Pérou : motifs d'inquiétude



 

 

En ce début de seconde partie de mandat présidentiel, M. Alan Garcia se voit confronté à une situation interne difficile dont les composantes ne sont que partiellement liées à la conjoncture.

Alors que les deux premières années de la présidence de M. Garcia semblaient démontrer que le Pérou s’engageait enfin sur la solution de ses problèmes de fond, les évènements de ces derniers mois sont venus battre en brèche l’optimisme des observateurs qui se focalisaient peut-être trop exclusivement sur les bonnes performances macro-économiques.

 

Tandis que l’économie péruvienne accuse ses premières contractions, des heurts sanglants survenus début juin entre policiers et Indiens ont contraint le gouvernement à abandonner l’application de plusieurs lois sur l’investissement privé en Amazonie et entraîné dans leur sillage une vague de mouvements sociaux.

 

Au même moment, l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime constatait, dans son rapport 2008 concernant le Pérou, une nouvelle augmentation des superficies consacrées à la culture de la coca… et affirmait dans sa préface que cela permet une hausse des ressources de groupes terroristes « comme les reliquats du Sentier Lumineux ».

 

Quelques jours après les incidents dramatiques de ce même mois de juin, les armées subissaient une nouvelle attaque des « rebelles » sur une de leurs bases installée dans l’une des zones principales d’implantation des cultures illicites.

 

ü  Deux années de succès au plan économique pour M. Alan Garcia

 

Pour son deuxième mandat présidentiel, M. Alan Garcia n’a pas renoué avec les choix très keynésiens de son premier mandat (1985-1990) en matière économique.

Il s’est au contraire inscrit dans le mouvement d’ouverture au néo-libéralisme initié par son successeur, M. Alberto Fujimori qui, en 15 ans, a permis au Pérou de participer à l’expansion de l’économie mondiale.

Dans les premiers mois suivant sa prise de fonctions (juillet 2006), une série de mesures sont venues favoriser les investissements extérieurs qui, par contrecoup, ont entraîné une hausse de la production orientée notablement vers l’exportation de minéraux (argent, or, cuivre, plomb, zinc...)

Parallèlement, l’ouverture au commerce international, dans le cadre d’accords préférentiellement bilatéraux, a permis de répondre à une envolée de la demande intérieure.

Face à la crise mondiale, l’économie péruvienne pouvait en fin 2008 se prévaloir de solides atouts :

  • une croissance ininterrompue du PIB et à des niveaux jusque-là inégalés (8% en 2006, 8,99% en 2007, 9,1% en 2008) ;
  • une balance commerciale largement positive (+ 1,7 mds USD) soutenue par une diversification des exportations « non –traditionnelles » issues des PME ;
  • une inflation toujours bien maîtrisée à l’aune régionale (3,93% en 2007, 6,65% en 2008) ;
  • un endettement public diminué de moitié entre 2007 et 2008 (de 47 à 24% du PIB) ;
  • des réserves internationales nettes en accroissement régulier (27,7 Mds USD en 2007, 31,2 Mds USD en 2008 soit 13 mois d’importations) ;
  • un solde budgétaire positif pour la 3e année consécutive (+1,5% PIB en 2006, + 1,8% en 2007, + 2,2% en 2008).

 

ü  Cependant, les premiers signes de ralentissement sont là

 

Des analystes indépendants signalaient en avril que les résultats du mois de février équivalaient à un quasi-arrêt du mouvement de croissance, pourtant ininterrompu depuis 8 ans, de l’économie péruvienne.

A la mi-juin, le gouvernement annonçait que l’économie nationale avait enregistré en avril  la première contraction depuis 2001 (- 2,01 % par rapport au mois d’avril 2008), peu de jours après que la Banque Centrale ait déclaré revoir à la baisse les prévisions de croissance pour 2009 (3,3% au lieu des 5% envisagés par le gouvernement). Des institutions financières privées estimaient par ailleurs que les résultats de mai allaient également montrer une continuité du mouvement à la baisse.

