"Sharia4Belgium", une organisation salafiste atypique mais extrémiste fait ses débuts en Belgique



 

 

Ce samedi 22 mai 2010 sera un test pour la jeune organisation Sharia4Belgium, qui a déposé une demande d’autorisation de manifester dans le centre de la capitale européenne pour dénoncer la loi récemment adoptée et bannissant la Burqa de l’espace public. Cette autorisation a été refusée par la ville de Bruxelles et l’on verra dès lors si le groupe décide de passer outre et, le cas échéant, combien de sympathisants il drainera. On peut toutefois s’inquiéter d’entendre un extrémiste britannique connu, Anjem Choudary, déclarer qu’il sera présent avec « des centaines » de ses camarades et ajouter : « il y aura du sang dans les rues ».

 

Au-delà de cette actualité purement circonstancielle, il sera toutefois intéressant de suivre, dans les mois à venir, l’évolution de ce groupe qui cache bien mal un agenda des plus extrémistes.

 

 

1)       Salafiste mais non violent ?

 

Sharia4Belgium est le dernier né[1] sur la scène des groupes extrémistes qui tentent, publiquement, de prendre en main la frange la plus radicale de la jeunesse musulmane en Belgique. Il est aussi le plus intéressant car il revendique ouvertement son salafisme[2] et s’inscrit dans une galaxie internationale clairement identifiée.

 

Le groupe – qui, à notre connaissance, n’a pas souhaité à ce jour se structurer sous la forme d’une association déclarée et enregistrée – a vu le jour à la fin de l’hiver 2009-2010 et semble recruter exclusivement dans les milieux néerlandophones et, plus précisément, dans la région d’Anvers.[3] Les deux canaux principaux qu’il utilise pour sa communication[4] sont, en tout état de cause, presque uniquement néerlandophones et, si l’on y trouve, par-ci par-là, une vidéo ou un texte en anglais, le français en est totalement absent.

 

D’entrée de jeu, les textes présentés sur le site de Sharia4Belgium se caractérisent par une condamnation sans détour du système démocratique, désigné comme une manifestation du Kufr[5]. Ils prônent le respect absolu de la Sharia et la soumission totale des femmes aux coutumes religieuse ou sensées l’être.[6] Une section du site (Vrouwen in Islam, en français, Les femmes dans l’islam) est d’ailleurs réservée à la gente féminine.

 

Dans un texte intitulé « Qui sommes-nous ? » et accessible aussi bien sur leur site que sur leur page « Youtube », les responsables anonymes de Sharia4Belgium, citant une sourate du Coran – « (…) Après le Prophète récita le verset : « Et c’est le droit chemin qui mène vers moi. Suivez-le et ne suivez pas d’autres chemins ; car ils peuvent vous détourner de mon chemin ».[7] – définissent leur but comme étant de ramener les croyants à une juste compréhension de l’islam, tout en luttant contre les « déviations » et les « scissions », car « La norme islamique, c’est la façon islamique de vivre dans la foi, les actions et les transactions. Ceci est la meilleure façon de vivre que l’humanité ait pu ressentir dans son histoire et cette norme doit être comprise ».[8]

 

Rien de très original donc, en comparaison de ce qui peut se trouver sur d’autres sites pratiquant la Da’wa[9]. Rien de très menaçant, non plus. Du reste, Sharia4Belgium veut manifestement rassurer. Dans la page traditionnelle « Questions les plus posées », on peut lire :

 

« Vous approuvez le terrorisme ? » Réponse : « Non (…) Nous voulons un monde dans lequel les gens de toutes croyances peuvent vivre côte à côte en toute sécurité, sans la moindre crainte de violences. Nous condamnons également l’encouragement et l’incitation au terrorisme contre les femmes et les enfants innocents, quels que soient leur religion, leur couleur de peau ou leur âge. Notre site n’encourage nullement le terrorisme, sous toutes ses formes – directe ou indirecte. Nous appelons seulement les musulmans à revenir à la parole de leur Seigneur, et cela, on ne l’a jamais fait au moyen de la violence ou en tuant des gens avec des bombes. »[10]

 

Autre question : « Êtes-vous contre l’Occident ? » Réponse : « Non, nous aimons l’Ouest, Allah l’a créé, par ailleurs nous aimons aussi l’Orient. Nous sommes des individus équilibrés, n’ayant pas une pression artérielle trop élevée. Ce site n’est pas destiné à semer la haine contre les individus (…) »[11]

 

Enfin : « Allez-vous vous faire exploser ? » Réponse : « Si je voulais me faire exploser, je ne travaillerai pas sur ce site. Je ne suis pas suicidaire non plus. Nous n’encourageons pas les attaques et nous condamnons la violence contre des personnes innocentes »[12].

