Remaniement et centre de gravité de l'administration en politique étrangère




Le second mandat du président Barack Obama, qui a officiellement débuté le 20 janvier 2013, lui offre une occasion sans précédent de remanier son équipe en charge de la politique étrangère et de sécurité nationale. En effet, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton avait fait savoir il y a plusieurs mois qu’elle ne souhaitait pas conserver son poste en cas de réélection de M. Obama. Le secrétaire à la Défense Leon Panetta a également exprimé son désir de quitter le Pentagone. Parallèlement, la démission inattendue du directeur de la CIA (Central Intelligence Agency) David Petraeus, en novembre dernier, a ajouté un poste supplémentaire à attribuer.

 

Si l’ampleur du remaniement est notable, il faut rappeler que plusieurs des récents présidents américains ayant effectué deux mandats ont opéré des changements de ce type. Bill Clinton a en effet remplacé le diplomatique Warren Christopher par l’énergique Madeleine Albright à la tête du département d’Etat. De même, George W. Bush s’est séparé de Colin Powell, dont l’influence au sein de l’administration était des plus limitées. A sa place, il a nommé sa proche conseillère Condoleezza Rice. Dans ces deux cas, ces changements ont précédé une évolution de la politique étrangère du pays.

 

Si ces modifications ne sont pas sans précédent, elles interviennent toutefois au terme d’un premier mandat du président Obama marqué par le rôle particulièrement important joué par la Maison-Blanche dans l’élaboration de la politique étrangère. Malgré une équipe expérimentée incluant, outre Mme Clinton, d’éminentes personnalités comme Joe Biden, Robert Gates, le général James Jones ou Richard Holdbrooke, le président et ses conseillers ont concentré les pouvoirs à un niveau rarement constaté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les ouvrages consacrés par Bob Woodward et James Mann au fonctionnement de l’administration Obama ont permis d’appréhender l’importance des conseillers présidentiels et la propension de ces derniers à contourner la bureaucratie traditionnelle[1].

 

Le remplacement de Mme Clinton par une personnalité de l’envergure de John Kerry et l’arrivée du républicain Chuck Hagel à la tête de département de la Défense confirment la volonté du président Obama de miser une nouvelle fois sur l’expérience. Toutefois, on peut se demander si cette forme de continuité augure d’une poursuite du fonctionnement « insulaire » de la Maison-Blanche ou si, comme certains de ses récents prédécesseurs, le président Obama entend s’appuyer sur ce remaniement pour opérer des changements dans la politique étrangère du pays.

 

 

  1. Un second choix au département d’Etat

 

Pour remplacer Hillary Clinton au département d’Etat, le président Obama a nommé le président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et candidat malheureux à la Maison-Blanche en 2004, John Kerry. En annonçant ce choix, M. Obama a insisté sur l’expérience et la connaissance de M. Kerry des affaires internationales, soulignant que « l’ensemble de la vie de John l’a préparé pour ce rôle[2] ».

 

Il est vrai que la politique étrangère a occupé une place centrale dans la carrière de ce démocrate du Massachusetts, en poste au Sénat depuis 1985. Ce fils de diplomate fut notamment marqué par son expérience au Vietnam où il servit dans la marine américaine à la fin des années 1960. En dépit des décorations militaires reçues, John Kerry devint, à son retour du Vietnam, une figure de proue du mouvement d’opposition à la guerre. En 1971, il témoigna devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat et interpella les parlementaires avec cette phrase devenue célèbre : « comment pouvez-vous demander à un homme d’être le dernier à mourir pour une erreur[3] ? ». Au Sénat, où il siège à la Commission des Affaires étrangères depuis 1985, M. Kerry consacra beaucoup de temps aux affaires internationales et notamment à la question du sort des prisonniers de guerre américains au Vietnam. Ces travaux le rapprochèrent d’autres sénateurs ayant servi en Asie du sud-est comme les républicains John McCain et Chuck Hagel[4]. Fort de cette expérience, il se lança en 2004 dans une campagne présidentielle dominée par la politique étrangère et notamment l’intervention militaire américaine en Irak. Au terme d’une course à la Maison-Blanche qui mit en lumière ses contradictions sur le dossier irakien, il reconnut sa défaite avec élégance et se remit au travail au Sénat. Il se rapprocha de Barack Obama auquel il apporta son soutien dès la primaire démocrate de 2008. Un an plus tard, il succéda à Joe Biden en tant que président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et se révéla un fervent soutien de la politique étrangère du président Obama. Il est notamment crédité pour sa contribution à la résolution de différends entre Washington et les autorités afghanes et pakistanaises[5]. Durant la dernière campagne présidentielle, M. Kerry joua un rôle de premier plan, en étant un des principaux porte-parole du candidat démocrate sur le thème de la politique étrangère. Il aida également M. Obama à se préparer à affronter son adversaire républicain Mitt Romney durant les débats[6].

