WIKIPÉDIA : UN POUVOIR IMMENSE MAIS INCONTRÔLABLE ?



 

RESUME

Avec ses éditions en 350 langues, ses plus de 300 millions de pages et ses dizaines de millions d’articles, Wikipédia est devenue, en vingt-quatre ans, l’un des dix sites web les plus visités au monde.

L’encyclopédie en ligne s’affiche ainsi comme une ressource incontournable pour les journalistes, les politiques et, plus généralement, pour quiconque souhaite s’informer sur un sujet donné.

Pourtant, ce succès et cette position dominante n’immunisent pas ce projet en constant développement contre certaines faiblesses, dérives et abus. Ainsi que nous le démontrerons dans ce rapport, c’est le fonctionnement même de « l’encyclopédie collaborative » en ligne qui génère ces problèmes :  tout un chacun peut y contribuer anonymement (sans justifier d’aucune connaissance particulière ni d’aucune autorité pour traiter un sujet) et tous peuvent modifier, tout aussi anonymement, n’importe quel article.

Wikimédia Foundation, la « maison-mère » de Wikipédia, affirme que ces incidents sont rares. C’est possible, mais il n’empêche que l’implication, comme nous le rappellerons, d’activistes et extrémistes (qu’ils soient « de gauche » ou « de droite » ou motivés par une idéologie religieuse ou par la simple volonté de nuire à une personne ou à une entité) est réelle. Et, en ce siècle ou désinformation et thèses complotistes se répandent à grande vitesse, les torts causés peuvent être considérable puisqu’ils sont à l’échelle de l’audience du site.

Si Wikipédia veut rester une ressource documentaire pertinente, crédible et fiable, elle doit donc procéder à des réformes qui seront difficiles mais n’en demeurent pas moins indispensables. Car si le droit à informer et la liberté d’expression sont des valeurs à protéger, cela ne peut se faire au détriment du droit des personnes, communautés et entités à être traitées avec honnêteté, rigueur et équité.

C’est pourquoi nous préconisons, à la fin de ce rapport, deux mesures simples et urgentes : une formation obligatoire et un meilleur encadrement des contributeurs, et la nomination, dans chaque langue dans laquelle l’encyclopédie est publiée, d’un directeur d’édition clairement identifié vers lequel pourraient se tourner tous ceux qui s’estiment injustement traités. Entouré d’une équipe, ce responsable éditorial pourrait modifier ou supprimer les articles qui posent problème mais aussi contrôler, a priori, toute publication sur un sujet sensible. Faute de quoi, les contentieux et recours en justice ne cesseront d’augmenter.

Renoncer à ces réformes serait pour Wikipédia une faute éthique grave, une totale irresponsabilité sociale et un abus de position dominante.

Nous ne pouvons accepter que dans un monde marqué par l’immédiateté de la communication, un outil tel que Wikipédia nous menace de vivre dans un monde digne du 1984 de George Orwell.

La vérité n’est pas et ne sera jamais le mensonge.

 

PRÉAMBULE 

Aujourd'hui, Wikipédia est un acteur incontournable du web mondial et, plus particulièrement, du monde de la vulgarisation des connaissances et de l'information.

Cependant, si l'encyclopédie en ligne peut jouer un rôle utile, voire indispensable - entre autres, en mettant le savoir à la portée de tous et en permettant l'accès à l'information à ceux qui en sont privés dans leur propre pays - elle souffre d'une maladie qui, à terme, menace sa crédibilité et, plus grave, nuit (involontairement ou, parfois sciemment, pour des raisons idéologiques ou plus sombres encore) à des individus, des groupes ou des entités politiques, commerciales ou sociales.

Comme nous le montrerons, cette maladie est le résultat direct de la conception même de cet outil.

Elle ne peut donc être « guérie » que par une réforme en profondeur, par une modification de ses règles de fonctionnement et par un meilleur traitement des plaintes adressées à l'organisation.

1-     Le droit à l'information contre le droit des personnes et la protection de la sécurité : un débat complexe

Le droit du public à être informé est essentiel - c'est même l'un des piliers de la démocratie et de l'État de droit - à tel point que l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, stipule que « tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ». 

Preuve de son importance, ce droit à l'information n'a cessé de se développer dans les démocraties depuis des décennies, comme en témoignent les différentes lois adoptées sur l'accès aux archives[1]. Cependant, il est généralement admis qu'il existe des exceptions à ce droit, avec des délais d'accès allant de 25 ans à un siècle pour les délibérations gouvernementales, le « secret des affaires », la défense nationale, la protection de la vie privée ou les archives policières ou judiciaires. Jean-Charles Bédague, haut fonctionnaire[2], l'a expliqué dans une interview en février 2023 : « La loi établit une liste de secrets et d'intérêts à protéger, et fixe des délais d'autant plus longs que le secret ou l'intérêt à protéger a été identifié comme sensible...»[3]

Une législation similaire existe dans tous les États démocratiques, la protection des personnes et de la sécurité publique ou nationale justifiant que les informations ne soient pas « immédiatement » accessibles au public.

De plus, pour revenir aux médias[4], il est évident que l'information diffusée doit être vraie, honnête et objective et ne doit pas porter inutilement atteinte à la réputation des personnes ou aux intérêts légitimes des entités. Une jurisprudence abondante dans de nombreux pays alimente le débat sans fin entre le droit à l'information et la protection des individus, des entités et des intérêts essentiels des États.

Lorsque les juges doivent statuer dans ce domaine, ils mettent en balance le droit à la liberté d'expression et les intérêts en jeu. S'il estime que ces intérêts ont été lésés de manière injuste ou disproportionnée, il tente de faire la distinction entre une erreur honnête et un acte délibérément malveillant, et impose la réparation du préjudice subi.

2-     Diffusion des connaissances et des informations dans un monde globalisé et connecté

Au cours des millénaires, quatre révolutions successives ont profondément modifié les modes de diffusion de l'information et de la connaissance : l'apparition de l'écriture (qui permet de « fixer » et de conserver l'information et le savoir) en Égypte et à Sumer vers 3 300 avant J.-C., l'invention de l'imprimerie à caractères métalliques mobiles (qui permet de diffuser plus largement le savoir) par Gutenberg en 1450, le développement de la radio après la Première Guerre mondiale, puis de la télévision (qui deviendra le premier média de masse) après la Seconde Guerre mondiale et, bien sûr, l'invention et le développement de la culture numérique - l'ordinateur, puis l'Internet et, enfin, le Web (qui permettra progressivement à chacun de devenir un acteur et un vecteur de la connaissance et de l'information et, en tout état de cause, un consommateur de celle-ci).

À chacune de ces étapes, le cercle de ceux qui possédaient le savoir (et le diffusaient) s'est déconcentré, et le nombre de ceux qui y avaient accès a augmenté.

L'écriture a fait passer le savoir des prêtres aux scribes de l'Antiquité, puis aux moines copistes du Moyen Âge ; l'imprimerie a créé une « aristocratie d'artisans », les imprimeurs et ouvriers du livre, et augmenté le nombre de ceux qui créaient et diffusaient le savoir (les auteurs) ; l'audiovisuel a permis de toucher un public incomparablement plus large que l'écrit et, enfin, le numérique a étendu le nombre potentiel d'auteurs et de « récepteurs » du savoir à, potentiellement en tout cas, l'ensemble de l'humanité. Nul doute que la nouvelle révolution en cours, celle de l'intelligence artificielle, se traduira par de nouvelles « avancées » que nous ne sommes pas encore en mesure de percevoir pleinement.

Chacune de ces phases d'évolution, que nous venons d'évoquer (trop) brièvement, a eu pour effet de transformer, plus ou moins rapidement mais profondément, les sociétés dans lesquelles elles se sont produites ou qui en ont bénéficié.

On peut disserter à l'infini sur le « sens de l'Histoire », mais tout observateur honnête conviendra sans doute que l'Histoire est complexe. Dès lors, selon les époques et les lieux, cette évolution ne pouvait être que positive (allant dans le sens de l'émancipation et de la responsabilisation de l'Homme) ou négative (en ce qu'elle permettait une pénétration plus profonde d'idées pernicieuses, allant à l'encontre de cette émancipation).

Au Moyen Âge, l'écriture, qui a permis à la philosophie et à la science de progresser dans l'Antiquité, devient la « propriété » quasi exclusive d'hommes qui pensent diffuser la « parole de Dieu » et en faire une loi universelle.

L'imprimerie et le livre ont permis à la Réforme protestante, à l'humanisme et aux Lumières de s'épanouir, mais quelques siècles plus tard, ils sont devenus de puissants outils au service des deux grandes idéologies totalitaires du XXe siècle, le communisme et le fascisme. Ces deux courants ont également exploité la radiodiffusion et le cinéma pour accroître leur influence sur les masses.

