Winograd, révélateur d'un "désengagemnt démocratique" et d'un effritement de l'Etat-Nation ?



 

 

Le 30 janvier dernier, la commission Winograd a remis au gouvernement israélien son rapport final[1]. Ce dernier devait clore une longue période d’investigation née au lendemain de la guerre de l’été 2006 qui avait opposé Israël au Hezbollah. Il faisait également suite à un rapport intérimaire qui avait fait tomber le chef d’Etat-major et le ministre de la Défense de l’époque, tant sa teneur était dévastatrice pour les dirigeants politiques et militaires qui avaient conduit cette guerre dans les conditions lamentables que l’on connaît[2]. Par conséquent, tout le monde politique et médiatique attendait avec crainte et anxiété la mouture finale de cette commission mise en place par Ehoud Olmert lui-même, conscient des conséquences politiques que sa remise pourrait avoir sur les destinées des principaux chefs du gouvernement actuels, Ehoud Olmert et Ehoud Barak en particulier, ce dernier ayant promis de quitter le gouvernement en cas de rapport négatif de la commission d’enquête. Au-delà, c’est la coalition gouvernementale elle-même qui semblait menacée, avec la perspective d’élections anticipées qui en découlait, prélude à un inévitable retour de la droite aux commandes.

 

            Pourtant, il n’en fut rien. Ni le Premier ministre, ni le ministre de la Défense n’ont voulu démissionner, malgré les critiques acerbes de la population et des réservistes, sans oublier les familles des militaires tombés lors des combats. Ehoud Olmert a avancé qu’il assumait toutes ses responsabilités dans cette guerre, tout en considérant visiblement qu’il n’était pas utile d’en tirer les conséquences et de démissionner. Quant à Ehoud Barak, après quelques jours d’hésitations et probablement quelques sondages, il a également écarté toute sortie du gouvernement, arguant des intérêts supérieurs de la nation et des dangers permanents qui menacent Israël[3]. Manifestement, il s’est posé en homme providentiel : si superman démissionnait, franchement, où irait l’Etat juif ? Il est vrai que, contre toute attente, le rapport final de la commission Winograd s’est montré nettement plus clément que le rapport intermédiaire, en particulier à l’endroit du Premier ministre et du gouvernement, même s’il faut dire aussi que tout avait été fait ces derniers mois pour empêcher l’élaboration de conclusions personnelles de ladite commission. Quant à la presse israélienne, elle s’est essentiellement ruée sur une phrase du rapport final blanchissant Ehoud Olmert[4], épargnant de la sorte celui qui avait conduit Israël dans sa guerre ratée contre le Hezbollah.

 

            Les critiques n’ont pas tardé à fuser, aussi bien de la part des milieux politiques, tous bords confondus, que de la population, la presse suivant donc moins ce mouvement. Le sentiment qu’un cordon protecteur avait été établi autour du principal responsable de la conduite de cette guerre afin de le sauvegarder, ainsi que son gouvernement, d’une chute qui semblait pourtant inévitable et salutaire a profondément choqué la population. Et les déclarations du professeur Yehezkel Dror, membre de la commission Winograd, expliquant à divers médias qu’il était important de prendre en considération le risque d’élections anticipées et de retour de Benjamin Netanyahu, en regard d’un gouvernement prêt à accepter des compromis dans des négociations de paix n’ont rien fait pour atténuer l’écœurement d’une grande partie de la population et la conviction de plus en plus répandue que les dés étaient manifestement pipés, afin d’épargner Ehoud Olmert et son gouvernement[5].

 

            Faut-il donc considérer, comme beaucoup l’ont fait depuis, que la démocratie israélienne est en berne et que sa formidable vivacité a fini par sombrer dans d’obscurs calculs politiques personnels, s’effondrant devant l’attrait du pouvoir et les liaisons occultes d’un réseau élitiste, déconnecté de la vraie vie du pays et de ses réalités[6], critiques de plus en plus répandues dans les démocraties de type occidental ? Le rapport final de la commission Winograd n’a-t-il pas, paradoxalement, nui à sa propre vocation, en renforçant encore un peu plus le malaise qui a suivi ce qu’elle a qualifié elle-même de « grand ratage » de l’été 2006 ? Comment une telle chose a-t-elle pu survenir ? Le temps des commissions d’enquête à la fois dévastatrices et salutaires pour la démocratie israélienne est-il révolu ? Et ne faut-il pas, pour répondre à cette interrogation, analyser plus finement et plus profondément l’évolution de la société israélienne elle-même depuis ces dernières années ? C’est donc en reliant les événements qui ont entouré la remise mouvementée du rapport final de la commission Winograd à l’évolution de la vie politique et de la société israéliennes de ces vingt dernières années que nous tenterons de répondre à la question grave de l’état de la démocratie et de l’Etat-nation en Israël, dans les lignes qui vont suivre. Car seule une analyse politique, voire sociétale, semble permettre une compréhension satisfaisante de la situation actuelle en Israël.

  1. Les années 90 : polarisation de la vie politique      et idéalisme

 

En Israël, les années 90 étaient caractérisées par une très forte polarisation de la vie politique. Il y avait véritablement deux camps, la « gauche » et la « droite », organisés autour de deux formations politiques de premier plan, les travaillistes et le Likoud, autour desquels gravitaient une multitude de partis de moindre importance : partis d’extrême droite ou d’extrême gauche, laïcs ou religieux, sionistes ou antisionistes, juifs ou arabes. Ce clivage « gauche-droite », bien que l’échiquier politique israélien ne réponde pas exactement aux critères habituellement utilisés par les politologues européens, s’expliquait par plusieurs facteurs.

 

Tout d’abord, l’extrême vivacité politique de la société israélienne, où la politique se vit sur un mode passionnel, un peu comme en France. La politique y fait donc office de club, on en parle en famille, elle s’exprime à foison dans les médias, rythme la vie des citoyens, avec son cortège de curiosités et de virulence verbale, car malheureusement, les députés israéliens ne sont pas toujours les plus exemplaires. Il y a quelque chose de profondément juif dans ce clivage et dans cette diversité, le monde juif se caractérisant souvent par un mode de vie communautaire et une identité complexe, éclatée, multiple, ce qui ne manque d’ailleurs pas de décontenancer nombre d’observateurs extérieurs.

