Le prochain défi en Irak : déjouer l'influence de plus en plus marquée de l'Iran



 

 

La présentation du Général David Petraeus devant le Congrès, le lundi 7 avril, était supposée apporter aux législateurs américains des preuves irréfutables que la stratégie des renforts (« surge ») avait porté ses fruits. Elle a été assombrie par la nouvelle du conflit entre chiites, qui a révélé le renforcement de l'emprise de l'Iran sur le destin de l'Irak.

 

En quelques semaines à peine, la nature du problème en Irak a pris une tout autre tournure. On pourrait en effet qualifier de réussite la canalisation des efforts américains pour brider les tribus sunnites du pays. La province d'al-Anbar dans l'ouest de l'Irak a été amenée sous contrôle, dans la foulée d'une stratégie mêlant une présence plus zélée des troupes américaines sur place, une attention renouvelée à la sécurité des civils sunnites et une stratégie consistant à récupérer les milices sunnites pour lutter contre Al-Qaïda. Malheureusement, ces progrès ne suffiront pas à garantir une stabilité de longue durée en Irak. La clé de l'avenir de cette société se trouve dans la capacité du gouvernement central à contrôler la majorité chiite du pays.

 

Les événements des dernières semaines ont révélé la vraie nature de la stratégie iranienne en Irak et laissent supposer les conditions d'une bataille que les Etats-Unis risquent de ne pas remporter dans les prochains mois et années en l'absence de volonté politique ou du soutien de l'opinion. Comme l'a déclaré un Marine américain stationné en Irak : « Si l'Iran ne dépensait qu'un millier de dollars pour chaque million que nous dépensons, elle pourrait encore sortir gagnante. Le temps joue en sa faveur ».

 

L'analyse qui suit (1) résume les progrès accomplis jusqu'à présent grâce à la stratégie de l'opération « surge », (2) révèle les menaces de cellules dormantes contre le gouvernement irakien qui ont soudainement été activées ces dernières semaines et (3) évoque les perspectives pour surmonter ces menaces, compte tenu des restrictions d'objectif dans lesquelles l'armée américaine et le gouvernement irakien doivent opérer.

 

           

1. La stratégie de l'opération « surge » et ses résultats

 

Le résultat le plus audacieux de l'opération « surge » a été de détruire et/ou déloger les forces « d'Al-Qaïda en Irak » des grandes régions d'Irak, notamment dans la province d'Al Anbar et plusieurs villages situés au nord et au nord-ouest de Bagdad. La plupart des brigades de combat supplémentaires déployées dans le cadre de l'opération « surge » ont été affectées à prendre le contrôle et à maintenir une présence dans les villages qui n'avaient précédemment été tenues que temporairement par les unités de Marines et avaient invariablement tendance à retomber sous le contrôle d'Al-Qaïda et de ses groupes affiliés après le départ des Marines. L'opération « surge » a définitivement mis un terme à la présence continue d'Al-Qaïda dans les régions précitées.

            Outre le déploiement de troupes de combat supplémentaires, l'armée américaine a consenti un effort financier pour acheter la loyauté des milices tribales sunnites. Le système tribal sunnite avait été affaibli par la présence d'Al-Qaïda, qui oeuvrait dans leurs régions en usant des moyens les plus brutaux imaginables et s'est attiré la haine grandissante de la population locale. L'organisation militaire tribale sunnite conjointe, connue actuellement sous la dénomination générique de « Sons of Iraq » (« Fils de l'Irak »), comprend quelque 90.000 combattants qui sont effectivement employés par les Etats-Unis, et s'est révélée une force fiable et stabilisatrice. Grâce à ces milices, mises en place au printemps 2007, les attaques anti-américaines (qui sont passées de 1300 incidents par mois à l'automne 2006 à moins de 200 à l'été 2007) ont diminué de façon spectaculaire et ces progrès se sont suffisamment maintenus pour permettre des sérieuses avancées dans le domaine de la reconstruction. L'avantage supplémentaire de cette stratégie a été de redonner confiance et foi aux chefs tribaux sunnites et aux populations sous leur contrôle par rapport à l'activité politique de Bagdad. De grandes portions de la population sunnite irakienne ont repris espoir de jouer un véritable rôle dans l'avenir de l'Irak et ont largement surmonté leur crainte de voir leurs intérêts systématiquement menacés, comme ça a été le cas pendant les deux premières années de l'occupation américaine.

