Turkménistan : le gaz sous pressions



 

 

En octobre 2008, un audit de la firme britannique Gaffney, Cline and Associates - GCA, propulsait le Turkménistan au deuxième rang mondial des pays producteurs de gaz[1]. Moins d’un an après cette révélation qui confirmait les dires de feu Saparmourad Niazov[2], l’ubuesque Turkmenbachy - Père de tous les Turkmènes - qui, de 1985 à sa mort en décembre 2006, a régné sans partage sur son pays, deux publications, parues en septembre dernier, sèment le trouble parmi les experts internationaux en énergie et soulèvent de nombreuses questions. 

 

Ces deux papiers, un article d’Arcady Dubnov du journal russe Vremya Novosteï[3] et un rapport de l’Organisation non gouvernementale allemande le Groupe de transition eurasiatique - Eurasian Transition Group (ETG)[4], mettent en doute les estimations rendues publiques en octobre 2008. Ils s’appuient tous les deux sur des informations glanées auprès d’officiels russes, pour Arcady Dubnov, et d’une source turkmène, pour l’ETG. En résumé, ils laissent entendre que les autorités turkmènes ont induit en erreur les responsables de GCA en leur fournissant des données manipulées et falsifiées.

 

Désinformation ou vérité ? Il est, aujourd’hui, difficile de trancher. Il n’empêche que l’on ne peut, à juste titre, éviter de se poser un certain nombre de questions sur cette polémique autour des ressources, réelles ou supposées, du Turkménistan et de constater qu’elle constitue un nouvel épisode de la lutte que se livrent les grandes puissances pour le contrôle et la maîtrise des formidables ressources énergétiques centrasiatiques. 

 

  1. 1.   Les réactions officielles

 

a)  Communiqué de Gaffney, Cline and Associates - GCA

 

En octobre 2008, GCA certifiait que le gisement de Yolotan/Osman renfermait entre 4 et 14 billions de m3 de gaz, avec un scénario probable se situant autour de 6 billions. De telles quantités font de ce seul gisement l’une des plus grandes réserves mondiales de gaz et devrait permettre au Turkménistan de porter sa capacité annuelle de production à 70 milliards de m3. Les estimations d’un autre gisement, celui de Yashlar, se situaient entre de 0,3 et 1,5 billion de m3 avec une hypothèse probable de 0,7 billion. Ces estimations, qui
ne prennent pas en compte les gisements encore inexplorés, confirmaient ainsi la place du Turkménistan au sein des tous premiers pays producteurs de gaz au monde.

 

Un des responsables de GCA, Jim Gillet, a immédiatement et très fermement réagi. Dans un email adressé à la rédaction d’EurasiaNet.org, il défend la réputation et l’honneur de sa firme et insiste sur le fait que, de par le caractère global de la méthode employée et les nombreux recoupements effectués, la fraude est impossible. « Nos audits sont conformes aux normes et aux standards internationaux et ils reposent sur un volume considérable de données de différentes natures et provenant d’une très grande variété de sources. Il est donc impossible de les falsifier sans que cela ne soit détecté[5] ».

 

Dans un communiqué de presse en date du 15 octobre dernier[6], GCA précise que « conformément à ce qui a déjà été mentionné en 2008, les résultats obtenus sont en parfaite adéquation avec les données initiales fournies par la compagnie nationale turkmène de géologie, Turkmengeologiya. Ils sont le fruit d’un travail indépendant et rigoureux et, en aucun cas, ce travail n’a été influencé, d’une manière ou d’une autre, par les extrapolations, antérieures à cet audit, faites par les autorités turkmènes ou par des spécialistes internationaux ».

 

b) Le mutisme des autorités turkmènes

 

Paradoxalement, les autorités turkmènes sont restées étrangement muettes sur cette affaire, s’abstenant de tout commentaire officiel. On ne peut malgré tout s’empêcher de faire le rapprochement avec la série de limogeages dans les secteurs pétrolier, gazier et chimique, décidés par le président Gurbanguly Berdimuhammedov en septembre dernier.