Bien sûr, il en va de même aujourd'hui : Internet et le Web sont à la fois des instruments de libération de la pensée (par la diffusion du savoir et de l'information) et des vecteurs d'abrutissement (par l'augmentation de la désinformation, des fake news et des hoax). Et l'intelligence artificielle n'aura d'autre effet que d'accentuer ces deux tendances, mais en les rendant de plus en plus difficiles à distinguer l'une de l'autre, grâce au progrès technique et à l'immédiateté de la diffusion.

Deux tendances se répètent depuis 5 000 ans : d'une part, le nombre de ceux qui créent ou diffusent le « savoir » est forcément faible (même si, comme nous l'avons dit, il a considérablement augmenté) ; d'autre part, pour beaucoup de ceux (la grande majorité) qui reçoivent et consomment ce savoir, ce qui est écrit (ou diffusé à la radio ou à la télévision, ou posté sur un site web ou un réseau social) correspond inévitablement à la vérité.     

Pire encore : pour diverses raisons, ceux qui ont pour mission d'informer font désormais l'objet d'une grande méfiance, voire d'une détestation. Selon un sondage Gallup d'octobre 2022, seuls 34% des Américains font confiance aux médias[5] . On reproche aux journalistes, dans le désordre, de rester entre eux, d'avoir des connivences (réelles ou supposées) avec le pouvoir, d'être corrompus, d'être inexacts, d'avoir des partis pris idéologiques, etc. Selon une étude de Morning Consult d'octobre 2019, 72 % des Américains n'ont pas confiance dans les hommes politiques[6]. Les résultats d'études similaires sont sensiblement les mêmes en Europe : en France, en 2023, 57 % des personnes interrogées par le Baromètre La Croix-Kantar admettent « se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité ».[7]

En revanche, et même si ce résultat peut sembler paradoxal, alors que les Français font peu confiance aux réseaux sociaux, ils étaient en 2023 la première source d'information citée par le même Baromètre La Croix-Kantar (26% des personnes interrogées déclaraient s'informer d'abord sur les réseaux...).

Selon la même enquête, 69% des Français regardent la télévision tous les jours, 62% consultent Internet tous les jours et 45%  « lisent la presse dans son ensemble ».

Avec ces chiffres en tête, il est temps de se pencher sur la philosophie de Wikipédia, sa place dans l'encyclopédie en ligne et son fonctionnement.

3-     Wikipedia : « The place to be»

En vingt-quatre ans d'existence - l'encyclopédie a été fondée le 15 janvier 2001 - Wikipédia s'est installée dans une position plus que confortable : elle existe aujourd'hui dans près de 350 langues, avec près de 300 millions de pages et 64 673 469 articles.

Sa version anglaise, la plus importante[8], proposait 6 970 891 articles au 23 mars 2025[9], attire 1,5 milliard de visites uniques par mois, générant 13 millions de modifications sur la même période.[10] À titre de comparaison, la version française de Wikipédia comptait 2 673 093 articles au 23 mars 2025.[11]

Wikipédia n'est qu'un des projets gérés par la Wikimedia Foundation[12], créée en 2003 par Jimmy Wales, un homme d'affaires qui a fait fortune en spéculant sur les taux d'intérêt et les fluctuations monétaires.

3.1. La philosophie du projet

Lorsqu'il a participé à la conception de Wikipédia puis de la Wikimedia Foundation, le projet majeur de Jimmy Wales était de « créer la bibliothèque du futur » sur Internet[13]. Le principe de base de Wikipédia (et de tous les autres projets de la Wikimedia Foundation) est donc l'utilisation du « Wiki », décrit par Wikipédia comme « une application web qui permet la création, la modification et l'illustration collaborative de pages au sein d'un site web. Il utilise un langage de balisage, le wikitext, et son contenu peut être modifié à l'aide d'un navigateur web. Il s'agit d'un logiciel de gestion de contenu dont la structure implicite est minimale, tandis que la structure explicite est progressivement mise en place en fonction des besoins des utilisateurs ».[14]

Outre Wikipédia, les autres projets de la Wikimedia Foundation sont[15] : Wiktionary[16], Wikiquote[17], Wikibooks[18], Wikimedia Commons[19], Wikisource[20], Wikispecies[21], Wikinews[22], Wikiversité[23], Wikivoyage[24] et Wikidata[25]. D'autres projets sont en cours de développement.

Selon Wikipédia, la philosophie de Jimmy Wales se résume en une phrase : « promouvoir la croissance et le développement de projets contenant des connaissances libres basées sur le principe du wiki, et distribuer leur contenu publiquement et gratuitement[26] ». En d'autres termes, et toujours selon Jimmy Wales, Wikipédia représente « un effort pour créer et distribuer une encyclopédie libre de la plus haute qualité possible à chaque personne sur la planète dans sa propre langue[27] » avec pour objectif « d'atteindre un niveau de qualité au moins équivalent à celui de l'Encyclopaedia Britannica ».

L'organisation est financée par des dons, principalement en provenance d'Amérique du Nord et d'Europe, mais aussi par des subventions fédérales (États-Unis), le sponsoring et le merchandising. En juin 2021, ses réserves s'élevaient à 231 millions de dollars[28]. En 2023, elle employait environ 700 personnes.[29]

La Fondation s'enorgueillit d'être décentralisée et se développe à travers un réseau d'organisations locales ou régionales, ou « chapitres ». Il existe des chapitres au Canada, en France, en Espagne, en Allemagne, à Hong Kong, en Russie et dans une trentaine d'autres pays et territoires. Il convient toutefois de noter que ces chapitres ne sont pas propriétaires des serveurs hébergeant les différents sites, qui restent la propriété de la « maison mère » et sont situés aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, à Singapour et en France.[30]

3.2. Une position dominante dans la diffusion de l'information

Devenu l'un des dix sites web les plus visités au monde (700 millions de visites quotidiennes fin 2022[31] ), dans toutes les langues, et offrant des dizaines de millions d'articles en libre consultation - sur des sujets aussi divers que la culture, les arts, l'histoire, la politique, l'actualité, les sciences, la santé, les biographies de personnes vivantes ou décédées, etc. -  Wikipédia est devenue une référence non seulement  pour le grand public mais aussi pour la majorité des journalistes et de nombreux étudiants.

Si l'on ne peut parler de situation de monopole (il existe bien d'autres sources de connaissances et d'informations, mais toutes ne sont pas en ligne, gratuites ou accessibles à toute heure du jour et de la nuit), Wikipédia occupe néanmoins une position centrale, incontournable et, pour tout dire, dominante dans la diffusion de l'information.

Depuis la création de cet outil, une question simple mais cruciale se pose : est-il fiable ? En d'autres termes, les informations fournies sont-elles vraies, objectives, précises et suffisantes (voire complètes) pour donner une idée exacte - ou du moins aussi proche que possible de la « vérité » - d'un sujet ou d'une personne donné(e) ?

Sans pouvoir généraliser, il semble que la réponse à cette question doit être nuancée, voire négative.

Certes, plus on s'intéresse aux sciences « dures » (mathématiques, physique, astronomie, biologie, etc.), plus le contenu de Wikipédia sera proche de ce que l'on attend d'une encyclopédie : la diffusion de l'état des connaissances sur un sujet X à un moment donné. A l'inverse, plus on se tournera vers les sciences humaines (histoire, sociologie, etc.) et, a fortiori, vers l'actualité récente ou les biographies de personnes vivantes, plus le contenu des articles sera pollué par des biais cognitifs ou politiques.

3.3 Comment fonctionne Wikipédia ?

La raison de ce risque de déformation de la réalité réside dans la nature même du projet Wikipédia.

Traditionnellement, une encyclopédie, qu'elle soit universelle, nationale ou thématique (Universalis, Britannica, la Brockhaus Enzyklopädie allemande, la Zhongguo da baike quanshu chinoise, le Grand Larousse Universel, l'Encyclopédie Bordas, le Quid,  l'ekai Dai-Hyakka Jiten japonaise, Judaïca, etc.), s'appuie sur les meilleurs spécialistes d'un sujet pour offrir au grand public une approche experte vulgarisée.

Depuis l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert[32], elle se doit d'être extrêmement rigoureuse, visant non seulement à diffuser les connaissances, mais aussi à corriger les idées fausses et à combattre les préjugés et les superstitions. Cette noble ambition ne peut être approchée - sinon atteinte - qu'en s'appuyant sur des spécialistes reconnus dans chaque domaine.

