L’affirmation de Barack Obama en tant que commandant en chef



 

 

Le 28 avril dernier, le président Barack Obama annonçait le remplacement du secrétaire à la Défense Robert Gates par le directeur de la CIA (Central Intelligence Agency) Leon Panetta[1]. Si le départ de M. Gates, qui avait accepté d’être reconduit à la tête du Pentagone à condition de pouvoir quitter son poste avant la fin du mandat présidentiel, n’est pas une surprise, il provoque un remaniement en cascade, riche d’enseignements sur le fonctionnement de l’administration et sur l’évolution de la politique américaine en matière de sécurité nationale. Il intervient également à un moment clé de la présidence Obama. La réussite de l’audacieuse opération clandestine ayant abouti à la mort d’Oussama Ben Laden constitue en effet un succès personnel majeur pour M. Obama et devrait considérablement augmenter sa stature de commandant en chef.

 

Pour remplacer M. Panetta à la tête de la CIA, le président Obama a nommé le général David Petraeus, ancien responsable des opérations militaires américaines en Afghanistan. Ce dernier sera remplacé par le général John Allen. Enfin, l’ancien ambassadeur à Kabul et Bagdad, Ryan Crocker, a été choisi pour être le nouvel ambassadeur en Afghanistan, en remplacement de Karl Eikenberry. Soumis à l’approbation du Sénat, ces changements devraient être effectifs dans les mois à venir.

 

Si selon le président Obama, ce remaniement s’inscrit dans la continuité[2], il marque toutefois une étape importante de sa présidence. Pour pallier son manque d’expérience, Barack Obama avait en effet choisi, comme son prédécesseur, de s’entourer d’une équipe particulièrement expérimentée. Il demanda ainsi à Robert Gates de conserver son poste au Pentagone et à Hillary Clinton de devenir secrétaire d’Etat. Pour coordonner le processus d’élaboration de la politique étrangère, de défense et de sécurité au sein du Conseil de sécurité nationale, il nomma le général quatre étoiles à la retraite James Jones, ancien commandant des forces de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Il faut ajouter à cela le vice-président Joe Biden dont le choix avait été largement inspiré par son expérience en matière de politique étrangère.

 

Afin de mieux appréhender la portée de ce remaniement, il convient de se pencher sur le fonctionnement et les particularités de cette administration avant d’étudier le détail des changements annoncés.

 

 

 

  1. Une relation difficile entre la Maison-Blanche et les militaires

 

Alors que l’expérience de l’équipe mise en place par le président Obama était sensée pallier ses lacunes dans le domaine de la sécurité nationale, elle mit à l’épreuve ses capacités de gestionnaire. Les débats sur le retrait des troupes d’Irak, sur la nouvelle stratégie en Afghanistan et les révoltes dans le monde arabe ont en effet mis en exergue les dissensions qui traversaient l’« équipe de rivaux[3] » choisie par M. Obama. Si des tensions sont tout à fait normales, notamment au sein d’une administration confrontée à la gestion de deux guerres, elles sont riches d’enseignements sur les rapports de force qui régissent l’élaboration de la politique de sécurité nationale du président Obama.

 

            w Méfiance entre la Maison-Blanche et les militaires

 

L’inexpérience d’un jeune président démocrate, ayant basé une partie de sa campagne sur l’opposition à la guerre d’Irak, a de toute évidence alimenté le scepticisme de nombreux hauts gradés à l’égard de Barack Obama. Le profil de ce dernier a probablement ravivé au Pentagone des souvenirs des tensions qui s’étaient rapidement installées dès l’arrivée à la Maison-Blanche d’un autre jeune président démocrate : Bill Clinton[4]. Les interrogations des militaires à propos du nouveau président ont ainsi transparu dans leur perception de leur nouveau patron. Lors le leur première rencontre, quelques jours seulement après l’entrée en fonction de M. Obama, certains ont en effet eu l’impression d’avoir en face d’eux un commandant en chef « mal à l’aise et intimidé[5] ».

