L’Organisation de Coopération de Shanghai : tigre de papier ou naissance d’un dragon ?



 

 

Le sommet annuel de l’Organisation de Coopération de Shanghai - OCS - (Shanghai Cooperation Organization  - SCO), le 16 août dernier à Bichkek au Kirghizstan, a, semble-t-il, marqué un tournant important dans l’évolution géopolitique des pays d’Asie centrale. À la suite de ce sommet, de nombreux spécialistes de la région ont évoqué l’émergence d’un bloc géopolitique, allant même jusqu’à envisager la naissance d’un « OTAN asiatique[1] ». Il y a encore pas mal de chemin à faire sur la voie de l’union politique, économique et militaire pour raisonnablement parler de bloc géopolitique. Mais c’est certainement dans les mains des deux principaux acteurs de cette organisation, la Russie et la Chine, que reposent les clés du succès pour cet ambitieux et audacieux projet.

 

Les États membres permanents de cette organisation ont, en préliminaire à ce sommet, organisé leur plus important exercice militaire multinational au niveau interarmées. Cet exercice, baptisé « Mission de Paix 2007 », prouve, tant par son ampleur (plus de 4.000 participants, 500 véhicules de combat et plus de 80 aéronefs) que par sa dimension géographique (il s’est successivement déroulé en Chine et en Russie), l’importance croissante de l’OCS sur le terrain géopolitique centrasiatique. Quelle signification accorder à cet exercice ? Cette organisation est-elle sur le point de se transformer en un contrepoids eurasiatique à l’OTAN ? Telles sont les questions soulevées à l’issue ce sommet. À plus longue échéance, il faut, au travers des relations bilatérales sino-russes, s’interroger sur son futur. Il faut aussi se demander si le secteur énergétique n’est pas en train de prendre le pas sur la coopération économique et la lutte contre-terroriste ?

 

 

1)     Brève histoire d’une toute jeune organisation[2]

 

L’Organisation de Coopération de Shanghai est une organisation internationale dont les États membres sont la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Elle voit officiellement le jour le 15 juin 2001, lors du sommet de Shanghai, qui se clôt par la signature de la convention pour la « lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme ».

- Buts

 

Les objectifs affichés de l’OCS sont ambitieux. Il s’agit, ni plus ni moins, « de renforcer la confiance mutuelle,  les relations de bon voisinage et d’amitié entre les pays membres, de promouvoir la coopération dans les domaines politique, économique, commercial, énergétique, écologique, culturel, scientifique et technologique ». Il s’agit aussi « de coordonner les efforts communs en vue de maintenir et assurer la paix, la sécurité et la stabilité de la région et d’établir un nouvel ordre politique et économique international basé sur la démocratie et la justice ». La coordination entre les ministères et départements concernés est confiée au Conseil des coordinateurs nationaux.

 

- Évolutions et résultats

 

Lors du tout premier meeting des chefs de gouvernement, le 14 septembre 2001, l’OCS adopte un protocole d’accord portant sur la ligne directrice et les principaux objectifs de la coopération économique régionale. C’est aussi au cours de cette réunion qu’est prise la décision de créer un mécanisme de rencontres régulières des chefs de gouvernement[3].

 

L’année suivante, à Saint-Pétersbourg, le 7 juillet 2002, les chefs d’Etat adoptent la charte de l’OCS. En marge de cette adoption, ils signent un accord sur la structure régionale antiterroriste.

 

Le 23 septembre 2003, à Pékin, les chefs de gouvernement entérinent le programme multilatéral de coopération économique et commerciale. Il définit les principaux objectifs de la coopération économique et, sur le plan commercial, il fixe les conditions de libre circulation des biens, des capitaux et des services pour les deux décennies à venir. Le tout premier budget pour l’année 2004 est également adopté au cours de ce même sommet.

 

En janvier 2004, le secrétariat de l’OCS s’installe à Pékin et la structure régionale antiterroriste à Tachkent, en Ouzbékistan. C’est également dans la capitale ouzbèke que le sommet de 2004 adopte le statut d’« observateur » de l’OCS[4]. La Mongolie est le premier pays à se voir accorder ce statut qui sera ensuite accordé en 2005 à l’Inde, l’Iran et le Pakistan. C’est au cours du sommet 2005 qu’est adoptée la décision de mettre en place des représentants permanents au sein du secrétariat et de la structure antiterroriste.

