Le président Musharraf peut-il survivre politiquement aux résultats des élections du 18 février ?



 

 

Le 18 février dernier, le Pakistan organisait les neuvièmes élections générales de son histoire. Du fait de la crise politique et sécuritaire qui secoue le pays, ce scrutin a revêtu une importance considérable, tant pour l’avenir des institutions que pour l’alliance dans la guerre contre le terrorisme. Confrontés à la dégradation de la situation au sud de l’Afghanistan, les pays ayant envoyé des troupes dans le cadre de la Force d’assistance internationale à la sécurité (ISAF) ont ainsi observé de très près le déroulement de ces élections.

Dès l’annonce des résultats, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France ont fait part de leur anxiété au président Musharraf et au grand vainqueur des élections, Asif Ali Zardari, veuf de Benazir Bhutto et co-président du Parti du peuple pakistanais (PPP). Le département d’Etat américain a aussi exprimé son espoir de voir rester en place l’un de ses alliés les plus fidèles dans le combat contre Al-Qaïda[1]. Les alliances qui seront conclues au cours des prochaines semaines seront donc capitales pour son avenir à la tête de l’Etat, qui semble aujourd’hui bien compromis par le message des urnes.

 

Neuf ans après le coup d’Etat qui a porté Pervez Musharraf au pouvoir, le 12 octobre 1999, ces élections ont marqué le retour de la démocratie au Pakistan. De l’avis général des observateurs locaux et internationaux, et malgré les appréhensions de l’opposition, elles ont été régulières, sans doute parmi les plus honnêtes et équitables à y avoir été organisées depuis 1947[2]. En effet, la défaite du camp présidentiel était tant attendue qu’une manipulation du scrutin aurait été très difficile.

Les électeurs ont donc exprimé un vote de rejet massif de la politique du président Musharraf et de l’actuel gouvernement de la Ligue musulmane du Pakistan - Qaïd-e-azam (PML-Q). Au contraire, ils ont accordé la victoire aux deux principaux partis d’opposition, le PPP et la Ligue musulmane du Pakistan - Nawaz de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif. Par ailleurs, ils ont également infligé une véritable déroute à la coalition islamiste MMA, proche des Talibans et des rebelles des zones tribales du Nord-ouest, dont deux partis membres avaient boycotté le scrutin[3].

 

Nous tracerons dans ces lignes le profil des différents acteurs dont dépendra l’avenir du Pakistan : les vainqueurs du scrutin du 18 février, le PPP et la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N), et les vaincus, la Ligue musulmane du Pakistan-Qaïd-e-azam (PML-Q) et les islamistes. Nous verrons aussi le rôle que pourraient jouer deux partis pivots, le Muttahida Qaumi Movement (MQM) et l’Awami National Party (ANP), qui seront probablement appelés dans la future coalition gouvernementale. Enfin, après avoir présenté les différentes hypothèses qui se présentent pour la formation du gouvernement, nous essayerons de voir les chances qu’elles peuvent offrir à Pervez Musharraf de conserver son mandat présidentiel.

 

 

  1. Les vainqueurs du scrutin

 

    1. Le PPP : le retour du clan Bhutto

 

Avec 89 sièges, le grand vainqueur du scrutin est sans conteste le Parti du peuple pakistanais (PPP) de l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto, assassinée le 27 décembre dernier lors d’un rassemblement électoral à Rawalpindi[4]. Le PPP aura donc réussi à capitaliser sur le sentiment de sympathie né du décès tragique de sa présidente et sur le rejet du régime manifesté par la population. Aujourd’hui co-présidé par le veuf de Benazir Bhutto, Asif Ali Zardari, et par son fils, Bilawal Bhutto Zardari, le PPP sera sans aucun doute la formation dominante du prochain gouvernement. Dès à présent, ses dirigeants se sont ainsi accordés sur leur candidat au poste de Premier ministre, Makhmood Amin Fahim, vice-président du parti et fidèle du clan Bhutto[5]. Handicapé par plusieurs scandales de corruption – il a passé plusieurs années en prison – et ne s’étant pas présenté aux élections, Asif Ali Zardari ne peut en effet pas prétendre à la direction du gouvernement. Héritier désigné par les dernières volontés de son épouse, son influence restera néanmoins prépondérante sur les orientations que choisira le parti dans les prochaines semaines[6].