 

Le second facteur expliquant ce clivage réside dans l’évolution même des grandes formations politiques israéliennes, à l’aune de l’histoire de ce jeune Etat. Les travaillistes représentent la force politique qui a présidé aux commandes dès la naissance de l’Etat d’Israël. C’est lui qui l’a conduit pendant près de trente ans quasi sans partage. C’est dire si son histoire se confond en grande partie avec celle d’Israël. Mais il est aussi profondément associé aux développements du mouvement sioniste, tant nombre de ses représentants les plus prestigieux, tels David Ben Gourion ou Golda Meir, s’enracinaient essentiellement dans une idéologie socialiste teintée de marxisme[7]. C’est d’ailleurs Ben Gourion[8] et Golda Meir qui, en 1930, ont fondé le Mapai, sa principale composante, dont l’actuel parti travailliste israélien est aujourd’hui encore l’héritier[9].

 

Cependant, l’usure du pouvoir, la guerre du Kippour, avec les conclusions d’une commission d’enquête nationale, la commission Agranat, ainsi qu’un scandale financier qui toucha directement la femme du Premier ministre de l’époque, Itzhak Rabin, eurent raison du vieux parti israélien. C’est ainsi que le Likoud put enfin accéder au pouvoir, en 1977, après des années de lutte de son principal dirigeant, Menahem Begin.

 

Cette véritable révolution a signé la fin d’une époque et un premier échec idéologique de la gauche en Israël. Face à l’accession au pouvoir d’une droite nationaliste et davantage religieuse que le parti travailliste, celui-ci a dû trouver un nouveau souffle pour tenter de renverser la vapeur et retrouver le succès électoral. C’est la première guerre du Liban, en 1982, qui lui fournira l’occasion de ce nouvel élan. S’associant à un mouvement comme Shalom Akhchav dans les manifestations géantes organisées pendant la campagne Paix en Galilée pour s’opposer au gouvernement Begin, le parti travailliste développa peu à peu sa nouvelle idéologie : l’idéologie de la paix. Il reprenait ainsi une initiative perdue de façon humiliante face au Likoud, avec la signature des accords de Camp David et de l’accord de paix israélo-égyptien dans la foulée immédiate de l’accession de Menahem Begin au pouvoir.

 

Enfin, le déclenchement de la première Intifada va faire éclater les divisions israéliennes au grand jour, brisant le moral d’une partie de sa population et de ses dirigeants. Il s’agira d’un véritable choc pour la société israélienne qui renforcera encore le « tournant idéologique » du parti travailliste que nous venons de décrire. Ainsi, rapidement vont se former deux blocs distincts. Un bloc s’organisera autour des travaillistes, désireux de s’engager dans des négociations, le fameux « processus de paix » dont Oslo sera l’une des villes saintes. Ce camp se désignera d’ailleurs lui-même comme le « camp de la paix ». En face, la droite nationaliste essentiellement avec pour centre le Likoud d’Itzhak Shamir, attaché au développement de la population juive dans les territoires administrés par Israël au lendemain de la guerre des Six jours. Ce que certains appelleront le Grand Israël, dont Shamir dira un jour ironiquement et pour répondre à ses détracteurs, qu’il ne faisait jamais que 70 kilomètres de large.

 

C’est ainsi que la vie politique israélienne des années 90 était fortement polarisée, autant pour des raisons propres à la société israélienne et à l’identité juive, que pour des raisons idéologiques et sécuritaires. Les Israéliens vibraient avec intensité au rythme des discours passionnés et de l’idéologie. Cette idéologisation de l’espace politique israélien opposait par conséquent deux camps essentiels autour desquels évoluaient quelques électrons libres et opportunistes (comme certains partis religieux). La terre était au centre des débats. D’un côté, on avait l’idéologie de l’échange de la paix contre les territoires, slogan fréquemment répété aujourd’hui encore, et qui servait d’axiome de base au fameux « camp de la paix », teinté d’un messianisme prononcé, de l’autre on avait la droite nationaliste, qui s’appuyait sur le Goush Emounim et qui accentuait son discours sur la notion de judaïté en relation avec Eretz Israël.

 

 

  1. Années 2000 : effondrement idéologique et      atomisation de la scène politique

 

a)    L’Intifada et l’effondrement idéologique de la gauche

 

L’éclatement brutal de la seconde Intifada, le 29 septembre 2000, va bouleverser la donne et briser net le messianisme des chantres d’Oslo. Les attentats-suicides et la rhétorique haineuse et djihadiste d’Arafat vont dessiller les yeux d’une grande partie de la population israélienne et renverser le décor millénariste planté par l’essentiel de la gauche israélienne durant les années nonante, qu’il s’agisse des responsables politiques, des médias ou d’organisations engagées dans la lutte politique en faveur du processus de paix, tel Shalom Akhchav.

 

Les négociations de paix échouent à Camp David et surtout à Taba. Ehoud Barak, qui a pourtant été jusqu’à proposer la partition de Jérusalem à Arafat, est publiquement humilié par les négociateurs palestiniens, après avoir poussé la logique d’Oslo jusque dans ses derniers retranchements. Des élections sont organisées. Ehoud Barak s’écroule sous les coups de Jarnac d’un Arafat dont nombre d’Israéliens avaient oublié le visage guerrier par autosuggestion. Pour les travaillistes, la chute est très dure. Terrible même. L’axiome de base instituant la nécessité de parvenir à un accord territorial pour aboutir à la paix, le fameux échange de « la paix contre les territoires », vient d’être sèchement battu en brèche par le refus d’Arafat, du compromis pourtant très généreux que Ehoud Barak venait de lui présenter. Le Likoud revient au gouvernement : les Israéliens ont propulsé au pouvoir Ariel Sharon, l’enfant terrible de la politique israélienne. Pour remettre de l’ordre, assurer la sécurité. En un mot, mettre fin à cette nouvelle guerre qui sévit partout en Israël : dans les bus, les pizzerias, restaurants, terrasses de café ou encore les galeries commerçantes.

 

La riposte de Sharon est dure. La société israélienne fait bloc derrière lui. Les beaux discours travaillistes ont disparu. Pourtant, les tentations ne manquent pas, tant la pression internationale est intense. Israël est accusé des pires crimes possibles et imaginables : racisme, massacres, génocide... L’ONU se déchaîne à coup de résolutions accablantes pour l’Etat juif. L’antisémitisme explose dans le monde. Mais Israël tient bon. Les Israéliens se sont endurcis. D’ailleurs, ils ne veulent plus des démagogues de la gauche. Si bien qu’ils reconduisent triomphalement Sharon au pouvoir en janvier 2003, à la suite d’élections anticipées.