En dépit de quelques explications techniques se voulant rassurantes fournies par l’Institut National des Statistiques et de l’Informatique (INEI), les experts constatent que cette contraction est à la fois liée :

  • à la réduction de la demande interne ;
  • à la réduction des exportations du secteur « traditionnel » et à la baisse concomitante des cours des métaux sur le marché international (24% de baisse en 12 mois et 70% des revenus à l’exportation).

 

A cela est venu s’ajouter un renforcement de la valeur de la monnaie nationale – le sol – face au dollar.

Les secteurs d’activité internes les plus affectés sont les activités manufacturières, le commerce et la construction.

Sur la base d’une inflation qui pourrait se limiter à 4,2% cette année, la Banque Centrale a réduit son taux d’intérêt à 3% espérant ainsi relancer la consommation interne… ce qui, selon certains experts, pourrait également provoquer une relance de l’inflation...

 

ü  La priorité au domaine social se concrétise mais de manière inégale

 

Le candidat Alan Garcia avait fait de la réduction de la pauvreté un objectif majeur. Le président l’avait confirmé comme tel à son premier gouvernement.

 

Ce n’était pas le premier à souhaiter sortir d’un système se réclamant de la démocratie « sans crédibilité sociale » puisqu’en juillet 2002, le président Alejandro Toledo avait convoqué le « Forum de l’Accord National » réunissant autour du gouvernement des représentants des principaux partis politiques, des formations syndicales et de la société civile. L’Accord avait retenu, parmi ses 4 objectifs à atteindre avant juillet 2021, celui de « l’équité et de la justice sociale » décliné en plusieurs domaines d’actions (droits de l’homme, emploi, éducation, santé, culture…) traduits en autant de « politiques d’Etat ».

Divers plans à caractère social avaient été rédigés pour encadrer la mise en œuvre de l’Accord National, parmi lesquels se distinguait le « plan national d’élimination de la pauvreté » 2004-2006.

En début de mandat, le président Garcia a pris le relais avec le programme « Juntos » (Ensemble) intégré à la Stratégie Nationale « Crecer » (Croître) qui prévoit notamment une aide financière directe aux bénéficiaires.

Le gouvernement a par ailleurs lancé plusieurs programmes relatifs au développement du secteur de la santé, des réseaux d’électrification et des infrastructures routières ainsi qu’à l’accès à l’eau potable et à l’amélioration de l’assainissement.

Avec l’appui international (PNUD et CE), l’objectif de réduire la proportion des pauvres à 30% en 2011 reste officiellement d’actualité, tandis que selon l’INEI, ce pourcentage  est passé de 44,5% en 2006 à 39,3% en 2007 puis à 36,2% en 2008.

Néanmoins, ces chiffres ne reflètent qu’imparfaitement la réalité péruvienne.

Les progrès enregistrés sont très différents selon que l’on considère la région de Lima qui, avec ses 8 millions d’habitants, représente la zone la plus économiquement active du pays, et le reste du Pérou et plus particulièrement la région des Andes où le taux de pauvreté stagne à hauteur de 60% et où les efforts gouvernementaux en matière d’équipements tardent à se concrétiser.

Depuis un an, l’efficacité de l’action gouvernementale dans le domaine social fait l’objet de nombreuses critiques de la part de l’opposition qui dénonce un maniement partisan des initiatives, une mauvaise gestion des fonds, des insuffisances dans la coordination des divers plans et un manque de références sérieuses pour justifier du choix de leurs bénéficiaires. 

 

ü  De graves tensions sociales qui dégénèrent en crise politique

 

Le 5 juin, à Bagua dans le département de l’Amazonas (nord du pays), une intervention des forces de l’ordre visant à déloger plusieurs milliers d’indigènes qui bloquaient des axes routiers a tourné au drame : 24 policiers et 10 civils sont tués.

Les prémices de cet événement apparurent en avril, lorsque les communautés indigènes commencèrent à manifester leur refus d’une série de décrets pris par le président Garcia sur la base de pouvoirs accordés par le Congrès dans le cadre de la mise en œuvre du traité de libre échange avec les Etats-Unis. 

Estimant leurs intérêts lésés par des dispositions qui conduisent selon eux à une privatisation de 45 millions d’hectares de la forêt amazonienne et de leurs ressources en eau, les Indiens entreprirent de couper des routes, d’interrompre les trafics fluviaux et de fermer des vannes de distribution de gaz.