 

Enfin, c’est à Shanghai, en 2006, que le kazakh Bolat Nurgaliev est élu au poste de secrétaire général et que le poste directeur du comité exécutif de la structure antiterroriste revient au kirghize Myrzakan Subanov.  

 

 

2)    L’exercice « Mission de paix 2007 »

 

Dans les jours qui ont précédé son sommet annuel 2007, l’OCS a mis sur pied un important exercice militaire multinational interarmées baptisé « Mission de Paix 2007 ». C’était pour les pays membres de cette organisation la première fois qu’ils avaient la possibilité, certes à des niveaux de participation très différents, de prendre part à un tel exercice. Les précédents exercices s’étaient déroulés à des niveaux moins élevés. Ainsi en 2005, Chine et Russie avaient participé à un exercice bilatéral baptisé « Mission de Paix 2005 », auquel les autres membres avaient été conviés en tant qu’observateurs.

 

« Mission de Paix 2007[5] » s’est déroulée du 9 au 16 août 2007, en deux phases ; la première se jouant à Urumqi, capitale de la province chinoise autonome de Xinjiang, et la deuxième ayant pour terrain de manœuvre la ville russe de Tcheliabinsk, dans l’Oural.

 

Un des principaux scénarii de cet exercice mettait en scène la reconquête d’une ville tombée aux mains de terroristes. Un tel scénario, mis au point par les états-majors russes, s’inspirait des événements d’Andijan, en 2005, dont on se souvient qu’ils ont conduit les Occidentaux à mettre l’Ouzbékistan au ban des nations. Ce scénario a surtout permis à l’OCS de montrer la façon dont elle conçoit son rôle en matière de sécurité collective.

 

Environ 500 véhicules de combat russes et chinois, près de 7.000 soldats - 4.700 Russes (de la 34ème division d’infanterie et de la 76ème division aérienne) et 1.700 soldats chinois -, deux compagnies aéroportées du Tadjikistan et du Kazakhstan (d’une centaine d’hommes chacune), une section d’assaut parachutiste du Kirghizstan ont pris part à cet exercice[6]. L’Ouzbékistan a contribué à hauteur d’un groupe d’officiers d’état-major. Côté aviation, la Chine a mis à disposition 46 aéronefs (essentiellement des avions de transport type IL-76[7] et huit chasseurs bombardiers JH-7A[8]). L’aviation russe était présente avec 36 appareils, y compris des Su-25[9] et des hélicoptères Mi-8[10], Mi-24[11] et Mi-28N[12].

 

Afin de dissiper les craintes que pourrait susciter la montée en puissance de l’OCS et de rassurer les autres pays, près de 80 attachés militaires et 400 journalistes, essentiellement non-occidentaux, ont assisté à cet exercice. Au niveau des états-majors opérationnels, il aura permis d’étudier, de roder et d’uniformiser les processus de prise de décision.

 

Depuis, la Chine (avec des unités de police militaire) et la Russie (avec des unités opérationnelles du ministère de l’Intérieur) ont joué, sur la base des principes de l’OCS et celle des accords bilatéraux, l’exercice de contre-terrorisme « Coopération 2007 » qui, sur une durée de trois jours, s’est déroulé début septembre à Moscou[13].

 

- Quelle signification accorder à un tel exercice ?

 

Dans un article du Guardian[14], Simon Tidsall esquisse une réponse en citant Pavel Felgenhauer, analyste reconnu en matière de défense russe, qui estime que « les relations entre la Russie et l’Occident ne cessant de se détériorer contraignent Moscou à se chercher des alliés et à promouvoir l’OCS comme une alternative à l’OTAN. À cette fin, l’exercice Mission de Paix 2007 joue à plein son rôle moteur ».

 

Pour comprendre pleinement la signification de l’exercice « Mission de Paix 2007 », il faut le recadrer dans un contexte militaire et sécuritaire en pleine mutation. Rien ne permet d’affirmer avec certitude que l’OCS cherche à former un bloc militaire. En revanche, un exercice de ce genre, envoie un signal très clair aux Occidentaux : l’OCS s’estime maintenant apte à, légitimement et efficacement, gérer les situations de crise en Asie centrale. Un tel message est aussi destiné à encourager les dirigeants centrasiatiques à s’affranchir un peu plus du soutien et de l’influence des États-Unis et de leurs alliés au sein de l’OTAN.