Malheureusement, il n'en va pas de même avec Wikipédia : à condition de respecter les règles d'édition du site, n'importe qui peut proposer ou écrire un article, et n'importe qui peut apporter des modifications aux articles écrits par d'autres. Tout cela, de surcroît, dans l'anonymat le plus complet et sans aucune autorité ou comité scientifique[33]. Cela peut conduire à ce que Wikipédia appelle une « guerre d'édition » si plusieurs points de vue opposés s'affrontent.

À cet égard, une comparaison intéressante peut être faite avec une autre grande encyclopédie en ligne qui opère strictement dans le domaine des affaires : Investopedia. Contrairement à Wikipédia, où les articles et les sections sont souvent rédigés par des contributeurs anonymes ou des auteurs utilisant des surnoms et des pseudonymes, Investopedia fournit des informations transparentes non seulement sur l'auteur d'un article, mais aussi sur les personnes qui l'ont relu et vérifié avant sa publication.

En clair, à la connaissance « élitiste » produite par des experts reconnus, le projet Wikipédia oppose une production participative (ou « collaborative ») de connaissances basée sur « l'intelligence des foules. »[34]

Ne vous méprenez pas : notre intention n'est pas de rejeter ou de condamner tous les articles de l'encyclopédie en ligne ou leurs rédacteurs : d'une part, de véritables spécialistes sont impliqués dans le projet et, d'autre part, nous acceptons pleinement qu'un honnête « amateur éclairé » puisse produire un excellent travail.

3.4. Une œuvre collective avec peu de règles

Pour bien comprendre le « modèle Wikipédia », il suffit de regarder ce que l'encyclopédie dit d'elle-même[35] :

  • « Wikipédia est produite en collaboration sur Internet par un réseau décentralisé et auto-organisé de contributeurs volontaires, sans structure hiérarchique formelle ».
  • « Le système wiki de Wikipédia permet à tous les visiteurs de créer et de modifier des pages immédiatement, même sans s'enregistrer. Wikipédia a été la première encyclopédie généraliste à utiliser ce système pour ouvrir l'édition de ses articles à tous les internautes. Aucun article n'est considéré comme complet et Wikipédia se présente comme une encyclopédie en amélioration continue. Le suivi constant des modifications est également ouvert à tous grâce au système wiki ».
  • « Le contenu encyclopédique est censé respecter la « neutralité de point de vue », définie par Jimmy Wales comme « décrire le débat plutôt que d'y participer ». Tout contributeur à un article de Wikipédia doit s'efforcer de ne jamais prendre parti dans une discussion argumentée qu'il rapporte. La neutralité de point de vue consiste à présenter objectivement des idées et des faits rapportés par des sources externes vérifiables et connues, indépendamment des préjugés des rédacteurs des articles. Sur Wikipédia, les règles de rédaction visent à convenir à des personnes rationnelles, même si elles ne partagent pas toujours les mêmes opinions. La politique de neutralité de Wikipédia stipule que les articles doivent aborder tous les aspects d'une question controversée, et ne pas affirmer ou laisser entendre que l'un ou l'autre point de vue est a priori le bon. La neutralité des points de vue n'implique cependant pas une représentation égale de toutes les opinions, car Wikipédia accorde plus d'espace aux opinions les plus largement acceptées ».

Cela étant dit, tous les contributeurs à Wikipédia doivent respecter ses principes fondateurs[36] :

  • L'encyclopédie n'est pas une compilation d'informations ajoutées sans discernement. Elle n'est pas non plus une source de documents de première main et de recherches originales, ni un forum de propagande. Wikipédia n'est pas un journal, un hébergeur gratuit, un fournisseur de pages personnelles, un réseau social, une série d'articles promotionnels, un recueil de mémoires, une expérience anarchiste ou démocratique, un annuaire de liens. Enfin, ce n'est pas le lieu pour partager vos opinions, vos expériences ou vos débats. Tous ceux qui participent à l'élaboration de ses articles doivent respecter l'interdiction des recherches originales (aussi appelées « travaux inédits ») et s'efforcer d'être aussi précis que possible ».
  • « Wikipédia s'efforce de respecter la neutralité des points de vue, ce qui signifie que les articles ne doivent pas promouvoir un point de vue particulier. Cela implique parfois de mentionner plusieurs points de vue et de représenter chacun de ces points de vue le plus fidèlement possible, en tenant compte de leur importance respective dans le domaine de la connaissance. Il s'agit également de fournir le contexte nécessaire à la compréhension de ces points de vue, en fonction des sources dont ils sont issus, et de ne présenter aucun point de vue comme étant la vérité ou le meilleur point de vue. Ces conditions permettent de vérifier l'information en citant les sources qui font autorité sur le sujet (en particulier dans le cas de sujets controversés) ».
  • L'encyclopédie est publiée sous une licence libre et ouverte à tous : les textes publiés sont disponibles sous une licence Creative Commons - Share Alike 4.0 International (CC-BY-SA 4.0) et une licence de documentation libre GNU (GFDL 1.3). Cette licence permet à quiconque de créer, copier, modifier et distribuer le contenu de Wikipédia. Les obligations sont de maintenir la même licence pour les copies in extenso et modifiées, et de créditer les auteurs originaux. Personne n'a le contrôle d'un article en particulier. Tout texte contribué à Wikipédia peut être modifié et redistribué sans préavis par quiconque, y compris les redistributeurs commerciaux. « Libre » ne signifie pas que chacun peut écrire ou faire ce qu'il veut en toute liberté. Les droits d'auteur doivent être respectés ».
  • « Wikipédia est un projet collaboratif qui suit des règles d'étiquette : vous devez respecter les autres Wikipédiens, même en cas de désaccord. Restez toujours poli, courtois et respectueux. Recherchez le consensus. N'attaquez pas les gens et ne faites pas de généralisations insultantes. Gardez votre sang-froid lorsque les choses s'enveniment. Évitez les guerres éditoriales [...]. Agissez de bonne foi et supposez que vos interlocuteurs font de même, sauf preuve flagrante du contraire. Essayez d'être ouvert, accueillant et amical ».
  • « Wikipédia n'a pas de règles fixes autres que les cinq principes fondateurs énoncés ici. N'ayez pas peur d'être audacieux dans vos contributions, car l'un des avantages de pouvoir éditer Wikipédia est que tout ne doit pas être parfait du premier coup. Il n'est donc pas nécessaire de connaître toutes les règles pour contribuer. Si tu fais des erreurs, les autres contributeurs les repéreront, les corrigeront et te les expliqueront. Ne craignez pas non plus de faire une erreur : toutes les versions antérieures des articles sont conservées et accessibles via l'historique, il est donc impossible d'endommager ou de perdre irrémédiablement des informations sur Wikipédia. Mais n'oubliez pas que tout ce que vous écrivez sera conservé pour la postérité ».

3.5. Les contributeurs peuvent être répartis en différentes catégories :[37]

Les contributeurs de Wikipédia sont répartis en différents rôles qui définissent les actions qu'ils sont autorisés à entreprendre, mais « les critères d'acquisition du statut et la manière d'utiliser les capacités fournies sont fixés indépendamment par chaque communauté ».

Les cinq statuts principaux sont :

  • Des utilisateurs anonymes identifiés par leur adresse IP, qui « ne peuvent que créer et modifier des articles, et intervenir sur les pages de discussion (avec des restrictions sur la création d'articles sur certaines versions linguistiques) » ;
  • Les utilisateurs enregistrés qui « peuvent faire la même chose, mais en plus renommer une page et copier des fichiers d'illustration (images, vidéos, etc.). En fonction de certains critères choisis par chaque communauté - généralement un seuil minimum de contributions apportées par le compte utilisateur - ils peuvent également voter lors de diverses consultations, telles que les élections d'administrateurs ou de référents » ;
  • Les administrateurs sont élus par la communauté, qui leur confère ce statut. Leur rôle est essentiellement technique et correspond à des outils dont l'utilisation est soumise à l'approbation de la communauté : suppression d'une page, suppression des versions intermédiaires d'une page (dite « purge de l'historique »), mise en place de différents niveaux de blocage pour filtrer la modification des pages à problèmes, blocage d'un utilisateur au comportement problématique. Ils ne peuvent pas juger du contenu d'un article, mais peuvent intervenir pour limiter la modification d'une page lorsqu'elle est le lieu d'un conflit entre utilisateurs » ;
  • Les bureaucrates qui « sont élus par la communauté, et peuvent renommer un compte utilisateur. Ils examinent également les résultats d'une candidature au rôle d'administrateur ou de bureaucrate, et la valident en changeant le statut du compte utilisateur concerné si elle a été approuvée par la communauté » ;
  • Les arbitres qui « sont élus par la communauté qui leur confère ce statut. Ils forment le Comité d'arbitrage, qui examine les conflits entre utilisateurs et peut décider de sanctions, notamment le blocage des modifications ou des restrictions plus spécifiques. Ils ne peuvent pas juger du contenu d'un article ; leur rôle se limite à évaluer les conflits entre les personnes et leur comportement sur Wikipédia ».

