La place de la politique étrangère dans le duel John McCain-Barack Obama



 

 

Depuis le 11 septembre 2001, la sécurité et les intérêts nationaux n’ont jamais été autant au cœur du débat politique américain. Le recentrage des préoccupations américaines par rapport au reste du monde n’a fait que croître et chaque candidat à la présidence devra en tenir compte.

 

Les tickets présidentiels sont connus depuis plusieurs semaines : Barack Obama et Joe Biden, côté démocrate, John McCain et Sarah Palin, pour les républicains. Au-delà des personnes et des effets d’annonce, on soulignera que les deux partis ne sont pas si éloignés l’un de l’autre en matière de relations internationales. Le vote, en 2002, d’une majorité de démocrates en faveur de l’invasion irakienne en est le plus bel exemple. Dans le passé, « les intérêts américains » ou ce qui peut être perçu comme tel ont souvent transcendé le clivage entre républicains et démocrates.

 

Quel qu’il soit, le prochain locataire de la Maison-Blanche aura de nombreux dossiers internationaux à gérer mais, surtout, il devra s’atteler à redorer, sur la scène internationale, un blason américain qui, ces dernières années, a été terni par l’aventure irakienne et les accusations récurrentes de violations des droits de l’homme portées contre l’armée et les services de renseignement américains. Il devra également trouver des solutions politiques et sécuritaires pour sortir des impasses irakiennes et afghanes.  Le nucléaire iranien restera, lui aussi, sur la table tant qu’une issue favorable et acceptable par les alliés de l’Occident n’aura pas été trouvée. Enfin, les relations avec la Russie de Dmitri Medvedev et la Chine émergeante ne doivent pas être oubliées car l’été 2008 a démontré à nouveau combien ces nations peuvent influencer le monde ; l’indépendance du Kosovo et la crise ossète ainsi que les JO de Pékin n’en sont que les ultimes démonstrations. En ce qui concerne le commerce et la finance mondiale, le 44e président des Etats-Unis devra œuvrer à une meilleure transparence des marchés et de l’activité financière ; en d’autres termes, il sera nécessaire de mieux réguler ces marchés.

 

Bien que cette fin de campagne soit dominée par la crise économique et financière, et que celle-ci sera loin d’être terminée lors de la prestation de serment[1], le 20 janvier 2009, la politique étrangère prendra une part fondamentale de l’agenda présidentiel.

 

  1. L’héritage      des années Bush

 

2.1 La doctrine de George W. Bush

 

En 2000, durant sa première campagne électorale, George W. Bush  avait défini une politique isolationniste visant à retirer les troupes américaines des Balkans, à limiter l’arsenal nucléaire et à fermer un certain nombre de bases militaires à l’étranger. Le 43ème président américain s’est heurté à deux oppositions majeures : tout d’abord, les grandes entreprises opérant au niveau mondial et qui ont fortement contribué à sa campagne électorale ; ensuite, les militaires, entourés par l’industrie d’armement. Ceux-ci ont fait savoir à M. Bush que la modification de la menace devait être gérée non pas par une politique isolationniste mais en augmentant le budget de la Défense et en maintenant les bases à l’étranger[2].

 

La nouvelle stratégie de sécurité nationale[3] élaborée durant l’année qui suivit le 11 septembre ainsi que le discours sur l’état de l’Union prononcé en 2003 ont marqué toute la présidence de George W. Bush. Durant son premier mandat, il basa sa doctrine sur le concept de la guerre préventive et ce, sans l’accord des Nations unies. Nous faisons ici référence à l’invasion américaine de l’Irak fortement motivée par le fait que Bagdad détenait des armes de destruction massive. Dans ce contexte, il y avait tout lieu de craindre que des groupes terroristes puissent se procurer des armes en Irak afin de commettre des attentats similaires à ceux du 11 septembre. Selon l’administration américaine, la guerre préventive se justifiait et le désarmement de l’Irak était destiné à écarter une menace pesant directement sur les Etats-Unis et, indirectement, sur tous les Etats susceptibles d’être les cibles de nouvelles attaques terroristes[4]. Ces raisons d’Etat n’ont guère convaincu et se révéleront par la suite erronées.

