Paraguay : Fernando Lugo, du bon pasteur au Caudillo populiste?



 

 

Les élections générales du 20 avril dernier mériteront sans doute le qualificatif d’historiques dans l’histoire moderne du Paraguay. C’est la première fois depuis 60 ans que le président ne sera pas issu des rangs du parti Colorado.

Avec l’accession à la présidence en août prochain de M. Fernando Lugo, le Paraguay qui, jusqu’ici, était le seul pays du Mercosur à ne pas s’afficher à gauche de l’échiquier politique, ne fera plus figure d’exception.

La victoire – incontestable – de l’ex-évêque dans la course à la présidence ne peut cependant masquer les défis qui ne manqueront pas de naître des résultats des élections législatives concomitantes.

Comme pour « Evo », son homologue bolivien, la route sera rude sous les pieds du bon pasteur qui compte prendre ses fonctions en sandales. Peut-être à son tour sera-t-il tenté comme lui, et comme le vénézuélien Hugo Chávez, par la dérive du caudillismo populiste… mais sans pétrole ni gaz naturel.

 

 

  • Soixante ans d’héritage Colorado

 

Etonnante trajectoire politique que celle de ce pays du « monde occidental » qui est entré dans le XXIe siècle après avoir été gouverné sans interruption depuis 1947 par le même parti, l’Association Nationale Républicaine (ANR), plus connu sous le nom de Parti Colorado[1].

Sous cette même ombrelle conservatrice et nationaliste, le Paraguay a connu 35 ans de dictature militaire, suivis de près de 20 ans d’une démocratie minée par les pratiques clientélistes et la corruption généralisée et qui aura attendu 1992 pour graver clairement dans sa Constitution le principe de la division des pouvoirs.

 

     - Retour sur les traces des Colorados

 

Une telle continuité mérite un bref rappel de ce passé pour mieux appréhender combien le moment actuel revêt un caractère historique et d’inconnu.

Le parti Colorado – né en 1887 – s’empara du pouvoir dès sa création mais fut contraint de l’abandonner aux libéraux de 1904 à 1947, année où il le reconquit par une véritable guerre civile. Ce retour musclé lui permit de confisquer le pouvoir à tous les niveaux comme seul parti politique reconnu légalement et qui le resterait jusqu’en 1962. Néanmoins, ce parti à vocation de parti unique a, dès ses origines, été traversé et agité par des courants allant de l’ultra conservatisme au libéralisme modéré.

C’est ainsi que la tendance la plus dure « invita » en 1954 le président Federico Chavez à céder son fauteuil au général Stroessner pour achever son mandat. Celui-ci terminé, le général Stroessner fut successivement réélu à compter de 1958 pour 7 autres mandats de 5 ans avec à chaque fois des scores voisins de 90%.

Il fut renversé en 1989 par l’un de ses « grands subordonnés » à la tête des armées, le général Andrés Rodriguez Pedotti. Celui-ci légalisa tous les partis politiques[2] et convoqua des élections générales qui le portèrent à la présidence comme candidat du parti Colorado.

A la surprise de beaucoup, le nouveau président abandonna les mesures politiques répressives, entreprit la privatisation d’entreprises étatiques et renforça l’intégration du pays à son environnement régional par la co-fondation en 1991 du Mercosur. Il termina son mandat en 1993, évitant de peu une traduction en justice pour connivence avec les milieux de la drogue qu’il proclamait combattre.

 

Dès lors, depuis les années ’90, le Paraguay a connu une succession de présidents civils tous issus du parti Colorado mais aussi des moments de fortes tensions politiques directement liées aux rivalités internes au parti.

C’est ainsi que le président Juan Carlos Wasmosy Monti (1993-1998) fit destituer en 1996 le général Lino Oviedo Silva (l’un des candidats aux élections de 2008) de son poste de commandant en chef des armées après l’avoir accusé de tentative de coup d’Etat. Ceci n’empêcha pas le général d’être choisi par le parti comme futur candidat à la présidence pour le mandat suivant (1999-2003) alors qu’il venait de prendre la tête du mouvement interne de l’Union Nationale des Colorados Ethiques (UNACE).

Il n’accéda cependant pas au pouvoir car, poursuivi avec acharnement par le président Wasmosy, il fut condamné à 10 ans d’emprisonnement. A son tour, sitôt son mandat présidentiel terminé, M. Wasmosy fut condamné à 4 ans de prison pour détournements de fonds publics.

 

Le parti désigna alors comme candidat M. Raul Cubas Grau (par ailleurs allié de Lino Oviedo) qui, néanmoins, dut abandonner son fauteuil en 1999 suite à l’assassinat de son vice-président, M. Argaña.