 

Ainsi que le rapporte un mois plus tard, le 13 octobre, le correspondant de l’agence Turkmenistan.ru[7], qui cite le service de presse et de communication de la présidence, le chef de l’État a fait part, lors de cette réunion du 12 septembre, de ses graves préoccupations. Il a relevé « des défaillances et des lacunes » qui résultent de « l’attitude irresponsable » d’un certain nombre de dirigeants d’entreprises nationales dans l’exercice de leurs charges.

 

Il s’en est particulièrement pris au directeur de la compagnie Turkmennebitgazgurlushik, Atamyrad Durdiyev, qu’il a aussitôt limogé pour le remplacer par Akmyrat Egeleyev. Orazdurdy Hadzhimyradov, directeur de la compagnie pétrolière Turkmenneft,depuis mai dernier, a fait, lui aussi, les frais de la colère présidentielle. Limogé pour ne pas avoir augmenté la production de pétrole, il est remplacé par Annaguly Deryaev, jusqu’alors ministre des industries gazière et pétrolière et des ressources minérales.

 

Quant à la compagnie nationale Turkmengaz dont le directeur avait été limogé le 17 mai dernier[8], c’est Nury Muhammedov qui en prend la direction. Dovlet Mommayev, le directeur de cette entreprise, ne sera donc resté en place que quelques mois avant d’être remercié.

 

Parallèlement à tous ces mouvements de dirigeants d’entreprises nationales du secteur énergétique, le président a aussi fait le ménage au sein du Comité d’État des pêches du Turkménistan où Batyr Tekayev, son directeur, a été relevé de ses fonctions et remplacé par Amanmyrad Sahadov. Enfin, Charygeldy Movlamov, le directeur de l’usine d’engrais chimiques Tedzhenkarbamid,propriétéde la compagnie nationale chimique Turkmenhimiya, a été remercié et remplacé par son directeur adjoint Charyyar Tushiev.

 

En conclusion de cette réunion, le président a fait remarquer qu’il attachait « beaucoup d’importance au développement et à la modernisation des secteurs pétroliers, gaziers et chimiques et qu’en retour il en attendait une réelle efficacité ».

 

Cette série de limogeages semble confirmer les hypothèses avancées par l’ETG et Vremya Novosteï. Selon l’ETG, l’origine de cette controverse remonte au moment où plusieurs compagnies gazières occidentales, pour pouvoir affiner leurs offres de services pour le développement et l’exploitation des gisements gaziers, ont acquis auprès d’officiels turkmènes des données techniques qui se sont révélées suspectes. Très vraisemblablement, les fonctionnaires de l'industrie pétrolière et gazière turkmène auraient, pour quelques centaines de milliers d’euros, fourni aux investisseurs potentiels des informations floues ou erronées.

 

Le scandale aurait pris une telle ampleur qu’il serait parvenu aux oreilles du président turkmène et la purge de septembre n’a vraisemblablement pas été suffisante pour étouffer la question sur l’état réel des réserves gazières.

 

  1. 2.  Le climat des relations russo-turkmènes

 

Ces allégations interviennent à un moment où les relations russo-turkmènes sur le gaz sont au plus bas.

 

a)  La guerre des tarifs

 

La Russie a été, de tous temps, le premier importateur de gaz turkmène, et depuis le 1er janvier 2009, les tarifs en vigueur sont ceux du niveau des prix européens. Tout au long du premier trimestre de cette année et en dépit de l’importante chute de la demande européenne et de celle de la communauté des États indépendants (CEI)[9], Gazprom a scrupuleusement honoré ses engagements vis-à-vis du Turkménistan. En retour, les autorités russes espéraient qu’Achkhabad mettrait en sourdine ses velléités de diversifications d’exportations dont le trait commun est qu’elles court-circuiteraient le territoire russe.