Le gouvernement considère au contraire que les textes permettent de contrôler l’exploitation des milieux naturels tout en attirant les investissements étrangers et en préservant 12 millions d’hectares de zone forestière pour les communautés indigènes et 15 millions d’hectares comme réserves écologiques.

Une table de négociations réunissant des représentants du gouvernement et des communautés indigènes ne donna pas de résultat concret et le Congrès décida de repousser sine die l’examen des textes contestés, ce qui enflamma les esprits et conduisit aux évènements de Bagua.

 

Ces évènements ont immédiatement pris une tournure politique, le Premier ministre Yehude Simon dénonçant une manipulation des communautés autochtones par des acteurs « hostiles à la démocratie » comme les nationalistes de Ollanta Humala. Pour sa part, le président Garcia a déclaré y voir l’intervention pernicieuse de son homologue bolivien qui, dans un passé récent, avait adressé à un congrès indigène une correspondance encourageant les aspirations à l’indépendance des peuples nativos.

De son coté, Alberto Pizango, président de l’Association Interethnique pour le Développement de la Forêt Péruvienne (AIDESEP), déclarait que le drame était lié à la signature du traité de libre échange avec les Etats-Unis qui conduisait à privatiser l’eau et les terres de la nation et à fusiller ses frères qui défendaient le droit de tous les Péruviens à vivre dignement sur leur territoire.

Enfin, l’opposition a rapidement décidé de tenter de réunir les voix nécessaires afin de pouvoir présenter une motion de censure contre le Premier ministre Simon et la ministre de l’Intérieur Mercedes Cabanillas.

Le groupe parlementaire du Parti Nationaliste Péruvien a été le premier a annoncer son intention de réclamer le départ de M. Simon, il a été rejoint quelques jours après par l’Union Nationale puis par l’Alliance pour le Futur de Keiko Fujimori qui arriverait actuellement en tête des intentions de vote pour les élections présidentielles 2011.

 

Par ailleurs, dans la flambée de protestations qui ont suivi les évènements de Bagua, des foyers de tensions sont apparus dans des départements du centre et du sud (Apurimac, Cuzco, Junin) où les agriculteurs se sont également manifestés par des blocages de routes pour exiger la baisse de taxes et la construction de voies de communication. Le gouvernement a estimé nécessaire de renforcer temporairement la police par l’armée. Les exigences des paysans se sont étendues à la demande de l’annulation d’une concession de centrale électrique et de toutes les concessions minières puis ont repris une partie des demandes des Indiens du nord à propos de l’eau.

 

Bagua a entamé la crédibilité du gouvernement et l’autorité de l’exécutif péruvien.

Quelques jours après les heurts sanglants, le congrès suspendait sine die l’application des décrets contestés par un vote qui a rassemblé les « fujimoristes »… et les représentants du parti du président (APRA).

La popularité de M. Garcia s’est effondrée, 21% des Péruviens déclarant approuver l’attitude d’un président qui s’est enfermé dans un ferme soutien à Yehude Simon tout en dénonçant la manipulation par une main de l’étranger de quelques milliers d’anti-démocrates pour tenter de minimiser les faits et la gravité de la situation générale.

De son coté, le Premier ministre se hâtait de se rendre dans les trois départements où les manifestations paysannes se durcissaient, pour s’efforcer d’enrayer la crise avant sa comparution devant le Congrès, tout en répétant qu’il allait démissionner dans les prochaines semaines.

Finalement, le 30 juin, la motion de censure contre M. Simon et Mme Cabanillas n’a pas réuni les voix suffisantes bien que le nombre des votes en faveur aient été dans les deux cas nettement supérieur à ceux des votes contre et des abstentions réunis (56 contre 44).

 

Au plan des relations extérieures, les événements ont provoqué de fortes tensions diplomatiques notamment avec le voisin bolivien. Le président Morales qui avait répliqué aux accusations de son homologue Garcia en qualifiant de « génocide » les violences de Bagua, a été classé par le chancelier péruvien comme « ennemi » du Pérou.