 

On remarquera cependant que la seule condamnation claire et nette du terrorisme porte sur les attaques « contre les femmes et les enfants innocents » et « contre des personnes innocentes ». On connaît la rhétorique, déjà employée par d’autres et qui, comprise d’une certaine façon, pourrait laisser la porte ouverte à des attaques contre des militaires, des décideurs politiques, des blasphémateurs ou, généralement, toute personne n’étant pas « innocente ».  

 

 

2)      L’influence d’Anjem Choudary et de  Sharia4UK

 

On notera que le groupe se vante d’avoir reçu un message de Abu Muhammad al-Maqdisi, un prêcheur jordano-palestinien qui a été l’un des mentors du terroriste Abu Musab al-Zarqawi et est considéré par des chercheurs américains comme « le plus influents des théoriciens djihadistes vivants »[13]. Ce message, à ce jour, a été annoncé mais non rendu public.

 

Mais le plus intéressant, ce qui permet de se faire une idée plus précise des buts réels – sinon cachés – de Sharia4Belgium, ce sont les parrainages dont se revendique le groupe et la connexion internationale dans laquelle il se niche.

 

Sharia4Belgium a clairement été inspiré par l’exemple de Sharia4UK, créé en 2007-2008 par Anjem Choudary, un ancien avocat londonien devenu prêcheur et théologien  autoproclamé.

 

M. Choudary a d’ailleurs « posté » le 28 mars, sur divers sites Internet, un message de soutien au groupe belge : « J’apporte mon soutien total à mes frères, en Belgique, qui ont appelé à ce que l’islam soit l’alternative et offre, en fait, au peuple belge une meilleure manière de vivre que celle qui est actuellement la sienne. La démocratie et la liberté ont démontré leur faillite… »

 

Anjem Choudary est loin d’être un inconnu en Grande-Bretagne. Avec son complice Omar Bakri Muhammad, il a dirigé, il y a quelques années, un mouvement particulièrement radical, « al-Muhajiroun »[14], qui a disparu en 2004 avant de renaître brièvement à la fin de l’année dernière. Par la suite, il s’impliqua – entre autres, sous le pseudonyme d’Abou Luqman – dans deux autres groupes qui apparaissent comme des continuations à peine déguisées d’al-Muhajiroun : al-Firqat un-Naajiyah [15] et al-Ghurabaa[16], qui n’eurent tous deux qu’une existence éphémère.

 

Ces deux organisations communiquaient avec leurs adhérents via un forum de discussion sécurisé sur lequel un journaliste anglais infiltré devait découvrir des messages d’Oussama ben Laden et d’Ayman al-Zawahiri, et des attaques contre la Reine[17] (que Choudary avait, par ailleurs, appelée à la conversion).

 

Omar Bakri quitta la Grande-Bretagne peu après les attentats de 2005 et fut alors avisé qu’il ne serait plus autorisé à revenir sur le territoire britannique.

 

L’exil forcé de son ami – avec lequel il reste en contact étroit, ainsi qu’en témoignent des textes signés par les deux hommes – ne calma pas Anjem Choudary qui créa Islam4UK deux ans plus tard. Cette nouvelle organisation devait, elle aussi, être interdite, le 14 janvier dernier, au titre du Terrorism Act 2000.

 

Ce groupe, comme les précédents, a toujours tenté de suivre une ligne extrêmement délicate : ne pas en dire trop pour éviter l’interdiction mais en dire assez pour être un propagateur de l’islamisme radical et, au-delà, du djihad.

 

Ainsi, on condamnera les attentats contre « les innocents » mais on omettra de dénoncer réellement le terrorisme[18], on stigmatisera la démocratie tout en prétendant vouloir la cohabitation des religions et des cultures, et on encouragera à la désobéissance civile (par exemple, contre les lois interdisant le voile).