            Cependant, les avancées qui ont été faites en 2007 n'ont pas atteint la région névralgique de Mossoul, située près de la frontière syrienne. Al-Qaïda reste présent et opérationnel dans cette région, où il continue à trouver un soutien solide auprès de la population sunnite. Cette situation s'explique en partie par le fait que les tribus sunnites de la région sont confrontées à ce qu'elles considèrent comme une menace pour leur existence, les Kurdes. Ces derniers ont repeuplé la région au cours de ces deux dernières années et réclament depuis longtemps de gouverner la ville de Mossoul et sa voisine Kirkuk, qui sont les régions urbaines les plus importantes à proximité des champs de pétrole du nord de l'Irak.

            Dans les années 1990, Saddam a contrôlé une politique d'épuration ethnique à Mossoul et Kirkuk, lors de laquelle les familles kurdes ont été systématiquement chassées de chez elles et envoyées comme réfugiées dans la chaîne de montagnes du nord de l'Irak, sous contrôle kurde. Le retour de ces réfugiés ces dernières années a déclenché des tensions ethniques critiques entre les communautés arabes et kurdes de Mossoul et Kirkuk. Al-Qaïda est parvenu à exploiter ces tensions pour s'imposer dans la communauté arabe de ces villes. En outre, la proximité de ces régions urbaines avec la frontière syrienne a permis à Al-Qaïda de profiter d'arrivées massives et régulières d'armes et de djihadistes pour renforcer leurs rangs et leurs moyens.

            La bataille pour Mossoul et Kirkuk devait représenter la dernière phase de l'opération « surge ». Malheureusement, les possibilités de remporter cette bataille ont beaucoup diminué dernièrement, compte tenu du fait qu'il faut assigner un nombre toujours plus important de forces irakiennes et américaines à résoudre les problèmes que posent les milices chiites soutenues par les Iraniens situées à Bagdad et à Bassora.

 

La menace montante

 

            Alors que les Etats-Unis étaient occupés à combattre Al-Qaïda à l'ouest de l'Irak, « l'Armée du Mahdi » de Moqtada Sadr renforçait ses effectifs et étendait son pouvoir des taudis de Bagdad à la ville portuaire stratégique de Bassora, où elle acquis un pouvoir grandissant sur des parties importantes du commerce irakien. (La plupart des exportations pétrolières du pays et des importations civiles transitent par Bassora et le port pétrolier voisin d'Umm Qasr).

            Après un revers important en 2005, Moqtada Sadr a déclaré une « trêve », qui lui a permis de faire passer ses forces militaires de deux mille hommes légèrement armés issus des quartiers les plus pauvres de Bagdad à une force bien organisée, qui comprend à présent quelque 60.000 hommes bien armés et bien rémunérés opérant dans de vastes communautés au sud de l'Irak.

            La milice du Mahdi bénéficie d'une aide considérable de l'Iran, qui aide à financer et à équiper ses principales brigades et est connu pour offrir un entraînement spécialisé à quelques-unes de ses unités de commando. Cette aide, fournie directement par la force « Al Qods » de la Garde révolutionnaire iranienne (Al Qods fait référence au Dôme du Rocher de Jérusalem), a renforcé de façon spectaculaire l'efficacité des attaques des milices anti-américaines dans au moins deux domaines : En premier lieu, les attaques contre les lignes américaines de communication et de fourniture de service sont devenues beaucoup plus meurtrières après que les «engins explosifs improvisés», mieux connus sous le nom de bombes artisanales, ont été remplacés par des armes anti-blindage sophistiquées appelées mines « EFP ». Il s'agit de projectifs en cuivre en fusion qui peuvent pénétrer un blindage renforcé et dont le ratio de mort (kill-ratio) est très nettement supérieur à celui des bombes artisanales qui étaient utilisées auparavant.