 

De leur côté, le président Obama et ses conseillers les plus proches sur les questions de sécurité nationale, Mark Lippert et Denis McDonough, semblaient également méfiants à l’égard des militaires et de leur volonté d’augmenter la présence militaire américaine en Afghanistan. En plein débat interne sur la nouvelle stratégie pour l’Afghanistan, les deux principaux responsables des opérations militaires dans le pays, les généraux David Petraeus et Stanley McChrystal tentèrent en effet de faire pression sur la Maison-Blanche pour qu’elle consente à envoyer des renforts. Dans un article signé de l’éditorialiste du Washington Post Michael Gerson, également ancienne plume du président George W. Bush, le général Petraeus apporta son soutien à la stratégie de contre-insurrection du général McChrystal, qui demandait l’envoi de 40 000 soldats supplémentaires en Afghanistan. Sans pouvoir « garantir » le succès le cette option, le général Petraeus indiqua que sans moyens supplémentaires, l’échec était assuré[6].

 

Quelques semaines plus tard, le général McChrystal dénonça publiquement, lors d’une conférence à Londres, l’option défendue par le vice-président Biden dans le débat sur la stratégie afghane. Sans le citer nommément, le général McChrystal indiqua être opposé à toute réduction de la présence militaire américaine en Afghanistan, ajoutant qu’une stratégie ne permettant pas de stabiliser le pays était une stratégie « à courte vue[7] ». Ces deux incidents ont été très mal perçus par le président et son entourage qui étaient furieux[8]. Ils ont contribué à accroître la méfiance des proches du président. De l’autre côté, ils révélaient le dédain des militaires pour les conseillers de M. Obama, tous issus de son équipe de campagne, et leur tendance à appréhender l’action présidentielle sous l’unique prisme de la politique. Dans l’ouvrage du journaliste Bob Woodward, David Axelrod, un des plus proches conseillers et amis du président Obama, est par exemple décrit par le général Petraeus comme l’archétype du « conseiller en communication[9] ».

 

Mais la fracture entre la Maison-Blanche et les responsables militaires apparut véritablement en juin 2010 avec la publication par le magazine Rolling Stones d’un long portrait du général McChrystal[10]. Avec une candeur déconcertante, le général évoque sa « déception » concernant sa relation avec le président Obama, fait référence au vice-président Biden en des termes peu appropriés et va même jusqu’à qualifier le conseiller à la sécurité nationale, James Jones, de « clown[11] ». Confronté au tollé provoqué par cet article, le général McChrystal n’eut d’autre choix que de présenter sa démission au président Obama, qui l’accepta[12].

 

            w Des divergences de fond

 

En plus de ces querelles de personnes, les relations entre la Maison-Blanche et la hiérarchie militaires furent marquées par des divergences de fond. Sur la question de l’Afghanistan, le général McChrystal, soutenu par le général Petraeus, défendait une stratégie de contre insurrection prenant en compte la protection des populations civiles et nécessitant l’envoi d’au moins 40 000 soldats supplémentaires. Le président Obama était hésitant mais ne semblait pas disposé à donner satisfaction aux deux généraux, estimant que le Pentagone ne lui avait pas présenté d’alternatives crédibles. Selon Bob Woodward, le président aurait même été tenté de faire un pied de nez aux militaires en n’envoyant que 10 000 soldats supplémentaires pour la formation des forces armées afghanes[13]. Il autorisa finalement, en décembre 2009, le déploiement de 30 000 hommes mais pour une durée limitée, fixant le début du retrait au mois de juillet 2011.

 

D’autres dissensions sont apparues sur des dossiers comme celui de la Libye. La position hésitante de Washington sur ce point est en effet le reflet de nouvelles frictions entre le Pentagone et la Maison-Blanche. Cette dernière souhaitait que les militaires établissent un plan permettant un changement de régime « à bas coût » ne nécessitant pas d’intervention terrestre américaine. Cette option n’était pas réaliste pour le département de la Défense. Comme lors du débat sur l’Afghanistan, la Maison-Blanche eut alors l’impression que les militaires manquaient à leur devoir en ne faisant pas de proposition « politiquement acceptable » au président[14].