 

Voilà pour le discours, mais la pratique, elle, est plus radicale. Outre le fait que Choudary est considéré par certains comme un important recruteur de volontaires britanniques pour différentes djihads sévissant dans le monde, il fut également poursuivi à plusieurs reprises pour avoir défié la loi en organisant des manifestations interdites dans lesquelles on pouvait lire des pancartes (brandies, le plus souvent par des jeunes gens masqués) promettant la démocratie « aux feux de l’enfer » et la mort pour les incroyants ou autres « blasphémateurs ».

 

La tactique est simple et classique des milieux subversifs, quelle que soit leur idéologie : pousser les autorités à réagir afin de créer des incidents et de pouvoir passer pour un martyr. Le mouvement est ainsi mythifié et gagne en capacité de mobilisation et de recrutement.

 

Il est d’autant plus inquiétant, dès lors, de constater que M. Choudary déclarait il y a quelques jours, évoquant la manifestation de ce samedi à Bruxelles : « Il y aura des centaines de musulmans britanniques qui se rendront en Belgique pour rejoindre les milliers de nos frères qui se battent contre la tyrannie (…) Il y aura du sang dans les rues »[19].

 

Il est douteux que ce samedi voie réellement des « milliers » de personnes manifester leur soutien à la Burqa ou même des « centaines ». Mais il suffira à Sharia4Belgium et à son maître à penser, Anjem Choudary, de rassembler quelques dizaines de sympathisants et de susciter des troubles qui pourraient dégénérer en émeutes (le lieu choisi est proche de quartiers « sensibles » qui ont été assez agités ces derniers mois) pour gagner leur pari.

 

Tout se jouera, en définitive, sur le sang-froid et l’organisation des services de police, qui devront faire respecter la loi et l’ordre public sans céder aux provocations.  

 

 

 

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[1] On se rappellera de la Ligue arabe européenne (LAE) créée en son temps par Dyab Abou Jahjah et du Parti Egalité de Nordine Saïdi. La première était d’inspiration « baathiste » et se voulait non religieuse ; le second prétend, entre autres, défendre les droits de la jeunesse « immigrée » mais se trouvait, du moins à sa création, sous une assez nette influence iranienne.

[2] Le salafisme, on le sait, est une doctrine sunnite prônant le retour à l’islam des origines, fondé uniquement sur le Coran et la Sunna, proscrivant toute interprétation du texte et toute « modernisation » du dogme et appelant à ne s’inspirer que de l’exemple des pieux compagnons du Prophète, les Salafs. Il se décline en une branche « non violente » purement politique et une branche « armée » pratiquant le terrorisme. Al-Qaïda est la plus connue des organisations terroristes appartenant à ce deuxième courant.

[3] Comme le faisait déjà la LAE.

[4] Le mouvement dispose d’un site Internet (http://www.shariah4belgium.com ) et d’un canal de diffusion de vidéos sur « Youtube », http://www.youtube.com/user/sharia4belgium#p/a/f/2/LHj2UeAQQ30

[5] Le Kufr est l’incroyance de celui qui refuse de croire en l’islam (et qui est donc un Kâfir). Le terme est plus que péjoratif.

[6] Nous n’entrerons pas ici dans une polémique stérile, mais le voile « islamique », par exemple, n’est pas considéré comme une obligation par de nombreux penseurs contemporains. A fortiori, le port du voile intégral, du Niqab ou de la Burqa ne sont pas des obligations religieuses, malgré ce que prétendent leurs défenseurs.

[7] Il s’agit du verset 153 de la Sourate VI du Coran (« Les Troupeaux »). 

[9]La Da’wa (appel) désigne différentes formes de prosélytisme employées pour répandre le message islamique.

[11] Idem.

[12] Idem.

[13] Combatting Terrorism Center, United States Military Academy, West Point.

[14] « Les Emigrants »., finalement interdite le 14 janvier 2010.

[15] « La secte du Sauveur », interdite le 17 juillet 2006 par le Home Office.

[16] « Les étrangers », groupe interdit le 17 juillet 2006.

[17] Cité dans « Banned extremists regroup », Abul Taher, The Times, 29 octobre 2006.

[18] Choudary refusera par exemple de le faire après les attentats du 7 juillet 2005, à Londres.


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