme la 3 eme generation issue de l'imigration on est europeen, donc terminer de discuter il faut agir ns avons capté la ruze du sioniste on se sent trahi par l'europe car elle est pro-sioniste, rassemnblement de berlin a malaga de 9.000.000 de jeunes pour chasser le sioniste d'europe et de palestine eh le jeter au fin fond du gronland...... »
Nous estimons que le risque d’agressions et de « micro attentats » contre les communautés juives d’Europe doit être considéré comme maximal dans les semaines à venir.
3) L’évolution de la situation sécuritaire à moyen terme
Dans le contexte qui prévaut sur la scène sécuritaire, depuis 2001, il est extrêmement difficile de prévoir comment la crise de Gaza pourrait influencer la sécurité locale, régionale et internationale à moyen terme (6 mois).
On peut craindre toutefois, quelle que soit l’issue de cette crise, que les buts de guerre israéliens soient atteints ou non, que le Hamas voie sa capacité de nuisance réduite ou non, que la situation sécuritaire ne se détériore dans les mois à venir.
Au plan local, des attentats seront possibles et seront sans doute tentés par le Hamas ou par d’autres organisations radicales.
Au plan international, les communautés juives et les intérêts israéliens resteront gravement exposés.
De manière plus générale, la crise en cours ne peut que radicaliser davantage la frange extrémiste de la jeunesse musulmane européenne et pousser certains à se rapprocher des structures djihadistes qui, malheureusement, rencontrent déjà un écho certain dans cette fraction de la population.
Des attentats contre des intérêts américains et européens sont donc à craindre dans les mois à venir, les Etats-Unis étant accusés de soutenir directement Israël, et l’Europe, de pratiquer un double discours et de laisser Israël « massacrer » la population palestinienne.
Copyright© ESISC 2009
[1] Les auteurs en étaient deux Britanniques d’origine pakistanaise âgés de 27 ans, Asif Muhammad Hanif et Omar Khan Sharif.
[2] En octobre 2004, 34 morts à Taba et Ras Shitan, le 22 juillet 2005, plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés à Charm el-Cheikh, une vingtaine de morts et 150 blessés le 24 avril 2006 à Dahab. D’autres attentats ont été déjoués depuis.
[3] U.S. Department of the Treasury, May 29 2003: Treasury Designates Al-Aqsa International Foundation as Financier of Terror Charity Linked to Funding of the Hamas Terrorist Organization.
[4] Le « Bureau central » européen de la fonction al-Aqsa est situé à Aix-la-Chapelle (Allemagne), tout comme le centre européen des Frères musulmans. Des bureaux locaux existent à Bruxelles, Copenhague, Malmö et Rotterdam
[5] On notera toutefois que le bureau suédois de la Fondation al-Aqsa, Al-Aqsa Spannmat Stiftelse, a fait l’objet d’une enquêté de la SAPO, les services de sécurité locaux, et que son président, Khalid al-Youssef, a été inculpé, en avril 2006, de préparation d’actes de terrorisme et arrêté avant d’être relâché quelques jours plus tard pour manque de preuves.
[6] Pour rappel, le Hezbollah avait commis deux attentats particulièrement meurtriers à Buenos-Aires au début des années ‘90.
[7] La vidéo peut être visionnée à l’adresse suivante : http://fr.youtube.com/watch?v=-WBDanqAVLw