Premiers enseignements de la tuerie de Mumbai



 

 

A l’heure où nous écrivons, ce vendredi matin, la situation reste extrêmement confuse à Mumbai où les opérations sont toujours en cours, plus de 42 heures après le début d’une des offensives terroristes les plus massives de ces dernières années. Il est néanmoins d’ores et déjà possible de tirer les premiers enseignements de cette crise sans précédent.

 

1)     Le film exact des évènements reste encore difficile à retracer

 

-         Mercredi 26 novembre, en fin de journée, des commandos terroristes, apparemment venus en canots pneumatiques d’un chalutier indien capturé il y a plusieurs jours, ont débarqué en différents points de la ville.

 

-         C’est aux environs de 16H00 GMT (entre 20 et 21 heures à Mumbai) que les attaques ont débuté. Les premières informations faisaient état de fusillades près des hôtels Oberoi-Trident et Taj Mahal.

 

-         A 19H00 GMT, la police indienne annonçait des « attaques à l’arme automatique et à la grenade » dans 7 endroits différents.

 

-         Dès le milieu de la soirée, il était clair que plusieurs attaques du type « hit and run » avaient eu lieu, entre autres sur un hôpital et sur la gare centrale, dans le nord de la ville, et que, en trois lieux au moins, les hôtels Oberoi-Trident et Taj Mahal et le centre communautaire juif Chabad Loubavitch, des prises d’otages étaient en cours.

 

 

2)    L’opération porte la « marque » de la mouvance al-Qaïda ; elle a pu être réalisée par des « homegrown terrorists » mais ceux-ci ont bénéficié d’appuis extérieurs

 

-         Les « Moudjahidin du Deccan » sont une organisation inconnue. Il s’agit sans doute d’un nom fictif utilisé pour cette opération et servant à « couvrir » une autre organisation (peut-être le Lashkar-e-Taiba).

 

-         Selon la presse indienne, trois des terroristes capturés auraient avoué être des membres du Lashkar-e-Taiba (« Armée des Justes »), une organisation islamiste pakistanaise très active au Cachemire mais qui s’attaque également aux intérêts américains et occidentaux et à la présence chrétienne au Pakistan. Le Lashkar-e-Taiba est très lié à al-Qaïda qui utilise entre autres des maisons qu’il met à la disposition de l’organisation islamiste au Pakistan pour abriter certains de ses cadres. 

 

-         De nombreux éléments indiquent par ailleurs, quelle que soit l’identité des terroristes, que ceux-ci se rattachent à la « mouvance al-Qaïda ». L’attaque simultanée de plusieurs cibles en des endroits éloignés les uns des autres, le nombre de personnes impliquées dans l’attaque, l’âge des terroristes – qui, d’après les premiers renseignements rendus publics, semblent avoir entre 20 et 25 ans -, leur détermination et leur volonté de faire le maximum de victimes sont sans équivoque de ce point de vue.

 

-         De même, le fait d’avoir ciblé, entre autres, un centre communautaire juif, ce que n’aurait sans doute pas fait un groupe aux motivations purement locales, inscrit cette attaque dans le cadre du « djihad global ».

 

-         Il est possible que certains des attaquants ne soient pas indiens ou soient des Indiens nés et élevés à l’étranger (ainsi, une carte d’identité de l’île Maurice, où vit une importante communauté indienne, aurait été découverte sur le cadavre d’un des assaillants, rapportaient vendredi matin les agences de presse). La composition exacte de ce commando (nationalités, âge, origine géographique, « profil social ») livrera d’intéressantes clés d’analyse permettant d’évaluer ce qu’est aujourd’hui la scène islamiste indienne.

 

-         Dès le début de la crise, les autorités ont pointé la responsabilité du Pakistan. Nous estimons probable que tous ou certains des assaillants aient été formés au Pakistan ou en Afghanistan (comme l’avaient été, du reste, deux des terroristes du 7 juillet 2005, à Londres) car une telle opération ne peut se concevoir sans une longue préparation et un entraînement intensif des participants, mais il peu probable que l’on se trouve en face d’un groupe composé dans sa totalité « d’étrangers ». Le noyau des attaquants doit être d’origine indienne et, en tout cas, des personnes connaissant très bien Mumbai ont dû participer à la préparation de l’attaque.