3.6. Surveillance et correction des erreurs

Selon Wikipédia[38], les modifications apportées aux articles sont soumises à plusieurs niveaux de contrôle a posteriori, de sorte que même les erreurs les plus évidentes peuvent être corrigées.

Jimmy Wales, par exemple, a déclaré qu'« en général, la correction d'une erreur ou d'une information trompeuse se fait en quelques heures, voire en quelques minutes ».[39]

La surveillance est également assurée par un utilisateur enregistré qui « examine » les modifications récentes apportées à sa « liste de surveillance » (liste des pages qu'il a marquées pour la surveillance). Cet examen permet de détecter et de corriger assez rapidement les principaux problèmes de fond : erreurs manifestes, ajouts hors sujet, manque d'objectivité ou de neutralité dans la rédaction. Les co-auteurs de l'article peuvent ensuite vérifier plus en détail les ajouts suspects, si nécessaire à l'aide de sources de référence ».[40]

Des sanctions sont prévues : « Lorsqu'il apparaît qu'un contributeur « à problème »  apporte trop de contributions négatives à Wikipédia, il peut être interdit d'écrire sur l'ensemble de l'encyclopédie » : « Les administrateurs, élus parmi les contributeurs, ont le pouvoir de supprimer ou de protéger des pages, de bloquer ou d'exclure un contributeur après décision du comité d'arbitrage, également composé de membres choisis par la communauté ».[41]

Néanmoins, « les erreurs qui échappent à ces premiers niveaux de contrôle sont des erreurs peu évidentes, ou qui concernent des articles marginaux, peu avancés et peu suivis. Ces erreurs peuvent rester dans l'article pendant des mois, voire des années, et elles restent d'autant plus longtemps que l'article est peu lu et peu modifié. Elles peuvent être corrigées spontanément par un lecteur. De plus, lors d'une nouvelle modification, l'article subit à nouveau les contrôles précédents, et les relecteurs bénévoles peuvent décider de le relire entièrement pour corriger les anciennes erreurs ».[42]

Enfin, « le dernier niveau de contrôle, collectif, est constitué par des projets d'amélioration d'articles liés à un thème donné, organisés autour d'un « portail ». Dans ce cadre, les articles sont relus, complétés et corrigés par des bénévoles passionnés par le thème. Les articles qui bénéficient de ces relectures sont d'abord corrigés, et continuent généralement à être suivis par l'équipe du « portail ». [43]

3.7. Un mode de fonctionnement qui autorise les erreurs et les manipulations

Mais le mode de fonctionnement même de Wikipédia permet aussi de nombreuses erreurs, approximations malheureuses et abus, quoi qu'en disent les communautés nationales de contributeurs qui entretiennent et développent cet outil.

La « supervision » et la vérification des travaux des contributeurs sont en partie responsables de cette faiblesse.

Par exemple, au 24 mars 2025, l'édition française du site contenait 2 673 274 articles, écrits ou modifiés, depuis le 11 mai 2001 (date de lancement des pages françaises) par 5 141 533 contributeurs, dont 18 848 « actifs »[44], mais seulement 142 administrateurs.

Le même jour, l'édition anglaise recensait 6 971 221 articles écrits ou modifiés (depuis le 15 janvier 2001) par 48 899 457 contributeurs, dont 125 295 actifs et 848 administrateurs.

L'édition allemande compte 2 999 726 articles, 4 545 935 contributeurs (17 762 actifs) et 171 administrateurs. 

 Le « système Wikipédia » - autorisation d'écrire ouverte à tous, sans exigence de compétence (ni possibilité réelle de vérifier cette compétence avant la mise en ligne d'un article), absence de validation des articles par une quelconque « autorité » et, enfin, correction des erreurs ou des biais fondée sur cette même ouverture - est au cœur de la plupart des critiques adressées à l'encyclopédie depuis sa création.

A cela s'ajoute l'anonymat des contributeurs, qui ne permet pas au lecteur de vérifier les compétences et connaissances réelles des auteurs, ni leurs éventuels engagements politiques ou philosophiques, autant d'éléments qui peuvent nuire à la pertinence de leur travail.

Les mêmes faiblesses permettent à n'importe qui de « vandaliser » un article de Wikipédia. Selon l'encyclopédie, le « vandalisme » est défini comme « les modifications apportées aux articles de Wikipédia avec l'intention de nuire à l'article, au sujet de l'article ou à la communauté de Wikipédia ».[45]

3.8. Wikipédia en tant que média social

La structure du fonctionnement de Wikipédia, ou son « modus operandi », comme indiqué précédemment, ressemble à celle d'une plateforme de médias sociaux, semblable à des plateformes mondiales comme Facebook ou X (anciennement Twitter). Bien que Wikipédia tente de se présenter différemment, cela ne doit pas induire le public en erreur sur le fait que le contenu des articles de Wikipédia est souvent façonné d'une manière très similaire à celle des plateformes de médias sociaux.

Les caractéristiques typiques des médias sociaux, telles que le contenu généré par les utilisateurs, la modération de la communauté et les fonctions de discussion sur le contenu, sont toutes clairement présentes dans Wikipédia. La neutralité et la vérifiabilité déclarées ne sont qu'un mirage, comme nous le montrerons plus loin dans des cas pratiques.

En fait, en vertu de la loi sur les services numériques de l'UE, Wikipédia est considérée comme une très grande plateforme en ligne (Very Large Online Platform - VLOP). En tant que VLOP, Wikipédia est tenue : (1) d'évaluer les risques systémiques significatifs découlant de ses services, y compris la diffusion de désinformation, (2) à la suite de l'évaluation des risques, de mettre en œuvre des mesures raisonnables et proportionnées pour atténuer les risques identifiés, tels que la désinformation, et (3) d'envisager volontairement l'élaboration du code de pratique de Wikipédia en matière de désinformation.

Les exigences légales susmentionnées visent à garantir que les plateformes en ligne, telles que Wikipédia, évaluent et atténuent de manière proactive la propagation de la désinformation, favorisant ainsi un environnement numérique plus sûr et plus digne de confiance.

Wikipédia s'opposerait probablement à sa classification en tant que plateforme de médias sociaux, mais une telle opposition non seulement dénaturerait la véritable nature de Wikipédia telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, mais ne tiendrait pas compte du point de vue du grand public et de ses lecteurs, qui méritent d'être protégés contre la propagation de la désinformation sur Wikipédia et qui ont droit à un environnement numérique digne de confiance.

4-     Erreurs, biais et manipulations : études de cas

Nous allons maintenant examiner quelques exemples de faiblesses et de défauts de Wikipédia. La profusion des articles de l'encyclopédie et la multiplicité des langues dans lesquelles elle est publiée ne permettent pas une recherche exhaustive. Nous ne citerons donc que quelques cas particulièrement emblématiques, répartis sur les 20 dernières années et publiés dans les différentes langues d'expression de l'encyclopédie, qui illustrent parfaitement le fait que les erreurs ou manipulations résultant du fonctionnement de Wikipédia peuvent nuire aussi bien à des communautés entières qu'à des individus ou des entités. 

  • Le dossier croate (2011-2021)

Le « dossier croate » est l'un des plus longs épisodes de « vandalisme » subis par Wikipédia.[46]

L'édition croate de l'encyclopédie en ligne a été lancée le 16 février 2003. Vers 2011, suite à diverses infiltrations extrémistes, manipulations et menaces à l'encontre des rédacteurs, un groupe local d'extrême droite a réussi à prendre le contrôle total de cette édition. Il l’a gardé pendant... 10 ans.

Pendant 10 ans (de 2011 à 2021), Wikipedia.hr est devenu l'un des principaux vecteurs de la propagande néo-fasciste croate. Outre la déformation systématique des faits et des biographies sur les partis démocratiques, les activistes se sont livrés à une propagande systématique contre l'interruption volontaire de grossesse et les milieux LBGT, tout en tentant de déformer l'histoire du pays et de réhabiliter systématiquement le régime pronazi de l'Oustacha, milice ultranationaliste, antisémite et pro-allemande qui a dirigé l' « État indépendant de Croatie », allié à Berlin, entre 1941 et 1945.