 

Quatre ans après le déclenchement de la seconde Intifada, les Israéliens ont relevé la tête : ils ont gagné cette nouvelle guerre israélo-arabe[10]. Pour la population israélienne, Oslo a été au mieux un échec, sinon une erreur. En réalité, Israël doit sa victoire à un trio de choc : Ariel Sharon, le Premier ministre, Benyamin Netanyahu, ministre de Finances, qui a évité à Israël un véritable écroulement économique dans cette guerre totale, et Moshé Yaalon, chef d’Etat-major, dont la pertinence des analyses et la profondeur de réflexion sont pour beaucoup dans les succès de Tsahal.

 

b)    Une nouvelle idéologie : le désengagement unilatéral

 

En réalité, cette victoire est amère. La position d’Israël s’est fortement dégradée dans l’opinion publique israélienne. La « gauche » israélienne s’est idéologiquement effondrée, dans des proportions inimaginables dix ans auparavant. Enfin, pour pouvoir survivre face aux terroristes-suicides palestiniens, les Israéliens ont dû véritablement se barricader[11]. Car c’est bien là le but de la fameuse barrière de sécurité, que les instruments de propagande palestiniens ont rapidement qualifié de « mur », pour mieux le rapprocher de l’image symbolique du rideau de fer… et de l’apartheid. Pourtant, si ces accusations recueillent initialement un écho complaisant dans l’opinion publique mondiale, la construction israélienne n’a d’autre but que d’empêcher les terroristes palestiniens de frapper la population civile en Israël.

 

Cette évolution est très importante. Car dans la foulée de sa victoire sur la seconde Intifada et de la mort dans le confort d’un hôpital français de son principal instigateur, Yasser Arafat, Ariel Sharon relance les négociations avec Mahmoud Abbas, le nouveau dirigeant palestinien. Très vite, une expression est forgée, fruit d’une nouvelle et surprenante idée du chef de l’exécutif israélien : le désengagement unilatéral. En clair, Israël est prêt à se retirer volontairement et sans contrepartie de certains territoires qu’il administrait jusque-là. C’est une révolution. Sharon qui s’était fait le champion du développement de la population juive au-delà de la ligne verte, le bouillonnant « Arik » qui avait toujours fustigé la gauche qui voulait précisément démanteler cette présence juive en échange d’un traité de paix, ce même ancien général, héros de la guerre des Six-Jours, sauveur de la guerre du Kippour et récent vainqueur d’Arafat était prêt à rééditer son exploit de Yamit[12], dans des proportions manifestement plus grandes encore, quoique encore floues, et en l’échange… de rien ! De quoi nourrir de nombreuses questions, voire de fortes suspicions dans la population israélienne.

 

En réalité, au lendemain de la seconde Intifada, une nouvelle notion s’est emparée du pouvoir israélien, remplaçant celle d’échange de « la paix contre les territoires » : la notion de frontière. C’est ça le véritable sens de la notion de désengagement unilatéral. Israël se retirerait de certains territoires, unilatéralement, pour fixer lui-même ses frontières. Le but : se séparer de la population palestinienne et sauvegarder la démographie juive face à la natalité arabe galopante. Une nouvelle idéologie est née ! On découvre alors de nouvelles implications à la barrière de sécurité et l’on se met soudainement à parler d’une région qui a toujours été honnie de toute la région : la bande de Gaza où près de 2000 Israéliens se sont établis au lendemain de la guerre de 1967. C’est le Goush Katif, que Sharon va donc bientôt faire évacuer de force, après avoir encouragé son développement.

 

Le Likoud grince des dents, la gauche en reste éberluée, bien qu’encore tétanisée et politiquement amorphe, et la population, elle, a du mal à suivre. Néanmoins, elle finit par se laisser convaincre par Ariel Sharon, persuadée qu’il saura assurer encore une fois sa sécurité si le besoin s’en ressentait à nouveau. Le Premier ministre israélien lui a promis des lendemains qui chantent, et elle en a bien besoin. Le retrait israélien de Gaza est mené l’été 2005. C’est le premier coup dur porté à la seconde grande idéologie des années 90 : le « Grand Israël ».

 

c)     La naissance de Kadima ou l’atomisation de l’espace politique israélien

 

Au lendemain du retrait unilatéral de la bande Gaza, Ariel Sharon annonce avec fracas le lancement d’une nouvelle formation politique : Kadima. C’est un véritable big bang politique. En Israël, tout le monde comprend que Sharon, dont les différends avec son rival et opposant politique Benyamin Netanyahu étaient connus de tous, vient littéralement d’exploser le Likoud. C’est, pour beaucoup, la fin de l’idéologie que l’ancien parti de Menahem Begin portait jusqu’alors : le « Grand Israël ».

 

Cependant, en créant une nouvelle plate-forme politique, centriste, Sharon ne s’est pas contenté de « casser » le Likoud. Sans le comprendre, il a véritablement « atomisé » l’espace politique israélien, fragilisant un peu plus, et durablement, un échiquier politique déjà instable et rythmé par les alliances opportunistes, l’humeur des petits partis, voire des élections anticipées. Sans oublier qu’Israël adopte un système électoral à la proportionnelle qui ravit les petits et affaiblit les grands. Désormais, il sera impossible de retrouver des grands blocs politiques compacts, comme dans les années 90.

 

Cependant, le plus paradoxal dans tout cela, c’est que ce nouveau coup d’éclat de Sharon profite à la gauche, qui peut alors revenir au pouvoir et appliquer son programme de toujours, bien que la population n’en veuille plus. Car si le rêve et les illusions se sont évanouis sous les décombres des attentats-suicides palestiniens de la seconde Intifada et les ruines du processus d’Oslo, ensanglanté par Yasser Arafat, certains responsables de la gauche, travaillistes en tête, continuent à halluciner. L’illusion de l’amour et de la paix universelle est une drogue dure, et le sevrage n’est pas si facile qu’on aurait pu le croire.

 

d)    Ehoud Olmert : le désengagement démocratique ?

 

Survient alors l’impensable : à trois mois de nouvelles élections, Ariel Sharon est terrassé par une attaque cérébrale et est plongé dans le coma. Pour les citoyens israéliens, c’est le choc. Très vite, les institutions jouent leur rôle. A Ariel Sharon l’indestructible, succède Ehoud Olmert l’improbable, en vertu de son statut de vice-Premier ministre. Les conséquences en seront incalculables tant on en mesure aujourd’hui encore les effets.