 En outre, les unités de commando bien entraînées ont appris à utiliser les tirs de mortier et tirs de roquette simples avec beaucoup plus de précision qu'auparavant. La capacité des milices à abattre un nombre de plus en plus important d'hélicoptères américains et à tirer des coups précis sur la zone verte de Bagdad occupée par les Américains tout en échappant aux ripostes a confirmé qu’il existe des commandos hautement entraînés dont les actions visent à soutenir les objectifs politiques de l'Armée du Mahdi et combattent des cibles américaines qui étaient précédemment considérées comme relativement sûres.

            À l'instar des Moudjahidine afghans, les milices chiites irakiennes qui tiraient d’une manière sporadique en comptant davantage sur la chance que sur l'entraînement, le font désormais d’une manière systématique et précise, ce qui a un effet négatif sur le moral des troupes et augmente considérablement les risques auxquels l'armée américaine est exposée tant à Bagdad que dans des zones clés situées au sud sur les rives du Tigre et de l’Euphrate.

            Pendant la trêve qui a eu lieu pendant ces dix-huit derniers mois, l'Armée du Mahdi a également étendu son emprise sur des secteurs critiques de l'économie irakienne. Avec des pratiques similaires à de nombreux égards à celles de la mafia, les milices sont parvenues à vendre leur protection à un nombre sans cesse accru d'entreprises, en se focalisant principalement sur les commerces d'import-export situés à Bassora. Cette activité a généré sur place une source importante de revenus supplémentaires pour les coffres d'Al Sadr, grâce notamment au bon vieux racket.

            Ces activités, associées à l'incursion réussie du groupe dans l'activité politique, sont parvenues à conférer à Moqtada Sadr un mélange de légitimité politique et de puissance brute que l'on pourrait bientôt comparer à celles qu'a acquises le Hezbollah au Liban ou le Hamas dans la bande de Gaza.

            Au cours des dernières semaines, le gouvernement central irakien a tenté en vain de braver cette menace grandissante. Il craint que la milice d'Al Sadr ne devienne sous peu un Etat dans l'État, ayant le pouvoir d'influencer la plupart des décisions importantes du gouvernement irakien et d'exercer un chantage efficace sur le reste du pays comme le Hezbollah l'a fait au Liban ces dernières années.

            Moqtada Sadr s'est réfugié en Iran. Quiconque aurait douté du contrôle réel de Téhéran sur ce mouvement n'a eu qu'à observer la semaine dernière la délégation de parlementaires irakiens qui s'est rendue en Iran pour négocier un cessez-le-feu avec le comandant de la force d'al-Qods.

La force al-Qods est un noyau militaire iranien secret et très efficace auquel Téhéran confie des opérations sensibles de la plus haute importance. Qassim Suleimani passe généralement pour le leader actuel de la force avec qui les membres du Parlement irakien sont allés discuter des conditions de paix, alors que l'offensive du Premier ministre Al Malaki contre l'Armée du Mahdi, manifestement, s'essoufflait. La force serait née peu après la prise de pouvoir de l'Iran par les forces révolutionnaires islamiques le 16 janvier 1979. L'unité était le service de renseignement du Corps de garde des révolutionnaires islamiques. D'après l'ancien agent de la CIA, Robert Baer, la force d'Al Qods est très proche du Président Ahmadinejad et d'autres mollahs conservateurs qui composent le Conseil du gouvernement iranien.

            La milice de l'Armée du Mahdi, qui est de toute évidence, devenue le principal relais opérationnel de la force al Qods dans le théâtre irakien des opérations, représente aux yeux du Pentagone, la plus grande menace pour la sécurité de l'Irak, allant jusqu'à supplanter Al Qaïda en Irak comme «accélérateur potentiel de violence sectaire autoentretenue le plus redoutable.»

            L'ascension de l'Armée du Mahdi au-devant de la scène a profité de l'incapacité des dirigeants américains et irakiens à faire face au mouvement alors qu'il n'était qu'à ses débuts, pendant les deux premières années d'occupation. En 2004, après un certain nombre d'opérations militaires probantes contre les milices du Mahdi, l'armée américaine a déclaré avoir vaincu la menace représentée par al Sadr et ses partisans. Cette évaluation a sous-estimé la vraie nature de la menace de ce mouvement.