Conformément à la Constitution, M. Luis Gonzales Macchi, président du Sénat, prit en main l’exécutif et termina le mandat en cours (1998-2003) après avoir formé un gouvernement d’union nationale intégrant des représentants d’autres partis politiques.

M. Lino Oviedo avait entre-temps gagné l’exil en Argentine puis au Brésil où il fut emprisonné près de 2 ans avant d’être remis en liberté puis d’être jeté à nouveau en prison en 2004 dès qu’il se risqua à rentrer dans son pays.

En fin de mandat, le président Macchi évita de justesse l’empeachement pour détournements de fonds bancaires et utilisation abusive de fonds de la présidence grâce aux bons offices de M. Nicanor Duarte Frutos qui sut « contrôler » les sénateurs Colorados depuis sa position à la direction du parti.

 

M. Nicanor Duarte Frutos accéda aux fonctions présidentielles en 2003 mais avec un soutien populaire bien moins marqué à sa candidature personnelle que pour ses prédécesseurs.

Ainsi, il ne l’emporta qu’avec 37,1% des suffrages, c’est à dire moins que M. Wasmosy en 1993 (39,3%) et très loin des scores de M. Cubas en 1998 (54,5%) ou de M. Rodriguez en 1989 (75,9%).

Les résultats aux législatives concomitantes[3] enregistrèrent le même sérieux fléchissement pour le Parti Colorado. Pour la première fois depuis le renversement du général Stroessner, les Colorados n’obtinrent pas la confortable majorité absolue à laquelle ils étaient habitués dans les deux chambres : 37 députés sur 80 et 16 sénateurs sur 45.

Cette situation devait se révéler très problématique pour le président tout au long de son mandat.

 

Les élections de 2003 (65% de participation) avaient donc donné le premier signal de lassitude générale des Paraguayens vis-à-vis du Parti Colorado.

On peut aussi en conclure que l’opposition – divisée - ne les avait pas non plus convaincus. Les partis de gauche, étant restés très fragmentés, n’enregistrèrent que des scores quasiment insignifiants aux législatives. Les 2 présidentiables libéraux mais aussi concurrents, durent se partager, en vain, 45% des suffrages.

 

     - La présidence Nicanor Duarte Frutos

 

Les résultats d’une enquête publiés en mars dernier firent apparaître que M. Duarte serait jugé par ses concitoyens comme « le pire » des 5 présidents qu’ait connus le pays depuis le renversement de la dictature.

Il y occupe la dernière place dans les domaines particulièrement sensibles de l’emploi, de la sécurité et de la corruption, n’obtenant qu’une maigre avant-dernière place pour les performances de sa gestion dans le domaine de l’éducation nationale[4].

Il convient bien entendu de faire la part de l’ambiance de la campagne électorale qui a contribué à dégrader l’image personnelle de M. Duarte dans l’opinion de ses concitoyens avant de reporter l’ensemble de cette appréciation négative sur le Parti Colorado d’aujourd’hui.

Néanmoins, il est certain que les initiatives du président cherchant en cours de mandat à lui autoriser le cumul de ses fonctions avec celles de président du parti ou bien visant à modifier la Constitution pour permettre sa réélection, ont été interprétées comme des tentatives de retour à la dictature et au régime du parti unique.

 

Mais pour de nombreux observateurs s’efforçant à prendre plus de recul, le bilan du président Duarte Frutos enregistre bien des points positifs.

 

Tout d’abord au plan politique. Alors que le président s’est sans cesse trouvé confronté au manque d’une majorité dans les 2 chambres, son mandat n’a pas enregistré de turbulences comparables à celles qu’ont connues ses prédécesseurs. Ce qui permet de penser que, vaille que vaille, ces 5 dernières années ont permis à la démocratie de se consolider au Paraguay.

 

Par ailleurs, le gouvernement a mis en place des stratégies et des plans cohérents de façon à organiser et à conduire ses actions dans les domaines essentiels de la lutte contre la pauvreté (ENREPD) et de la croissance économique (Paraguay 2011)[5].

Cet effort d’organisation globale de l’action gouvernementale a été accompagné par l’engagement de démarches et de mesures concrètes salutaires telles que la gestion plus rigoureuse des finances publiques et des réformes structurelles touchant à la banque et à la fonction publiques.

 

Enfin, le mandat de M. Duarte aura permis au pays de retrouver une stabilité macro-économique qui avait été fortement ébranlée durant celui de son prédécesseur en raison des crises traversées par ses deux grands partenaires du Mercosur sur la période 1999-2001.