 

En effet, on sait depuis qu’Ehoud Olmert a remporté à l’ombre d’Ariel Sharon les élections que celui-ci avait prévues pour assurer sa propre succession et, surtout, s’autoriser la marge de manœuvre nécessaire à la réalisation de son propre programme politique : le retrait unilatéral de la rive occidentale du Jourdain. Mais lorsque Ehoud Olmert s’assoit sur le siège du Premier ministre, même avec le vote sans équivoque des électeurs en faveur de Kadima, le fauteuil est manifestement trop large pour lui.

 

Pour ne rien arranger, il est rapidement entouré de personnalités ineptes et inexpérimentées aux postes clef : un syndicaliste comme ministre de la Défense qui rêve de pouvoir enfin appliquer son programme social en exécutant un raid commando sur le budget de la Défense, et un chef d’Etat-major aviateur qui n’en touche pas une en stratégie et avait en réalité été placé là par Ariel Sharon lui-même, afin d’évincer Moshé Yaalon, qui avait le tort de ne pas approuver ses arguments quant au retrait de Gaza[13].

 

On connaît la suite. Très vite, le Hamas et le Hezbollah agressent Israël. Le nouveau gouvernement israélien réagit à l’aune de son inexpérience, dans la confusion. C’est la guerre ratée de l’été 2006 qui motive rapidement les critiques acerbes de la presse et de la population, et mène ensuite, une fois la guerre terminée, à de nombreuses commissions d’enquêtes, dont la fameuse commission Winograd. Amir Péretz et Dan Haloutz finissent par démissionner. Seul Ehoud Olmert, à force de manœuvres et de mauvaise foi, reste à son poste. Tantôt, il s’abrite derrière le processus de paix, qu’il mène comme il peut avec un président américain et un président de l’Autorité palestinienne aussi faibles et controversés que lui, tantôt il bénéficie de l’appétit gouvernemental des autres acteurs de la politique israélienne. Ehoud Barak qui rêve d’un come back depuis sa sortie désastreuse après Camp David, un parti Shass qui jure à qui veut l’entendre qu’il n’hésitera pas à quitter la coalition si Jérusalem est évoquée au cours des négociations, et qui le crie tellement fort que l’on comprend bien que ça doit lui faire mal de quitter un si beau navire. Sans oublier les députés Kadima eux-mêmes, qui savent très bien pour la plupart qu’ils ne retrouveraient plus leur siège en cas d’élections anticipées, les amenant à soutenir d’autant plus fortement un Ehoud Olmert décidément intouchable.

 

Le sentiment d’impunité qui circule dans la population israélienne en ce qui concerne Ehoud Olmert est d’autant plus fort que le Premier ministre traîne régulièrement et depuis longtemps de lourdes casseroles judiciaires[14]. Il n’est d’ailleurs pas le seul à être entouré de soupçons de corruption[15] : Benyamin Netanyahu et Ariel Sharon avant lui avaient également brillé de la sorte. Il faut dire que les casseroles reluisaient d’autant mieux qu’elles étaient régulièrement relavées par le conseiller juridique du gouvernement, nommé par le Premier ministre, voire par la police, dont le chef, Moshé Karadi, a démissionné lui-même pour corruption, il y a près d’un an[16]. Le lupanar ! Quant à Ariel Sharon, ce sont ses fils qui ont surtout dégusté. L’un deux, Omri Sharon, député à la Knesset, a même été condamné à une peine de prison[17]. En réalité, il est vraisemblable que ce soit davantage une question de système que de personnes[18]. Et la corruption semble si insidieuse qu’on peut se demander si l’on n’assiste pas à la naissance d’une république des oligarques.

 

Il est vrai que le gouvernement israélien semble prendre les décisions sans l’approbation de ses citoyens, jusqu’à engager l’avenir même du pays[19]. Pourtant, jamais un gouvernement n’avait été aussi impopulaire. En réalité, la population se sent de plus en plus esseulée et négligée. Elle ressent de plus en plus un sentiment d’impuissance face à un gouvernement qui prend des décisions vitales la concernant, sans tenir compte de ses aspirations. Enfin, elle perçoit de plus en plus clairement la tragi-comédie des affaires judiciaires entourant le pouvoir politique depuis ces dernières années comme révélant l’impunité dont paraît jouir la classe dirigeante.

 

Voilà qui explique en grande partie sans doute une forme d’indifférence croissante qui semble désormais gagner la population. Ainsi, après la polarisation idéologique des années 90, après la désillusion du début des années 2000, on voit poindre, au-delà de l’absence d’idéal de plus en plus marquée dans la société israélienne, l’indifférence, qui représente sans doute un des dangers les plus menaçants pour l’Etat juif, comme nous allons le voir dans les lignes qui suivent. Le phénomène semble d’ailleurs entretenu, outre par le comportement des dirigeants politiques, par une partie de la presse elle-même, tant celle-ci ne semble pas vouloir toujours exercer son rôle envers Ehoud Olmert en particulier et son gouvernement en général, en vertu de choix éditoriaux et politiques qui privilégient l’ancienne vision de la gauche, dominée par la volonté de réaliser des retraits territoriaux, à un véritable exercice de vigilance démocratique contre la corruption galopante à la tête même de l’Etat[20]. Voilà qui donne encore plus d’ampleur à l’expression « république des oligarques »  que nous avons employée plus haut.

 

A ce stade, on peut sans doute véritablement parler de « désengagement démocratique » du gouvernement Olmert, celui-ci profitant de l’impunité qui lui semble offerte par l’impuissance de la population et de solides relais dans l’establishment israélien (médias, justice…) pour évoluer à sa guise, sans aucune représentativité démocratique autre que purement institutionnelle (ce sont effectivement des représentants d’une assemblée élue), au vu de l’opinion défavorable qui la caractérise dans la population. On y reviendra plus loin.

 

 

  1. L’effritement de la cohésion entre les piliers de      l’Etat-nation ?

 

La deuxième guerre du Liban et sa gestion calamiteuse par le gouvernement israélien a révélé de terribles failles dans l’Etat juif. Ce n’est pas seulement Tsahal qui semble être en cause, bien que le rapport final de la commission Winograd ait préféré davantage mettre en cause l’armée que le gouvernement en employant, au mieux, l’expression de responsabilité au niveau « politico-militaire », formule creuse qui signifie surtout qu’on n’a pas trop envie d’approfondir et de détailler les responsabilités, contrairement au rapport intérimaire qui, lui, était nettement plus tranchant et explicite. En réalité, tous les rapports, commissions, enquêtes, analyses, au niveau du gouvernement, du Parlement ou d’autres instances de l’Etat, de même que l’ensemble des événements ayant eu lieu pendant et après la guerre de l’été 2006 concourent aux mêmes conclusions, particulièrement inquiétantes : une triple coupure s’est produite dans la société israélienne.