            La capacité de l'Armée du Mahdi à surmonter l'adversité tire son origine de l’attrait religieux exercé par ce mouvement sur les populations urbaines les moins instruites d'Irak et du soutien constant et à long terme fourni par l'Iran, qui investit dans le mouvement dans l'espoir qu'il s'établisse en Irak aussi solidement que le Hezbollah ne l'a fait au Liban.

            Le pouvoir d'attraction religieux du mouvement se reflète dans le nom même de la milice : le Mahdi, dans l'interprétation chiite, fait référence au 12e Imam, qui est pour la première fois apparu au VIIe siècle et est censé réapparaître, comme le Messie, dans une période de grand bouleversement, afin de d'accomplir les prophéties du «jour de la résurrection», en rétablissant la droiture de l'Islam et en transformant le monde entier en une société islamique parfaite et juste. Quand il a créé sa milice en 2003, Moqtada al Sadr a accusé les Etats-Unis d'avoir eu vent du retour imminent du 12e Imam et d'avoir envahi l'Irak dans l'objectif précis de le trouver et le supprimer avant qu'il ne puisse réaliser la prophétie. Sa milice a donc été créée afin de protéger l'Imam contre les envahisseurs américains.

            Les Etats-Unis n'ont jamais imaginé être confrontés à ce type de mouvement en Irak. Ils n'avaient pas non plus prévu la rapidité à laquelle un tel mouvement pourrait s'étendre, se retrouver au centre de l'attention et trouver du soutien dans les quartiers les plus pauvres d'Irak. Mais avec l'aide de l'Iran et une stratégie qui a permis au mouvement de jouer des replis stratégiques à chaque fois qu'il était menacé, le mouvement a survécu, s'est renforcé et s'est solidement installé dans les bazars de Bagdad et de Bassora, au point qu'il représente actuellement la menace la plus tangible à long terme pour la stabilité de l'Irak.

 

 

3. Options et contre-mesures

 

            Compte tenu de la nature de la menace et du changement d'attitude des Etats-Unis en Irak, les possibilités de lutter contre l'influence de plus en plus prononcée de l'Armée du Mahdi sont limitées.

            Dans sa présentation devant le «House Armed Services Committee», le Général Petraeus a proposé le premier retrait des troupes américaines depuis le début de l'opération «surge». Cette réduction des forces de combat en Irak cadre avec la logique de l'opération «surge» (dont l'objectif était de stimuler temporairement les moyens militaires, principalement pour prendre le contrôle d'endroits stratégiques, précédemment contrôlés par Al Qaïda, de façon à ce que les milices sunnites puissent prendre la relève de la sécurité dans l'ouest de l'Irak.) La manœuvre reflète également la stratégie globale des Etats-Unis en Irak, que l'on peut décrire comme une tentative de transférer les principales opérations de combat sur le terrain aux unités irakiennes. Cette démarche vise à réorienter progressivement les objectifs de la mission des troupes américaines, qui était d’aboutir à un partenariat avec les unités de combat irakiennes alors l’autorité gouvernementale est confrontée à des défis majeurs, pour fournir désormais un soutien logistique et aérien.

            La récente offensive du Premier ministre Malaki contre l'Armée du Mahdi à Bassora a été entravée par la désertion de plus d'un millier de troupes gouvernementales irakiennes. La plupart des forces américaines a évité de participer activement à une offensive sur le terrain à Bassora, où il n'y a pas de contrôle de la coalition depuis le retrait des forces britanniques l'année dernière. Pourtant, l'appui aérien fourni par la Force aérienne américaine a eu des effets importants sur le nombre de batailles et a joué un rôle déterminant en convainquant des éléments de l'Armée du Mahdi de faire une trêve. En définitive, l'offensive du gouvernement irakien n'est cependant pas parvenue à démanteler l'Armée du Mahdi dans la région et a essuyé plusieurs revers importants sur d'autres fronts. Les attaques contre des oléoducs et les tirs de roquette concluants dans la zone verte ont été des signes inquiétants que l'Armée du Mahdi pouvait se battre sur plusieurs fronts en Irak et nuire gravement au sens de la mission et de la morale américaines.