Les efforts du gouvernement lui ont mérité d’obtenir dès 2003 auprès du FMI un crédit stand-by de 75 milliards de dollars destiné à soutenir la relance économique. En 2006, un accord de précaution de 65 M. de droits de tirage spéciaux (DTS) a été signé avec le Fonds.

Les indicateurs sont globalement satisfaisants avec une évolution du PIB qui est redevenue positive à compter de 2003, soutenue par la hausse des prix agricoles mais aussi par la croissance industrielle et celle des services[6].

 

Cependant, le panorama des problèmes récurrents et des fragilités est indiscutablement très large.

Il serait vain de vouloir en dresser un bilan exhaustif mais les plus graves ont été largement abordés durant les débats de la campagne électorale.

 

Au plan politique, on relève une dégradation de l’image des institutions et de la classe politique, ce qui ne constitue pas d’ailleurs un cas isolé en Amérique latine où les populations de plusieurs pays manifestent leur désenchantement face aux lenteurs des changements attendus d’une démocratie récemment (re)découverte.

Les difficultés rencontrées durant ces 5 dernières années par l’exécutif dans ses relations avec les deux chambres ont souvent conduit à des compromis boiteux ou inopérants. Ce qui a incité plus d’un Paraguayen à regretter que le président n’ait pas d’avantage de prérogatives constitutionnelles.

A cela s’ajoute, bien entendu, la conviction largement répandue selon laquelle corruption et institutions sont intimement liées au Paraguay où la population n’a perçu aucun changement en la matière depuis la chute de la dictature[7].

 

Aux plans économique et social, les bons résultats macro-économiques ne sauraient occulter la fragilité des piliers de l’économie du pays ni les insuffisances de ses performances au regard des besoins des populations.

Malgré les progrès du secteur des services (48 % du PIB), la santé économique du pays reste essentiellement tributaire de son agriculture et des revenus qu’elle génère à l’exportation. L’agriculture est majoritairement tournée vers l’export avec pour conséquence son extrême sensibilité – et celle de l’économie nationale - aux variations des cours mondiaux. Rappelons ici que le soja, la viande et les céréales fournissent quelque 65% des revenus à l’exportation, que l’agriculture rapporte 21% du PIB et occupe plus de 50% de la population.

Au manque de compétitivité et de diversité de l’économie viennent s’ajouter les fragilités et handicaps liés pêle-mêle au manque de coordination des politiques publiques, aux déficiences des équipements et des infrastructures de transports ou encore au faible niveau des investissements privés, en raison de la défiance générée par le manque de protection juridique et par l’application erratique des normes administratives.

 

Avec 20% de ses habitants vivant dans des conditions d’extrême pauvreté, le Paraguay serait le plus pauvre des pays d’Amérique du Sud après la Bolivie.

L’accroissement du PIB, bien que satisfaisant en termes macro-économiques, ne peut faire face à l’accroissement démographique et à l’augmentation résultante de la population active.

Le Paraguay enregistre en effet une croissance démographique régulière annuelle de 2%, soit le double de la croissance moyenne des pays du Cône Sud, tandis que le PIB par habitant stagne au-dessous de 2000 $ américains et que le taux de chômage (officiel) se maintient à plus de 10% depuis 2002 au sein d’une population active qui a augmenté de plus de 2,5% par an ces dernières années. Or, 40% des Paraguayens sont aujourd’hui âgés de moins de 15 ans.

 

Le taux d’inflation, qui s’était maintenu au-dessous des 10% depuis 2003, est repassé au-dessus de ce seuil dès 2006, ajoutant aux difficultés de la vie quotidienne.

Parmi les plus défavorisés se rangent les populations indiennes essentiellement versées dans les activités agricoles mais dont la moitié ne possèdent pas les titres de propriété des parcelles sur lesquelles elles subsistent. Vivant dans des conditions de grande précarité, la plupart du temps sans accès à l’eau potable, c’est aussi parmi ces populations que se relève le plus large taux d’analphabétisme[8].

A ce sujet, malgré le triplement des dépenses sociales depuis la fin de la dictature, le Paraguay reste aujourd’hui bien au-dessous des performances de ses voisins du Cône Sud en matière de santé publique (30% de la population non couverte) et d’enseignement de base[9].

 

L’intégration régionale a mérité beaucoup d’efforts du président Duarte Frutos, essentiellement au sein du Mercosur dont le Paraguay est membre fondateur. L’objectif principal de ce volet de la politique extérieure d’Asunción rejoint celui de ses relations avec le reste du monde : la conquête de débouchés sur les grands marchés agricoles. Mais, pays sans accès à la mer, souffrant de nombreuses et importantes asymétries aux plans économique et social par rapport à ses voisins, le Paraguay a du mal à tirer son épingle du jeu dans ce marché commun régional. Et jusqu’ici, le pays n’a pas été convaincu du bien-fondé du credo pro-Mercosur des derniers gouvernements malgré le coup de pouce donné à la production interne exportable.