Les nouveaux rédacteurs ont également tenté de minimiser les innombrables crimes commis dans le camp de concentration de Jasenovac, présenté comme un simple lieu de rassemblement ou un camp de travail. Bien que les appréciations divergent, les études les plus récentes, y compris israéliennes[47], estiment que près d'un million de personnes ont été exterminées dans le complexe de Jasenovac (qui comprenait en fait plusieurs camps) : 800 000 Serbes orthodoxes, 40 000 Juifs, au moins 10 000 Tziganes, etc.

Face à cette situation scandaleuse, et malgré la multiplication des signalements d'abus et autres mises en garde, la Fondation Wikimediareconnaît avoir fait preuve d'une passivité coupable : « La Fondation Wikimédia [...] s'est abstenue d'intervenir de peur de porter atteinte à l'autonomie de la Wikipédia croate. La Fondation s'est contentée de lancer un appel à commentaires, qui n'a pas permis de recueillir des avis critiques sur le fonctionnement et les dérives de la Wikipédia en langue croate : les opposants ont en fait été neutralisés. Le rapport publié en 2021 reconnaît que « l'absence d'intervention de la Fondation a directement poussé les utilisateurs modérés à quitter la plateforme ». Les activités du groupe dominant se sont poursuivies pendant 10 ans. Le pouvoir de ce groupe a finalement été « renversé » par ceux qui n'étaient pas d'accord avec ces méthodes... »[48]

  • Le cas d'Israël (2025)

À la mi-mars 2025, l'Anti-Defamation League (ADL) a publié une enquête[49] mettant en évidence « une manipulation systématique du contenu de Wikipédia en faveur de positions anti-israéliennes ».

Le rapport a identifié un groupe d'environ 30 éditeurs qui collaborent activement pour déformer les informations relatives au conflit israélo-palestinien. Ces éditeurs se distinguent par un niveau d'activité bien supérieur à la moyenne, avec deux fois plus de modifications au cours de la dernière décennie et des communications internes jusqu'à 18 fois plus fréquentes que les autres contributeurs. Leur stratégie consiste à supprimer systématiquement les références à des sources crédibles et à utiliser des votes concertés pour minimiser les critiques du Hamas tout en amplifiant celles d'Israël. Le rapport souligne également que la version arabe de Wikipédia viole les politiques de neutralité de la plateforme, notamment sur les pages consacrées au Hamas qui glorifient l'organisation terroriste.

« Il est clair que Wikipédia doit faire beaucoup plus pour combattre ce parti pris antisémite et anti-israélien très actif », a déclaré Daniel Kelley, l'un des responsables de l'étude, avant d'ajouter : « En attendant, les plateformes qui s'appuient sur Wikipédia, comme Google Search et les modèles d'IA comme ChatGPT, doivent donner moins de poids à ces contenus pour éviter la propagation de la désinformation ».

L'ADL a recommandé plusieurs mesures correctives, notamment la mise en place d'un programme d'examen par des experts accrédités par la Fondation Wikimedia, la nomination d'administrateurs spéciaux chargés de superviser les discussions sur des sujets controversés et la réforme du processus de résolution des litiges.

  • L'affaire du magazine Le Point (2025)

À la mi-février 2025, une crise a éclaté entre le très respecté magazine d'information français Le Point et Wikipédia.[50]

Selon la chaîne d'information publique France Info : « Le différend est né de la mise à jour de la fiche Wikipédia de l'hebdomadaire. Celle-ci laissait entendre que le journal avait pris un tournant « populiste » et que sa ligne éditoriale était de plus en plus proche de la droite identitaire. Un journaliste du Point, Erwan Seznec, a écrit le 15 février à l'auteur de ces modifications, qui contribue à Wikipédia sous le pseudonyme de FredD... »

Toujours selon France Info, des contributeurs de Wikipédia ont dénoncé des « courriels d'intimidation » et ont publié une lettre ouverte le 17 février pour apporter leur « soutien total à [leur] pair ». Ces utilisateurs affirment que le journaliste du Point a menacé FredD de divulguer des informations personnelles le concernant.

Outre la critique de FredD, Erwan Seznec estime que l'hebdomadaire fait l'objet d'une « campagne de dénigrement ». Dans un article, « il dresse une longue liste de critiques à l'encontre de Wikipédia : égocentrisme, absence totale de débat contradictoire, sélection biaisée des données, inversion accusatrice, effet de meute, élimination arbitraire des informations discordantes ». Pour le journaliste, son magazine est présenté de manière biaisée, voire mensongère, par les contributeurs de Wikipédia, notamment en ce qui concerne sa proximité supposée avec la droite dure et la mouvance conspirationniste ».

La direction du magazine soutient son journaliste, Etienne Gernelle (son directeur) expliquant à la radio publique France Inter que « les contributeurs de Wikipédia travaillent comme des trolls sur les réseaux sociaux, en masquant leur identité et en racontant n'importe quoi ».

Le magazine va plus loin en initiant une pétition signée par près d'une centaine de personnalités, dont plusieurs anciens ministres français, des parlementaires, des intellectuels et des écrivains : ils demandent que Wikipédia devienne « une encyclopédie réellement participative, responsable, transparente, neutre et équitable ».

L'affaire est maintenant entre les mains des avocats.

  • Violation du secret de la Défense nationale française (2013)

Début mars 2013, la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI, aujourd'hui Direction Générale de la Sécurité Intérieure, DGSI) a écrit[51] à la Wikimedia Foundationpour demander le retrait immédiat d'un article publié en français sur Wikipédia à propos d'une installation militaire française. La DCRI estimait que l'article portait atteinte aux secrets de la Défense nationale. La Fondation Wikimediaa refusé.

  • Le décès de Kenneth L. Lay (2006)

Le mercredi 5 juillet 2006, Kenneth L. Lay, PDG de la compagnie pétrolière américaine Enron, qui venait d'être condamné pour une fraude portant sur des centaines de millions de dollars, est décédé.[52]

À l'époque, Reuters avait observé le développement – « à un rythme alarmant et avec des informations totalement inexactes » - de la page Wikipédia consacrée au milliardaire : « Les organes de presse ont commencé à annoncer la mort de Lay vers 10 heures du matin mercredi. Selon Reuters, à 10 h 06, l'entrée Wikipédia de Lay indiquait qu'il était mort « d'un suicide apparent ». Deux minutes plus tard, l'entrée a été « mise à jour » pour dire que Lay était mort « d'une crise cardiaque apparente ou d'un suicide ». Dans la même minute, un auteur de Wiki a fait marche arrière, et l'article a indiqué que la cause du décès était « encore à déterminer » [...] À 10 h 11, l'article sur Lay a conclu : « La culpabilité d'avoir ruiné tant de vies l'a finalement [sic] conduit à son suicide » [...] Une minute plus tard, une vraie nouvelle a réussi à se frayer un chemin dans Wikipédia : « Selon le pasteur de Lay, la cause était une crise cardiaque « coronarienne massive ». Mais la raison n'a pas duré longtemps. À 10 h 39, un soi-disant expert médical a déclaré : « Les spéculations sur la cause de la crise cardiaque ont conduit de nombreuses personnes à penser qu'elle était due au stress du procès Enron ». Enfin, mercredi après-midi, l'entrée Wikipédia sur Lay indiquait qu'il avait été déclaré mort à l'hôpital d'Aspen, au Colorado, et qu'il avait succombé à une crise cardiaque, citant des sources d'information ».

Le journaliste Frank Ahrens, reporter et rédacteur au Washington Post, a analysé ce flot de versions contradictoires comme suit : « Qu'est-ce que tout cela nous apprend ? Que la plus grande force de Wikipédia est sa plus grande faiblesse. Si l'affirmation selon laquelle « l'histoire est écrite par les vainqueurs » est trop grossière, elle exprime une vérité sous-jacente : toute encyclopédie définitive reflète le point de vue de son époque. C'est inévitable [...] Une encyclopédie rédigée à partir de nombreux points de vue devrait, en théorie, contribuer à éliminer ce défaut. De plus, aussi rompus à la recherche que soient les auteurs d'encyclopédies, il existe d'innombrables experts sur des milliers de sujets qui en savent plus que les auteurs de Wikipédia ; chaque sujet a ses fétichistes, et c'est tant mieux. Si l'objectif est de compiler tous les faits vérifiés, Wikipédia pourrait être un outil puissant. [...] Mais voici la crainte que suscite Wikipédia : elle combine la portée mondiale et l'autorité d'une encyclopédie Internet avec les pires éléments des blogueurs radicalisés. Si vous entrez dans un blog, vous savez à quoi vous attendre. Mais si vous cherchez dans une encyclopédie, il est normal que vous vous attendiez à autre chose. Des faits réels, par exemple. Dans le pire des cas, Wikipédia est une tromperie active, un outil puissant d'agit-prop et non d'information. Certains articles de Wikipédia contiennent des clauses de non-responsabilité indiquant que des doutes ont été émis quant à leur exactitude. Mais ce n'est pas la même chose que d'offrir des données vérifiées. Je suis un fan de Wikipédia et des concepts qui y sont liés, comme le « journalisme citoyen ». Je souhaite simplement qu'ils soient meilleurs ».