 

En visite à Moscou, au printemps 2009, le président Gurbanguly Berdimuhammedov refuse de rassurer les dirigeants de Gazprom sur ce point. Un tel refus a pour conséquence le gel de la signature d’un accord sur un projet de gazoduc qui devrait relier les gisements gaziers orientaux du Turkménistan à la Mer Caspienne. Gazprom espérait participer à ce projet à deux titres. D’une part, en tant qu’investisseur et, d’autre part, en tant qu’opérateur. Avec, à terme, l’espoir de diriger l’ensemble de la production turkmène vers la Russie.

 

À son retour, le président turkmène annonce le lancement d’un appel d’offres international pour la construction de ce gazoduc. En rétorsion à cette déclaration, Gazprom fait connaître aux dirigeants de Turkmengaz son intention de réduire les quantités importées quotidiennement. Une mauvaise coordination des contrôleurs techniques des deux compagnies conduit à une surpression entraînant l’explosion du gazoduc près de la frontière avec l’Ouzbékistan. Le ministre des Affaires étrangères du Turkménistan fait porter la responsabilité de cet accident sur Gazprom, et depuis cette date, les bisbilles entre les deux pays ne cessent de s’envenimer sans que l’on puisse prédire une issue prochaine.

 

b) L’entrée en jeu de la Chine

 

C’est au cours du Conseil des ministres du 6 juin que le vice-ministre turkmène de l’Energie, Tachberdi Tagyev, rend compte de sa visite en Chine au cours de laquelle il a négocié un prêt chinois de 2 milliards d’euros pour le développement commercial du gisement de Yolotan sud. Selon l’agence de presse Turkmensitan.ru[10], ce prêt a été rendu nécessaire en raison d’un déficit important dans le budget d’Etat, suite à l’arrêt des exportations de gaz en direction de la Russie en avril dernier.

 

Avec ce prêt, la Chine conforte ainsi sa position dans la compétition commerciale pour les ressources gazières centrasiatiques. La construction du gazoduc[11] entre le Turkménistan et la Chine est en bonne voie. Son inauguration, prévue pour le début 2010, préfigure la fin du monopole russe sur le gaz turkmène.

 

c)  Gazprom campe sur ses positions

 

Cependant, les autorités russes et Gazprom se comportent comme si de rien n’était. C’est, tout d'abord, le vice-président du Conseil d'administration du géant gazier russe, Valery Golubev, qui déclare que c’est la chute de la demande qui a poussé Gazprom à faire pression sur le Turkménistan afin d’obtenir soit une baisse de la production, soit une baisse des prix.

 

Le 5 juin, Igor Sechine, vice-Premier ministre russe en charge des questions énergétiques, admet, au cours d’une déclaration faite en marge du Forum économique de Saint-Pétersbourg[12], que les négociations sur la reprise des livraisons progressent très lentement. Pour lui, la situation conflictuelle actuelle est le résultat d’un effondrement du marché gazier et non le fait de Gazprom. Appelant les autorités turkmènes à faire preuve de bonne foi et de réalisme, il estime que c’est lorsqu’elles auront franchi ce pas que les relations pourront se normaliser. 

 

Simultanément, comme le rapporte Turkmenistan.ru[13], le président Gurbanguly Berdimuhammedov réaffirme sa volonté « de diversifier ses exportations de gaz selon les pratiques internationalement reconnues et admises ». Et il ajoute que « cette diversification est un principe fondamental de la politique énergétique du Turkménistan qui développe constamment sa coopération avec les plus grandes compagnies pétrolières et gazières mondiales ». Malheureusement pour lui, ses interlocuteurs russes ne croient pas à ses déclarations et estiment qu’elles font partie d’une gesticulation assimilable à un coup de bluff. Comme le fait remarquer Annadurdy Khajiyev, un économiste turkmène exilé en Bulgarie, « Le Kremlin sait parfaitement qu’en l'absence de statut international pour la mer Caspienne[14], le Turkménistan ne peut pas espérer exporter et vendre son gaz à l'Ouest, via le Caucase, c'est-à-dire via le gazoduc Nabucco en gestation[15] ».