 

Quoiqu’il en soit, après le Vietnam – où l’escalade avait été le fait de deux présidents démocrates, John Kennedy et Lyndon Johnson -, George W. Bush a initié la seconde guerre américaine en moins de 50 ans, rouvrant une « blessure vietnamienne » mal cicatrisée. Certes, dans les années ‘90, les troupes américaines avaient été le fer de lance de la première Guerre du Golfe et avaient participé aux opérations en Somalie et dans les Balkans, mais ces interventions furent limitées dans le temps (pour ce qui est du Golfe) ou en volume de troupes engagées (pour la Somalie et les Balkans). Il en résulta de ce fait un traumatisme social bien moindre que celui de la guerre en Irak, d’autant que ces expéditions étaient perçues comme fondamentalement justifiées par l’opinion publique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

 

2.2 L’histoire jugera d’elle-même les années Bush Jr.

 

Qu’il ait été ou non le plus impopulaire des présidents américains[5], l’analyse des huit années de politique étrangère de George W. Bush ne se résume toutefois pas au dossier irakien. Les grandes lignes de sa politique s’appliqueront encore à l’avenir, quoi qu’en dise le camp démocrate. Néanmoins, de nombreux critiques demeurent déçus que M. Bush n’ait pas suivi les recommandations du rapport Baker-Hamilton[6], publié en 2006. En effet, il aurait permis au président américain d’appliquer des conclusions bipartisanes et d’être l’amorce d’un dialogue international à propos de ce dossier épineux.

 

Par ailleurs, George W. Bush n’aurait, de toute façon, pas pu régler tous les problèmes en suspens. Dans des conditions qui étaient, à l’époque, bien plus favorables, Bill Clinton n’a pas été mesure, tout comme l’actuel président, de créer les conditions d’un rapprochement avec Téhéran ou encore de réunir Israéliens et Palestiniens afin de signer un accord de paix dans le cadre du conflit au Proche-Orient. La seule différence entre la fin de ces deux ères présidentielles, est l’empreinte laissée par les Etats-Unis de George W. Bush à travers le monde : un pays qui inspire moins l’espoir et le rêve.

 

En quittant la Maison-Blanche, l’ancien gouverneur du Texas laisse un grand nombre de troupes à l’étranger, deux conflits en cours en Irak et Afghanistan, un endettement colossal et une crise financière dont le prochain président devra gérer les conséquences. Quoi qu’il en soit, l’héritage de George W. Bush a aussi ses côtés positifs. L’alliance militaire signée avec l’Inde est l’aboutissement de négociations qui ont duré de longues années. Un traité a été signé entre les deux nations en 2007 afin de pouvoir partager des informations et du matériel relatifs au nucléaire civil et les Etats-Unis vendront à l’Inde des avions de combat, des navires de guerre et d’autres équipements pour un total de 10 milliards de dollars dans les dix prochaines années[7].

 

Les tensions internationales et transatlantiques nées de la guerre en Irak sont bien réelles mais ne peuvent cacher que l’administration Bush a été capable, également, de jouer la carte du multilatéralisme dans certains contextes, notamment pour ce qui est des dossiers de la Corée du Nord et de l’Iran. Dans ces deux cas, les Etats-Unis ont agi de concert avec leurs alliés. L’Union européenne a d’ailleurs pu devenir une sorte d’éclaireur ou d’intermédiaire à Téhéran. Sans aucun succès à ce jour, remarquons-le néanmoins…

 

L’analyse du profil des deux candidats va nous permettre de mieux cerner les grandes lignes et les grands défis du futur président américain. Quoi qu’il arrive, nous assisterons plus à des changements dans la continuité qu’à une continuité dans le changement.

 

  1. Les      inclinations de politique internationale des candidats 

 

3.1 La robustesse et l’expérience incarnées par John McCain

 

Né à Panama (en zone américaine), John McCain a étudié à l’Académie navale des Etats-Unis. Actuellement âgé de 71 ans, il s’est marié deux fois et est le père de 7 enfants. Il est sénateur de l’Arizona depuis 1986.

 

La personnalité du « kid de Phoenix » a été influencée par sa famille et son activité politique. Son père et son grand-père étaient officiers supérieurs de l’U.S. Navy et il y a lui-même passé 22 années avant d’entrer en politique. Couvert de médailles, il a fait la guerre du Vietnam où il fut emprisonné pendant 5 ans, dans des conditions très dures, refusant notamment d’être libéré pour ne pas démoraliser ses camarades de détention. Sur le plan professionnel, les 22 années passées au Sénat ont marqué l’ancien militaire et il fut déjà candidat malheureux à la présidentielle[8] en 2000 face à George W. Bush.