  • La fille « adoptive » du couple Chirac (2009)

En 1979, Jacques Chirac (alors maire de Paris après avoir été Premier ministre et futur Président de la République française) et son épouse, Bernadette Chodron de Courcel, rencontrent à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle un groupe de Boat People ayant fui le Vietnam. Sans l'adopter formellement, ils décident d'accueillir l’une des réfugiées, Anh Dao Traxel (21 ans).

Trente ans plus tard, Anh Dao Traxel découvre sur la page Wikipédia qui lui est consacrée qu'elle a « abandonné ses enfants »[53], accusation gravement diffamatoire qui lui a causé une souffrance insupportable et un grave préjudice à l'association qu'elle présidait (et qui lui a valu plusieurs décorations, dont la Légion d'honneur).

Anh Dao Traxel poursuit son combat. Après avoir été diffamée par un internaute sur l'encyclopédie en ligne Wikipédia, la fille adoptive de la famille Chirac, domiciliée à Boissy-la-Rivière, a porté plainte et s'est constituée partie civile contre le site. L'auteur de l'insertion, un ancien ami de son fils, a reconnu les faits et s'est excusé. Cependant, la victime a déclaré qu'elle trouvait « scandaleux que n'importe qui puisse modifier le profil d'une personne sans que les informations soient définitivement vérifiées et validées par les administrateurs bénévoles, permettant ainsi à des personnes d'écrire gratuitement des commentaires insultants ou diffamatoires, dans le seul but de nuire à autrui ».

  • L'avocat italien Cesare Previti (2013)

Le 30 janvier 2023, Cesare Previti (avocat, ancien ministre et conseiller de Silvio Berlusconi) a déposé une plainte contre la Fondation Wikimedia, affirmant que la page qui lui était consacrée était truffée d'inexactitudes et de déclarations diffamatoires, en bref, qu'il s'agissait de « ragots pseudo-journalistiques alimentés par le travail de sujets absolument pas fiables ».[54]

Un tribunal romain n'a toutefois pas été de cet avis, estimant que « la Fondation Wikimedia ne peut être tenue pour responsable de la diffusion de contenus diffamatoires ». La raison en est que, selon la loi italienne, la fondation est un fournisseur d'hébergement (c'est-à-dire un espace utilisé pour la publication) et non un fournisseur de contenu. Wikimedia ne peut pas garantir l'exactitude des entrées publiées sur Wikipédia, qui relève de la responsabilité des utilisateurs individuels. En outre, la Cour a souligné que le contenu des entrées peut être corrigé et modifié par n'importe qui ».

  • Omar Harfouch (2025)

Omar Harfouch est un homme d'affaires et une personnalité des médias libanais vivant en France, ainsi qu'un pianiste et compositeur de renom à la carrière internationale.

En janvier 2025, sa page Wikipédia a été modifiée des dizaines de fois par des personnes qui ont notamment supprimé toutes les références à ses activités musicales et philanthropiques. Omar Harfouch « a dénombré une vingtaine de fake news sur sa page Wikipédia, où la véracité des informations publiées semble être le cadet de ses soucis ». L'encyclopédie lui attribue, contre toute vérité, une fortune personnelle de trois milliards de dollars, ainsi que des liens (non vérifiés) avec plusieurs personnalités politiques françaises.

Omar Harfouch s’est « indigné que Wikipédia soit devenue un instrument de propagande et de dénigrement pour certains, entre les mains d'individus mal intentionnés et parfaitement conscients des défauts de Wikipédia ».

Une action en justice est en cours à l'heure où nous écrivons ces lignes.[55]

  • Tamaz Somkhishvili (2023-2025)

Tamaz Somkhishvili est un homme d'affaires britannique d'origine géorgienne. Il a des intérêts dans diverses parties du monde et a notamment travaillé et investi en Russie et en Ukraine.

Il est également un important philanthrope et un donateur bien connu pour un certain nombre d'organisations caritatives, dont il dirige certaines.

À Kiev, en 2007, il était le promoteur du plus grand projet immobilier de ces dernières décennies (la reconstruction et la réhabilitation de la place Kharkivska) avant que le projet ne soit exproprié et rejeté par le conseil municipal en raison des violations constantes de la part des autorités municipales. Depuis lors, il est en procès avec les autorités municipales de la capitale.

Sa page Wikipédia[56] contient des affirmations infondées et gravement diffamatoires. Il est accusé d'avoir mis en place des structures criminelles dans le but de monopoliser des terrains municipaux à Kiev et à Odessa, d'avoir profité des mécanismes de blanchiment d'argent et d'évasion fiscale, et d'avoir utilisé « 8 passeports différents » pour se déplacer en Ukraine.

Plus grave encore, dans le contexte de la guerre entre l'Ukraine et la Russie, Tamaz Somkhishvili aurait, selon Wikipédia, organisé la réparation et l'entretien de chasseurs bombardiers russes en Géorgie. Cette accusation est évidemment particulièrement grave et menace non seulement les intérêts de M. Somkhishvili mais aussi sa liberté et sa sécurité physique.

Malgré plusieurs tentatives et la fourniture aux éditeurs de Wikipédia de preuves démontrant que les accusations sont totalement fausses, et bien que les éditeurs de Wikipédia reconnaissent que Tamaz Somkhishvili est devenu l'objet d'attaques concertées dans lesquelles Wikipédia est utilisée comme outil, aucun accord à l'amiable n'a été conclu avec la Fondation Wikimedia pour corriger ces « erreurs ».

L'enquête menée par ses avocats internationaux montre, au-delà de tout doute raisonnable, que les auteurs (anonymes) des accusations sur sa page sont des journalistes ukrainiens qui sont depuis longtemps au cœur d'une vaste campagne de diffamation contre lui et sont même connus en Ukraine comme les « mercenaires » de campagnes de diffamation comme celle-ci.

À cet égard, non seulement la Fondation Wikimedia a été alertée sur les faits de la désinformation évidente et manifeste qui est diffusée à l'aide de Wikipédia, mais aussi sur les faiblesses de la politique de Wikipédia qui permettent à une telle désinformation d'être facilement diffusée. Non seulement la Fondation Wikimedia a refusé de supprimer la désinformation publiée dans Wikipédia au sujet de Tamaz Somkhishvili, mais elle a également refusé de remédier à ses faiblesses politiques. Ainsi, la Fondation Wikimedia a refusé de remplir l'obligation réglementaire qui lui incombe en vertu de la loi sur les services numériques de l'UE.

Le cas de Tamaz Somkhishvili montre que non seulement Wikipédia peut être facilement utilisée comme outil dans des attaques en diffamation, mais aussi que la Fondation Wikimedia n'est pas prête à obéir à la loi sur son site en n'autorisant pas la publication de désinformation sur Wikipédia. En outre, cette affaire a montré que les éditeurs de Wikipédia disposent d'une plus grande marge de manœuvre pour agir de manière partiale, s'ils le souhaitent, et qu'ils n'ont pas à répondre de leurs actes répréhensibles. Tamaz Somkhishvili semble n'avoir d'autre choix que d'intenter une action en justice contre la Fondation Wikimedia. Il semble que son action en justice viserait à obliger la Fondation Wikimedia à lutter contre la désinformation et à se conformer aux lois, comme le font les autres entreprises.

  • Claude Moniquet (2016-2025)

L'auteur de cette étude a également été honoré par Wikipédia. Sa page le décrit comme un « homme politique libéral-conservateur », « un ancien journaliste belge » et « un ancien agent de renseignement de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) », « né d'un père juif pratiquant et d'une mère française catholique ».

Bien qu'il ait également été impliqué dans la politique, cela n'a duré que 9 mois sur une carrière de 47 ans (aujourd'hui âgé de 67 ans, il a commencé à travailler à l'âge de 20 ans), il est donc surprenant que cette « qualité » soit mise en exergue.

Enfin, s'il a la double nationalité franco-belge, il a passé l'essentiel de sa carrière médiatique à travailler pour des médias français, suisses, américains et britanniques, de sorte que le décrire comme un « journaliste belge » est un « raccourci » évident. Et si son père était juif, il n'a jamais été pratiquant et sa mère n'était pas catholique.