 

 

  1. Une centralisation extrême des outils décisionnels

 

Une autre spécificité de l’administration Obama est le degré de centralisation des pouvoirs au sein de la Maison-Blanche. Dès janvier 2009, le Washington Post estimait que jamais depuis Richard Nixon, un président ne s’était autant appliqué à composer une équipe de conseillers capables de « contourner la bureaucratie traditionnelle[15] ». Un ancien officiel du Pentagone et du département d’Etat sous les administrations Johnson et Carter a même décrit le processus de prise de décision de cette administration comme « le plus centralisé » qu’il ait vu[16]. Cette tendance est probablement héritée du fonctionnement de la campagne présidentielle du candidat Obama articulée autour d’une équipe restreinte de proches conseillers. La plupart d’entre eux, notamment Robert Gibbs, David Axelrod, Mark Lippert et Denis McDonough, ont d’ailleurs suivi M. Obama à la Maison-Blanche.

 

            w Diplomatie

 

Les vingt-huit mois d’Hillary Clinton au département d’Etat ont mis en lumière la volonté de la Maison-Blanche d’exercer un contrôle étroit sur la politique étrangère du pays. La nomination par Barack Obama de son ancienne rivale à la tête de la diplomatie américaine avait dans un premier temps été interprétée comme une volonté de bénéficier de la stature de l’ancienne première dame sur la scène internationale pour promouvoir son ambitieux programme. Toutefois, la désignation de trois émissaires chargés de la région Afghanistan Pakistan, du Moyen-Orient et de l’Iran avait été perçue comme un moyen d’encadrer la secrétaire d’Etat qui avait, durant les primaires démocrates, comparé l’inexpérience du sénateur Obama en matière de politique étrangère à celle de George W. Bush[17]. On notera que ces trois émissaires étaient en effet rattachés au département d’Etat mais également à la Maison-Blanche et au président qu’ils devaient conseiller.

 

De plus, l’influence de Mme Clinton sur la politique étrangère de l’administration Obama semble relativement limitée et elle n’est pour l’instant pas parvenue à imposer sa marque sur un dossier spécifique. Si la relation de confiance établie avec Robert Gates lui a permis d’éviter d’être isolée, Hillary Clinton fut néanmoins confrontée à une série de déconvenues comme le transfert de son émissaire en charge de l’Iran, Dennis Ross, à la Maison-Blanche ou l’échec de ses candidats à divers postes d’ambassadeurs[18].

 

Par ailleurs, des divergences sont apparues entre la Maison-Blanche et Mme Clinton sur la question des révoltes dans le monde arabe, notamment en Egypte. Alors que le président américain appelait à ce que le départ du président égyptien Hosni Moubarak intervienne sans tarder, Mme Clinton et son émissaire en Egypte, Frank Wisner, mettaient en garde contre toute précipitation et insistaient sur l’importance du rôle de M. Moubarak pour que la transition se déroule dans les meilleures conditions[19]. Comme à propos des tensions apparues avec les militaires, ces dissensions ont mis en exergue les différences de fond entre Mme Clinton, qui prenait en compte les intérêts stratégiques américains, et les proches conseillers de M. Obama qui y ajoutaient des considérations politiques. Ces derniers souhaitaient en effet que le président accompagne ce mouvement populaire afin que sa position ne vienne pas contredire les idéaux mis en avant lors de son discours du Caire en 2009[20]. Suite à cet épisode, M. Wisner fut écarté par ce qu’il décrivait comme le « comité de réélection » de la Maison-Blanche[21].

 

La volonté de Mme Clinton de ne pas participer à un éventuel second mandat du président Obama – et même les rumeurs sur un éventuel départ anticipé du département d’Etat –  apparaissent comme autant d’indices de sa frustration concernant ses relations avec la Maison-Blanche[22].

 

w Renseignement

 

Cette forte tendance à la centralisation s’est également manifestée dans la gestion des activités de renseignement. Pour diriger la CIA, le président Obama avait désigné Leon Panetta, qui ne disposait d’aucune expérience dans le domaine du renseignement mais qui l’avait soutenu dès les primaires démocrates. La présence de cet homme de confiance du président à la tête de la CIA a permis à la Maison-Blanche de contourner la bureaucratie traditionnelle, représentée par le directeur du renseignement national (Director of National Intelligence, DNI) de l’époque Dennis Blair, en établissant un lien direct avec l’agence de Langley[23]. La conséquence a été un affaiblissement de la fonction fragile de DNI et de vives tensions entre le directeur de la CIA et le DNI qui aboutirent au limogeage de M. Blair en mai 2010.