 

- Coup de semonce…

 

Le quotidien russe Kommersant, dans un article au titre explicite, « Maneuvers to outflank United States[15] », considère cet exercice et le sommet qui a suivi comme la concrétisation des efforts russes pour contrecarrer sur tous les fronts les États-Unis. Tant sur le front d’Europe centrale, avec l’affaire du déploiement du bouclier antimissile américain, que sur celui d’Asie centrale, d’où Moscou aimerait bien voir partir les troupes américaines encore présentes.

 

- … ou simple alternative régionale ?

 

Les apaisantes déclarations en provenance de Pékin accréditent l’idée avancée par Naazneen Barma, Ely Ratner et Steven Weber dans leur étude « Un monde sans l’Occident[16] ». Selon eux, les puissances émergentes d’Asie centrale cherchent à créer un ordre international alternatif qui « contourne » Washington et leur permet ainsi de ne pas avoir à choisir entre intégration et opposition. Chen Hu[17], le rédacteur en chef de la revue chinoise World Military Affairs, se veut rassurant. Il insiste sur le fait que « Mission de Paix 2007 ne vise aucun pays et qu’il n’implique pas la création d’une alliance militaire ». Il décrit l’OCS comme une organisation régionale de sécurité d’un nouveau genre qui n’est à aucun moment dirigée contre Washington. Elle rend simplement obsolète la traditionnelle vision d’équilibre des forces entre les puissances mondiales.

 

Comme le fait remarquer Simon Tidsall « personne au sein de l’OCS, et encore moins la Chine qui se prépare à accueillir les Jeux olympiques d’été, ne cherche sérieusement la confrontation avec les occidentaux ». Une des thèses des analystes du National Interest, repose sur l’idée que les pays qui choisissent de s’éloigner de l’Occident optent pour une ligne modérée. À l’appui de cette idée, ils citent l’exemple de l’Inde, pays observateur, qui souhaite favoriser la coopération commerciale et économique au sein de l’OCS tout en restant soigneusement à l’écart de tout alignement politique, stratégique ou militaire avec les six Etats membres de l’organisation. 

 

- Déclin de l’influence américaine

 

Même si l’Inde et, dans une moindre mesure, la Chine n’ont aucun intérêt dans une confrontation avec les Occidentaux, l’émergence de l’OCS signifie très clairement que les États-Unis ont perdu, ou sont en train de perdre, leur statut de nation incontournable dans cette région du monde.

 

Les autorités américaines seront-elles plus enclines à coopérer avec Pékin et Moscou pour la stabilité de la région si l’OTAN vacille en Afghanistan et si l’Union européenne ne peut, ou ne veut, jouer le rôle que l’ancien conseiller du président Carter, Zbigniew Brzezinski, envisageait pour elle, à savoir être « le partenaire véritable des États-Unis » ? M. K. Bhadrakumar, ancien ambassadeur de l’Inde en Ouzbékistan, dans un article de l’Asia Times Online[18], en doute fortement. Il pense que « les États-Unis se sentiront de plus en plus gênés aux entournures pour accepter de partager, un tant soit peu, leur rôle au sein d’une équipe. Cela ne convient ni à leur doctrine géostratégique unipolaire, ni à leur position de superpuissance solitaire ».

 

Quoi qu’il en soit, nous assistons certainement aux premiers développements de la thèse d’un « monde sans l’Occident ».

 

 

3)    Le Sommet de Bichkek

 

Aux côtés des six chefs d’Etat des pays membres, on a pu noter, en ce qui concerne les pays observateurs, la présence des chefs d’Etat de Mongolie et d’Iran, celle du ministre des Affaires étrangères du Pakistan et celle du ministre indien de l’Energie. Les présidents du Turkménistan, Gurbanguly Berdimuhammedov, et d’Afghanistan, Hamid Karzaï, ont également pris part à ce sommet en tant qu’invités spéciaux.

 

Deux documents importants ont été signés au cours de ce sommet : la déclaration de Bichkek[19], qui définit les priorités et les futurs défis de l’OCS, et le Traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération. Au-delà des déclarations de bonnes intentions faisant référence « au désir des peuples des pays membres d’assurer l’amitié pour les générations futures et de garantir une paix perpétuelle[20] », on sait peu de choses au sujet de ce traité, dont on attend toujours la publication. Aussi nous ne traiterons dans cette analyse que de la déclaration de Bichkek. Par ailleurs les chefs d’Etat ont annoncé la signature prochaine du Protocole d’accord entre le secrétariat de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), traité qui s’inscrit dans le cadre de la Communauté des Etats indépendants (CEI), et le secrétariat de l’OCS. Ce protocole d’accord avait été annoncé quelques jours auparavant par le secrétariat de l’OTSC.