Outre ces erreurs factuelles, l'article se caractérise par un parti pris idéologique évident, mettant en avant des affirmations fausses sur son passé à la DGSE (basées sur les écrits d'un auteur condamné à Paris pour diffamation et atteinte à la sûreté de l'Etat) dans les services spéciaux français. Sur son expertise en matière d'antiterrorisme, les auteurs de cette page ont choisi de ne retenir que trois avis ou commentaires, tous négatifs, alors qu'il en existe des milliers sur Internet, et ils ne retiennent que trois de la vingtaine de livres qu'il a publiés à l'heure où nous écrivons ces lignes.

Malgré ses tentatives répétées, il n'a jamais pu corriger ces déclarations erronées ou incomplètes.

5-     Lorsque le mal est fait, pouvez-vous obtenir une indemnisation ?

La dizaine de cas que nous venons d'évoquer (mais nous aurions pu en citer des centaines) démontrent le préjudice que peut causer Wikipédia.

Ils montrent également que, dans de nombreux cas, il est difficile voire impossible - compte tenu du système Wikipédia - de corriger des erreurs, des propos diffamatoires ou des approximations.

En dernier lieu, il existe la possibilité d'un recours juridique. Mais ces procédures sont longues, très techniques, difficiles à identifier précisément les auteurs et à impliquer les chapitres nationaux de Wikipédia ou de la Wikimedia Foundation. Enfin, elles sont coûteuses. Ces délais, ces difficultés et ces coûts découragent sans doute la plupart des « victimes » de Wikipédia d'intenter une action en justice.

Et comme l'encyclopédie est parfois réticente à reconnaître ses torts, les contenus litigieux restent trop souvent accessibles pendant des mois voire des années.

Il existe cependant des garde-fous juridiques qui permettent de poursuivre l'encyclopédie, comme le souligne l'avocat spécialisé Arnaud Dimeglio[57] :

  • Wikipédia est tenue de conserver les données permettant d'identifier les contributeurs, et peut donc être amenée à les divulguer en réponse à une demande légale. Cela a été le cas en 2008 (commentaires diffamatoires et insultants).

  • En plus d'être potentiellement condamnée à divulguer des données d'identification, Wikipédia peut également être tenue pour responsable si elle ne retire pas rapidement un contenu manifestement illégal.

  • Dans une autre affaire, le juge des référés a ordonné à Wikipédia de divulguer l'adresse IP de l'auteur des propos litigieux. Cependant, le délai de conservation d'un an ayant expiré, les plaignants n'ont pas pu obtenir les coordonnées de l'internaute auprès de Free.

Cependant, en France au moins, depuis la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement, et la loi du 2 mars 2022 visant à lutter contre le harcèlement scolaire, il est plus difficile d'identifier les auteurs d'infractions telles que les atteintes à la réputation d'une personne. Le demandeur doit d'abord apporter la preuve du préjudice. A défaut, la demande sera rejetée.

Enfin, même si le contrevenant est condamné, les amendes sont peu élevées.

Au niveau européen, Wikipédia et la Fondation Wikimedia devraient être tenues de se conformer à la loi sur les services numériques de l'UE et de lutter activement contre la désinformation, que la Fondation Wikimedia autorise actuellement à publier sur Wikipédia. Si la fondation Wikimedia aspire réellement à ce que Wikipédia soit une véritable source de connaissance libre et que sa devise ne soit pas ancrée dans l'hypocrisie, elle devrait s'attaquer de manière proactive à la désinformation plutôt que de résister à prendre des mesures même lorsque des preuves crédibles d'une telle désinformation sont présentées.

L'encyclopédie n'hésite d'ailleurs pas à déconseiller les actions en justice[58] : « Les menaces d'actions en justice sont rarement le meilleur moyen de mettre fin à un conflit sur Wikipédia. Très souvent, ces menaces sont le résultat d'une page qui n'est pas éditée selon les souhaits de certaines personnes ; elles reflètent une méconnaissance des règles et recommandations du projet, et elles exacerbent les tensions bien plus qu'elles ne les résolvent ».

L'encyclopédie précise que « Depuis sa création, Wikipédia s'efforce de respecter les différentes lois. Des spécialistes du sujet sont présents au sein de la fondation qui l'héberge, et les membres de la communauté suivent également ce sujet de près ».

Selon Wikipédia, « les menaces de poursuites judiciaires à l'encontre d'autres utilisateurs de Wikipédia posent plusieurs problèmes : elles intimident les contributeurs et entravent sérieusement la liberté d'éditer des pages. Elles menacent la neutralité de Wikipédia, qui est un principe de Wikipédia, et risquent de faire apparaître un nouveau parti pris dans les articles ; elles nuisent à l'atmosphère et provoquent un manque de confiance au sein de la communauté de Wikipédia. Il en résulte une réduction de notre capacité à agir rapidement et efficacement en toute bonne foi mutuelle ».

L'encyclopédie n'hésite pas, même, à brandir ce qui pourrait être interprété comme une menace ou, en tout cas, une manœuvre d'intimidation : « Wikipédia a eu de mauvaises expériences dans le passé avec des utilisateurs menaçant d'intenter une action en justice dans le but de nuire. Ce type d'action peut nuire à votre réputation sur Wikipédia ».

6-     Nos recommandations

Nous reconnaissons que, dans sa conception et dans sa forme, le projet Wikipédia correspond à de nouvelles aspirations dans la société mondialisée et interconnectée qui est la nôtre. Ces aspirations sont profondes, ainsi qu’en témoigne d’ailleurs, dans toutes les langues, le nombre de contributeurs de l’encyclopédie et son succès planétaire.

Il serait donc vain de vouloir s’y opposer.

Toutefois, il est tout aussi évident, ainsi que cette brève étude l’a démontré, que le fonctionnement même de l’encyclopédie - la confiance dans « l’intelligence des foules », l’absence de structures hiérarchiques formelles, l’anonymat des contributeurs, etc. - permet toutes les erreurs et tous les abus, qu’il s’agisse d’actes volontaires ou involontaires.

Certes, la Fondation Wikimédia affirme que ces incidents sont minoritaires et ne représentent qu’une infime fraction de son contenu. Mais il n’en reste pas moins qu’ils existent et tendent à se multiplier dans les articles relatifs à des personnes, à des sujets « sensibles » ou à l’actualité « chaude » et qu’ils peuvent avoir des conséquences désastreuses pour les personnes ou entités qui en sont victimes.

Dans une société de plus en plus polarisée, sujette à de multiples tensions qui menacent sa cohésion, où la désinformation atteint des sommets jamais connus et à l’heure ou se développe l’Intelligence artificielle (avec des effets bénéfiques et d’autres qui s’annoncent désastreux) cette tendance ne peut que s’amplifier.

Il est donc nécessaire d’introduire dans le fonctionnement même de l’encyclopédie des changements qui empêcheront ces « erreurs » ou, au moins, en limiteront les effets.

Nous avons longuement réfléchi à ce qui était à la fois nécessaire, raisonnable et compatible avec la philosophie générale du projet Wikipédia.

Il est évident que la Wikimedia Foundation n’acceptera jamais de revenir sur l’aspect collaboratif et ouvert à tous les contributeurs de l’encyclopédie ni sur l’anonymat de ses contributeurs. Elle ne mettra pas davantage en place un mécanisme lui donnant la possibilité de  vérifier si les connaissances d’un contributeur lui permettent réellement de traiter un sujet ou si un engagement idéologique (au sens large de ce terme) risque d’entacher cette « neutralité des points des vues » qui est l’un de ses cinq principes fondateurs.

Il existe toutefois des moyens simples de faire valoir les droits des personnes, groupes ou entités qui seraient lésés. D’abord, bien entendu, en évitant, autant que faire se peut, que cela se produise. Nous préconisons donc que tout contributeur de Wikipédia se voit rappelé les principes éthiques et légaux qui sont généralement ceux de l’édition. Ceci pourrait se faire par le biais d’une courte formation en ligne.

Mais cela ne suffit évidemment pas, tout particulièrement quand les incidents ne sont pas de simples erreurs mais sont dus à un biais idéologique, un manque de prudence ou une ignorance délibérée des règles.

Une mesure formelle est donc nécessaire.

Le droit de la presse et de l’édition prévoit, dans les pays démocratiques, que chaque auteur soit légalement responsable de ce qu’il écrit ou publie si ses propos violent la loi ou portent injustement atteinte à la réputation d’une personne ou entité. Dans le cas de Wikipédia, l’anonymat des contributeurs interdit ce recours.