 

Fondé par Zulfikar Ali Bhutto, initiateur du grand programme de nationalisations des années 70, le PPP se présente toujours comme un parti progressiste, qui a promis de « se débarrasser des islamistes. » Les femmes, les classes moyennes inférieures et les défavorisés constituent sa base électorale. Interdit par le général Zia ul-Haq en 1977, le PPP a retrouvé le pouvoir après sa mort en 1988. Indissociable de la figure de son fondateur, le parti a été dirigé depuis par sa fille Benazir. Celle-ci a occupé le poste de Premier ministre à deux reprises, de décembre 1988 à août 1990 et d’octobre 1993 à novembre 1996, et en a été chassée deux fois suite à des scandales de corruption, dont la responsabilité a été attribuée en grande partie à son mari. Eduquée en Angleterre et aux Etats-Unis, Benazir Bhutto incarnait l’élite occidentalisée du Pakistan, plus à l’aise en anglais qu’en urdu. Cette proximité avec l’Occident explique le soutien dont elle bénéficiait de la part des Etats-Unis, dont les pressions avaient permis son retour en octobre dernier, huit ans après son départ en exil.

 

Le PPP dispose enfin du soutien del’Awami National Party (Parti national du peuple, ANP). Bien implanté dans la province de la Frontière du Nord-ouest (NWFP) et au nord du Baloutchistan, ce parti nationaliste pashtoune de centre gauche y a obtenu d’excellents résultats électoraux. L’ANP est l’héritier du National Awami Party d’Abdul Wali Khan, que la Cour suprême avait interdit dans les années 70 à la demande de Zulfikar Ali Bhutto, qui voyait en lui une menace pour l’unité du Pakistan. C’est le général Zia qui a libéré son président et l’a autorisé à reprendre ces activités politiques après son coup d’Etat.  Ironiquement, l’ANP s’est donc aujourd’hui rangé aux côtés du parti fondé par l’homme qui l’avait fait interdire. Les deux mouvements s’opposent en effet aux islamistes qui dirigeaient la NWFP depuis 2002 en affichant leur proximité avec les Talibans, exilés au Pakistan depuis l’intervention militaire américaine de l’automne 2001 en Afghanistan. Ensemble, ils forment donc un front anti-islamiste, et une alliance avec le président Musharraf pourrait constituer une garantie de poursuite de la guerre contre le terrorisme[7].

 

    1. Nawaz Sharif, le retour du « tigre »

 

La ligue musulmane du Pakistan - Nawaz (PML-N) est arrivée deuxième d’un scrutin qu’elle avait menacé de boycotter, remportant 66 sièges à l’Assemblée nationale[8]. Parti conservateur, la PML-N rassemble les membres de la Ligue musulmane du Pakistan (PML) restés fidèles à l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif après son éviction du pouvoir en 1999. Renversé par le général Musharraf, il avait été condamné en 2000 à la prison à perpétuité par un tribunal antiterroriste pour « détournement d’avion », avant d’être autorisé à s’exiler pour une période de dix ans en Arabie saoudite[9]. La plupart des membres de son parti rejoignirent alors la Ligue musulmane du Pakistan - Qaid-e-Azam, rangée derrière le nouveau régime. Rentré d’exil en novembre dernier, grâce à la médiation de Ryad, Nawaz Sharif s’est vu interdire la participation aux élections, ainsi que son frère Shahbaz[10]. La PML-N reste cependant indissociable de son chef, et si son accession au poste de Premier ministre est conditionnée à l’adoption d’un amendement constitutionnel, il restera incontournable pour tout gouvernement comprenant son parti.

 

Né le 10 décembre 1949 à Lahore, Nawaz Sharif est issu d’une puissante famille industrielle du Pendjab, alliée au général Zia ul-Haq. Nationalisée en 1972 par Zulfikar Ali Bhutto, la fonderie familiale fut en effet rendue aux Sharif après le renversement de celui-ci. La famille s’appuya ensuite sur son réseau relationnel pour constituer un empire industriel et s’investir en politique. En 1981, Nawaz devint ainsi ministre des Finances du Pendjab, avant d’en être nommé Chief minister en 1985. A la tête de la province la plus peuplée et la plus représentée du pays dans l’administration et l’armée, Nawaz Sharif était déjà un homme politique de premier plan. Après la mort du général Zia en 1988, il prit donc la tête de la coalition conservatrice Islami-Jamhoori-Ittehad (IJI), et accéda au poste de Premier ministre en novembre 1990 sous les couleurs de la PML, après la chute du premier gouvernement de Benazir Bhutto. A l’image de cette dernière, il devait être destitué pour corruption en 1993 par le président Ghulam Ishaq Khan[11].