 

Malgré son curriculum vitae et sa loyauté à l’égard du président Obama, M. Kerry n’était à l’évidence pas le candidat favori du locataire de la Maison-Blanche. Ce dernier semblait en effet plus enclin à nommer Susan Rice, avec laquelle il a développé une relation de confiance depuis son entrée au Sénat. Cette proche de l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright a en effet participé à la campagne présidentielle de Barack Obama dès 2007 et fut une des principales conseillères du sénateur de l’Illinois dans le domaine de la politique étrangère[7]. En 2009, elle intégra l’administration Obama en tant qu’ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies. En dépit d’une fonction moins prestigieuse que celle de Mme Clinton et la tenant également éloignée de la Maison-Blanche, Susan Rice se révéla une des personnalités les plus influentes du premier mandat du président Obama. Contre l’avis du secrétaire à la Défense de l’époque, Robert Gates, et du conseiller à la sécurité nationale Thomas Donilon, elle parvint notamment à convaincre le président américain d’intervenir militairement en Libye[8]. La proximité entre le président Obama et Mme Rice fit de cette dernière une des principales porte-parole de l’administration américaine, rôle qui entravera son accession au poste de secrétaire d’Etat. En effet, suite à l’attaque du consulat américain de Benghazi le 11 septembre 2012, Mme Rice expliqua à la télévision que cet incident, qui provoqua la mort de l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye et de trois autres Américains, était le résultat d’une manifestation spontanée ayant dégénéré. En réalité, cette attaque était une opération planifiée et exécutée par un groupe terroriste libyen. Dans le contexte de la campagne présidentielle, les propos de Mme Rice ont été exploités par le Parti républicain pour tenter de démontrer que l’administration Obama avait, par calcul électoral, cherché à induire l’opinion publique américaine en erreur. Consciente que cette polémique alimenterait une « bataille partisane durable » dans l’optique d’une éventuelle nomination au poste de secrétaire d’Etat, Susan Rice retira sa candidature le 14 décembre, ouvrant ainsi la voie à John Kerry[9].

 

L’arrivée de Mme Rice au département d’Etat aurait marqué une certaine rupture avec le fonctionnement de l’administration américaine durant ces quatre dernières années. La proximité d’un point de vue personnel mais aussi politique entre le président et sa secrétaire d’Etat aurait donné à cette dernière une influence plus importante que celle de Mme Clinton ou de M. Kerry. Cette relation aurait selon toute vraisemblance apporté à Mme Rice une liberté d’action comparable à celle dont bénéficia son homonyme Condoleezza Rice en tant que chef de la diplomatie du second mandat de George W. Bush. Le rôle que joueront M. Kerry et le département d’Etat dans la politique étrangère américaine devrait donc être beaucoup plus traditionnel, s’inscrivant dans la continuité de l’action de Mme Clinton. John Kerry mettra sa notoriété et ses contacts au service d’une politique définie à la Maison-Blanche et qu’il devra simplement appliquer.

 

 

  1. Un républicain atypique au Pentagone

 

Pour succéder à Leon Panetta au poste de secrétaire à la Défense, le président Obama a désigné l’ancien sénateur républicain du Nebraska Chuck Hagel. En annonçant sa décision le 7 janvier à la Maison-Blanche, le président Obama a insisté sur le patriotisme de M. Hagel, son expérience au Vietnam et la dimension bipartisane de cette nomination. « Chuck sait que la guerre n’est pas une abstraction. Il sait qu’envoyer de jeunes Américains pour combattre et être blessés dans la poussière et la boue est quelque chose que nous ne faisons que lorsque c’est absolument nécessaire », a précisé le président américain, ajoutant que M. Hagel serait le premier vétéran du Vietnam à diriger le Pentagone[10].

 

Comme John Kerry, la carrière politique de Chuck Hagel a été marquée par son engagement au Vietnam d’où il revint avec des décorations militaires et des éclats d’obus dans la poitrine. Si contrairement à M. Kerry, M. Hagel a soutenu cette guerre jusqu’à son terme, cette expérience eut des conséquences sur ces décisions en tant que sénateur. Il prit ses distances avec le Parti républicain et l’administration Bush à la suite de l’intervention en Irak de 2003 qu’il autorisa en tant que sénateur, non sans une certaine réticence[11]. La décision d’envoyer des renforts pour tenter de stabiliser le pays en 2007 fut décrite par M. Hagel comme la « bourde » la plus dangereuse depuis le Vietnam. Si ces prises de position l’ont marginalisé au sein de son parti, elles lui ont permis de se rapprocher du jeune sénateur qu’était à l’époque Barack Obama durant un voyage en Irak et en Afghanistan. Peu après son élection à la Maison-Blanche, le nom de Chuck Hagel fut d’ailleurs mentionné dans la presse pour les fonctions de secrétaire à la Défense et directeur de la CIA[12]. Il fut finalement désigné vice-président du Commission consultative présidentielle sur le renseignement (President’s Intelligence Advisory Board, PIAB).