 

La première coupure sépare la population du gouvernement et, plus généralement, des élites dirigeantes du pays. Comme nous l’avons souligné plus haut, l’absence de plus en plus perceptible de crédibilité des élites politiques, en général, et du gouvernement actuel, en particulier, est telle que l’on peut véritablement parler de césure entre le peuple et ses dirigeants. Cette absence de crédibilité est autant marquée sur le plan moral, en raison des multiples affaires judiciaires qui secouent régulièrement le paysage politique au plus haut niveau, que politique. La question ne s’exprime pas uniquement au niveau communicationnel, mais sur le plan du leadership.

 

Ce constat a déjà pu être fait lors de la dernière guerre du Liban, où nombre d’Israéliens estimaient Hassan Nasrallah plus crédible et plus sincère que ses propres dirigeants[21]. L’écart grandissant entre les discours gouvernementaux et la réalité vécue par les Israéliens n’a fait que s’accentuer depuis. Ainsi, le rapport intérimaire dévastateur de la commission Winograd a confirmé ce que tout le monde pensait déjà : le gouvernement Olmert est essentiellement composé d’incapables dont la faiblesse idéologique et stratégique représente un danger pour la sécurité de la nation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, depuis le lendemain de la seconde guerre du Liban, les sondages donnent l’opposition largement gagnante en cas d’élections anticipées[22]. L’indifférence croissante d’une partie de la population israélienne vis-à-vis de sa classe dirigeante, expression d’un sentiment d’impuissance et de résignation face à l’impunité du pouvoir politique qui semble pouvoir faire ce que bon lui semble, quelle que soit la volonté du peuple et en dépit des intérêts de la nation représente aujourd’hui la forme la plus avancée et la plus inquiétante de cette coupure.

 

La seconde césure oppose l’armée et les dirigeants politiques. La guerre de l’été 2006 a fait naître une méfiance réciproque entre eux. Chacun accusant l’autre de manipulation et d’incompétence. Le défilé des responsables gouvernementaux devant les membres de la commission Winograd expliquant qu’ils avaient été dupés par les officiers supérieurs de l’armée, chef d’Etat-major en tête, et exprimant leur déception quant aux capacités de Tsahal n’a fait qu’aggraver le sentiment vécu par l’armée de servir de punching-ball à un pouvoir politique cherchant essentiellement à se tirer d’affaire à bon compte. A noter également que le ressentiment est particulièrement vif chez les réservistes qui ont clairement ressenti l’impression d’avoir été abandonnés par des chefs ineptes et visent en particulier les responsables politiques qui les auraient laissé tomber. Il ne faut d’ailleurs pas sous-estimer l’importance du mouvement de révolte et d’indignation de ces réservistes à l’égard du gouvernement et de son attitude suite à la remise de ses conclusions par la commission Winograd.

 

Enfin, la troisième coupure touche le lien autrefois très fort entre la population et Tsahal, qui s’est manifestement révélée incapable de la protéger, en particulier contre les roquettes tirées par le Hezbollah. L’impuissance de l’armée à faire cesser ces tirs, le cafouillage opérationnel qui a marqué le déroulement de la guerre, sa longueur exceptionnelle pour un résultat militaire très en deçà des objectifs fixés par le gouvernement (rappelons qu’au départ, il s’agissait de ramener les soldats enlevés à la maison et d’écraser le Hezbollah) ont profondément marqué les esprits. Le traumatisme a été d’autant plus grand que cette fois, il n’y a pas eu « d’arrière-front » : Haïfa a été touchée au même titre que les villes de Galilée bordant la frontière entre Israël et le Liban, une chose jusqu’alors inouïe pour les Israéliens ! Manifestement, Tsahal a failli dans sa mission première de protéger la population et ne s’est pas montrée à la hauteur face au Hezbollah !

 

En réalité, cette triple coupure représente une évolution particulièrement préoccupante et un véritable danger pour Israël. En effet, la population, l’armée et le gouvernement ne représentent ni plus ni moins que les trois piliers de l’Etat-nation, structure politique dont les prémisses ont commencé à germer en Europe vers le milieu du XVe siècle, s’est imposée avec les traités de Westphalie (1648) et a été consacrée par les réactions au Congrès de Vienne en 1815[23]. C’est sur ce socle politique que repose tout Etat moderne, dont Israël. Autrement dit, l’Etat juif est aujourd’hui menacé en raison de l’effritement de la cohésion entre ses trois composantes structurelles vitales.

 

Or, s’il apparaît que la réconciliation entre la population et l’armée s’avère possible et probablement déjà en cours, notamment grâce au travail engagé par le nouveau chef d’Etat-major israélien Gabi Ashkenazy, les deux autres cassures restent cruellement d’actualité et ne semblent pas prêtes d’être réparées. En particulier depuis la remise de ce fameux rapport final de la commission Winograd.

 

 

  1. Pauvreté stratégique et refus de responsabilité

 

En effet, la cohésion entre les piliers précités de l’Etat-nation israélien ne pourra se reconstruire que sur la base d’une confiance retrouvée entre ces trois constituants fondamentaux. Comme le souligne également Frédéric Pons dans son dernier livre, « une «bataille vitale » a commencé en Israël. Elle va se livrer sur deux plans : la durée et la confiance. [ … ] La confiance dans l'avenir reste le véritable enjeu des lendemains de cette guerre de l'été 2006. Depuis près de soixante ans, Israël a dû affronter tous les défis de sa survie, par ses armes et aussi par ses berceaux. Dans cette société de combat, défendre sa terre et faire des bébés allaient de pair. Toute perte de confiance continue dans son armée et ses dirigeants, comme la seconde guerre du Liban semble l'annoncer, pourrait conduire à un double refus suicidaire : celui de porter les armes et d'assurer la relève. »[24]

 

Mais le chemin sera long et la société israélienne ne semble pas encore en avoir pris la direction. Certains en Israël ne paraissent d’ailleurs pas encore avoir pris conscience de la nature  même du défi qui se pose à eux.