 

Durant les seize mois de son mandat, Dennis Blair fut également confronté à l’influence de John O. Brennan, ancien conseiller du candidat Obama sur les questions de sécurité, qui avait intégré la Maison-Blanche en tant queconseiller à la sécurité nationale adjoint en charge de la sécurité du territoire et du contre-terrorisme. Un temps pressenti pour diriger la CIA, M. Brennan s’est rapidement imposé comme un des membres de l’administration les plus influents dans l’élaboration de la politique dans les domaines du renseignement et du contre-terrorisme. On notera ainsi que c’est M. Brennan – et non le patron de la communauté du renseignement M. Blair – qui fut dépêchésur les différents plateaux de télévision au plus fort de la polémique après l’attentat manqué de Détroit pour défendre la politique de l’administration Obama contre les critiques émanant notamment du camp républicain[24]. A l’occasion de la mort d’Oussama Ben Laden, c’est également M. Brennan, et non M. Panetta ou le nouveau DNI James Clapper, qui assura le rôle de porte-parole de l’administration concernant cette opération.

 

            w Conseil de sécurité nationale

 

Une autre illustration du degré de centralisation a été, paradoxalement, la marginalisation du conseiller à la sécurité nationale, le général James Jones, pourtant sensé coordonner l’ensemble du processus d’élaboration de la politique américaine dans ce domaine. Alors que les deux hommes ne se connaissaient quasiment pas, Barack Obama l’avait sollicité, avant même l’annonce des résultats de l’élection, pour intégrer son équipe. M. Obama lui proposa d’en devenir un rouage clé en le nommant au poste de conseiller à la sécurité nationale, lui promettant de toujours le consulter avant de prendre ses décisions. Le général Jones accepta, même si, de son propre aveu, il aurait préféré occuper un poste plus en adéquation avec ses précédentes fonctions : celui de secrétaire d’Etat[25].

 

Il éprouva en effet les plus grandes difficultés à s’adapter à cette mission de conseiller et de coordinateur. Ce général, qui a passé quarante ans au sein du Corps des Marines, est apparu en profond décalage avec le fonctionnement de la Maison-Blanche et les jeunes conseillers présidentiels. Alors que ces derniers avaient conservé le rythme frénétique de la campagne présidentielle, le général Jones semblait attaché à ses horaires fixes, allant même jusqu’à consacrer un peu de temps à la mi-journée pour s’adonner à un de ses passe-temps favoris : le cyclisme. Il attribua ces différences d’emplois du temps au manque d’organisation des conseillers de M. Obama[26]. Dans le même temps, il était décrit comme quelqu’un de passif, qui « assistait » aux réunions mais qui ne les « menait[27] » pas comme sa fonction l’aurait voulu. Le général Jones était toutefois conscient du décalage qui existait, se décrivant comme quelqu’un « de l’extérieur » et « de vingt ans plus âgé » que la plupart de ses collègues[28].

 

Ces différences furent à l’origine de tensions entre le général Jones et le premier cercle du président Obama. Le conseiller à la sécurité nationale estimait être mis à l’écart par les proches du président dont le secrétaire général Rahm Emanuel qui semblait plus en phase avec l’adjoint du général Jones, Thomas Donilon. Durant un voyage présidentiel en Europe, le général Jones, qui avait demandé à voir M. Obama, subit l’humiliation de se faire éconduire par un membre du premier cercle présidentiel. Les tensions se calmèrent par la suite avec la plupart des membres de l’entourage du président à l’exception de Mark Lippert que le général Jones soupçonnait d’être à l’origine de fuites destinées à ternir son action[29]. Si le président Obama fit un geste en écartant M. Lippert, l’incapacité du général Jones d’établir une certaine proximité avec le président et de s’intégrer au reste de l’équipe de la Maison-Blanche étaient difficilement contestables. L’effacement du général Jones est une des raisons expliquant les vives tensions apparues avec les militaires durant le débat sur l’Afghanistan et qui ont écorné la stature de M. Obama en tant que commandant en chef. Conscient de cet échec, le général prit la décision de quitter ses fonctions en octobre 2010.

 

 

  1. Un tournant dans la présidence Obama

 

La série de changements annoncés fin avril au sein de l’équipe en charge de la sécurité nationale est indiscutablement une étape importante de la présidence de M. Obama. On observe toutefois qu’elle s’inscrit dans un processus dont les origines sont antérieures à l’annonce du 28 avril dernier.