 

Plus récemment, courant octobre 2009, Sergei Kupriyanov, adjoint du Département Communication et porte-parole du président du conseil d’administration de Gazprom, a mis les points sur les « i ». Dans une interview à la revue en ligne Oil and Gas Eurasia, il déclare que « les projets internationaux de Gazprom reposent sur la volonté de ses dirigeants de trouver des voies et des moyens de coopération avec leurs partenaires commerciaux pour surmonter les problèmes qui pourraient surgir[16] ». Et afin d’être bien compris de ses interlocuteurs turkmènes, il rappelle que « le partenariat entre Gazprom et le Turkménistan repose sur un contrat de longue durée qui court jusqu’en 2028 et que c’est précisément sur ce contrat que Gazprom basera sa future coopération avec le Turkménistan[17]».

 

  1. 3.  A qui profite le crime ?

 

a)  Le Turkménistan est clairement visé

 

Il n’y a aucun doute que la publication de cette information, fausse ou avérée, vise en premier lieu le Turkménistan. Ces allégations viennent renforcer l’idée que les médias russes répandent complaisamment depuis quelque temps, à savoir que Moscou a déjà, par contrat, mis la main sur toute la production gazière à venir du Turkménistan. Et pour preuve de ce qu’ils avancent, ils mettent en avant ce fameux contrat signé du temps de Saparmourad Niazov et qui porte sur la fourniture de 50 milliards de m3 de gaz par an à la Russie. Ils éludent cependant le fait que ce contrat fait l’objet de perpétuelles négociations et discussions de marchands de tapis au sujet des tarifs.

 

En raison des désaccords sur le prix de vente, la Russie n’importe plus de gaz turkmène depuis le mois d’avril suite à l’explosion du gazoduc en provenance du Turkménistan. A l’issue des réparations, les exportations n’ont pas repris, précisément parce que Moscou souhaite négocier un prix d’achat plus bas que par le passé avec une formule de calcul incluant une variable d’ajustement dans le temps. Le Turkménistan exige de son côté un prix fixe, en dollars.

 

b) La main de Moscou ?

 

Il est intéressant de se poser quelques questions sur la façon dont les enjeux et les problèmes énergétiques sont présentés dans les médias russes. D’une manière générale, les faits rapportés sont exacts. Cependant, à plusieurs reprises ces dernières années, les traductions officielles en langue anglaise des articles originaux en langue russe ont bien souvent tendance à suggérer une influence russe plus grande qu’elle ne l’est réellement ou à présenter comme avérés des faits qui ne le sont pas.

 

Depuis la signature d’un contrat de vente de gaz azerbaïdjanais d’un volume de 0,5 milliard de m3 en provenance de la deuxième tranche du gisement de Shah-Deniz, les médias russes saisissent la moindre occasion pour présenter cet accord comme un « droit de préemption » sur la production de ce dit gisement. Aucun document officiel confirmant ce « droit de péremption » n’a été, à ce jour, rendu public.

 

Une telle affirmation du côté russe est de la même veine que les allégations sur une hypothétique surévaluation des réserves turkmènes. Il en est de même pour l’insistance continuelle de Moscou à affirmer que la Russie sera effectivement la seule et principale, si ce n’est l’unique, puissance importatrice des ressources gazières centrasiatiques, que celles-ci soient azerbaïdjanaises ou turkmènes ; tout comme l’idée communément distillée par les experts énergétiques russes qui suggèrent que les marchés européens peuvent abandonner l’espoir de s’approvisionner directement auprès de pays producteurs centrasiatiques.