Le président Ortega du Nicaragua n’a pas manqué de jeter sa pierre « bolivarienne » dans le jardin de Alan Garcia en accueillant comme un réfugié politique Alejandro Pizango qui avait fui le Pérou au lendemain des affrontements. M. Ortega est allé jusqu’à se présenter avec le leader indigène à ses côtés (« un frère de plus ») lors d’une cérémonie en hommage à Carlos Fonseca, fondateur des guérillas sandinistes.

 

 

 

 

 

ü  Le trafic de drogue et des guérilleros narcotrafiquants bien implantés

 

-         Le trafic de drogue

 

La simple lecture de la préface du rapport 2008 de l’ONUDC sur le suivi des cultures illicites au Pérou interdit tout optimisme pour les court et moyen termes, en dépit des efforts consentis par le gouvernement notamment en faveur de programmes de développement durable susceptibles de supplanter la feuille de coca.

On en retient que pour la 3e année consécutive, la superficie consacrée à la coca a augmenté de quelque 4,5% soit plus de 56 000 ha, ce qui induit une capacité théorique de production annuelle de cocaïne qui bondit à 302 tonnes de poudre blanche.

Et le texte de préciser que « dans un pays où moins de 8% de la feuille est utilisée à des fins licites, cette expansion des surfaces de production, outre une plus grande disponibilité de drogue, représente davantage d’argent pour corrompre et compromettre la bonne gouvernance, générer davantage de violence et de ressources pour le crime organisé et le soutien de groupes terroristes tels que les reliquats du Sentier Lumineux ».

Pour faire bonne mesure et saluer les efforts des forces de sécurité, le rapport note :

 

  • que les campagnes d’éradication, qui ont porté sur quelque 11 000 ha, ont contribué à limiter l’expansion du fléau,
  • que les saisies de pâte de coca et de chlorhydrate ont doublé (respectivement de 6,2 tonnes à 11,6 tonnes et de 8,1 tonnes à 16,2 tonnes).

 

Néanmoins, les effets de ces succès sont tempérés par les hausses des prix sur les marchés illicites : respectivement + 22% et + 11%.

 

Il est intéressant de relever qu’en 2008, contrairement aux années passées durant lesquelles l’expansion des surfaces cultivées s’est faite de façon à peu près uniforme, 55% des nouvelles cultures sont apparues dans les deux zones refuges des « reliquats » du Sentier Lumineux : la partie sud de la vallée du Alto Huallaga (400 km au nord-est de Lima) et l’ensemble des vallées des rivières Apurimac-Ene (dit VRAE au Pérou - 350 km au sud-est de Lima)

De même, c’est dans le VRAE que l’on trouve les meilleurs rendements de production de la feuille de coca (50% de la production nationale).

Par ailleurs, on observe dans le secteur d’activité de la drogue des évolutions liées à des changements qui se produisent hors du périmètre national puisque l’augmentation du prix de la feuille de coca découlerait tant des efforts d’éradication dans la partie nord de la vallée du Alto Huallaga que des succès de la lutte anti-drogue dans la Colombie voisine[1].

 

Dans le droit fil de ce dernier constat, les experts de la DEA américaine comme des spécialistes locaux s’accordent pour constater une sorte d’internationalisation de la chaîne du narcotrafic péruvienne.

Ainsi, les activités d’exportation et le contrôle de la qualité seraient essentiellement aux mains des Mexicains (en particulier le cartel de Sinaloa) Les Colombiens auraient délaissé l’export pour se dédier aux transports internes et à l’amélioration des plants de coca, tandis que les Péruviens se consacreraient à la production.

 

Enfin, la violence liée au trafic de drogue qui sévit dans les régions de production et sur les routes d’exportation (valle de Alto Huallaga, VRAE, zone frontalière avec la Colombie et le Brésil du Rio Putumayo), a commencé à se manifester dans les centres urbains sous forme de règlements de compte sanglants.

Plusieurs représentants de l’Etat, engagés dans la lutte contre la drogue ont, dès 2008, demandé un renforcement de leur sécurité personnelle.