Il est dès lors possible de mettre en cause la responsabilité du directeur de publication ou du rédacteur en chef (pour un média) ou de l’éditeur, pour un livre.

Il en va de même, en France par exemple, pour les contenus illicites sur Internet[59].

Nous préconisons donc que chaque édition linguistique de Wikipédia se voit dotée d’un directeur d’édition clairement identifié, dont le nom et les coordonnées apparaissent automatiquement à la fin de chaque article publié. Ce responsable éditorial serait un salarié de la Fondation Wikimedia (les bénéfices de cette dernière permettent largement cet effort).

Il serait dès lors possible de se tourner vers ce responsable et d’exiger la publication d’un « droit de réponse » (selon les modalités techniques et légales fixées par la loi dans le cadre des délits de presse) et, le cas échéant, la modification ou le retrait pur et simple du texte incriminé. Ce directeur pourrait être soumis à l’obligation de publier le droit de réponse ou de faire modifier ou retirer le contenu indésirable dans un délai « raisonnable » (par exemple, 48 heures) sous peine de poursuites.

De plus, il pourrait être décidé que ce responsable éditorial - éventuellement assisté d’une petite équipe - contrôle a priori les nouvelles publications sur des sujets sensibles ou des personnes.

Bien entendu, certains rejetteront ces propositions en mettant en cause une forme de « censure ». Il n’en est évidemment rien. Comment justifier, au vu de l’importance prise par Wikipédia dans le débat public, que l’encyclopédie puisse publier n’importe quoi sur n’importe qui ? Et ce sans aucun contrôle ni aucune responsabilité ? Cette question est d’autant plus importante que notre monde est marqué par l’immédiateté de la communication.

Il y a là plus qu’un abus : c’est une faute éthique grave qui menace tout un chacun. Le droit à l’information, nous l’avons souligné au début de cette étude, est un impératif puissant. Mais la protection des personnes et de leurs droits - individuels ou collectifs - l’est tout autant. Faute de quoi, demain, nous vivrons dans un monde digne du 1984 de George Orwell dans lequel diffamation, harcèlement et mensonges régneront en maître.


[1] Freedom of Information Act du 4 juillet 1966 aux Etats-Unis, Loi du 3 janvier 1979 sur les archives en France, Access to Information Act 1983 au Canada, Freedom of Information Act 2000 du 30 novembre 2000 au Royaume-Uni, etc.

[2] Il est sous-directeur de la gestion, de la communication et de la valorisation des archives à la direction interministérielle des Archives de France au ministère de la Culture.

[3]https://www.culture.gouv.fr/actualites/histoire-memoire-comment-les-archives-s-ouvrent-au-plus-grand-nombre#:~:text=En%20France%2C%20l'acc%C3%A8s%20aux,cela%2C%20avoir%20acc%C3%A8s%20aux%20archives

[4] Le terme « média » doit être entendu ici au sens de la définition donnée par le Grand Usuel Larousse : « Tout procédé technique permettant la distribution, la diffusion ou la communication d'œuvres de l'esprit écrites, sonores ou visuelles ».

[5]Seuls 7 % des Américains font « beaucoup » confiance aux médias, et 27 % « assez ». Dans le même temps, 28 % des adultes américains déclarent ne pas avoir beaucoup confiance dans les journaux, la télévision et la radio, et 38 % n'en ont aucune. Il convient de noter que c'est la première fois que le pourcentage d'Américains qui n'ont aucune confiance dans les médias est plus élevé que le pourcentage de ceux qui ont une grande ou une assez grande confiance. 

[6] https://wtop.com/politics/2019/10/new-poll-finds-what-americans-hate-the-most-about-politicians/

[7]https://www.la-croix.com/culture/barometre-des-medias-2025-desinformation-fatigue-confiance-notre-sondage-en-8-chiffres-cles-20250114

[8] Les cinq versions linguistiques les plus populaires de Wikipédia sont publiées, par ordre décroissant d'importance, en anglais, en cebuano (langue véhiculaire des Philippines), en allemand, en français et en suédois.

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia_en_anglais

[10] https://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia

[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia_en_fran%C3%A7ais

[12] La naissance de la Fondation Wikimedia a été annoncée le 20 juin 2003 par Jimmy Wales, l'un de ses cofondateurs. Elle a adopté la forme d'une fondation américaine à but non lucratif (« foundation 501(c)(3) ») régie par les lois de l'État de Floride mais basée à San Francisco (Californie).

[13] Daniel H. Pink, The Book Stops Here, Wired, 1er mars 2005, https://www.wired.com/2005/03/wiki/

[14] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wiki

[15] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondation_Wikim%C3%A9dia

[16] https://www.wiktionary.org/

[17] https://www.wikiquote.org/

[18] https://www.wikibooks.org/

[19] https://commons.wikimedia.org/wiki/Main_Page

[20] https://wikisource.org/wiki/Main_Page

[21] https://species.wikimedia.org/wiki/Main_Page

[22] https://www.wikinews.org/

[23] https://www.wikiversity.org/

[24] https://www.wikivoyage.org/

[25] https://www.wikidata.org/wiki/Wikidata:Main_Page

[26] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondation_Wikim%C3%A9dia

[27] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia

[28] https://en.wikipedia.org/wiki/Wikimedia_Foundation#Expenses_(2004%E2%80%932020

[29] https://en.wikipedia.org/wiki/Wikimedia_Foundation#Staff

[30] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondation_Wikim%C3%A9dia

[31]https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia#Volum%C3%A9trie 

[32] Publiée entre 1751 et 1772 à Paris, en 28 volumes, l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers marque un tournant dans le genre. Si les tentatives de synthèse des connaissances existent depuis l'Antiquité (à Sumer au quatrième millénaire avant J.-C.), elles sont l'œuvre d'un seul homme. Diderot et d'Alembert, eux, se sont entourés de 160 collaborateurs pour rédiger les 71 818 articles de leur ouvrage.

[33] A l'inverse, les revues scientifiques publiées par des universités ou des centres de recherche reconnus s'appuient sur la validation des contributions par des pairs et/ou par un comité éditorial composé d'experts. 

[34] Pierre Willaime et Alexandre Hocquet, « Wikipedia au prisme de l'épistémologie sociales et des études des sciences », in Cahiers Philosophiques, 2015, 2, numéro141, pages 68 à 86,

[35] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia

[36] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Principes_fondateurs

[37] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia

[38] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia#cite_note-figaro-96

[39] Didier Sanz, « Wikipédia, une encyclopédie sous haute surveillance », dans Le Figaro, 15 octobre 2007.

[40] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia#cite_note-figaro-96

[41] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia#R%C3%A9daction

[42] Ibid.

[43] Ibid.

[44] Un contributeur est considéré comme « actif, s'il effectue au moins cinq modifications par mois ».

[45] https://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Jargon_de_Wikip%C3%A9dia#Vandalisme

[46] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia_en_croate

[47] « Expert : 800 000 Serbes ont été tués dans un camp de la mort croate pendant la Seconde Guerre mondiale - English - on B92.net [ archive ] », sur B92.net.

[48] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia_en_croate#cite_note-18

[49]https://www.i24news.tv/fr/actu/international/ameriques/artc-wikipedia-l-adl-denonce-un-biais-anti-israelien-systematique

[50]https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/detournements-ideologiques-reglement-de-comptes-on-vous-explique-la-polemique-entre-wikipedia-et-le-magazine-le-point_7091871.html 

[51]https://www.wikimedia.fr/la-dcri-menace-un-administrateur-de-wikipedia-pour-supprimer-un-article/

[52] https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2006/07/08/AR2006070800135.html

[53]https://www.leparisien.fr/essonne-91/boissy-la-riviere-91690/la-fille-adoptive-de-chirac-porte-plainte-contre-wikipedia-04-11-2009-698334.php

[54] https://www.firstonline.info/fr/wikipedia-previti-perde-la-causa-contro-la-wikimedia-foundation/

[55]https://entrevue.fr/omar-harfouch-va-porter-plainte-contre-wikipedia-qui-lui-prete-une-fortune-de-3-milliards-de-dollars/

[56] https://en.wikipedia.org/wiki/Tamaz_Somkhishvili

[57]https://www.village-justice.com/articles/responsabilite-wikiped

[58] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Pas_de_menace_de_poursuites_judiciaires/Alt

[59]https://www.servicepublic.fr/particuliers/vosdroits/F32075#:~:text=Vous%20pouvez%20engager%20la%20responsabilit%C3%A9,'un%20r%C3%A9seau%20social%2C%20etc.


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