 

            w Rationalisation du NSC

 

Le secrétaire général de la Maison-Blanche Rahm Emanuel, figure centrale de la présidence Obama, quitta ses fonctions le 1er octobre 2010 pour tenter de se faire élire maire de Chicago[30]. L’annonce de ce départ ouvrit une deuxième phase dans le mandat du président Obama. Dans le même temps, le départ du général Jones fut officialisé et le nom de son successeur, Thomas Donilon, fut révélé. Ce choix illustrait une nouvelle fois la confiance accordée par le président à son entourage et sa méfiance vis-à-vis des personnalités extérieures. M. Donilon avait en effet rejoint l’équipe de campagne du candidat Obama en 2008 en tant que conseiller sur les questions internationales. Cet ancien avocat, proche de Rahm Emanuel, avait notamment participé à la préparation du candidat Obama pour les débats télévisés[31]. Il était devenu l’adjoint du général Jones.

 

Selon son supérieur, M. Donilon, qui disposait de capacités d’organisation « considérables », était parvenu à s’imposer comme un élément « indispensable » pour le président, les autres membres du NSC et son staff[32].

 

La proximité entre M. Donilon et le président tranche avec la distance qui s’était installée entre ce dernier et le général Jones. La relation entre M. Obama et son nouveau conseiller à la sécurité nationale a été mise à l’épreuve à l’occasion de l’assaut contre le complexe d’Oussama Ben Laden dans lequel M. Donilon est crédité d’un rôle « clé[33] ». Elle devrait ainsi contribuer à rationaliser le fonctionnement du NSC et y renforcer l’influence du président. On peut d’ailleurs d’ores et déjà supposer que la présence de M. Donilon a facilité la prise de décision du président Obama qui, dans le cadre de l’opération contre le chef d’al-Qaïda, fut confronté à plusieurs options – dont celle du bombardement du complexe d’Abbottabad – et au scepticisme de certains membres de l’équipe, dont Robert Gates, à propos d’un assaut par le biais d’hélicoptères[34].

 

            w Un homme de confiance au Pentagone

 

Le départ de Robert Gates, prévu pour le courant de l’année 2011, donnait donc au président une opportunité de poursuivre la transformation de son équipe en charge de la sécurité nationale. Parmi les noms cités par la presse américaine au printemps 2011, le directeur de la CIA Leon Panetta apparut rapidement comme le favori pour succéder à M. Gates[35]. Son expérience de parlementaire et d’ancien directeur du Bureau du Budget de Bill Clinton constituait en effet un atout majeur. Dans un contexte de restrictions budgétaires, une des principales missions du nouveau secrétaire à la Défense sera la réduction des dépenses du Pentagone. Par ailleurs, la relation de confiance établie avec M. Obama – confirmée par rôle joué par M. Panetta dans l’opération visant Oussama Ben Laden – offrait au président l’assurance d’avoir au département de la Défense un allié indéfectible pouvant le protéger des ambitions de la hiérarchie militaire, notamment sur l’épineux dossier afghan.

 

M. Panetta, dont le manque d’expérience dans le domaine du renseignement avait alimenté un certain scepticisme, pouvait se prévaloir d’un bilan positif à la tête de la CIA. Il est en effet parvenu à restaurer un climat de sérénité au sein d’une agence ébranlée par une décennie de déconvenues. Il a également contribué à renforcer l’influence et le poids de la CIA au sein de la communauté du renseignement grâce à sa relation directe avec la Maison-Blanche. Elle lui a permis de gagner plusieurs batailles bureaucratiques contre le DNI, qui depuis la réforme de 2004 avait remplacé le directeur de la CIA en tant que patron de la communauté du renseignement américaine.

 

De plus, le succès de l’opération visant Oussama Ben Laden au Pakistan devrait considérablement améliorer le moral de l’agence et lui permettre de redorer son blason vis-à-vis de la communauté du renseignement et de l’opinion publique. La traque des messagers du chef d’al-Qaïda, l’identification du complexe dans lequel il se cachait et la supervision de l’opération constituent en effet des succès à mettre au crédit de la CIA et de son directeur[36].  On observe également que l’évolution des activités de la CIA, dont la dimension paramilitaire s’est considérablement développée durant ces dernières années avec les nombreuses attaques de drones, a contribué à brouiller la frontière entre les activités clandestines d’un service de renseignement et les opérations spéciales menées par les forces armées[37]. Cette expérience devrait faciliter l’intégration de M. Panetta au sein du département à la Défense. Officiellement nommé au Pentagone quelques jours seulement avant l’assaut du 2 mai, Leon Panetta prendra ses fonctions de secrétaire à la Défense en juillet prochain, auréolé d’un prestige qui sera un atout majeur pour le président Obama.