 

Face à cette situation qui se dégrade, le gouvernement actuel n’est pas resté inactif, mais comme le déclarait en avril dernier Rómulo Pizarro, président de la commission nationale pour le Développement et la Vie sans Drogues (Devida), « nous ne sommes pas en train de gagner la guerre contre le narcotrafic. Je crois que nous devons commencer à faire la guerre au narcotrafic ».

Il rejoignait ainsi les conclusions en la matière de l’ONUDC qui recommandait que les efforts budgétaires consentis depuis 2007 constituent le plus tôt possible l’embryon d’un budget national réservé à la lutte contre le narcotrafic au Pérou.

 

Le dispositif mis en place est actuellement et depuis 2007 piloté par la commission Devida qui, dans le cadre de la Stratégie Nationale de Lutte contre les Drogues 2007-2011, est chargée :

 

  • de coordonner les actions des différentes entités publiques impliquées dans la lutte contre la drogue aux niveaux national (ministères de la Défense, de l’Agriculture, de l’Intérieur, de la Santé…) et local (administrations départementales) ;
  • d’exprimer et de faire approuver par le ministère de l’Economie les ressources budgétaires nécessaires.

 

A partir d’une première dotation de 11 millions de soles (2,6 millions d’Euros) en 2007, la commission Devida est passée à quelque 40 millions ces dernières années mais a régulièrement exprimé des besoins 4 fois supérieurs.

Ces ressources sont utilisées dans le cadre du Plan d’Impact Rapide (PIR) qui organise les efforts sur trois axes, à savoir théoriquement : prévention (5%), interdiction (50%) et développement alternatif (45%).

Si les actions de prévention portent prioritairement sur les populations scolaires, les actions d’interdiction et de développement alternatif sont centrées sur les régions productrices.

Les initiatives de développement agricole alternatif  donnent de bons résultats mais exigent que les zones visées aient effectivement des capacités réelles de cultures et d’élevage. Actuellement, les solutions de substitution pour les régions ne présentant pas ces caractéristiques font défaut. Par ailleurs, on observe que toute variation durable à la baisse des prix agricoles entraîne un retour à la culture de la coca.

Comme partiellement évoqué ci-dessus, les actions d’interdiction sont à ce jour celles qui ont le plus contribué à ralentir l’expansion des cultures illicites On distingue :

-          les éradications de cultures (11 000 ha en 2008) ;

-          les saisies des 2 produits dérivés (pâte base et chlorhydrate de cocaïne) estimées à 7% des 302 tonnes de la capacité théorique de production ;

-          le contrôle de la fabrication, du transport et du commerce des solvants servant à extraire la cocaïne des feuilles (kérosène, gas-oil).

Ce dernier type d’action est très efficace sur le court terme mais les autorités ont constaté la capacité croissante des trafiquants à reconstituer leurs réseaux d’approvisionnement dans des délais très brefs.

 

 

-         Les terroristes recyclés dans le narcotrafic

 

Dix-sept ans après la capture d’Abimaël Guzman Reynoso, créateur, chef et idéologue du Sentier Lumineux et la fin d’un conflit intérieur qui aurait causé 70 000 victimes, quelques groupes armés, « reliquats » de la puissante guérilla maoïste des années ’80, qui refusèrent l’accord de paix du président Fujimori, courent toujours la selva de zones agrestes et déshéritées du Pérou.

Ces « colonnes » du S.L. se trouveraient concentrées pour l’essentiel dans les vallées du Alto Huallaga (effectifs estimés à 300) et des rivières Apurimac-Ene (VRAE – effectifs estimés à 600).

Néanmoins, leurs activités de trafiquants les ont également amenés à se déployer dans d’autres régions, notamment sur les axes commerciaux de la drogue.

En effet, pour survivre et disposer de ressources, ces guérilleros ont – selon les experts – tout d’abord vécu en parasitant les différents trafics (drogue, carburants, bois) perpétuant ainsi une pratique aussi ancienne que leur mouvement armé révolutionnaire d’origine.

Puis, ces 10 dernières années les ont vus s’impliquer de plus en plus dans les activités liées à la coca.