 

Car si le chantier de la cassure entre la population et l’armée, pris séparément, et les dirigeants reste entier, la balle est essentiellement dans le camp politique. Or, au vu des événements qui ont entouré la remise du rapport Winograd, tant au niveau politique que médiatique, sans oublier le rapport lui-même, bien entendu, la situation est très loin de s’améliorer. Et la double fracture s’est probablement encore aggravée.

 

En réalité, pour restaurer la confiance, il faut reconsidérer la crédibilité de la classe dirigeante, aussi bien au niveau de son discours que de ses actes. Et cette crédibilité implique de réévaluer, voire revaloriser la notion de responsabilité. Sur le plan de la crédibilité, il semble impératif d’agir tant au niveau de la pensée stratégique que sur le plan psychologique et moral. En effet, en ce qui concerne la pensée stratégique, on a pu constater l’appauvrissement dramatique des capacités de la classe dirigeante israélienne à évaluer correctement l’environnement stratégique d’Israël, ainsi que le conflit israélo-arabe en lui-même. Cela implique une refonte complète de la manière de penser celui-ci et de reconsidérer à la fois les intérêts vitaux de l’Etat juif, la manière de les préserver en définissant des lignes politiques cohérentes et une redéfinition globale des interactions entre Israël et son environnement régional, voire son positionnement dans le Moyen-Orient.

 

Les mirages d’Oslo ont causé des dommages considérables à Israël et celui-ci n’en a malheureusement pas encore pris toute la mesure au niveau politique et stratégique, continuant à aggraver la précarité de sa situation sur l’échiquier moyen-oriental. Le déficit découlant de cette pauvreté stratégique et idéologique est constatable tant sur le plan communicationnel que politique ou militaire[25]. A cet égard, l’évolution négative du dossier libanais, au vu de la santé grandissante du Hezbollah, qui se remet rapidement de ses blessures et croît chaque jour en virulence politique et en capacités de nuisance militaire et terroriste, la situation déplorable et tragique des habitants de Sdérot face aux Qassam palestiniennes, le positionnement toujours plus ambigu du gouvernement israélien sur le dossier de Jérusalem et l’improbable processus de paix avec Mahmoud Abbas peuvent être relié d’un même fil. On peut d’ailleurs s’interroger : faudra-t-il un jour constituer une nouvelle commission d’enquête, gouvernementale ou non,… sur Sdérot cette fois ?

 

Autre dimension de ce déficit stratégique, la propension de plus en plus généralisée des responsables israéliens à privilégier la dimension tactique des actions liées aux développements politiques plutôt qu’une véritable vision stratégique. Le cas d’Ariel Sharon créant son parti Kadima pour échapper aux griffes de son rival Benjamin Netanyahu, sans comprendre ce que cela impliquait en termes de fragilisation de l’échiquier politique israélien à long terme, représente un très bon exemple de ce type de comportement.

 

 Sur le plan psychologique et moral, la corruption représente évidemment le point noir. Il est impératif que la classe politique fasse le grand nettoyage. Car le temps où le procureur de l’Etat pouvait donner un grand coup de pied dans la fourmilière et inquiéter un Rabin pour cause de corruption semble bien loin. Les atermoiements de l’actuel procureur général, qui vient par exemple de présenter un compromis entre les avocats de l’ancien président-violeur Moshé Katsav et les victimes de ce prédateur VIP, afin de lui faire éviter un séjour peu glorieux à la case prison n’est évidemment pas le meilleur exemple[26].

 

Mais en réalité, c’est la notion même de responsabilité qui semble centrale ici. Car le refus des dirigeants de l’actuel gouvernement de prendre la pleine mesure de leurs responsabilités face à l’échec patent de leur conduite de la guerre du Liban, dont le très clément rapport final de la commission Winograd fait pourtant lui-même état, représente la pire des réponses possibles à la situation désastreuse dans laquelle se trouve l’Etat juif et les défis auxquels il est confronté. A ce propos, les déclarations d’Ehoud Olmert, à la veille de son récent voyage à Berlin, expliquant sereinement que la diminution progressive des protestations à son égard était un signe positif et qu’il ne sentait pas de pression particulière en faveur de sa démission, sont tout bonnement surréalistes[27]. Au-delà de l’arrogance qu’elles expriment envers la population, il s’agit clairement là de cécité politique et stratégique.

 

Quant au refus d’Ehoud Barak de démissionner du gouvernement à la suite de la remise du rapport Winograd, il s’agit d’une rupture d’une promesse pourtant solennelle de l’ancien Premier ministre. De quoi démontrer un peu plus aux Israéliens que la parole donnée d’un homme politique sur des questions cruciales ne pèsent pas bien lourd. L’attrait du pouvoir et les calculs politiques semblent bien plus importants aux yeux des ces « responsables ». Quoi de plus normal pour un politicien répondra-t-on ? Peut-on empêcher un politicien de se comporter comme tel ? Non, bien sûr. Mais on peut et doit exiger de lui d’avoir l’attitude d’un « bon » politicien : celle d’un « responsable » politique. Dans un pays comme Israël, dont l’avenir reste toujours menacé et qui évolue dans une région aussi instable et dangereuse que le Moyen-Orient, une telle demande ne semble pas démesurée.

 

Mais au-delà de ce nanisme politique, on relèvera également, et comme par contraste, l’argumentation même qu’Ehoud Barak a avancée pour justifier sa décision de bafouer publiquement une promesse faite tant à la population qu’aux militants et membres de son parti : le danger de convoquer des législatives anticipées face à la nécessité de constituer personnellement un roc face aux dangers qui menacent actuellement Israël, le Hamas, le Hezbollah, le terrorisme en général, la Syrie, l’Iran… Comme nous l’avons dit au début de cette analyse, l’ego d’Ehoud Barak semble illimité et ce dernier semble se prendre pour « le » super héros, unique et indispensable à la sécurité d’Israël. Outre que si cet argument était valable, on pourrait purement et simplement supprimer définitivement toutes les élections futures dans ce pays (on voit mal comment ces dangers pourraient disparaître dans les années à venir…), il faut souligner ici qu’il ne s’agit pas d’une attitude isolée. En effet, la plupart des Premiers ministres israéliens se sont considérés de la sorte ces vingt dernières années. Ainsi, Itzhak Rabin et Ariel Sharon ont fait de même. C’est même parce que ce dernier se considérait comme le seul à pouvoir assurer la direction d’Israël et à le protéger que les événements qui ont suivi son coma ont été à ce point dramatiques : il avait fait le vide autour de lui. Ehoud Olmert n’était d’ailleurs qu’une ombre dont il n’imaginait pas un seul instant qu’il eût pu lui succéder et diriger le pays. On connaît la suite.