 

En 1997, il retrouvait le pouvoir après la chute du deuxième gouvernement de Benazir Bhutto. Durant ce mandat, il fit adopter des lois renforçant considérablement les pouvoirs du Premier ministre, abolissant notamment le huitième amendement de la Constitution, qui permettait au chef de l’Etat de le limoger. Il imposa également une stricte discipline aux députés de son parti, faisant adopter le quatorzième amendement, qui permet de priver de leurs mandats des parlementaires refusant de voter suivant les instructions de leur parti[12]. S’il gouverna avec pragmatisme du point de vue économique, son mandat fut aussi marqué par le dogmatisme islamique. Il tenta ainsi d’imposer l’application de la Charia et de se faire attribuer le titre de « commandeur des croyants. » Sous son mandat, le Pakistan devint une puissance nucléaire en 1998 et apporta un soutien sans faille au régime taliban installé à Kaboul[13].

Enfin, il faut rappeler que Nawaz Sharif s’opposa frontalement au président de la Cour suprême, Syed Sajjad Ali, sur plusieurs problèmes légaux et constitutionnels. Il le démit de ses fonctions dès novembre 1997, après que des manifestations organisées par des membres de la PML aient perturbé les travaux de la cour. Rappelons que l’une des principales revendications de Nawaz Sharif est aujourd’hui le rétablissement d’une justice indépendante, susceptible d’annuler le mandat présidentiel de Pervez Musharraf.

 

 

  1. Le camp présidentiel

 

    1. La PML-Q a payé pour l’impopularité du président Musharraf

 

Le parti présidentiel a connu une défaite cuisante lors du scrutin de lundi. La PML-Q a non seulement perdu une grande partie de sa représentation parlementaire, mais plusieurs de ses figures symboliques n’ont pas été réélues. L’ancien Premier ministre et président du parti, Chaudhry Shujaat Hussain, a ainsi perdu dans sa circonscription de Gujarat, face à l’ancien secrétaire général du PPP, Chaudry Ahmed Mukthar. De même, ont été battus le président du Parlement, Choudry Amir Hussain, l’ancien ministre de la Défense, Rao Sikandar Iqbal, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Khurshid Mahmood Kasuri, l’ancien ministre des Transports, Shaikh Rashid Ahmed, ainsi que plusieurs autres ministres du gouvernement du Premier ministre Shaukat Aziz[14]. Dès l’annonce des premiers résultats, le porte-parole du parti, Tariq Azeem, a dû reconnaître la défaite et a déclaré que « la PML-Q s’apprêtait à siéger dans l’opposition et félicitait les vainqueurs du scrutin. » Sous couvert de l’anonymat, un autre responsable du parti se déclarait « choqué », ajoutant que « le facteur Nawaz avait joué un grand rôle dans la défaite.[15] »

 

A la veille des élections, le président Musharraf affichait une grande confiance, contestant des sondages « biaisés » réalisés par des ONG internationales[16]. Le gouvernement défendait en effet un bilan économique appréciable, présentant une croissance annuelle moyenne de 7,5% depuis 2004 et une forte demande intérieure. Ce résultat a été obtenu grâce à une politique fiscale expansionniste, un rétablissement du secteur agricole, une bonne tenue du secteur industriel et une forte augmentation des services[17]. Cette croissance soutenue a toutefois produit un phénomène d’inflation et un déficit des comptes publics inquiétant qui va se poser au nouveau gouvernement[18]. Cette politique économique a été menée sous la direction de l’ancien Premier ministre et ministre des Finances, Shaukat Aziz, ancien cadre dirigeant de Citibank, appelé au gouvernement dès 1999 par le président Musharraf. Son bilan n’aura toutefois pas été suffisant pour éviter au parti l’échec électoral du 18 février. Ses dirigeants craignent maintenant un exode de ses membres et de ses élus vers la PML-N, dont provient la plupart d’entre eux[19].