 

- La déclaration de Bichkek

 

Bien que le sommet se soit principalement concentré sur la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme, la coopération militaire, culturelle et économique, il semble bien que ce sont les problèmes de sécurité et de coopération dans le domaine énergétique qui ont été au centre des préoccupations et des arrière-pensées des participants.

 

La déclaration de Bichkek met l’accent sur l’aspect énergétique en rappelant que les représentants des Etats membres ont insisté sur « le rôle important du secteur énergétique comme facteur d’un développement économique stable » et qu’ils ont exprimé « leur volonté de concentrer tous leurs efforts dans cette direction ». Même si aucune décision majeure n’a été prise en ce qui concerne la création d’un « pôle énergétique », il apparaît très clairement que c’est autour de la question énergétique que vont désormais s’articuler les futures interactions des Etats membres. Cela ne signifie pas pour autant que les problèmes militaires et sécuritaires sont relégués à un moindre rang. Cela indique simplement que l’OCS, en ajoutant une corde à son arc, a élargi son panel d’actions.

 

En dépit de l’absence de déclaration solennelle du genre de celle qui avait conclu le sommet 2005 d’Astana - à cette époque, les chefs d’Etat avaient demandé le départ des troupes américaines des pays où ils disposent de facilités pour le soutien de leurs opérations en Afghanistan - la déclaration finale de ce sommet, l’exercice Mission de Paix 2007 et les événements qui ont suivi donnent une précieuse indication sur la dynamique actuelle de l’OCS. D’une manière pragmatique bien compréhensible, celle-ci tourne autour des notions de contre-terrorisme et de développement économique. Mais elle penche également fortement vers le domaine énergétique, problème vital de sécurité nationale pour la Russie et la Chine. Ce sont des questions sur lesquelles la Russie et la Chine ont des intérêts communs mais aussi des convergences potentiellement conflictuelles.

 

- Le rapprochement OCS-OTSC

 

Annoncé à Bichkek, ce protocole d’accord entre les secrétariats des deux organisations est signé le 5 octobre 2007, à Douchanbé. Il définit leurs domaines de coopération (sécurité et stabilité régionales, contre-terrorisme et lutte contre les trafics de stupéfiants, d’armes et contre le crime organisé)[21]. Il précise aussi les mécanismes de consultations et de partage des informations et établit des programmes d’activités communs.

 

Cet accord semble constituer un développement important dans l’espace stratégique eurasiatique. Sa signature signifie que la Chine rejoint le club que forment depuis 1992, avec la Biélorussie et l’Arménie, tous les autres pays membres de l’OCS. Il intervient alors que Moscou a décidé le 14 juillet dernier de suspendre sa participation au Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE), le premier traité de genre, signé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’analyste politique russe et conseiller du président Vladimir Poutine avait été, à cette occasion, sans ambages[22] : « Si la position de Moscou est ignorée, la Russie sera bel et bien obligée d’édifier son propre système de sécurité et de le faire avec les États prêts à coopérer avec elle dans ce domaine, sans attendre personne : ni l’OTAN, ni les États-Unis, ni l’UE ». Faisant référence à ce que les Russes considèrent comme un « encerclement implacable », il justifie ce retrait en en faisant porter la responsabilité à des pays européens et non-européens initiateurs, à ses yeux, de la course folle aux armements qui est en train de se dérouler dans le Caucase et sur les pourtours des mers Noire et Caspienne. Pour lui, la conclusion logique du retrait russe du traité FCE conduit inévitablement à la mise en place d’un « nouvel équilibre contractuel ». Le rapprochement OTSC et OCS semble bien être la première manifestation de ce nouvel équilibre.

 

- Quels enseignements tirer de ce sommet ?

 

Dans la foulée du sommet de Bichkek, on peut remarquer que la rapide institutionnalisation de l’OCS comble un vide en matière de relations interétatiques. On peut aussi constater que l’OCS souffre de contraintes, de frictions et de paradoxes. Un des arguments, le plus souvent avancé, consiste à dire que l’OCS permet à la Russie de contrôler et de réguler l’engagement chinois sur le terrain centrasiatique, tandis que la Chine tire profit d’un forum au sein duquel elle compte bien légitimer son engagement sur le même terrain. Il y aurait donc, d’un côté, la Russie, obnubilée par son souci sécuritaire et, de l’autre, la Chine plus tournée vers la satisfaction des immenses besoins énergétiques que réclame son développement exponentiel.