 

Voilà qui renforce notre jugement quant à la nécessité de réévaluer et revaloriser la notion de responsabilité au sein même de la classe politique israélienne, jusqu’à la tête même de l’Etat. Malheureusement, ce n’est donc pas la voie qui semble être prise. Dans ce contexte, on ne peut que s’inquiéter face à l’évolution d’Israël. Le fait, comme nous avons pu le souligner, que les dirigeants israéliens semblent jouer de l’impuissance de la population à leur égard, pour creuser chaque jour un peu plus les sentiments de résignation et d’indifférence en son sein peut, certes, augmenter leur marge de manœuvre et consolider momentanément leur survie. Cependant, ce calcul cynique se révèle particulièrement désastreux pour la cohésion même de l’Etat et sa viabilité.

 

 

  1. Conclusion

 

Au moment de conclure cette analyse, on peut mesurer avec gravité l’évolution négative de la société israélienne de ces vingt dernières années. Société extrêmement dynamique et fortement polarisée, Israël dans les années 90 vivait essentiellement de l’affrontement sans concession d’idéologies bien trempées, parfois même colorées d’un messianisme à peine voilé. La fertilité démocratique et la vitalité de cette nation faisaient alors sa fierté. Cependant, l’effondrement idéologique des élites d’Israël, confrontées à l’asymétrie palestinienne sans pouvoir lui donner de véritable réplique, en particulier dans le cas de la gauche, nimbée de son rêve millénariste de paix universelle sans connexion, hélas, avec la dure réalité guerrière qui menace existentiellement l’Etat juif, a fait place à la désillusion au sein de la population.

 

Le conflit israélo-arabe, « déterritorialisé » par la seconde Intifada[28], révélait alors une dimension sous-estimée par les dirigeants israéliens, pour ne pas dire tout simplement ignorée. Face à une telle situation, la réponse des dirigeants israéliens fut à l’image même de leur faillite idéologique, marquée par la confusion stratégique. Atomisation de l’échiquier politique israélien, volonté de retrouver l’aspect territorial du conflit israélo-arabe dans une nouvelle idéologie, particulièrement éphémère du désengagement unilatéral, sur fond de panique démographique, absence de vision à long terme, calculs politiques personnels, nul doute que les élites politiques sont, dans l’ensemble, grandement responsables de l’aggravation de la situation d’Israël sur l’échiquier moyen-oriental.

 

Dans ce contexte, le désastre de la seconde guerre du Liban était inévitable, révélant de profondes fractures au sein de la société israélienne, marquant un contraste saisissant avec la société dynamique et engagée de la décennie précédente. Le problème n’est pas seulement d’ordre technique ou procédural, touchant les rouages mêmes de l’Etat. En effet, la société israélienne s’est réveillée au lendemain de la guerre de l’été 2006 dans une situation inédite au regard de son histoire jeune et mouvementée. Ainsi, nous avons pu déceler l’effritement des trois composantes de tout Etat-nation : la population, l’armée et le gouvernement israéliens vivent désormais dans la défiance mutuelle.

 

Cependant, le refus de la classe dirigeante d’assumer ses responsabilités, principe dilué par des années de déliquescence politique et morale, dont la corruption galopante paraît révélatrice, ne semble pas plaider pour un rétablissement prochain de la confiance entre ces trois pôles de la société israélienne. La population semble donc livrée à elle-même et de plus en plus gagnée à la fois par le ressentiment et l’indifférence à l’égard d’une classe dirigeante qui se représente comme autarcique, jouant parfois avec cynisme sur l’impuissance de la population à son égard, et la corruption intellectuelle et parfois morale des différents acteurs influents de la société civile israélienne.

 

Dans ce cadre, la remise par la commission Winograd de conclusions en demi- teinte, semblant mettre le doigt sur les vrais problèmes, sans pour autant aller jusqu’au bout de ses raisonnements et épargnant, de fait, Ehoud Olmert et son gouvernement, ne saurait surprendre. Et les déclarations du professeur Dror ne font qu’accentuer le malaise et prolonger une situation des plus préoccupantes. Manifestement, le rapport final de la commission Winograd représente une occasion manquée pour la société israélienne qui semble plus que jamais avoir besoin d’un nouvel électrochoc pour se reprendre en main et arrêter l’hémorragie.

 

Mais quel sursaut pourvoira-t-il au salut de l’Etat-nation israélien désormais sérieusement menacé d’effondrement ? Israël est-il sur une pente irréversible ? Ses élites se sont-elles irrémédiablement renfermées sur leurs illusions de certitude, ou tout simplement arc-boutées sur le sentiment enivrant de faire partie d’un cercle restreint de personnes disposant du savoir et du pouvoir ?

 

Faudra-t-il un nouveau choc douloureux pour mettre un terme définitif à l’erratisme stratégique des gouvernements israéliens, davantage préoccupés par leurs illusions géopolitiques que par la cohésion de leur nation et l’ancrage des valeurs fondatrices de leur Etat ? Sera-ce Sdérot, dont les habitants sont aujourd’hui désespérés, au point que 20% d’entre eux ont déjà quitté la ville[29] ? Sera-ce un nouveau traumatisme face à un échec prévisible du processus de paix, dont la direction israélienne ne semble pas voir les dangers et les artifices, alors même que Mahmoud Abbas vient de rappeler durement ses propres fondamentaux dans un article incendiaire et guerrier à la presse jordanienne[30] ? Ou encore, la montée en puissance de plus en plus forte du sécessionnisme de la minorité arabe d’Israël, pendant de l’irrédentisme arabo-palestinien ?

 

Arrivé au terme de cette analyse, on peut s’interroger : cet affaiblissement de l’Etat-nation israélien représente-t-il une victoire asymétrique palestinienne ? Alors que la région semble monter vers les extrêmes avec la conjonction de la crise iranienne et du chaos libanais[31], l’incertitude quant au futur locataire de la Maison Blanche et les répercussions que cela pourrait avoir, au-delà même de l’Irak, sur l’ensemble de la région, on ne peut que s’inquiéter de la faiblesse prolongée de la société israélienne, tant sur le plan idéologique que stratégique.

 

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[1] Ce dernier peut être consulté en hébreu sur le site même de la commission Winograd : http://www.vaadatwino.org.il/pdf/%E3%E5%E7%20%F1%E5%F4%E9.pdf. Il est également possible de consulter ce qui en a été révélé publiquement lors de la conférence de presse accordée par la commission Winograd le jour même de la remise de ses conclusions : http://www.nytimes.com/2008/01/30/world/middleeast/31winograd-web.html?pagewanted=print.