 

Le président Musharraf a été obligé d’assumer des choix difficiles pour sa popularité, dont l’alignement sur les Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. Cette politique ne fut pas exempte d’ambiguïtés, le chef de l’Etat s’appuyant sur les partis islamistes pour gouverner et négocier des accords avec les tribus rebelles pashtounes des Federally Administered Tribal Areas (FATA). Le gouvernement fut néanmoins incapable d’empêcher l’implantation des Talibans et d’Al-Qaïda au sein de ses frontières. Au contraire, le Pakistan sombra dans un cycle de violence qui culmina avec l’assaut lancé contre la Mosquée rouge d’Islamabad en juillet 2007[20]. De plus, le président provoqua la révolte du monde judiciaire en destituant le 9 mars dernier le président de la Cour suprême, Ifthikar Mohammed Chaudry, considéré comme un frein à la lutte contre le terrorisme[21]. L’installation de l’instabilité politique et la poursuite d’une vague d’attentats sans précédent a enfin amené le président à déclarer l’état d’urgence en mars 2007, provoquant un rejet massif de la population. Celle-ci aura donc sanctionné brutalement le « parti du roi », retirant sans conteste sa confiance au gouvernement de Pervez Musharraf.

 

    1. Maintien du MQM

Le Muttahida Qaumi Movement (MQM), parti représentant essentiellement la communauté muhadjire – les musulmans indiens exilés au Pakistan au moment de la Partition de 1947 – a maintenu ses positions par rapport au scrutin de 2002. Il disposera ainsi de 19 députés à l’Assemblée nationale et de 38 députés à l’Assemblée de la province du Sindh, son fief traditionnel, où il arrive deuxième derrière le PPP[22]. Allié jusqu’ici au président Musharraf, lui-même un Muhadjir, le président du parti, Altaf Hussain, s’est toutefois dit prêt à rejoindre le PPP au sein d’une coalition gouvernementale. Un dirigeant du MQM, Mohammad Farouq Sattar, a ainsi déclaré qu’il allait « proposer une coalition à Zardari. » « Je pense que Zardari a également fait cette offre à M. Altaf Hussain », a-t-il enfin ajouté[23]. Le MQM a participé à quatre des cinq derniers gouvernements.

La configuration la plus favorable pour une telle alliance serait une coalition avec le PPP et la PML-Q. Une alliance avec la PML-N, avec laquelle le MQM a déjà partagé le pouvoir entre 1997 et 1999, semble en effet plus difficile en raison de profonds désaccords politiques. « Même une pilule amère peut être avalée, je ne l’écarte pas », a toutefois concédé Mohammad Farouq Sattar, ajoutant qu’il n’y avait « pas de point final en politique. » Il sera cependant difficile pour les deux partis de s’accorder sur l’attitude à adopter face au président Musharraf. Alors que Nawaz Sharif veut obtenir à tout prix le départ de l’homme qui l’a chassé du pouvoir, la MQM est partisan d’une approche plus conciliante, voulant continuer à travailler avec le président, quitte à lui « offrir une sortie honorable » au bout de deux ans. Quoiqu’il en soit, la décision sur une participation du MQM à un gouvernement devra être décidée par le secrétariat international du parti, établi à Londres depuis le départ d’Altaf Hussain, accusé de violences et de tortures au Pakistan[24].

 

 

  1. Déroute des islamistes

 

L’un des faits marquants des élections du 18 février aura été le revers cinglant de la coalition islamiste Muttahidda Majlis-e-Amal (Coalition pour l’action – MMA), tant à l’Assemblée nationale, où elle ne disposera plus que de 6 sièges, que dans la province de la Frontière du Nord-Ouest, qui était jusqu’ici sous son contrôle. Elle y perd en effet 60 sièges, ne conservant que 9 sièges à l’Assemblée provinciale[25].

 

 

 

La MMA se compose de trois partis :

 

  • la Jamiat Ulema-e-islami de Fazlur Rahman      (JUI-F). Comme la plupart des groupes islamistes radicaux d’Asie du      Sud et 65% des madrasas du Pakistan, ce mouvement se réclame de l’école      déobandie[26] ;     
  • la Jama’at-e-islami (JI), plus vieux      parti religieux du pays, qui prône la révolution islamique depuis 1941 ;     
  • la Jamiat Ulema-e-Pakistani,      issue de l’école barelvi, dirigé par Shah      Faridul Haq.