 

John McCain est réputé pour avoir combattu l’influence de certains lobbies de K Street[9], à Washington, mais aussi pour avoir déposé des lois relatives à la réforme du financement des campagnes électorales. Connu pour son penchant en faveur de la dérégulation, il a réussi à polariser les indépendants qui ne votaient pas nécessairement pour le parti républicain : en 1996, il s’est opposé au lobby des télécommunications (AT&T), en 1998, il s’est attaqué au lobby du tabac et, en 2000, à celui de l’éthanol. Autant pour ceux qui l’ont accusé d’être proche des entreprises privées et des lobbies.  

 

Dans une Amérique en quête de changement, la candidature de John McCain a souvent été critiquée comme étant la parfaite continuité des mandats de George W. Bush. Les personnalités et expériences de MM. Bush et McCain étant extrêmement contrastées, cette attaque est injuste, même si le point commun entre les deux hommes est qu’ils s’inscrivent tous deux dans l’héritage politique des années Reagan.  

 

Les années du grand communicateur que fut Ronald Reagan marquèrent le retour à l’idéologie et l’entrée des conservateurs dans les sphères gouvernementales. Ces intellectuels conservateurs, qui réussirent à inspirer le président, critiquaient ouvertement l’Europe, dénonçant notamment son manque d’appui à l’égard des Américains contre l’URSS ou ses positions trop favorables aux intérêts arabes et palestiniens. Enfin,  le grand projet de bouclier anti-missiles voulu par l’actuel président américain, sous l’influence des neoconservateurs, fut, en fait, inauguré sous Ronald Reagan. Son Strategic Defense Initiative, mieux connu sous le nom de Guerre des étoiles, a été un des projets militaires les plus coûteux de l’histoire[10] mais surtout celui qui, vingt-cinq ans plus tard, n’a toujours pas démontré sa pertinence et son efficacité.

 

La politique de John McCain sera-t-elle « bushiste » ? Probablement pas. Elle sera bien davantage « reaganienne », si le candidat républicain parvient à rendre à l’Amérique sa confiance en elle.

 

3.2 Barack Obama : inexpérience ou jeunesse et renouveau ?  


Né à Honolulu et âgé de 46 ans, Barack Obama a étudié la Science politique à l’Université de Columbia et le Droit à Harvard. Marié, il a deux filles. Elu sénateur de l’Etat de l’Illinois en 2004, il a parrainé une proposition de loi permettant aux contribuables américains de savoir comment leurs impôts sont dépensés et il a pris part aux travaux de la Commission des anciens combattants qui supervise, notamment, la prise en charge des soldats revenant d’Irak et d’Afghanistan[11]. Depuis les débuts de sa carrière politique, M. Obama a toujours voté avec la gauche du parti démocrate mais, durant les primaires, il s’est au contraire présenté comme un centriste susceptible d’attirer les électeurs indépendants, voire les républicains[12].

 

Il est très malaisé de « classer » Obama parmi les hommes politiques américains. Force est de constater que sa faible expérience du domaine international est contrebalancée par son colistier Joe Biden, vieux routard des questions de géopolitique et qui était encore dans le Caucase quelques jours avant sa désignation. Il viendra donc compenser les lacunes du candidat en matière de sécurité et de politique étrangère[13].

 

Une vaste équipe entoure le candidat démocrate afin de le conseiller au mieux en matière de politique étrangère. A la tête de cette équipe, un triumvirat composé de Susan Rice, Anthony Lake et Denis McDonough. Agée de 44 ans, Mme Rice a été responsable des affaires africaines au Département d’Etat sous Bill Clinton, entre 1997 et 2001. Elle a également été la conseillère en sécurité nationale, en 2004, dans l’équipe de John Kerry. Anthony Lake, 69 ans, a été conseiller en sécurité nationale entre 1993 et 1997 sous Bill Clinton, notamment dans le dossier rwandais. Le troisième conseiller, Denis McDonough, est âgé de 38 ans et agit en tant que coordinateur au quartier général de campagne à Chicago. Il a été le conseiller en politique étrangère pour de nombreux parlementaires et membre du staff de la Commission du Congrès relative aux relations internationales.

 

Au cours de l’été dernier, Barack Obama a fait un bref tour d’Europe afin de montrer qu’il sait écouter et entendre les autres décideurs de ce monde. Pourtant, durant ce périple, le candidat démocrate nous a surtout convaincus de ce qu’il ne ferait pas s’il était élu à la Maison-Blanche. Force est de constater une certaine inconstance dans les positions qu’il soutient : durant les primaires, il a défendu le protectionnisme, et aujourd’hui, il évoque le libre-échange ; il a parlé de retrait d’Irak dans les 16 mois pour, ensuite, demander une certaine marge de manœuvre à ce court délai ; après avoir menacé l’Iran, il a proposé d’aller prendre le thé à Téhéran ou à Damas ; aux Israéliens, il a dit être contre toute division de Jérusalem avant de tenir des propos inverses à des dirigeants arabes. En juillet dernier, l’hebdomadaire britannique The Economist soulignait que ce que les Européens entendraient de la bouche du candidat Obama ne correspondait peut-être pas à ce que fera le sénateur de l’Illinois, s’il est élu président[14].