Pour Jaime Antezana, sociologue et chercheur péruvien spécialisé dans les domaines de la violence interne et du narcotrafic, ces senderistas ont, au début des années 2000, offert leurs services comme protecteurs de zones de cultures et de transporteurs de drogue à dos d’homme (mochileros). A partir de 2004, ils ont installé leurs propres cultures et leurs propres laboratoires de fabrication.

Selon M. Antezana, ils constituent désormais une organisation indépendante de narcotrafiquants dont les leaders sont effectivement d’origine S.L. mais dont les plus jeunes membres ne sont que des hommes de main et des transporteurs de drogue.

 

De cette situation découle un risque de confusion à la colombienne dont il serait urgent de sortir : il subsiste effectivement – notamment dans le Alto Huallaga et le VRAE – des « colonnes » armées dont les comandantes continuent à tenir un discours politique « révolutionnaire » maisle danger premier pour le pays découle de leur puissance comme cartel de la drogue.

De fait, il semble bien que nombre des agressions commises par les senderistas contre les forces de l’ordre et notamment contre la police, trouvent plus leur origine dans la menace que font peser celles-ci sur les intérêts du narcotrafic que sur leurs sanctuaires de révolutionnaires en préparation du Grand Soir.

Néanmoins, il ne faut pas négliger la perniciosité de ce discours politique rémanent car les guérilleros ont, semble-t-il, abandonné leurs anciennes méthodes consistant à semer la terreur dans leurs zones d’action, pour des actions de « protection » des cultivateurs de coca contre les forces de sécurité et des initiatives à caractère social dans les régions pauvres. Il existe donc le risque de voir les tenants d’un projet politique d’un autre temps refaire des adeptes et par, conséquent, de voir le problème se complexifier pour le gouvernement péruvien.A ce propos, on a pu relever les déclarations du général Hector Caro, ex-directeur de la Direction Contre le Terrorisme (Dircote), dénonçant l’infiltration d’éléments subversifs du SL dans les derniers mouvements sociaux les plus violents.

Le gouvernement a engagé depuis 2007 l’armée et la police dans des opérations offensives, notamment dans le VRAE (opérations Tormenta et Excelencia).

Les « délinquants » forts d’une excellente connaissance et de la maîtrise de vastes zones où l’Etat est absent et les populations acquises à leurs protecteurs, disposant d’armes modernes individuelles et collectives, ont accru le nombre de leurs embuscades et de leurs actions de harcèlement[2].

Les résultats des opérations gouvernementales menées avec des moyens humains et matériels limités en nombre et qualité, sont restés modestes face à un adversaire qui maîtrise toutes les techniques de la guérilla et attend parfois l’attaquant sur des terrains préparés. En revanche, les unités militaires et de police perdent régulièrement des hommes[3].

 

ü  Des lendemains pavés de graves incertitudes

 

Le coup de frein qu’enregistre l’économie est une très mauvaise nouvelle pour un pays qui vit avec le double fardeau d’une immense pauvreté de pans entiers de sa population et d’un narcotrafic en pleine expansion.

 

Les plus pessimistes des observateurs estiment que dans des régions andines et de l’Amazone, on retrouve aujourd’hui des contextes socio-économique et politique comparables à ceux des années ’80 à la veille du conflit interne déchaîné par le Sentier Lumineux et le Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru.

 

A peine sorti de la salle du Congrès et libéré de la menace d’une motion de censure, M. Simon s’est empressé d’ouvrir la première session de la Table pour le Développement des Peuples Andins réunissant des représentants du gouvernement, des administrations départementales et de la société civile. Une instance similaire à caractère permanent devrait également être installée pour la région de l’Amazonie. Le Premier ministre a annoncé la mise sur pied d’un secrétariat constitué de fonctionnaires, spécialement chargé du suivi des engagements qui y seront pris.

 

Ce type d’initiative, qui s’inscrit dans l’esprit de l’Accord National, est sans aucun doute à classer parmi les mesures salutaires.

Néanmoins, l’efficacité de l’action du gouvernement va continuer à pâtir du manque d’indispensables relais vers une nation très fragmentée, peu respectueuse de la légalité dans l’expression de ses revendications et où la pratique de la démocratie ne convainc que peu de gens.