 

Seule la JUI - Fazlur Rahman avait toutefois pris part au scrutin, les deux autres ayant proclamé un boycott en raison de la poursuite des combats dans les zones tribales et dans la province de la frontière du Nord-ouest. Si leur déroute est en partie imputable à ce boycott, elle y a été accueille par une immense explosion de joie, notamment à Peshawar, la capitale provinciale[27]. Vainqueur par défaut en 2002, les islamistes n’ont pas respecté leurs promesses au cours de leur mandat à la tête de la province. De plus, la mise en place d’une politique fondamentaliste, interdisant notamment la musique, les a écartés de la majorité de la population[28]. Enfin, tant le soutien accordé pendant des années au président Musharraf que leur proximité avec les Talibans ont été sanctionnés par une population épuisée par la crise politique et la violence.

 

L’islamisme politique pakistanais est né avec la fondation de la JI en 1941 par Abu lala Maududi, sur base d’une idéologie d’inspiration fasciste et des préceptes déobandis[29]. En créant la JI, Abu lala Maududi espérait mener une révolution islamique en Inde, tout en s’opposant à la création du Pakistan. Après la partition de 1947, il y immigra néanmoins, et y milita pour le remplacement du régime parlementaire par un Etat islamique. La violence des campagnes menées par le parti força Zulfikar Ali Bhutto à appliquer une partie de son programme et à adopter des lois islamiques dans les années 70[30]. La base électorale traditionnelle de la JI se trouve dans les classes moyennes urbaines inférieures du Pendjab et du Sindh. Si le pouvoir au sein du parti est beaucoup moins personnalisé que chez ses homologues laïcs, la JI dispose d’une structure  très hiérarchisée, essentiellement basée sur l’ancienneté. Le chef du parti est actuellement Qazi Hussein Ahmed, un ancien professeur de la province de la Frontière du Nord-ouest. Il faut enfin rappeler que la JI a créé une branche militaire, le Hizb-ul-Mujahideen, dont les membres sont partis combattre en Afghanistan et au Cachemire indien[31].   

 

Traditionnellement, le Pakistan connaissait deux types d’organisations islamistes, les premières participantes à la vie politique et les deuxièmes se cantonnant à l’espace spirituel et caritatif. L’arrivée au pouvoir du général Zia et la guerre soviétique en Afghanistan a crée un troisième type, les organisations djihadistes, qui ont peu à peu infiltré l’ensemble du courant islamiste.  Le mouvement le plus pénétré de cette idéologie est la JUI- F, dont le chef entretient toujours des liens étroits avec la hiérarchie civile et militaire des Talibans[32].

 

  1. Perspectives gouvernementales

A l’heure où nous écrivons, l’hypothèse gouvernementale la plus probable est une coalition entre le PPP et la PML-N. En dépit de profondes divergences politiques, Nawaz Sharif a en effet annoncé le jeudi 21 février qu’un accord avait été dégagé au cours d’une réunion avec Asif Ali Zardari. Ce dernier a également déclaré que lui et Sharif « entendaient siéger ensemble au Parlement. » Le futur Premier ministre proviendra donc vraisemblablement des rangs du PPP, qui devrait donc choisir son vice-président, Makhdoom Amin Fahim, déjà opposé à Pervez Musharraf lors de l’élection présidentielle du 6 octobre dernier. De plus, les deux dirigeants politiques ont d’ores et déjà refusé la proposition de soutien lancée par le président Musharraf à tout nouveau gouvernement. « Quel soutien Musharraf pourrait-il nous apporter ? », a ainsi déclaré Nawaz Sharif. Si les négociations entre les deux partis arrivent à leur terme, la formation d’un tel gouvernement représenterait un nouveau revers pour le chef de l’Etat, qui verrait une coalition de ses opposants partager le pouvoir.