 

N’oublions surtout pas que le succès européen de Barack Obama, pour autant qu’il puisse lui servir en tant que président, pourrait le desservir en tant que candidat. Ce ne sont pas les Européens qui voteront le 4 novembre mais bien les Américains. Quand M. Obama se dit « citoyen du monde », ces paroles sonnent parfaitement pour un électorat européen mais peuvent faire mal aux oreilles d’Américains patriotes. On signalera du reste que l’Europe, ses élites et ses médias se sont invariablement trompés lors des dernières élections américains en choisissant toujours le candidat qui n’a pas été élu…

 

Le chaleureux accueil réservé à Barack Obama en Europe et l’enthousiasme qu’il peut susciter à travers le monde ne doivent pas cacher les préoccupations de pays comme la Turquie, le Japon et Israël, qui craignent certaines de ses prises de position. Les autorités d’Ankara n’apprécient guère son appui aux Arméniens. A Tokyo, les critiques du candidat démocrate durant les primaires à l’égard d’accords économiques préférentiels ont touché de plein fouet les Japonais qui sont des exportateurs-dépendants vis-à-vis des Etats-Unis. Au Proche-Orient, les Israéliens craignent l’ouverture au dialogue proposée par Barack Obama aux ennemis de l’Etat hébreu[15].

 

  1. Les grands      défis du futur président (et les      positions respectives de chaque candidat)

 

Depuis l’été 2007, la crise des subprimes[16], le ralentissement de l’économie américaine marqué plus fortement durant le premier semestre 2008 et, surtout, l’effondrement du système financier au début de l’automne ont ramené l’économie au premier plan des préoccupations des citoyens. De quoi remettre à l’ordre du jour la « petite phrase » adressée par Bill Clinton à George Bush senior durant les élections de 1992 : «  it’s the economy, stupid ! »

 

Les faillites récentes de prestigieuses institutions bancaires et financières aux Etats-Unis mais aussi les chiffres confirmés d’une augmentation du chômage ont privilégié Barack Obama, qui a rappelé combien les huit dernières années dominées par les républicains ont été catastrophiques pour l’économie nationale.

 

Loin de nous l’idée de minimiser la crise financière internationale, mais nous nous attèlerons dans cette analyse à pointer quelques dossiers qui ont été moins abordés durant la campagne et qui, néanmoins, demeurent les pierres angulaires de l’agenda du futur président.

 

4.1 L’Iran

 

Ce n’est pas la première fois que la République islamique d’Iran s’invite dans une campagne présidentielle puisqu’elle a été au cœur des débats en 1980, suite à la crise des otages de l’ambassade américaine à Téhéran en 1979-1980. Bien avant Mahmoud Ahmadinejad, actuel président iranien, ce fut Khomeiny, leader de la Révolution, qui fit irruption et contribua à la lourde défaite de Jimmy Carter face à Ronald Reagan.

 

Si les positions des deux candidats actuels convergent sur la réduction des armes nucléaires et un meilleur contrôle de celles-ci, leur position par rapport à l’Iran diverge totalement. Alors que John McCain, à plusieurs reprises, a rappelé son intention de frapper militairement Téhéran en cas de nécessité, Barack Obama, pour sa part, a ouvert la porte au dialogue. D’un côté, on assiste à une reviviscence de l’attaque israélienne, en 1981, de la centrale nucléaire iraquienne d’Osirak et, d’un autre côté, on craint la proposition de M. Obama de négocier avec les régimes non-démocratiques.

 

La marge de manœuvre est certes étroite : alors qu’il est manifeste que, depuis des années, Téhéran a joué la carte des négociations pour gagner le temps nécessaire à achever son programme, l’option militaire pourrait avoir des conséquences désastreuses. Les pays arabes de la région, tous alliés des Etats-Unis, craignent entre autres que le bombardement d’une autre nation musulmane ne provoque un nouvel embrasement, notamment si l’on considère l’actuel armement en possession des autorités de Téhéran. Mais par ailleurs, l’allié israélien voit sa sécurité nationale menacée et, comme l’a dit le candidat républicain devant l’AIPAC[17] : « La volonté iranienne de développer l’arme nucléaire est un risque que nous ne pouvons prendre pour la sécurité mondiale en général et celle de l’Etat hébreu en particulier[18] ».