Ainsi, dans le contexte de la campagne électorale, ce sont les ressources générées par les barrages électriques de Iacyretá (construit avec l’Argentine) et de Itaipú (construit avec le Brésil) qui ont surtout fait débat[10]. L’opinion publique, chauffée par les slogans revendicatifs de l’Alliance Patriotique pour le Changement (APC), s’est enflammée pour exiger de Brasilia une « renégociation » des arrangements initiaux afin de tirer meilleur parti d’une énergie qui profite essentiellement à Sao Paulo.

 

 

  • La campagne électorale, les      programmes

 

Tandis que « la droite » a repris ses sentiers de la guerre habituels, la campagne électorale a enregistré une prise en compte par « la gauche » des enseignements du passé en s’unissant derrière un candidat.

Les programmes de la première faisaient hésiter entre le déjà entendu et le manque de crédibilité qui y est attaché. Ceux de la seconde ont attisé le nationalisme et opposé riches contre pauvres dans un langage populiste annonçant l’avènement d’un « juste équilibre ».

Les deux tendances se sont partagées les mauvaises manières, les Colorados accusant le leader de l’APC d’être l’ambassadeur des FARC et celui-ci désignant les candidats « du pouvoir » comme responsables des victimes de l’épidémie de fièvre jaune.

 

Le Parti Colorado a offert aux Paraguayens le spectacle de féroces luttes intestines dont il est familier.

Les frictions ont connu leur paroxysme à l’heure de désigner le candidat du parti aux présidentielles. C’est finalement Mme Blanca Ovelar, ancienne ministre de l’Education, qui, en décembre 2007, lors des primaires du parti, l’emporta d’une très courte tête (45,04%) sur son rival M. Luis Castiglioni, ex-vice-président (44, 55%). Le soutien inconditionnel apporté à Mme Ovelar par le président Nicanor Duarte Frutos a contribué à attiser les tensions entre Colorados.

Quinze jours avant les élections, les plaies demeuraient ouvertes, comme le montraient les déclarations d’un candidat « castiglioniste » à un fauteuil au Sénat qui estimait que M. Duarte Frutos serait responsable de l’échec des Colorados aux élections et que la future représentation du parti au congrès comporterait « au moins » deux ailes.

Blanca Ovelar a mené une campagne sur un programme sans grand relief fait de promesses de prospérité répartie, de lutte contre la misère, de révision des « traités énergétiques » et de grands projets d’infrastructures de transport financés par l’argent de ceux qui volent le pays depuis 60 ans…

 

La libération anticipée en septembre 2007 de l’ex-général Lino Oviedo fut une manœuvre du gouvernement, opportuniste mais aux effets vite limités pour le Parti Colorado.

La décision prise à l’unanimité par la Cour suprême de la Justice militaire de libérer par anticipation le général Oviedo et l’autorisation qui lui fut donnée peu de temps après de se présenter aux présidentielles avaient pour but de fracturer le mouvement Concertation Démocratique créé autour de l’ex-évêque Fernando Lugo et qui incluait dans ses rangs l’UNACE de Lino Oviedo.

Le retour à la liberté de M. Oviedo détacha l’UNACE de la Concertation Démocratique mais ce parti issu d’une scission du parti Colorado décida – en fait sans surprise – de jouer cavalier seul en s’appuyant sur la popularité de l’ex-général.

La campagne de Lino Oviedo s’est curieusement articulée autour de 7 grands projets « structurels » susceptibles de générer « investissements, développement et emplois » et allant de la création d’une route transcontinentale au développement du tourisme écologique dans la zone des trois frontières en passant par la construction d’un nouveau siège du pouvoir exécutif pour faire des économies de loyers et gagner en efficacité administrative.

 

Autre prétendant « crédible » de l’aile droite à la présidence, M. Pedro Fadul, candidat de Patrie Bien-aimée, « institution dédiée à l’élaboration de stratégies publiques », a minutieusement développé en quelque 50 pages un programme axé sur « l’emploi, l’emploi, encore l’emploi » et destiné à générer une « révolution positive » tirant ses forces de la franchise, de l’ardeur au travail et de la discipline partisane. Dans les trois mois précédant les élections, M. Fadul n’a pas dépassé dans les sondages les 2,4 % d’intentions de votes.