 

La présence de Gurbanguly Berdimuhammedov, le président turkmène, a constitué une première et les deux accords énergétiques de première importance signés par la Chine avec le Kazakhstan et le Turkménistan, deux jours après ce sommet, prouvent bien la complexité de l’OCS. Ces accords empiètent ouvertement sur les plates-bandes de la Russie. Le premier entérine le lancement de la dernière tranche du projet chinois d’oléoduc qui ouvre à Pékin le chemin des ressources de la Caspienne. Le second est plus significatif. Il prévoit la construction d’un gazoduc entre le Turkménistan et la Chine qui, une fois en service, écornera sensiblement le monopole russe sur les ressources gazières centrasiatiques.

 

L’énergie pourrait rapidement apparaître comme l’une des sources potentielles de différends entre les deux grands de l’OCS. On retiendra que c’est au sommet de Bichkek que les problèmes de sécurité énergétique ont fait une entrée remarquée.

 

 

4)    Conclusion

 

Le sommet de Bichkek aura permis de constater l’évolution récente de l’OCS. À ses débuts, elle était un rassemblement plus ou moins disparate d’États indépendants, constitué pour partie d’un club de dictateurs désireux de promouvoir le commerce et les échanges en Asie centrale. Elle incarne maintenant un aspect important de la géopolitique régionale et exerce un fort pouvoir d’attraction sur des pays comme l’Iran, la Mongolie et le Pakistan.  

 

- Un  élargissement au ralenti

 

Pour la deuxième année consécutive, le sommet annuel des chefs d’Etat s’est conclu par un statu quo en matière d’élargissement, tant en ce qui concerne les membres permanents que le club des pays observateurs. L’OCS ne semble pas donc se préparer à intégrer de nouveaux membres, à l’exception notable du Turkménistan. Gurbanguly Berdimuhammedov, président du Turkménistan, a en effet déclaré que son pays était prêt à revenir sur sa décision de rester en dehors de cette organisation. Personne ne semble vouloir remettre en cause cette adhésion. Des quatre pays observateurs, le Turkménistan est en effet le seul à être un Etat d’Asie centrale.

 

Hormis cette possibilité, il y a fort peu de chances de voir un autre des Etats observateurs lui emboîter le pas. Cela est essentiellement dû aux formidables disparités en matière de population, de superficie, de puissance militaire et de ressources économiques qui ont, jusqu’à présent, fortement pesé sur la mise en place de mesures effectives de coopération. L’OCS manque cruellement de cohésion interne et ne possède de capacités similaires à celles des institutions telles que l’OTAN ou l’UE, dont les membres partagent un idéal commun - un fort attachement aux principes démocratiques - ou des préoccupations de sécurité communes. Des problèmes d’harmonisation dans le domaine législatif et celui des règles et des standards ont constamment retardé la mise en application de nombreux accords signés dans le cadre de cette organisation.

 

- Quel avenir pour l’OCS ?

 

L’avenir de l’OCS peut être raisonnablement envisagé selon deux axes. L’un à usage interne qui se focaliserait sur les relations bilatérales - ventes d’armes, sécurité, économie et énergie - entre la Chine et la Russie et leurs partenaires respectifs centrasiatiques. L’autre à usage externe, principalement en direction des États-Unis, mais aussi de l’Union européenne, qui aspirent, dans le domaine énergétique, à jouer un rôle significatif en Asie centrale. Paradoxalement, les intérêts directs des États-Unis et de l’UE en Asie centrale renforcent le rapprochement sino-russe dans un domaine où Russie et Chine n’ont, en réalité, que peu d’intérêts communs à partager.

 

Il est par ailleurs évident que, face à la situation actuelle en Afghanistan, l’OCS ne peut qu’accepter, à contrecœur, la pérennisation la présence américaine sur la base aérienne de Manas au Kirghizstan. L’OCS est pleinement consciente de son incapacité actuelle de garantir par elle-même la sécurité en Asie centrale si la situation venait à se détériorer sur ses zones frontalières avec l’Afghanistan. En dépit de l’opposition de la population kirghize au maintien du déploiement américain, des mécontentements affichés par les autorités chinoises, ouzbèkes et russes, la base militaire de Manas est toujours utilisée par les forces américaines. Le loyer annuel de 20 millions de dollars (il était de 2,5 millions en 2005) et la subvention de 130 millions de dollars[23] que paye l’administration américaine, ne suffisent pas à expliquer le refus par le président Bakiev de signer le décret d’expulsion pris par le Parlement kirghize.