 

La proposition de Barack Obama d’associer l’Iran au dialogue diplomatique est perçue avec beaucoup de circonspection aux Etats-Unis. Depuis son allocution, en juillet 2007, à Charleston, en Caroline du Sud, le candidat démocrate défend l’idée d’avoir des pourparlers avec les dirigeants iranien, syrien, vénézuélien, cubain et nord-coréen[19]. Le jeune sénateur de l’Illinois sait pertinemment qu’il n’aura pas le pouvoir nécessaire pour que les présidents Ahmadinejad et Assad renoncent à leur agressivité vis-à-vis d’Israël et que Raul Castro et Kim Jong-Il oublient leur dévotion au communisme autoritaire. Le discours du candidat démocrate relève plus de la rhétorique que d’un réalisme politique affiné. Confirmant nos propos, Barack Obama, s’adressant à l’AIPAC, a martelé qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir afin d’empêcher le régime des mollahs de détenir l’arme nucléaire. Un revirement à 360° démontrant combien le dialogue peut avoir ses limites face à des chefs d’Etats non-démocratiques.

4.2 Les relations avec Israël et le processus de paix au Proche-Orient

 

L’Etat hébreu a toujours été un sujet important dans la politique américaine. Elément parmi tant d’autres d’influence américaine au Moyen-Orient, l’alliance américano-israélienne n’est en rien différente de celle signée avec les nations arabo-musulmanes. Les Etats-Unis ont passé des alliances stratégiques avec l’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Irak, la Jordanie, le Koweït, Oman, le Pakistan, le Qatar et la Turquie. Chaque pays reçoit, comme pour l’Etat d’Israël, des armes et une assistance militaire en échange d’une promesse de ne pas agresser militairement ses voisins[20].

 

Bien plus que l’influence de l’électorat juif aux Etats-Unis, cette relation privilégiée se marque par une grande sympathie de la population américaine à l’égard d’Israël car ces deux nations ont été édifiées par les immigrants à la recherche d’une vie meilleure : deux communautés de destin qui se ressemblent.

 

Après avoir été lourdement critiqué par George W. Bush s’adressant aux députés israéliens réunis à la Knesset, Barack Obama a tenté de rectifier le tir lors de son allocution à l’AIPAC en juin 2008. Il y a défendu l’idée que Jérusalem devait rester la capitale « unifiée » d’Israël et que l’option militaire à l’encontre de l’Iran était toujours sur la table. En outre, durant son discours, il a demandé l’isolement du Hamas, considéré comme un groupe terroriste et qui a la mainmise sur le gouvernement palestinien[21]. Une manière de courtiser  l’électorat juif et de contredire ses positions précédentes dans ce dossier.

 

Le candidat républicain, quant à lui, s’est également adressé à l’AIPAC début juin mais il l’a fait de manière moins engagée car l’électorat juif vote majoritairement pour les démocrates. Dans son allocution, hormis les attaques à l’encontre de son adversaire, il a surtout défendu le stationnement de troupes en Irak et une ligne dure envers Téhéran afin de préserver la sécurité de l’Etat juif. L’allocution de M. McCain fut peut-être moins pointue que celle du candidat démocrate mais elle avait le mérite d’être plus prospective avec une vision globale pour la région. En parlant d’Israël, le sénateur de l’Arizona fait montre d’une vision plus pragmatique, qui est certainement le fruit d’une longue expérience au sein de l’armée.

 

4.3 Le développement durable, le protocole de Kyoto, l’environnement et la dépendance énergétique du pays

 

Depuis de très nombreuses années, on entend dire que les Etats-Unis menacent la planète au niveau climatique et que la non ratification du protocole de Kyoto n’en est que l’énième démonstration. Pourtant, ce n’est pas l’actuel président qui a signé ce protocole mais Al Gore, le 12 novembre 1998, en tant que vice-président. Aux Etats-Unis, pour qu’un traité entre en application, la seule signature de l’exécutif n’est pas suffisante, il faut également la ratification du Sénat. Comme le souligne Armand Laferrère : « Pour ce qui concerne le protocole de Kyoto, l’administration Clinton savait pertinemment avant même de le signer qu’il ne serait jamais ratifié. En effet, dès le 25 juillet 1997, le Sénat avait voté une résolution unanime (95 voix pour et 5 abstentions) déclarant que les Etats-Unis ne devraient adhérer à aucun Traité qui ne comprenne pas des objectifs chiffrés pour les nations en développement, telles que la Chine et l’Inde (qui sont entièrement exemptées des objectifs de Kyoto) ou qui représenteraient un danger pour l’économie américaine. L’administration Clinton, ayant bien compris le message, n’envoya jamais le Traité au Sénat pour ratification »[22].