 

Après les multiples tensions qui agitèrent en 2006 la mouvance de la gauche paraguayenne  – partis et organisations syndicales confondus -   l’année 2007 lui permit de s’unir autour de la candidature de M. Fernando Lugo tout en liant quelques alliances surprenantes avec le centre et la droite.

Fernando Lugo finit en effet par prononcer en 2007 son propre choix entre plusieurs tendances puis, la réapparition de Lino Oviedo sur la scène électorale permit à l’Alliance Patriotique pour le Changement (APC) d’entrer dans la campagne électorale débarrassée d’une cohabitation agitée avec l’UNACE au sein de la Concertation Démocratique.

Néanmoins, l’APC est restée un rassemblement très ouvert : à côté de quelque 8 partis catalogués à « gauche » (comme le Parti communiste ), se rangent deux partis du « centre » et le Parti Libéral Radical Authentique (PLRA) classé à « droite » mais rival historique du Colorado. C’est d’ailleurs un membre du PLRA, M. Federico Franco qui assurera – comme entendu – la vice-présidence de la république.

Le programme de M. Lugo n’a été présenté que fin janvier 2008.

Il annonçait d’emblée être ouvert à toutes les forces démocratiques du pays et qu’il serait mis en œuvre par un gouvernement « patriote et honnête » qui prendrait prioritairement en compte les intérêts nationaux avant toute décision.

Après avoir dressé un bilan des « problèmes et obstacles au développement » relevés dans les domaines du gouvernement, de l’économie et de la dette sociale, le programme annonçait 3 « objectifs stratégiques » :

  • construire un Etat au service du bien commun des      citoyens,
  • impulser le développement économique avec la      participation de la société civile, de l’Etat et du secteur privé,
  • défendre les intérêts nationaux et les droits      fondamentaux de tous les Paraguayens.

 

Enfin, le programme présentait 5 champs d’application de ces objectifs :

  • mise en place d’un Etat promoteur de développement, de      sécurité et de stabilité économique et sociale,
  • croissance économique durable, équité sociale et      création d’emploi,
  • respect et expansion des droits sociaux,
  • modernisation du secteur public,
  • présence internationale et souveraineté énergétique.

 

Sur ce fond de tableau académique, la campagne menée par Fernando Lugo et son succès ont en fait reposé sur trois discours étroitement liés :

  • un discours aux accents populistes mettant en avant une      polarisation simpliste de la société qui veut distinguer les nantis tenants      du pouvoir et les pauvres à qui l’APC veut le donner,
  • une dénonciation tous azimuts du système visant à      rassembler tous les exclus et aigris,
  • une exaltation du nationalisme dénonçant la superbe de      ses deux grands voisins et leurs atteintes à la souveraineté du pays.

 

 

  • A propos du futur président      Lugo

 

M. Fernando Armindo Lugo Méndez est né en mai 1951 au sein d’une famille modeste, mais « engagée en politique », dans une petite localité du département de Itapúa, située à quelque 400 kilomètres au sud de la capitale.

En 1970, âgé de 19 ans et après une première année de vie active comme instituteur, il intégra comme novice la congrégation des Missionnaires de la Parole Divine.

Cet engagement dans la vie religieuse durera près de 28 ans. Le Vatican ne l’a suspendu de ses activités sacerdotales qu’en décembre 2007 mais le considère toujours évêque, en dépit de la demande déposée en 2006 par M. Lugo pour être dégagé de toute fonction ecclésiastique pour se consacrer à la course à la présidence. Mais son engagement dans l’actualité séculière est bien antérieur à ces deux dernières années.

 

En 1977, ordonné prêtre et licencié en sciences religieuses, il quitta son pays pour l’Equateur où il passa 5 ans comme prêtre missionnaire et enseignant dans des régions déshéritées.

Son chemin croisa celui de « l’évêque des pauvres » Léonidas Proaño et, à son contact, il s’intéressa dès lors de près à la Théologie de la Libération.

De retour au pays, il semble que son activisme lui attira les foudres de la sécurité militaire et que ses supérieurs furent invités à l’éloigner momentanément du Paraguay.

Les années ’80 furent ainsi consacrées à une reprise de ses études universitaires à Rome, orientées vers la sociologie et la doctrine sociale de l’Eglise, puis à l’enseignement au sein de l’Institut Supérieur de Théologie, à Asunción.

Son retour dans des responsabilités de contact avec les réalités sociales de son pays se fit en 1992 au moment où il fut nommé supérieur provincial des Missionnaires de la Parole Divine. 

Ordonné évêque en 1994, il fut désigné pour prendre la tête de l’un des diocèses les plus pauvres, celui de San Pedro.