  

Récemment, Yashigeldy Kakaev, directeur de l’Agence turkmène de gestion des ressources hydrocarbonées a déclaré que son pays envisageait, dans un proche avenir, le début des exportations de gaz vers la Chine et que, simultanément, il voyait favorablement les efforts occidentaux de connexion directe avec son pays. Les médias russes ont fait de cette déclaration un compte-rendu partial et partiel dans lequel le responsable turkmène semblait privilégier l’ouverture en direction de la Chine et minimiser l’importance des projets européens. C’est en totale contradiction avec ses récents propos quand, courant septembre, participant à une conférence énergétique à Bucarest, il s’est clairement prononcé en faveur d’une ouverture vers les marchés européens. Il ne faisait que répéter ce qu’il avait déjà eu l’occasion de dire en janvier dernier, à la conférence de Budapest sur le projet Nabucco[18].

 

c)  L’avis des experts

 

Pour certains experts, dont Igor Ivakhnenko, spécialiste du Bassin de la Mer Caspienne pour la RusEnergy Newsletter[19], cette affaire d’estimations falsifiées et pipées est le résultat d’une rumeur propagée par Moscou à des fins géopolitiques. Le gouvernement russe pourrait parfaitement chercher à décrédibiliser les autorités turkmènes et à décourager les investisseurs étrangers afin de protéger les intérêts de Gazprom et de favoriser ses propres plans de gazoducs rivaux du Nabucco européen.

 

Pour lui, les informations de Vremya Novostei et de l’ETG sont de pures spéculations. « Ces allégations sont uniquement destinées à faire croire à l’incapacité du Turkménistan d’exporter son gaz vers d’autres marchés que les marchés russe et chinois ». Les autorités russes seraient ainsi particulièrement désireuses de forger une image d’un Turkménistan qui, après avoir honoré ses engagements commerciaux avec la Russie et la Chine, serait dans l’incapacité d’alimenter les gazoducs européens en projet. 

 

Il a aussi exprimé ses doutes sur le scénario qui voudrait que la firme d’audit britannique GCA ait volontairement falsifié les estimations. Pour lui, cette firme n’a aucun intérêt à faire quoi que ce soit qui pourrait porter atteinte à son image de sérieux et de rigueur. Le cabinet d’audit ruinerait complètement sa réputation en jouant ce type de jeu ou en se montrant peu regardant sur les données fournies par les autorités turkmènes.

 

Michael Laubsch, directeur général d’ETG, reconnaît qu’il n’a pas pu vérifier et recouper les dires de son informateur turkmène à l’origine du rapport de son organisation. Ce qu’il peut dire, en revanche, c’est que, par le passé, cette source, très proche des instances gouvernementales, s’est révélée particulièrement fiable et sûre.

 

  1. 4.  Conclusion

 

Comme à l’époque du Grand Jeu qui, autrefois, opposait la Grande-Bretagne et la Russie pour le contrôle du Caucase, tous les coups bas - rumeurs, pressions et désinformations - semblent autorisés dans le bras de fer entre les Occidentaux et les Russes pour la maîtrise des immenses ressources énergétiques centrasiatiques. Passés maîtres dans le jeu d’échecs, les Russes semblent dominer la partie engagée. Ils jouent sur plusieurs tableaux à la fois, ce qui leur permet d’affiner, avec un certain succès pour l’instant, leur stratégie d’encerclement de l’Asie centrale, en général, et du Turkménistan en particulier.

 

Sur le flanc oriental de cette vaste « zone d’opérations », la récente visite à Pékin du Premier ministre russe, Vladimir Poutine, a nettement relancé la coopération énergétique avec la Chine. Les autorités turkmènes savent pertinemment que leur intérêt est de se dégager de l’emprise de ces deux immenses pays qui pourraient, à terme, se liguer contre elles. Elles ont donc besoin de trouver d’autres débouchés commerciaux et ont toutes les raisons de craindre que les Occidentaux croient aux allégations qui viennent d’être portées à l’encontre des estimations de leurs réserves.