 

Les positions des candidats en matière d’écologie et de développement durable ne s’équivalent pas dans les chiffres et les moyens utilisés afin d’y parvenir. En effet, John McCain, grand défenseur de l’énergie nucléaire[23], souhaite une diminution des émissions de gaz à effet de serre, sans donner de date ni de chiffres précis, même si, tout récemment, il a cité la date butoir de 2050. Il défend également la diversification des apports énergétiques du pays afin qu’il soit moins dépendant de l’étranger. Sa colistière, Sarah Palin, soutient un programme de forage en Alaska qui favoriserait l’indépendance énergétique de la nation mais créerait un gouffre écologique dans la région. De son côté, Barack Obama propose une diminution de 80% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 et soutient toutes les politiques d’utilisation d’énergies vertes.

 

La préoccupation grandissante des Américains s’est révélée durant la campagne des primaires, suite à l’augmentation exponentielle du prix du gallon d’essence à la pompe. Ce dernier est le symbole même de l’indice américain de satisfaction car la population possède de nombreux véhicules et, surtout, le prix du gallon a, historiquement, été toujours à un bas niveau par rapport à la moyenne mondiale. Les électeurs souhaitent à présent avoir un président plus respectueux des dossiers environnementaux. Il est indéniable que le 44ème président ne pourra plus faire la sourde oreille à leurs attentes durant son mandat.

 

4.4 Les relents de Guerre froide et l’avenir des relations avec la Russie

 

Le 11 septembre 2001 a vu progressivement les Etats-Unis prendre place en Asie centrale et dans le Caucase. L’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, l’élargissement de l’OTAN aux anciens pays du bloc soviétique ainsi que la forte implication américaine dans les enjeux pétroliers du Caucase et de la Caspienne ont graduellement irrité la Russie. Celle-ci a vu  un adversaire prendre position dans sa zone d’influence et mettre en danger son statut de puissante nation. La reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, sous l’égide de l’Europe et des Etats-Unis, aura servi de déclencheur à Moscou qui, depuis et à de nombreuses reprises, a marqué son intention de reprendre une diplomatie agressive. Le conflit dans le Caucase et des manœuvres militaires dans les Caraïbes en sont les ultimes preuves.

 

L’administration Bush, bien que réfutant une nouvelle Guerre froide, est en train d’opérer un recentrage de ses relations avec la Russie depuis août 2008. La Russie n’est plus le partenaire de premier plan, comme il était coutume de présenter les choses après le 11 septembre. Elle est devenue ou redevenue un obstacle aux intérêts américains, un Etat suscitant réflexions, interrogations et perplexité[24].

 

Depuis le début de sa campagne, John McCain s’est placé dans une position forte vis-à-vis de la Russie. Prônant notamment le retrait de Moscou du G8, il voit dans la Russie du début du XXIe siècle, une autocratie conduite sur une très mauvaise voie par l’ancien président Vladimir Poutine. « Nous voulons un meilleur comportement de la Russie sur le plan international et nous sommes en droit de l'escompter[25] », a notamment affirmé le candidat républicain, tandis que sa colistière, Sarah Palin, dans une interview accordée à la chaîne ABC en septembre dernier, a précisé qu’elle ne s’opposerait pas à une attaque contre Moscou en cas de nouvelle agression contre la Géorgie[26]. Bref, le ticket républicain montre clairement sa posture neo-reaganienne, en considérant la Russie comme un des perturbateurs des intérêts internationaux américains.

 

Quant à Barack Obama, sa position a fait l’objet d’un changement radical. Le candidat démocrate, qui a fait partie de la commission sénatoriale des affaires extérieures et s'est occupé au Sénat des problèmes de non-prolifération, se profilait dans un premier temps comme ouvert au dialogue avec les Russes. Ainsi, en cas d'élection, M. Obama, qui a le même âge que le président russe Medvedev, envisageait de s'entendre avec Moscou sur la réduction ultérieure des armements. L’intervention russe en Géorgie aura provoqué un changement de position perceptible de la part du sénateur de l’Illinois. Durant son premier débat télévisé contre John McCain[27], il a affirmé qu’une « Russie très agressive et renaissante est une menace pour la paix et la stabilité dans la région[28] ».