 

S’il permet au président de poursuivre une approche bipartisane dans le domaine de la sécurité nationale et de compléter son équipe avec quelqu’un qui partage sa méfiance à l’égard des interventions militaires, ce choix s’avère également risqué en raison de certaines prises de position controversées de l’ancien sénateur du Nebraska. Ce dernier est en effet perçu comme n’étant pas un fervent défenseur d’Israël. Certains de ses adversaires, notamment chez les néoconservateurs, vont même jusqu’à parler d’antisémitisme en référence à des propos tenu par M. Hagel sur le « lobby juif » en 2008[13]. Si M. Hagel a rejeté ces accusations, reconnaissant toutefois certains écarts de langage, ces encombrants bagages pourraient lui être préjudiciables lors de l’audition préalable à une éventuelle confirmation par le Sénat. Ce combat, que le président Obama a voulu éviter en renonçant à nommer Susan Rice au département d’Etat, pourrait également être alimenté par les positions de M. Hagel sur l’Iran. Le candidat au poste de secrétaire à la Défense est en effet un opposant à la politique de sanctions visant Téhéran qu’il juge contreproductives[14]. Les doutes sur les positions de l’ancien sénateur sont toutefois atténués par le soutien que lui ont apporté d’éminentes personnalités du Parti républicain comme Colin Powell, Robert Gates, Brent Scowcroft ou Frank Carlucci[15].

 

 

 



[1] Bob Woodward, Obama’s Wars, New York, Simon & Schuster, 2010. James Mann, The Obamians: The Struggle Inside the White House to Redefine American Power, New York, Viking Penguin, 2012.

[2] Mark Lander, « Kerry Named for the Role of a Lifetime », The New York Times, 21 décembre 2012. http://www.nytimes.com/2012/12/22/us/politics/kerry-is-pick-for-secretary-of-state-official-says.html?hp

[3] Michael Kranish, « With antiwar role, high visibility », The Boston Globe, 17 juin 2003. http://www.boston.com/globe/nation/packages/kerry/061703.shtml

[4] Douglas Brinkley, « Born on the Seventh Floor », Foreign Policy, 20 décembre 2012. http://www.foreignpolicy.com/articles/2012/12/20/born_on_the_seventh_floor

[5] Ann Gearan, Karen DeYoung, « Chuck Hagel, John Kerry share similarities as expected Obama Cabinet nominees », The Washington Post, 15 décembre 2012. http://www.washingtonpost.com/world/national-security/chuck-hagel-john-kerry-share-similarities-as-expected-obama-cabinet-nominees/2012/12/15/4e93565e-4630-11e2-9648-a2c323a991d6_story.html

[6] Karen DeYoung, « If confirmed, John Kerry could bring his face-to-face style of diplomacy to State Department », The Washington Post, 22 décembre 2012. http://www.washingtonpost.com/politics/if-confirmed-john-f-kerry-could-bring-his-face-to-face-style-of-diplomacy-to-state-dept/2012/12/21/ab6d2c58-4ade-11e2-b709-667035ff9029_story.html

[7] James Mann, op. cit., pp. 77-78.

[8] James Traub, « The Point Guard », Foreign Policy, septembre-octobre 2012. http://www.foreignpolicy.com/articles/2012/08/13/the_point_guard

[10] Remarks by the President in Nomination of Secretary of Defense and CIA Director, The White House, Office of the Press Secretary, 7 janvier 2013. http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2013/01/07/remarks-president-nomination-secretary-defense-and-cia-director

[11] Joseph Lelyveld, « The Heartland Dissident », The New York Times Magazine, 12 février 2006. http://www.nytimes.com/2006/02/12/magazine/12hagel.html?pagewanted=all&_r=0

[12] Lolita C. Baldor, « Defense Secretary front-runner, GOP’s Chuck Hagel has strong Obama ties », The Associated Press, 17 décembre 2012. http://www.csmonitor.com/USA/Latest-News-Wires/2012/1217/Defense-Secretary-front-runner-GOP-s-Chuck-Hagel-has-strong-Obama-ties

[13] Dana Milbank, « Neocons push against Chuck Hagel », The Washington Post, 19 décembre 2012. http://www.washingtonpost.com/opinions/dana-milbank-the-push-against-chuck-hagel/2012/12/18/cfa2697e-495a-11e2-ad54-580638ede391_story.html

[14] Scott Shane, David E. Sanger, « Obama’s Pick for Defense Is an Ally, and a Lightning Rod », The New York Times, 6 janvier 2013. http://www.nytimes.com/2013/01/07/us/obama-expected-to-select-hagel-for-defense-post.html?hp&_r=0

[15] Mark Thompson, « The Hagel Choice », Time, 8 janvier 2013. http://nation.time.com/2013/01/08/the-hagel-choice/

 

 

 


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