Jusqu’ici, la position d’Asif Ali Zardari semblait toutefois beaucoup moins tranchée. S’il se situe également dans l’opposition à Pervez Musharraf, il ne partage pas l’avis de Nawaz Sharif sur des juges susceptibles d’annuler l’amnistie qui lui a été accordée pour des crimes de corruption commis avant 1999. Il pourrait donc finalement privilégier une alliance avec la Ligue musulmane du Pakistan-Quaid-i-Azam (PML-Q), le parti présidentiel, et le MQM. Le président de la PML-Q, Chaudhry Shujaat Hussain, aurait déjà rencontré des membres de la direction du PPP à Rawalpindi pour aplanir les différents et dégager un accord de majorité. Une telle coalition aurait également le soutien des Etats-Unis, qui ont toujours privilégié une alliance entre le président Musharraf et le PPP pour poursuivre la guerre contre le terrorisme. Selon des membres de la PML-N cités par CNN et le site d’information pakistanais IBN live sous couvert d’anonymat, le camp de Nawaz Sharif commencerait à douter de la sincérité de l’engagement d’Asif Ali Zardari pour la formation d’un gouvernement d’opposition à Pervez Musharraf[33].

 

Enfin, quoique peu probable, la possibilité d’une nouvelle intervention de l’armée dans le jeu politique n’est pas à exclure. Si une coalition entre le PPP et la PML-N tentait effectivement de le destituer ou de faire annuler son mandat, le président Musharraf pourrait dissoudre le Parlement ou demander à l’armée de lui redonner le pouvoir. Le nouveau chef d’état-major, le général Ashfaq Kiyani, un proche de Pervez Musharraf, a cependant prévenu qu’il entendait se recentrer sur des activités strictement militaires. Si elle a engrangé des succès dans la vallée de Swat, contre le Tehrik Nifaz-e-Shariat Mohammadi[34], l’armée s’est jusqu’ici montrée incapable de vaincre les combattants islamistes des zones tribales. De plus, l’enlèvement de plusieurs centaines de soldats par des militants islamistes a porté un coup très dur au prestige de l’institution militaire. Celle-ci dispose toutefois encore d’intérêts économiques considérables, largement renforcés sous l’autorité de Pervez Musharraf. Une politique visant à lui retirer ces avantages pourraient donc provoquer une réaction, même si celle-ci reste fort improbable à l’heure actuelle.

 

 

  1. La fin du règne de Pervez Musharraf ?

 

Les résultats des élections du 18 février marquent certainement un tournant majeur du règne de Pervez Musharraf à Islamabad.  En offrant la victoire à ses plus farouches opposants, les électeurs pakistanais ont en effet exprimé leur lassitude et leur colère face à un pouvoir qui n’aura pas été capable d’empêcher le pays de sombrer dans la violence terroriste et le chaos politique. Pour autant, le résultat n’entraînera pas nécessairement son retrait du pouvoir. Non seulement le président a exclu de démissionner[35], mais ses adversaires n’ont pas de position commune sur le sort qui doit lui être réservé. Si Nawaz Sharif exige en effet la destitution de l’homme qui l’a chassé du pouvoir, Asif Ali Zardairi préfère évoquer une collaboration possible, se rappelant que le président lui a accordé l’amnistie qui lui a permis de rentrer au Pakistan.

 

De plus, l’influence étrangère pourrait s’avérer déterminante pour la formation du nouveau gouvernement. Dès l’annonce des résultats, Asif Ali Zardari a ainsi rencontré l’ambassadeur des Etats-Unis, Anne Patterson, pour discuter de tous les scénarios postélectoraux et de la poursuite de la lutte contre les islamistes armés[36]. Rappelons que Washington a joué un rôle essentiel dans le retour de Benazir Bhutto au Pakistan, le 18 octobre dernier. Les Etats-Unis espéraient à l’époque obtenir la conclusion d’une alliance entre le président Musharraf et l’ancien Premier ministre, meilleur moyen à leurs yeux de préserver l’engagement du pays dans la guerre contre le terrorisme, dont elle-même aura été l’une des victimes les plus symboliques. Si les négociations devaient échouer entre le PPP et la PML-N, une telle coalition pourrait donc encore se former, et maintenir Pervez Musharraf à la tête de l’Etat en dépit de l’une des défaites électorales les plus significatives de l’histoire du Pakistan.