 

L’avenir des relations avec la Russie semble donc se profiler suivant une logique d’opposition graduée, avec un partenariat à la carte, notamment, dans le dossier du nucléaire iranien. Le retour d’une Russie puissante et capable de troubler les intérêts américains dans le Caucase, en Asie centrale, au Moyen-Orient et même récemment en Amérique latine, avec le rapprochement entre Moscou et Caracas, c’est ce qui a fait converger les positions des deux candidats. Le 44e président aura donc la charge de gérer un nouvel opposant russe, qui retrouve dans sa puissance énergétique les nouveaux leviers de son autorité.

 

  1. Conclusions

 

Deux visions de la politique étrangère s’affrontent en cette fin de campagne électorale, bien que des constantes demeurent. Nous ne sommes pas en présence d’un candidat naïf-multilatéraliste affrontant un candidat McSame-unilatéraliste, en référence à la continuité de la ligne de conduite de George W. Bush que le candidat républicain pourrait incarner. La nuance est dans l’analyse du pouvoir détenu par le locataire de la Maison-Blanche. Tout d’abord, celui-ci, ne décide pas seul de l’avenir de la planète. En outre, quand la nation est endettée, fragile, stressée et ne se sent pas en sécurité, comme c’est le cas actuellement, elle a tendance à se refermer sur elle-même et à appliquer une politique étrangère plus proche du compromis diplomatique.

 

Un fait est certain : quel que soit le candidat élu, la guerre contre le terrorisme va perdurer car le seul point qui différencie M. McCain et M. Obama réside dans les modalités à mettre en place à l’avenir pour que cette guerre soit plus efficace [29].

 

Au Moyen-Orient, le dossier qui reviendra très rapidement sur la table est l’Irak. Le candidat républicain sera bien obligé de retirer une partie des troupes afin de répondre aux attentes de la population américaine. M. Obama, de son côté, ne pourra rappeler toutes les troupes dans un délai aussi restreint que 16 mois. Si le pays commence à se stabiliser, les positions des deux candidats ne seront pas si différentes. Si, par contre, on assiste à une recrudescence de violence, le choix entre l’un ou l’autre candidat sera fondamental. La vision des deux candidats diffère parce que John McCain se base surtout sur le versant militaire d’un retrait immédiat qu’il considère comme un échec, alors que Barack Obama voit le versant économique :  le retrait américain permettrait à l’économie nationale de souffler.

 

Sur l’Iran, le candidat démocrate préconise le dialogue alors que son adversaire ne veut pas rencontrer les Iraniens tant qu’ils n’auront pas stoppé l’enrichissement d’uranium. Autre approche différenciée entre les deux candidats : M. McCain considère que la pire menace n’est pas d’attaquer l’Iran mais que celui-ci soit détenteur de l’arme nucléaire. De son côté, M. Obama a rappelé à la tribune de l’AIPAC qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir afin d’empêcher les Iraniens de finaliser leur projet militaire. La différence entre les deux candidats permet de comprendre dans quel cas une guerre préventive pourrait s’appliquer ; force est de constater que John McCain utilisera une diplomatie plus musclée et même peut-être armée.

 

L’ancien ennemi de la Guerre froide, la Russie, fait également un retour marqué ces derniers mois dans les débats américains de politique étrangère. Les républicains, emmenés par M. McCain, appliquent une ligne très dure à l’égard de Moscou en souhaitant voir cette nation exclue du G8. De leur côté, les démocrates ont également des positions qui froissent le couple Medvedev-Poutin en soutenant l’indépendance du Kosovo ou en adhérant à l’idée d’élargir l’OTAN vers l’Est. Néanmoins, ils veulent créer une nouvelle relation permettant de solutionner des problèmes globaux comme la non prolifération ou les changements climatiques.

 

Les crises de l’économie et de la finance qui touchent de plein fouet les citoyens américains ont dominé les débats en cette fin de campagne électorale. John McCain a toujours été un fervent défenseur du libre marché et ses campagnes contre les lobbies en sont le parfait exemple. De son côté, M. Obama parle de manière plus nuancée en soulevant les accords commerciaux des Etats-Unis dans un monde globalisé, qui doivent mieux protéger les droits des travailleurs américains.

 

 

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[1] Inauguration day : depuis George Washington en 1789, tous les présidents nouvellement élus viennent prêter serment devant le Capitole, à Washington.

[2] Georges Le Guelte, « Le monde de George W. Bush et l’Europe »,  Le débat n°127 de novembre-décembre 2003, Paris, Gallimard, pp.18-19.

[3] The National Security Strategy of the United   States of America. http://www.whitehouse.gov/nsc/nss.html

[4] Olivier Corten, Le retour des guerres préventives : le droit international menacé,  Bruxelles, Editions Labor, 2003, p.41.