 

La position de M. Obama vis-à-vis des militaires devrait également être renforcée dans les prochains mois avec la probable nomination du général James Cartwright au poste de président du Comité des chefs d’état-major (Chairman of the Joint Chiefs of Staff). Ce Marine, décrit comme le général préféré du président Obama[38], remplacerait l’amiral Michael Mullen qui, en soutenant indéfectiblement la stratégie prônée par les généraux McChrystal et Petraeus sur l’Afghanistan, avait provoqué l’ire de la Maison-Blanche.

 

            w Un adversaire potentiel occupé

 

Pour remplacer M. Panetta à la CIA, le président Obama a décidé de nommer le responsable des opérations militaires en Afghanistan, le général David Petraeus, qui devait quitter son poste à l’automne. Il devrait abandonner son uniforme et prendre ses fonctions à Langley au mois de septembre. Son expérience dans le domaine de la contre insurrection en Irak et en Afghanistan est un sérieux atout pour les activités paramilitaires de l’Agence en Afghanistan et au Pakistan. En plus de sa familiarité avec les principaux théâtres d’opération, le général Petraeus est également un fin connaisseur du renseignement. Lorsqu’il dirigeait le CENTCOM, commandement responsable des opérations militaires américaines de l’Egypte au Pakistan, il créa une division dédiée au renseignement[39]. La tâche qui l’attend à Langley sera toutefois plus complexe. Le général Petraeus sera en effet confronté à d’importants défis comme la gestion du budget de l’Agence, de ses relations avec le reste de la communauté, notamment le DNI, et la dimension diplomatique du poste de directeur de la CIA. Sur ce dernier point, sa bonne connaissance des responsables militaires pakistanais sera précieuse pour rétablir un semblant de confiance entre la CIA et l’ISI (Inter-Services Intelligence).

 

Pour le président Obama, la nomination du général Petraeus à la CIA présente un certain nombre d’avantages. Même si son départ du poste de commandant des opérations en Afghanistan était prévu, il devrait augmenter la marge de manœuvre du président sur le dossier afghan dont le retrait doit débuter en juillet prochain. La carrière militaire du général aurait en effet pu le destiner à d’autres fonctions prestigieuses de la hiérarchie militaire comme celle de président du Comité des chefs d’état-major dont une des missions est de conseiller le président. Etant donné les divergences apparues entre les deux hommes sur la stratégie afghane, la nomination du général Petraeus à la tête de la CIA permet donc à M. Obama de limiter son influence sur ce dossier tout en lui offrant, par l’intermédiaire des opérations de la CIA en Afghanistan et au Pakistan, un rôle opérationnel important. Pour le président, cette décision a également le mérite de maintenir le général au sein de son équipe, évitant d’en faire un critique extérieur de l’action de l’administration.

 

Enfin, cette nomination limite les chances de voir le général Petraeus se présenter à l’élection présidentielle de 2012 en tant que candidat du parti républicain. Si le général a déjà exclu toute candidature, cette perspective reste une source d’inquiétude pour la Maison-Blanche[40].

 

 

 

  1. Conclusion

 

Comme nombre de ses prédécesseurs, Barack Obama est arrivé à la Maison-Blanche sans grande expérience des questions liées à la sécurité nationale. Devant l’importance de ces dossiers, il choisit de se montrer prudent en s’entourant d’une équipe aguerrie. Il imita en cela le président George W. Bush qui avait également mis en place une équipe composée d’anciens secrétaires à la Défense, Dick Cheney et Donald Rumsfeld, et d’un ex-président du Comité des chefs d’état-major, Colin Powell. Dans les deux cas, on s’aperçoit que le président s’est retrouvé otage des divisions de son cabinet et a eu une marge de manœuvre relativement limitée.