            Avec des candidats démocrates à la Maison blanche qui promettent un retrait rapide d'Irak, la présence américaine dans ce pays ne devrait pas se prolonger et le gouvernement irakien doit faire face à la perspective d'une diminution considérable du soutien qu'il reçoit des Etats-Unis dès janvier 2009. Bien que le résultat des élections américaines soit loin d'être joué et qu'aucun prétendant à la Présidence démocrate n'ait non plus promis de retrait total, il est clair pour la plupart des commandants en Irak que tout retrait significatif de troupes limiterait la capacité militaire américaine à participer activement à l'avenir à des opérations stratégiques sur le terrain.

            Les estimations varient quant au niveau des forces requis pour simplement maintenir un contrôle sur les terrains d'aviation irakiens, les infrastructures de production et d'exportation pétrolière, la zone verte et les principales conduites d'alimentation. Plusieurs commandants sur le terrain ont prévenu qu'une réduction importante des forces américaines en dessous de la barre des 100.000 augmenterait la pression sur les troupes américaines et les employés civils restés en Irak et obligerait les Etats-Unis à adopter une position uniquement défensive.

            Le prix à payer pour l'Iran afin de maintenir les tirs de roquette sur la zone verte, de propager l'utilisation des mines «EFP» le long des conduites d'alimentation américaines et de renforcer l'emprise de l'Armée du Mahdi sur les régions stratégiques de Bagdad et Bassora, serait minime comparé au prix à payer par les Etats-Unis pour maintenir à long terme une présence efficace dans la région. L'impression qu’il est impossible de gagner la guerre d’une manière décisive à bref délai contribuerait à démoraliser davantage les forces américaines. La dynamique et l'initiative des forces américaines seraient perdues au profit de la milice rebelle chiite et le contrôle sur l'avenir du pays serait effectivement cédé aux décideurs de Téhéran.

            Les Etats-Unis et sa coalition en déclin d'alliés commencent tout à coup à tomber à court d'options pour répliquer à la politique iranienne de «libanisation» de l'Irak, qui utilise de plus en plus l'Armée du Mahdi comme mandataire à plusieurs niveaux (politique, social, et militaire) pour priver le gouvernement central du contrôle sur les zones capitales du territoire irakien, en rançonnant des secteurs importants de l'économie et en faisant varier les niveaux de violence au gré de Téhéran.

            Il ne reste que deux possibilités.

            L'option A, qui est la plus probable, compte tenu des contraintes auxquelles les Etats-Unis sont soumis pour mener cette guerre, est de continuer à apporter le même niveau de soutien au gouvernement central irakien pour affronter la milice du Mahdi et d'espérer que tout se passera au mieux. Diverses tentatives pourraient être tentées pour racheter les armes des militants de l'Armée du Mahdi et offrir au groupe des possibilités de réintégrer l'activité politique en contrepartie d'une trêve sporadique. Dans le cadre de cette stratégie, on tenterait de relancer les négociations avec Téhéran, dans lesquelles les gouvernements américain et irakien n'auraient pas grand-chose à offrir, si ce n'est des concessions permanentes et, en définitive, accepter le contrôle grandissant de l'Iran sur l'avenir de l'Irak. L'espoir, dans ce cas de figure, serait que l'Iran trouve un intérêt à voir un Irak plus stable à ses portes et qu'il soit disposé à réduire son soutien à la violence en échange d'une influence accrue sur les activités politiques du pays. Alors que cette situation bouleverserait l'équilibre stratégique dans la région et ne garantirait en aucun cas une paix à long terme, elle pourrait néanmoins offrir un compromis politique qui permettrait à Washington de se désengager de la région, si c'est ce que l'opinion américaine souhaite.

            L'option A tablerait sur un niveau de bonne volonté de l'Iran supérieur à celui qu'il a pu démontrer jusqu'à présent et pourrait finalement aboutir à un retrait américain d'Irak humiliant et précipité.