[5] Fin avril 2008, l’institut de sondage Gallup lui attribuait la plus faible cote de popularité (28% d’opinions favorables) depuis que son baromètre existe, c’est-à-dire depuis 70 ans.  Philippe Gelie, « George Bush en tournée d’adieux dans la  vieille Europe »,  Le Figaro, Paris, lundi 9 juin 2008, p.8.

[6] Rapport du groupe d’études sur l’Irak, disponible sur : http://www.usip.org/isg/

[7] David Frum, « Bush’s legacy », Foreign Policy, Washington, Septembre-Octobre 2008, p.32

[8] Durant les primaires du parti républicain

[9] La plupart des firmes de lobby basées à Washington sont concentrées dans cette rue.

[10] Qui a contribué notamment à l’effondrement de l’U.R.S.S.

[11] « La position des candidats sur les grands dossiers », service d’information de Washington USINFO,  26 mars 2008, p.8.

[12] Corine Lesnes, « Les médias américains s’interrogent sur le ‘ mystère Obama’ et le flou de son programme », Le Monde, Paris, samedi 23 février 2008, p.4.

[13] Joe Biden est Sénateur du Delaware depuis 1972 et est actuellement président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat. http://foreign.senate.gov/

[14]  « Welcome, Mr would-be President », article non signé de la rédaction, The Economist, Londres, 17 juillet 2008. http://www.economist.com/opinion/displaystory.cfm?story_id=11750395

[15] Borzou Daragahi, « Obama has captivated the world»Los Angeles Times, jeudi 5 juin 2008, p.3.

[16] Crédit contracté avec un emprunteur à risque et incluant des conditions de recalcul des taux d’intérêts pouvant aller jusqu’à un doublement du remboursement. Ces prêts se sont surtout matérialisés sous la forme de crédits hypothécaires.

[17] The American Israel Public Affairs Committee.  www.aipac.org

[18] Jonathan S. Landay,  « McCain, Obama inflate what’s known about Iran’s nuclear program », The Miami Herald, mardi 3 juin 2008, p.6.

[19] Nicholas Wapshott, « Talking to tyrants », The New York Sun, 11 juin 2008, p.2.

[20] Armand Laferrère, « L’Amérique est-elle une menace pour le monde ? », Paris, JC Lattès, 2008, p.94.

[21] Noam N. Levey,  « Obama vows to bask Israel against Iran threat »,  Los Angeles Times,  jeudi 5 juin 2008, p.23.

[22] Armand Laferrère, L’Amérique est-elle une menace pour le monde ? Paris, JC Lattès, 2008, pp.143-144.

[23]  « Obamacain; policy differences ? Sure. But both presidential candidates are also surprisingly in sync. », article non signé, Los Angeles Times, dimanche 8 juin 2008, p.2.

[24] Andrew E. Kramer, Clifford J. Levy, « Rice, in Georgia, Calls on Russia to Pull Out Now »,  New York Times, 15 août 2008. http://www.nytimes.com/2008/08/16/world/europe/16georgia.html Borzou Daragahi et Maura Reynolds, « Harsh words heat up Georgia crisis », Los Angeles Times, 16 août 2008.

http://www.latimes.com/news/nationworld/world/la-fg-ossetia16-2008aug16,0,4516389.story

[25] « McCain et Obama sur l'Iran, la Russie et la sécurité des Etats-Unis », article non signé, Le Monde, 27 septembre 2008.

http://www.lemonde.fr/elections-americaines/article/2008/09/27/mccain-et-obama-sur-l-iran-la-russie-et-la-securite-des-etats-unis_1100287_829254.html

[26] Michael Finnegan, « Palin talks tough on Iran, Russia in ABC interview », Los Angeles Times, 12 septembre 2008.

http://www.latimes.com/news/nationworld/nation/la-na-palin12-2008sep12,0,3693136.story, page consultée le 7 octobre 2008.

[27] Le vendredi 26 septembre 2008.

[28] « McCain et Obama sur l'Iran, la Russie et la sécurité des Etats-Unis », article non signé, Le Monde, 27 septembre 2008.

http://www.lemonde.fr/elections-americaines/article/2008/09/27/mccain-et-obama-sur-l-iran-la-russie-et-la-securite-des-etats-unis_1100287_829254.html

[29] The best of enemies, article non signé, in “The battle of hope and experience”, supplément de la rédaction relatif aux élections présidentielles, The Economist, Londres, 4-10 octobre 2008, p.10.


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