 

Concernant la gestion des affaires internationales, la première phase du mandat de M. Obama a été marquée par le déficit de confiance rapidement apparu entre lui et ses conseillers d’un côté, et la hiérarchie militaire de l’autre. Sur ce point, l’expérience de son conseiller à la sécurité nationale James Jones et du secrétaire à la Défense Robert Gates ne lui a pas été d’un grand secours, ces derniers n’ayant pas véritablement joué leur rôle de modérateur. Ceci a contribué à l’émergence d’une politique étrangère manquant de lisibilité, notamment à l’égard de l’Afghanistan et des révoltes dans le monde arabe, et contribuant à donner l’image d’un président irrésolu.

 

Le remaniement intervenu en avril dernier devrait apporter une plus grande cohérence à la politique du président Obama. Il se caractérise par un renforcement du degré de centralisation du fonctionnement de l’administration et une augmentation de la marge de manœuvre du président et de la Maison-Blanche. L’arrivée de Thomas Donilon au poste de conseiller à la sécurité nationale et de Leon Panetta au Pentagone devrait fluidifier le processus d’élaboration de la politique étrangère, de défense et de sécurité des Etats-Unis. Combiné avec le succès personnel que représente la mort d’Oussama Ben Laden, ce remaniement illustre l’émancipation du président Obama en tant que commandant en chef et ouvre ainsi une nouvelle phase de sa présidence.

 

Toutefois, cette cohérence accrue n’est pas nécessairement un gage d’efficacité. Cet environnement confortable et beaucoup plus consensuel pourrait s’avérer risqué pour un président dont l’expérience reste mince. M. Obama devra s’attacher à élargir l’éventail des positions qui lui seront présentées afin de tester la pertinence de ses options et d’éviter l’écueil d’une trop grande politisation de son action à l’approche de l’élection de 2012. Dans cette optique, la place d’Hillary Clinton, affaiblie par le départ de son principal allié Robert Gates et qui risque donc d’être marginalisée, sera révélatrice du niveau de pluralisme au sein de la nouvelle administration.

 

 

 

 

© ESISC 2011



[1] Scott Wilson, « Obama officially announces his senior national security nominees », The Washington Post, 28 avril 2011. http://www.washingtonpost.com/politics/obama-officially-announces-his-senior-national-security-nominees/2011/04/28/AF2YwZ8E_story.html

[2] Josh Gernstein, « Obama unveils national security team », Politico, 28 avril 2011. http://www.politico.com/news/stories/0411/53890.html

[3] Joe Klein, « Obama’s Team of Rivals », Time, 18 juin 2008. http://www.time.com/time/politics/article/0,8599,1815849,00.html

[4] La volonté du président Clinton de permettre aux homosexuels de pouvoir servir ouvertement dans les forces armées fut une source de vives tensions avec les principaux responsables militaires durant leurs premières entrevues avec le nouveau président. La bataille sur cette question fut finalement remportée par les militaires qui, pour la plupart, perçurent le président comme un adversaire durant ses deux mandats.

[5] Michael Hastings, « The Runaway General », Rolling Stones, No. 1108/1109, 8-22 juillet 2010. http://www.rollingstone.com/politics/news/the-runaway-general-20100622?print=true

[6] Michael Gerson, « In Afghanistan, No Choice but to Try », The Washington Post, 4 septembre 2009. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/09/03/AR2009090302862.html

[7] John F. Burns, « McChrystal Rejects Scalling Down Afghan Military Aims », The New York Times, 1er octobre 2009. http://www.nytimes.com/2009/10/02/world/asia/02general.html

[8] Bob Woodward, Obama’s Wars, New York, Simon & Schuster, 2010, pp. 158-159, 194.

[9] Ibid., p. 158.

[10] Michael Hastings, op. cit.

[11] Ibid.

[12] Mark Lander, « Short, Tense Deliberation, Then a General Is Gone », The New York Times, 23 juin 2010. http://www.nytimes.com/2010/06/24/us/politics/24decide.html?hp=&pagewanted=print

[13] Bob Woodward, op. cit., p. 304.

[14] David Wood, « Obama White House, Pentagon At Odds Over Libya Policy », The Huffington Post, 20 avril 2011. http://www.huffingtonpost.com/2011/04/20/obama-white-house-pentagon_n_851705.html

[15] Michael D. Shear, Ceci Connolly, « Obama Assembles Powerful West Wing », The Washington Post, 8 janvier 2009. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/01/07/AR2009010703868.html?nav=hcmodule

[16] Robert Dreyfuss, « Obama’s Chess Masters », Rolling Stones, 14 mai 2009.