 

 

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Né  en     1958 à Gaza, il est marié et père de 6 enfants. Diplômé en administration     des affaires de l’Université du Caire, il dirigera après ses études     l’Institut Al-Azhar pendant 10 ans à Gaza avant d’être le directeur du     ministère des Affaires civiles. Indépendant mais considéré comme religieux     orthodoxe, il a notamment dirigé le tribunal islamique de Gaza.

   
   

 

 



[1] Vinod Sharma, « The foreign hand in Pakistani Politics » Hindustan Times, 23/02/2008.

[2] « HRSP greets EC on conducting fair and peaceful elections», Daily Times, 25/02/2008.

[3] Lodhi, Iftikhar A., « Forthcoming Pakistan Elections: A profile on the Islamic parties», ISAS Brief, Institute of South Asian Studies, Singapour, 26/12/2007.

[4] « Pakistan/Terrorisme : la mort de Benazir Bhutto hypothèque l’avenir du Pakistan », ESISC, 27/12/2007.

[5] « Pakistan/Elections : la nouvelle majorité aurait choisi un Premier ministre », ESISC, 22/02/2008.

[6] Shah, Saeed, « Husband says Bhutto's will names him party leader», globeandmail.com, 06/02/2008.

[7] « Zardari meets Awami National Party chief», The Deccan Herald, 21/02/2008.

[8] Ibid., Election Commission of Pakistan.

[9] « Pakistan/Etat d’urgence : retour de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif », ESISC, 26/11/2007.

[10] « Pakistan/Etat d’urgence : rejet de la candidature de Nawaz Sharif », ESISC, 03/12/2008.

[11] Ishtiaq Ahmed, « Forthcoming Pakistan Elections: A profile on Nawaz Sharif », ISAS Brief, Institute of South Asian Studies, Singapour, 19/12/2007.

[12]Id.

[13]Id.

[14] « Najeeb, Muhammad, PPP emerges biggest party in Pakistan polls», Hindustan Times, 19/02/2008.

[15] « PPP, « N » rout PML-Q, The Nation, 19/02/2007.

[16] « Musharraf hits out at « biased » opinion polls », The Dawn, 15/02/2007.

[17] Asian Development Outlook 2007 Update, Asian Development Bank, 2007, p.212.

[18] Ibid. p, 213.

[19] Irfan Ghauri, « PML-Q faced with defection threat », Daily Times, 23/02/2008.

[20] Burstin, André, « Après la prise de la Mosquée rouge, quel avenir pour le Pakistan », Note d’analyse de l’ESISC, 16/07/2007.

[21] « Pakistan/Politique : le limogeage du président de la Cour suprême continue d’enflammer le Pakistan », 14/05/2007.

[22] Ibid., Election Commission of Pakistan.

[23] « MQM strategy in 48 hours », Daily Times, 20/02/2008.

[24] «Pakistan: Information on Mohajir/Muttahida Qaumi Movement-Altaf (MQM-A) », UNHCR.

http://www.unhcr.org/cgi bin/texis/vtx/home/opendoc.htm?tbl=RSDCOI&page=research&id=414fe5aa4 

[25] Ibid., Election Commission of Pakistan.

[26] Crisis Group Asia report n°130, Pakistan : Karachi’s Madrasas and violent extremism , Islamabad/Brussels,

29 March 2007.

[27] Chipaux, Françoise, « Pakistan : "Nous n'étions pas heureux avec les mollahs" », Le Monde, 21/02/2008.

[28] Id.

[29] Gaborieau, Marc, Un autre islam, Inde, Pakistan, Bangladesh, collection Planète Inde, Albin Michel, 2007, p.

154.

[30] Loc cit.,  Lodhi, Iftikhar A.

[31] « Jammu & Kashmir. Terrorist Groups : an overview », South Asia Terrorism Portal, 2001. 

[32] Loc cit.,  Lodhi, Iftikhar A.

[33] « PML-N having doubts over support to Zardari », IBNlive.com, 24/02/2008.

[34] (TNSM - Mouvement pour la défense de la loi du prophète) du Maulana Fazlullah.

[35] « Pakistan/Terrorisme : le président Musharraf ne démissionnera pas », ESISC, 20/02/2008.

[36] «Pakistan/Elections : défaite du camp présidentiel aux élections générales», ESISC, 19/02/2008.


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