Dans ces fonctions de dignitaire de l’Eglise catholique, Fernando Lugo s’engagea alors résolument dans l’action sociale puis politique.

C’est ainsi que peu de temps après sa prise de fonctions de 1994, il soutint très directement les mouvements revendicatifs des paysans sans terre de son diocèse. Parallèlement, son engagement au profit des plus démunis se précisa et s’étendit à l’ensemble du pays lorsqu’il devint responsable national des Communautés Ecclésiales de Base.

2006 fut l’année du choix pour Fernando Lugo. Elle le vit prendre la tête de mouvements clairement voués à renverser le pouvoir des Colorados.

Ainsi, en mars 2006, Monseigneur Lugo - qui avait été nommé en 2004 évêque émérite par le Pape Jean Paul II - se retrouva animateur de la Résistance Citoyenne, mouvement qui réunit dans des manifestations de rejet du président Duarte Frutos et des Colorados, la majorité des partis de l’opposition, plusieurs centrales syndicales et nombre d’associations de citoyens.

En décembre 2006, Fernando Lugo présenta à Rome sa demande de retour à l’état laïque et annonça son intention de se lancer dans la campagne présidentielle.

L’année 2007 le mit à la tête de la formation qui devait le porter à la victoire, l’Alliance Patriotique pour le Changement, formée sur la base politique et intersyndicale fournie par la Concertation Démocratique (débarrassée de l’UNACE de Lino Oviedo) et le Bloc Social et Populaire (BSP) puis rejointe par le Parti Libéral Radical Authentique (PLRA). 

 

 

Des perspectives très problématiques

 

Pour Fernando Lugo et pour le Paraguay, les lendemains de ces élections paraissent très incertains.

Bien des données de la scène intérieure et des relations extérieures peuvent faire craindre une évolution comparable à celle que connaissent les pays de la région dont le vote populaire a porté au pouvoir des tenants du « socialisme du XXIe siècle ».

Il est vrai que M. Lugo ne s’est pas piqué de convoquer une assemblée constituante. Mais le Paraguay n’a pas l’argument du contrôle d’une richesse comparable à celle du gaz naturel bolivien ou du pétrole vénézuélien pour garantir des rentrées de devises à l’Etat et prétendre rééquilibrer ses relations avec ses voisins.

 

     - Ce qu’ont dit les urnes

 

Le succès de Fernando Lugo aux présidentielles est incontestable, notamment face à la candidate du parti Colorado.

Avec une participation exceptionnelle de plus de 65%, M. Lugo l’a emporté avec 10 points d’avantage sur Mme Ovelar (40,8% contre 30,7%). L’ex-général Oviedo a frôlé les 22%, tandis que loin derrière, M. Fadul confirmait les derniers sondages avec 2,2%.

 

En revanche, les résultats de législatives doivent inviter M. Lugo et ses supporteurs de gauche à s’interroger sur la liberté de manœuvre que consentiront les deux chambres au nouvel exécutif.

Bien que les résultats définitifs ne soient pas proclamés à ce jour, on peut d’ores et déjà affirmer que Fernando Lugo se retrouvera étroitement dépendant de son aile droite (PLRA), tandis que les partis de gauche les plus proches de lui n’obtiendront que 2 ou 3 sièges par chambre.

Ainsi, sur les 45 fauteuils du Sénat, 14 reviendraient au PLRA et 2 aux partis de gauche, contre 15 à l’ANR, 9 aux « Oviédistes » et 4 aux « Fadulistes ».

A la Chambre, les perspectives sont identiques avec 29 sièges sur 80 au PLRA et 2 ou 3 à la gauche face à 30 Colorados, 15 « Oviédistes » et 4 « Fadulistes ».

 

     - La scène intérieure

 

Au premier rang des fragilités du nouvel exécutif se range l’inexpérience du nouveau président - comme de son vice-président - en matière de conduite des affaires publiques, inexpérience alliée à une connaissance très imparfaite et partisane des grands dossiers. Ce qui n’a rien de surprenant du fait de la confiscation du pouvoir depuis 60 ans par un même parti et par une administration affiliée.

Cette inexpérience va se vérifier à l’heure de constituer un gouvernement, moment où, comme en Bolivie, on risque de trouver plus de bonnes volontés et de doctrinaires que de véritables spécialistes pour prendre en compte les portefeuilles les plus lourds.

 

Par ailleurs, il serait étonnant qu’une alliance aussi éclectique que l’APC ne manifeste pas rapidement des divergences lors de la définition, nécessairement plus élaborée que dans les discours de campagne des diverses politiques. Sans oublier les prétentions qui ne manqueront pas d’apparaître pour le contrôle des postes de responsabilité.