 

Sur le flanc occidental, Moscou assure ses arrières en confortant sa position de leader gazier sur les marchés européens. En moins d’un mois, le projet européen de gazoduc, le Nabucco, aura subi quatre nouveaux revers inquiétants. C’est tout d’abord l’annonce du report au quatrième trimestre de 2010 de son financement, initialement prévu pour janvier. C’est ensuite la déclaration[20] conjointe du chancelier autrichien, Werner Faymann, et du Premier ministre russe, le 12 novembre à Moscou, sur la nécessité de conclure rapidement un accord sur le projet russe de gazoduc South Stream[21]. Le 16 novembre, la Slovénie, en apportant à la Russie le chaînon manquant du puzzle South Stream[22], torpille un peu plus le projet Nabucco. L’accord de ce cinquième pays (après la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie et la Serbie), indispensable pour la réalisation de ce projet, a été signé à Moscou par le ministre russe de l’Energie, Sergei Shmatko, et le ministre slovène des Finances, Matej Lahovnik, en présence de leurs premiers ministres. Grâce à cet accord, plus rien n’empêche maintenant Gazprom d’atteindre les frontières italienne et autrichienne et, par voie de conséquence, de s’offrir un nouveau débouché sur les marchés européens[23]. Le dernier revers, et non des moindres, est infligé au Nabucco le 27 novembre lors de la visite en France du Premier ministre russe. A l’issue d’un entretien avec son homologue français, François Fillon, au Château de Rambouillet, il se félicite de l’accord « conclu entre EDF et Gazprom sur l'entrée de la compagnie française dans le grand projet international de transport appelé South Stream[24] ». De source française, la participation du géant public français de l'énergie au consortium South Stream devrait avoisiner les 10%. EDF rejoint ainsi un autre grand gazier européen, l’italien ENI, déjà fortement impliqué dans ce projet russe.

 

Après avoir songé, un temps, à s’affranchir de la pesante tutelle de Gazprom, le Turkménistan semble bien devoir maintenant tirer un trait sur un éventuel séisme de grande amplitude qui aurait bouleversé l’ensemble géostratégique complexe et explosif que constituent les formidables réserves énergétiques centrasiatiques. Un tel séisme aurait placé Achkhabad aux avant-postes d’un changement radical dans l’orientation des flux gaziers à destination des marchés européens. Plus que jamais, Gurbanguly Berdimuhammedov va devoir composer avec Moscou.

 

 

© ESISC 2009



[2] « Le Turkménistan possède des réserves suffisantes pour exporter 150 milliards de m3 de gaz par an pendant les 250 ans à venir ». Cf. http://www.peakoil.com/modules.php?name=News&file=article&sid=43522

[8] Le premier vice-président de la société d'État Turkmengaz, Doury Tadjiev, ainsi que son homologue de Turkmenneft, Toïdourdy Dourdyev, ont été limogés le 17 mai dernier, pour de « graves lacunes dans l’accomplissement de leur charge ». Cf. http://www.turkmenistan.ru/?page_id=3&lang_id=en&elem_id=14944&type=event&sort=date_desc

[9] Les exportations de gaz ont chuté de 30% depuis le début 2009.

[11] Sa capacité initiale de 30 milliards de m3 est prévue être portée rapidement à 40 milliards.

[12] Vremya Novostei du 8 juin 2009

[16] Revue en ligne Oil and Gas Eurasia. Numéro d’octobre 2009. « Gazprom’s Strategic Goal Is to Gain the Lead in Global Energy Industry ».

http://rpc.blogrolling.com/redirect.php?r=f4bb366e180b8112b83eb6f18b40675e&url=http%3A%2F%2Fwww.oilandgaseurasia.com

[17] Ibid.

[20] Revue en ligne Oil and Gas Eurasia. Rubrique « News » en date du 12 novembre 2009. « Russia, Austria Urge States to Expedite South Stream Deal »

http://rpc.blogrolling.com/redirect.php?r=f4bb366e180b8112b83eb6f18b40675e&url=http%3A%2F%2Fwww.oilandgaseurasia.com

[23] L’autre débouché en cours de réalisation est celui du Nord Stream qui, reliant directement la Russie et le Nord de l’Allemagne par la mer Baltique contourne l’Ukraine, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, pays dont les relations avec Moscou sont tendues.


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