 

 

3)    L’opération peut apparaître comme étant sans précédent mais elle risque de servir de modèle dans l’avenir

 

-         Prises isolément, plusieurs caractéristiques des attaques de Mumbai ont déjà été observées ailleurs dans le passé récent ou plus lointain. Il y a déjà eu des prises d’otages de longue durée (entres autre à Beslan et à Moscou, en Russie) ou des attaques multiples et simultanées (Casablanca en 2003, Madrid en 2004, Londres en 2005, etc.), pour ne citer que quelques exemples. Quant aux attentats visant à faire le maximum de victimes, il s’agit là, nous l’avons déjà rappelé, d’une marque générale de la mouvance al-Qaïda. Toutefois, c’est la première fois que l’on assiste à une combinaison de l’ensemble de ces éléments et, plus particulièrement, à une combinaison d’attaques à forte létalité immédiate (sur l’hôpital et la gare centrale) et de prises d’otages entraînant un siège de plus de 40 heures (au moins 43 heures au moment où nous écrivons).

 

-         Nous nous trouvons donc clairement en face d’un véritable cas d’école et, il faut le craindre, d’un exemple qui pourrait faire des émules. Ce type d’attaques combinées, extrêmement difficiles à gérer pour les autorités, pourraient en effet se répéter dans d’autres pays où des touristes et des résidents étrangers peuvent être frappés, entre autres en Indonésie, en Turquie (des attaques multiples ont déjà eu lieu à Istanbul il y a quelques années) ou en Afrique du Nord (Maroc ou Tunisie).

 

4)    L’attaque était extrêmement sophistiquée

 

-         Une attaque de ce type, dans une ville surpeuplée comme Mumbai a nécessité des mois de repérages et de préparation ; celle-ci n’a, sans doute, pu se faire qu’en terrain ami pour ne pas attirer l’attention (donc, peut-être, au Pakistan).

 

-         D’après les premières indications, de faux uniformes et une ambulance ou un véhicule de police auraient été utilisés lors des premières attaques (entre autres, contre l’hôpital), ce qui souligne à nouveau la précision des préparatifs et le haut niveau « tactique » des assaillants. 

 

-         Il semblerait que le bateau utilisé pour acheminer les terroristes à proximité de la côte soit un chalutier indien qui aurait été « capturé » dans les eaux pakistanaises il y a une quinzaine de jours. Si ce point se confirme, il renforcera évidemment l’hypothèse d’une « piste pakistanaise ».

 

-         Le nombre de terroristes impliqués donnera une indication claire de l’importance réelle de l’opération que les médias locaux ont déjà baptisée « le 11 septembre indien ». Mais, si l’on tient compte du fait qu’au moins 5 cibles distantes de plusieurs kilomètres les unes des autres ont été attaquées, on peut penser que les assaillants étaient, au minimum, entre 20 et 30.

 

-         Le choix des cibles a été fait de manière minutieuse et intelligente. En attaquant une gare et un hôpital, les terroristes frappaient la population et s’assuraient d’une létalité maximale. En se retranchant dans deux hôtels de luxe, ils s’assuraient d’une part de la possibilité de mettre la main sur des Américains et des Britanniques, qui semblent avoir été leurs cibles privilégiées, et ils plaçaient les services de sécurité devant un véritable cauchemar. Reprendre le contrôle d’un hôtel – et le Taj Mahal comme l’Oberoi-Trident sont de véritables « villes » comptant des centaines de chambres chacun – est particulièrement ardu : il faut progresser chambre par chambre, fouiller des dizaines de couloirs et des centaines de recoins et d’installations (salles de bains, toilettes, cuisines etc.) pouvant se transformer en autant de pièges, faire le tri entre les hôtes légitimes et les terroristes et, bien entendu, limiter au maximum les victimes collatérales. Enfin, en s’attaquant à un centre communautaire juif, les assaillants s’attiraient la sympathie immédiate d’une large part de la mouvance islamiste arabo-musulmane qui pourrait, sans cela, se sentir peu concernée par des attentats se produisant aussi loin de sa zone naturelle d’action.   

 

 

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