A ce propos, le PLRA qui, seul, mérite à l’Alliance une véritable représentation sur les bancs du législatif, sera probablement source de tiraillements tant au plan des responsabilités gouvernementales que des orientations politiques.

 

Enfin, il ne faut pas négliger les entraves à l’action gouvernementale que peut créer une administration largement d’obédience colorado. Les réactions de nervosité des fonctionnaires et des employés de l’Etat sous contrat aux résultats des élections ne laissent pas présager une transition sans heurts. Par ailleurs, il ne faut pas négliger les tentations d’intervention dans les affaires publiques de forces de sécurité qui ont été largement associées aux errements du pouvoir politique sur la scène intérieure durant ces dernières décennies.

 

Sur un autre registre, le président Lugo devra assumer les promesses et engagements contractés au fil de ses années de militance auprès de ceux qui ont constitué la majorité de son électorat : les  pauvres.

Il a toutes les chances de voir ses premières initiatives rattrapées par les attentes de ses fidèles.

Or, certains de ces « engagements » peuvent rapidement se révéler périlleux. Parmi ceux-ci, on peut citer ses déclarations en faveur d’une reconnaissance plus affirmée de l’héritage indigène. Ou bien encore, son engagement pour le respect de la propriété privée et en faveur d’une « réforme agraire intégrale » dans un pays où une large partie des paysans miséreux n’ont aucun titre de propriété et où des Brésiliens s’emparent de terres incontrôlées en zone frontalière pour cultiver le soja. 

 

Si le président doit se garder sur son flanc gauche, il lui faudra aussi et surtout se garder sur son flanc droit. Forts de leur emprise traditionnelle et des positions conservées, malgré les déchirures internes aujourd’hui à vif, les Colorados vont lui mener la vie dure à partir des hémicycles des deux chambres, à tous les niveaux des représentations électives et dans les divers domaines d’exercice du pouvoir.

Il lui reste à espérer que le PLRA ne fera pas défection trop vite et restera dans son rôle d’opposant historique à l’ANR.

 

Dans un tel contexte politique, M. Lugo, comme ses homologues bolivien, équatorien ou vénézuélien et en dépit de son passé de bon pasteur, pourrait bien se trouver entraîné vers un leadership de caudillo populiste en recourant comme eux à l’expression d’un soutien populaire personnel par voie de référendums.

Bien entendu, cette fragilité de nature politique se trouve accentuée par le manque quasi complet de souplesse dont dispose le président Lugo au plan économique.

 

Ainsi, les agriculteurs, qui fournissent l’essentiel des ressources du pays, se sont très tôt prononcés en faveur d’une garantie de la propriété privée et contre toute nouvelle imposition des exportations agricoles.

De son coté, le patronat a, dès le mois de mars, fait état de ses craintes de voir l’avènement d’un gouvernement populiste détourner pour longtemps de l’économie paraguayenne le peu d’investissements étrangers dont elle bénéficie aujourd’hui. Il reste bien entendu sur ses gardes malgré le bon sourire du nouvel élu qui assure qu’il « n’est pas un loup ».

Enfin, si une augmentation substantielle des ressources provenant de la production d’énergie électrique constituerait aujourd’hui la seule solution pour rapidement accroître et stabiliser les ressources de l’Etat, les déclarations du candidat Lugo promettant une augmentation de 500% du prix de cette énergie exportée ont de fortes chances de rester un vœu pieux.

 

     - La scène internationale

 

C’est en effet sur la scène des relations extérieures et tout particulièrement sur celle des relations régionales dans le cadre du Mercosur que repose l’essentiel du pari du président Lugo. Mais sur ce plan, la marge de négociations est quasiment inexistante dans les conditions actuelles et, a priori, le coup de force se révèlerait suicidaire.

 

 L’économie du pays est trop étroitement dépendante de son commerce avec ses voisins :

  • malgré l’harmonisation tarifaire mise en vigueur entre      pays du Mercosur, une part non négligeable de rentrées de devises est liée      à des activités de réexportation vers les autres membres du marché commun,
  • et globalement, le Paraguay est incapable de maintenir      son maigre niveau de vie sans le recours aux importations de biens et aux      exportations de ses productions agricoles dans le cadre des échanges régionaux.

 

On imagine donc mal comment le nouveau gouvernement pourra amener l’Argentine et le Brésil à accepter une révision drastique des « traités énergétiques ».

Le Brésil, le plus gros fournisseur et client du Paraguay, a déjà calmement mais fermement annoncé son opposition au plus fort de la campagne par les voix du directeur de l’entreprise Itaipu et du secrétaire général de la Chancellerie : le texte du traité signé précise qu’il ne peut être révisé avant 2023. Au lendemain des élections, le président Lula reprenait ces mêmes propos.