En effet, les fragilités institutionnelles comme l’absence de partis politiques d’audience vraiment nationale laissent probablement pour longtemps le champ libre aux mouvements locaux.

A moins de puiser à tout va dans les réserves de l’Etat comme l’avait fait M. Garcia durant son premier mandat, on peut donc craindre que le gouvernement n’ait d’autres solutions d’ici 2011 que de chercher à éviter un embrasement social général en courant d’un foyer de tension à l’autre avec des promesses de dialogue, comme a commencé à le pratiquer Yehude Simon.

 

Dans ces conditions, on peut se demander si le gouvernement saura – et pourra – accorder la priorité que mériterait, au regard de l’avenir du pays, la lutte contre la dangereuse expansion des activités liées à la drogue.

A travers certaines déclarations, on comprend que le pouvoir a bien conscience du challenge.

Mais le passage à l’effort tarde et la police comme les armées se plaignent de ne pas se voir consentir les budgets nécessaires à la modernisation de leurs parcs d’équipements essoufflés.

Ainsi, quelques jours après la mortelle embuscade d’avril dernier, M. Simon reconnaissait la nécessité d’apporter – mais sans les citer quelques « correctifs » à l’action « antiterroriste » tout en rappelant qu’au cours des trois années passées, 100 millions USD ont été consacrés… aux infrastructures dans le VRAE.

 

Par ailleurs, la prise en compte du danger potentiel de voir les anciens du Sentier Lumineux reprendre celui de la lutte révolutionnaire armée avec des moyens financés par le narcotrafic semble pour l’heure politiquement incorrecte.

Dans les déclarations récentes du Premier ministre, on relève en effet que M. Simon amalgame bien la lutte contre les « terroristes » avec la lutte contre la drogue mais que, pour lui, cette lutte vise au plus à « éliminer ce qui reste de cette partie néfaste de l’Histoire du Pérou »…

Voici un an, on parlait dans les cercles militaires de la possibilité de voir s’installer une base américaine à Ayacucho, base qui remplacerait celle de Manta que l’Equatorien Correa a décidé de fermer sur son territoire en novembre 2009. Les spéculations se sont tues.

De toute façon, après la dure condamnation à 25 ans d’emprisonnement de M. Alberto Fujimori qui lui avait succédé à la fin de son premier mandat, M. Alan Garcia ne se risquera sans doute pas à recourir aux solutions énergiques qu’il avait adoptées durant celui-ci (1985-1990)[4].

Il est donc prudent de s’attendre à ce que le Pérou entre dans une nouvelle phase de troubles internes et bascule peu à peu, faute de moyens, faute d’organisation et faute de volonté politique, dans les voies de la violence sociale, politique et crapuleuse.

Ce genre de situation est bien entendu de nature à préparer l’avènement d’un nouveau caudillo dans le panorama des exécutifs sud-américains à l’horizon des élections de 2011.

 

 

 

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[1] Le rapport 2008 de l’ONUDD concernant la Colombie fait état d’une baisse de 28% de la production de cocaïne dans ce pays (430 tonnes) liée à une réduction de 18% des surfaces cultivées.

 

[2] Depuis juillet 2003, il y aurait eu 24 actions menées par les senderistas dont 14 depuis 2008.

 

[3] Le nombre de « délinquants » mis hors de combat reste infime. Après la capture d’une douzaine de senderistas au second semestre de 2008, en 2009 les forces de l’ordre n’ont arrêté qu’un seul leader S.L. (Alejo Maylle Tolentino, alias « camarade Rocky », adjoint du « camarade Artemio » qui opère dans la Alto Huallaga). En revanche, les embuscades de ces dernières années auraient causé la mort d’une soixantaine de membres des forces de sécurité ; la plus récente, en avril dernier, s’est soldée par la mort de 14 militaires ;  en juin, l’attaque menée contre un hélicoptère sur une base du VRAE a causé la perte d’un caporal.

 

[4] Répression des mutineries de senderistas dans les prisons de Lima en 1986 (248 morts) ; mise sur pied du Comando Rodrigo Franco, formation paramilitaire anti-terroriste ; exactions des armées parmi les populations suspectées de soutenir le SL et le MRTA

 


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