[17] « Clinton Touts Foreign Policy Experience », The Associated Press, 20 décembre 2007. http://www.cbsnews.com/stories/2007/12/20/politics/main3636238.shtml

[18] Mark Lander, « For Clinton, ’09 Is for Her Turf », The New York Times, 16 juillet 2009.

[19] Helene Cooper, Mark Lander, David E. Sanger, « In U.S. Signals to Egypt, Obama Straddled a Rift », The New York Times, 12 février 2011. http://www.nytimes.com/2011/02/13/world/middleeast/13diplomacy.html?_r=1&hp=&pagewanted=print

[20] Ibid.

[21] Ryan Lizza, « The Consequentialist », The New Yorker, 2 mai 2011. http://www.newyorker.com/reporting/2011/05/02/110502fa_fact_lizza?currentPage=all

[22] David Rothkopf, « A brewing storm in the national security team? », Foreign Policy, 21 avril 2011. http://rothkopf.foreignpolicy.com/posts/2011/04/21/a_brewing_storm_in_the_national_security_team

[23] Raphaël Ramos, Barack Obama et la tentation de la politisation du renseignement, ESISC, janvier 2009. http://www.esisc.net/TEWN/pdf/547934249_F19.pdf

[24] Raphaël Ramos, Etats-Unis : La démission de Dennis Blair et les carences de la fonction de directeur du renseignement, ESISC, juin 2010. http://www.esisc.net/TEWN/pdf/419598541_F4.pdf

[25] Bob Woodward, op. cit., pp. 36-39.

[26] Helene Cooper, « National Security Adviser Takes Quieter Approach », The New York Times, 7 mai 2009.

[27] Joe Klein, « Joe Klein on the President’s Impressive Performance thus Far », Time, 23 avril 2009. http://www.time.com/time/printout/0,8816,1893277,00.html

[28] Karen DeYoung, « In Frenetic White House, A Low-Key Outsider », The Washington Post, 7 mai 2009. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/05/06/AR2009050604134.html

[29] Bob Woodward, op. cit., pp. 137-140.

[30] Rahm Emanuel fut dans un premier remplacé par Pete Rouse qui assura l’intérim. Son véritable successeur, William Daley, prit ses fonctions en janvier 2011.

[31] Scott Wilson, « Security job goes to insider », The Washington Post, 9 octobre 2010. http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/10/08/AR2010100806875_pf.html

[32] Bob Woodward, op. cit., p. 199.

[33] John E. Mulligan, « R.I. native plays key planning role in assault on bin Laden », The Providence Journal, 3 mai 2011. http://www.projo.com/news/content/TOM_DONILON_ROLE_05-03-11_6LNSL2D_v8.1af923d.html

[34] Mark Mazzetti, Helene Cooper, Peter Baker « Clues Gradually Led to the Location of Qaeda Chief », The New York Times, 2 mai 2011.

[35] David E.  Sanger, Thom Shanker, « Obama Is Set to Redo Team on War Policy », The New York Times, 6 avril 2011. http://www.nytimes.com/2011/04/07/world/07team.html?_r=1

[36] Massimo Calabresi, « The CIA Gets a Rare Public Victory », Time, 2 mai 2011. http://swampland.time.com/2011/05/02/the-cia-gets-it-right/

[37] Mark Mazzetti, Eric Schmitt, « Obama’s Pentagon and C.I.A. Picks Show Shift in How U.S. Fights », The New York Times, 28 avril 2011. http://www.nytimes.com/2011/04/28/us/28military.html?_r=1&hp

[38] Bob Woodward, op. cit., p. 235.

[39] Eli Lake, « Petreus to open intel training center », The Washington Times, 24 août 2009. http://www.washingtontimes.com/news/2009/aug/24/petraeus-to-open-intel-training-center/

[40] Scott Wilson, Greg Jaffe, « Obama to remake national security team », The Washington Post, 6 avril 2011. http://www.washingtonpost.com/world/obama-to-remake-national-security-team/2011/04/06/AFdBzerC_story.html


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