 

            L'option B impliquerait un engagement américain à part entière pour un clan dans le conflit entre chiites, qui soit égal sinon supérieur à sa mobilisation récente contre Al-Qaïda dans les provinces occidentales de l'Irak et s'accompagne d'une série de mesures politiques et militaires visant à mettre Téhéran sur la défensive et obligeant ce régime à se désengager d'Irak ou à faire face à des représailles directes contre ses unités de la Garde révolutionnaire et la force d'élite Al-Qods.

            L'option B nécessiterait une volonté de Washington d'intensifier le conflit, comme il l'a fait quand il a négocié son retrait du Vietnam. Cette sinistre comparaison ne présage, bien entendu, rien de bon, mais face à une alternative sombre et humiliante ou éventuellement à une provocation de l'Iran faisant une erreur d'appréciation sur la réaction de l'opinion américaine, les Etats-Unis pourraient examiner les options visant à réduire l'influence de l'Iran en Irak.

            Cette stratégie comporterait des risques de taille et réclamerait beaucoup plus de préparation que ce n'a été le cas lors de la dernière tentative avortée de démanteler l'Armée du Mahdi de ses bases, dans les taudis de Bagdad et Bassora. Cette stratégie passerait par une opération de renseignements complète et prolongée visant à infiltrer l'Armée du Mahdi, en mettant sur écoute ses lignes de communication avec l'Iran et en isolant ses bastions à Bassora et Bagdad, des bases de soutien potentielles situées dans les villages disséminés aux bords des routes entre ces deux centres urbains, le long des rives du Tigre et de l'Euphrate.

            L'initiative d'infiltrer l'Armée du Mahdi pendant un certain temps serait coûteuse, demanderait un temps considérable et ne porterait ses fruits que si elle aboutit à une opération décisive, qu'elle jouit du soutien de l'opinion américaine et qu'elle peut montrer de véritables résultats. Pour se préparer à une telle opération, les Etats-Unis devraient réunir suffisamment de preuves du rôle direct de l'Iran dans le massacre de soldats américains en Irak, de façon à rendre crédible la menace de représailles directes contre l'Iran. Par ailleurs, à la suite d'une offensive décisive contre l'Armée du Mahdi, le gouvernement irakien doit avoir à sa disposition un cadre de chefs militaires bien entraînés et d'administrateurs, prêts à reprendre le contrôle des zones qui sont actuellement aux mains des milices et avoir des plans concrets pour apporter des améliorations efficaces et mesurables aux conditions de vie des populations concernées.

            Selon des représentants expérimentés impliqués dans le conflit, une telle opération prendrait six à huit mois de préparation et devrait pouvoir compter sur un niveau de confiance meilleur qu'aujourd'hui entre les forces américaines et les forces du gouvernement irakien. Son succès dépendrait en outre de l'adhésion de l'opinion américaine à soutenir une escalade éventuelle du conflit impliquant des cibles en Iran. Aucune de ces conditions ne semble remplie pour l'instant.

 

 

Conclusion

 

Sans une erreur d'appréciation grossière de la part de l'Iran, les Etats-Unis risquent de rester bloqués dans une situation où ils pourraient, malgré leur écrasante suprématie militaire, voir leurs récentes avancées sur le terrain anéantis par les milices chiites contrôlées par les Iraniens. Jusqu'à présent, Téhéran a été très attentif à limiter sa guerre par procuration contre les Etats-Unis à des engagements de bas niveau qui sont tenables à long terme, à peu de frais et qui pourtant, ne parviennent pas à pousser l'opinion américaine à soutenir une politique de représailles directes.

            Si Téhéran devait à l'avenir faire une erreur de jugement, il serait bon que les Etats-Unis aient un plan pour exploiter toute possibilité de réduire considérablement l'influence de l'Iran sur l'Irak. Faute de quoi, les Etats-Unis et leurs alliés irakiens continueront à se trouver devant un conflit ardu et pénible dans lequel Téhéran conserve en permanence l'initiative et risque de continuer à étendre son influence au fil du temps.

 

 

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