C’est par le peu de crédibilité de l’OCS en matière de sécurité qu’il faut expliquer ce refus. La poursuite d’une présence américaine continue en Asie centrale cimente la cohésion de l’OCS, alors que les conflits d’intérêts dans le secteur énergétique constituent un facteur de division entre ses deux acteurs principaux. Avec un Kazakhstan, moins aligné, et un Turkménistan, plus enclin à suivre sa propre voie, le futur président russe et Gazprom ont des soucis à se faire. Et c’est d’autant plus inquiétant que la plupart des contrats énergétiques devront être renégociés d’ici 2010-2011. 

 

- L’énergie au cœur de tous les problèmes à venir

 

Les questions énergétiques semblent devoir constituer un domaine particulièrement prometteur en matière de coopération avec d’autres pays non membres. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a déclaré que les portes du « club énergétique » en formation étaient ouvertes aux compagnies pétrolières et gazières des pays observateurs. Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a fait part de son intérêt pour la mise sur pied d’un tel club. Il en a été de même pour le Pakistan qui, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Khurshid Kasuri, a réaffirmé l’intérêt de son pays pour une participation à la coopération énergétique régionale. Même l’Inde, qui s’est mise en retrait des initiatives politiques et sécuritaires de l’OCS, semble devoir s’impliquer dans l’organisation de réunions sur le sujet énergétique. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si, pour la deuxième année consécutive, elle était représentée à ce sommet par son ministre de l’Energie, Murli Deora.

 

Ce n’est certes pas demain la veille que les États-Unis et l’Union européenne seront boutés hors d’Asie centrale mais leurs possibilités d’action et leur liberté de mouvement seront d’autant plus diminuées que l’OCS prendra de l’ampleur et de l’assurance. Les nombreux envoyés spéciaux américains et européens qui, à l’issue de ce sommet, se sont rendus dans la région, indique clairement que Washington et Bruxelles n’ont pas perdu tout espoir de continuer à s’impliquer activement dans les affaires centrasiatiques.

 

 

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[3] En plus du conseil des chefs d’Etat et de celui des chefs de gouvernement, l’OCS a institué des mécanismes de rencontres régulières aux niveaux ministériel (ministres des Affaires étrangères, de la Défense, de la Justice, de l’Economie, des Transports, de l’Education et de la Santé), parlementaire (présidents des Parlements), judiciaire (procureurs généraux et présidents des cours suprêmes) et au niveau des coordinateurs nationaux.

[4] Il existe trois catégories de pays au sein de l’OCS. Celle des pays « membres », celle des pays « observateurs » et celle des « invités spéciaux ». La décision d’accorder le statut d’« observateur » est prise par les chefs d’Etat, au cours de leurs sommets annuels. La liste des « invités spéciaux » est laissée à l’appréciation des autorités du pays hôte du sommet. Le président du Turkménistan, Gurbanguly Berdimuhammedov et Hamid Karzaï, le président afghan, ont participé au sommet 2007 en tant qu’« invités spéciaux » du président kirghize, Kourmanbek Bakiev.

[6] Idem.

[7] L'appareil Iliouchine IL-76 est un avion de transport militaire quadriréacteur, moyen courrier, conçu en Union soviétique à partir de 1967.

[8] Le JH-7 (Jianji Hongzha-7 ou JianHong-7), plus connu sous l’appellation FBC-1 « Léopard Volant », est un chasseur bombardier « tous temps ». Il est produit par la Chine depuis le début des années 1980.

[9] Le Soukhoï Su-25 est un avion d'attaque au sol, de soutien aérien rapproché et d'attaque antichar, développé par l'URSS dans les années 1970.

[10] Le MI-8 est un hélicoptère russe de transport, entré en service en 1967. Le MI-8 est l’hélicoptère le plus produit au monde. Il est en usage dans plus de cinquante pays.

[11] Dérivé du MI-8, le MI-24 est un hélicoptère mixte, d’attaque, entré en service en 1972. Il dispose d’une capacité de transport moyenne.

[12] Le MI-28 N est un hélicoptère d’attaque et de lutte anti-char également entré en service en 1972. Il dérive du MI-24, mais ne dispose d’aucune capacité de transport.

[19] Déclaration de Bichkek : www.sectsco.org/html/01753.html


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