Par ailleurs, les perspectives d’ouvertures sur les marchés du reste du monde pour ce pays enclavé sont difficiles à concrétiser et de toute façon ne peuvent laisser espérer des alternatives réelles dans les court et moyen termes[11].

Quant aux relations avec l’Europe, elles s’inscrivent nécessairement dans le cadre des négociations d’un accord de libre-échange avec le Mercosur, négociations qui s’avèrent notablement difficiles pour le secteur clef qu’est l’agriculture pour le Paraguay.

Enfin, les Etats-Unis n’apparaissent guère comme un recours pour diverses raisons, au premier rang desquelles on rangera les orientations politiques du nouveau gouvernement et les compromissions du passé avec l’ANR, compromissions qui ont été récemment illustrées par les outrances de l’engagement de l’ambassadeur américain dans les débats internes au parti Colorado en pleines primaires.

Qui plus est, les chaleureuses félicitations envoyées à Fernando Lugo par ses (futurs) homologues bolivien, vénézuélien, équatorien, nicaraguayen et cubain doivent pour le moins laisser Washington dans une expectative méfiante…

 

En conclusion, beaucoup d’éléments portent à prévoir qu’à peine descendu des estrades de la campagne électorale, le nouveau président va être pris à contre-pied sur deux de ses discours : le discours nationaliste (surtout anti-brésilien) et le discours populiste.

De plus, on peut compter sur les Colorados et sur les fidèles de Lino Oviedo pour bientôt contre-attaquer sur le terrain de la corruption des personnes et du système. La campagne a donné en cela d’excellents exemples de la ressource disponible en réserve.

Pour le Paraguay, le tumulte des déçus risque de succéder à l’apathie des pauvres.

 

 

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[1]Rejoignant ainsi au chapitre des records les 71 ans au pouvoir du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) mexicain, qui perdit la présidence en 2000 avec l’élection de M. Vicente Fox.

 

[2]A l’exception du Parti communiste qui, par ailleurs, avait durement souffert sous la dictature du général Stroessner et vu ses secrétaires généraux successifs éliminés physiquement.

 

[3]Au Paraguay, les électeurs sont appelés à voter tous les 5 ans pour choisir le binôme président-vice-président, leurs députés, leurs sénateurs et leurs représentants au parlement du Mercosur.

[4]Il faut noter que M. Duarte fut ministre de l’Education de 1999 à 2001 sous la présidence de M. Macchi.

[5]La Stratégie nationale de réduction de la pauvreté et de l’inégalité (ENREPD) vise à favoriser l’accès à l’emploi et au logement, le développement de la protection sociale, la participation au développement local, l’intégration des populations indigènes.

Le plan économique Paraguay 2011 organise l’engagement de l’action de l’Etat dans quatre domaines : amélioration de la compétitivité, diversification économique, production agricole et réduction de la pauvreté.

 

[6]Evolution :

- de la croissance : - 3,3% en 2000, 0% en 2002, 2,6% en 2003, 2,9% en 2005, 4% en 2006 ;

- du solde budgétaire/PIB : 0,8% en 2005, 2,3% en 2006 ;

- de la dette extérieure/PIB : 29,6% en 2005, 24% en 2006.

[7] A ce propos, le Parti Colorado se sera encore particulièrement distingué au cours de la campagne électorale : paiement d’une indemnité à tout affilié au parti qui va voter ; pressions sur les fonctionnaires ; prélèvements obligatoires sur les salaires des fonctionnaires affiliés pour financer la campagne.

[8]Il faut néanmoins relever que les indigènes représenteraient moins de 1% des Paraguayens, qui constituent l’une des nations les plus homogènes d’Amérique du Sud.

[9]A l’autre extrême du domaine de l’éducation, les effectifs des étudiants universitaires ont été multipliés par 7 depuis la chute de la dictature mais les universités ne répondent pas aux besoins en formations scientifiques et techniques.

[10] Le Brésil verse au Paraguay 2,72 $ par mégawatt/heure quand, sur son marché intérieur, il est facturé 72 $.

[11]A titre indicatif, le Mercosur et le Chili fournissaient, en 2005, 57% des débouchés à l’exportation, suivis par la Russie (11%) et les Iles Caïmans (9,5%). Les fournisseurs les plus importants en dehors de la région (44%) étaient dans l’ordre : la Chine (27%), le Japon (8,3%) et les Etats-Unis (6,3%). La balance commerciale était déficitaire de 1 Md de $ en 2006.

 

 


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