[2] On pourra se référer au site du ministère israélien des Affaires étrangères pour la lecture de ce rapport intérimaire : http://www.israelmfa.gov.il/MFA/Government/Communiques/2007/Winograd+Inquiry+Commission+submits+Interim+Report+30-Apr-2007.htm?DisplayMode=print

[3] « Barak exclut de quitter le gouvernement malgré sa mise en cause dans la gestion de la guerre au Liban », Associated Press, 3 février 2008.

[4] Il s’agit d’une phrase qui considère que « le Premier ministre et le ministre de la Défense ont agi selon une appréciation et un sentiment sincère et profond quant à ce qu’ils pensaient à l’époque être dans l’intérêt d’Israël ». “Winograd: Final ground op 'did not achieve military goals', but approving it was essential step”, Haaretz, 30/01/2008, http://www.haaretz.com/hasen/spages/949684.html. « Olmert finalement épargné pour sa gestion de la guerre au Liban », Libération, 31/01/08, http://www.liberation.fr/actualite/monde/307191.FR.php?rss=true.

[5] « Le professeur Dror au milieu de la tourmente », Par David Horovitz et Dan Izenberg, Jerusalem Post, le 7/02/08, http://www.fr.jpost.com/bin/en.jsp?enDispWho=Feature%5El8944&enSearchQueryID=7&enPage=ArticlePage&enDisplay=view&enDispWhat=object&enVersion=0&enZone=Articles&. “Winograd Commission member slammed for political comments”, Yediot Aharonot, 06/02/08, http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3503416,00.html.

[6] Our world: More democracy please, Caroline Glick, Jerusalem Post, 11/02/2008, http://www.jpost.com/servlet/Satellite?cid=1202742130552&pagename=JPost%2FJPArticle%2FPrinter.

[7] Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le seul endroit au monde où l’idéal communiste a pu prendre forme et prospérer est Israël dans l’aventure des kibboutz, dont on connaît l’importance dans le développement et l’histoire de l’Etat juif. Il ne faut cependant pas généraliser, puisque le sionisme possédait une aile libérale solide, dont le premier président israélien, Haïm Weizman, fut l’un des représentants les plus marquants.

[8] David ben Gourion avait également contribué à fonder 10 ans plutôt, en 1920, la Histadrout, la centrale syndicale israélienne, dont il fut l’année suivante le premier secrétaire général, et qui regroupe aujourd’hui encore plus d’un million de travailleurs et constitue donc une force majeure sur l’échiquier politique et social israélien.

[9] Rappelons que les travaillistes en Israël ont connu plusieurs noms pour désigner leur formation. D’abord Mapai, avec David Ben Gourion et Golda Meir, il est devenu Maarakh, après fusion avec le Mapam, à partir de 1970. En réalité, le public israélien d’aujourd’hui le connaît davantage sous son nom actuel : l’Avoda, le parti des travailleurs.

[10] Israel’s Intifada Victory, Charles Krauthammer, 18/06/2004, http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn/A50910-2004Jun17?language=printer

[11] Ce processus ne semble pas terminé puisque Ehoud Barak vient d’annoncer la construction d’une nouvelle clôture, entre Israël et l’Egypte cette fois, afin d’empêcher les infiltrations depuis ce pays. “Barak : 43-mile fence to be built at Egyptian border”, Yediot Aharonot, 26/02/08, http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3511568,00.html.

[12] Yamit est une ville de 2000 habitants construite dans le Sinaï au lendemain de la guerre des Six-Jours. Elle fut démantelée et les habitants expulsés dans le cadre de l’application de l’accord de paix israélo-égyptien qui prévoyait la restitution de la péninsule du Sinaï à l’Egypte. C’est Ariel Sharon, en sa qualité de ministre de la Défense, qui supervisa l’opération.

[13] Moshé Yaalon estimait en effet qu’un retrait israélien de Gaza renforcerait le terrorisme palestinien, accroîtrait l’image de faiblesse d’Israël chez ses ennemis, renforcerait le Hamas, notamment vis-à-vis du Fatah, au risque de le rapprocher du pouvoir, et entraînerait une augmentation des tirs de roquettes depuis la bande de Gaza sur les localités israéliennes avoisinantes. Toutes ces choses se sont malheureusement réalisées depuis, au point qu’un ministre israélien, Benyamin Ben Eliezer, a reconnu récemment que le désengagement était une erreur. (Jerusalem Post, 8 November 2007, Ben Eliezer: Disengagement a mistake, http://www.jpost.com/servlet/Satellite?cid=1192380767666&pagename=JPost%2FJPArticle%2FPrinter .)

[14] Polls Public poll: Olmert most corrupt member of government, Haaretz, 08/11/2008, http://www.haaretz.com/hasen/objects/pages/PrintArticleEn.jhtml?itemNo=921535

[15] Poll: 85% of public believe the leadership is corrupt, Haaretz, 11/0/2007, http://www.haaretz.com/hasen/objects/pages/PrintArticleEn.jhtml?itemNo=812113

[16] Il s’agissait de la conséquence directe de la remise de ses conclusions par la Commission Zeiler. Zeiler commission to slam police chief, recommend dismissals, Haaretz, 16/02/2007 http://www.haaretz.com/hasen/objects/pages/PrintArticleEn.jhtml?itemNo=826662

[17] Peine qu’il vient d’ailleurs tout juste de commencer à purger. Former MK Omri Sharon arrives to begin serving jail sentence, Yediot Aharonot, 27/02/08, http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3511884,00.html .

[18] A ce tableau, il faut ajouter de nombreux autres scandales ayant touché des personnalités israéliennes de premier plan. On peut citer Haïm Ramon, ancien ministre de la Justice, qui a été condamné à une peine d’utilité publique pour attentat à la pudeur après avoir été accusé d’avoir embrassé de force une soldate. Il est depuis revenu au gouvernement pour seconder Ehoud Olmert et est l’actuel vice-Premier ministre du gouvernement. Mais la palme revient sans aucun doute possible à Moshé Katsav lui-même, accusé de viol et de harcèlement sexuel ! A l’époque des faits qui lui sont reprochés, il était le président israélien en exercice ! C’est Shimon Pérès qui l’a remplacé depuis.

[19] Rappelons ici que le « plan de convergence » d’Ehoud Olmert, qui fournit la base politique même du parti Kadima, consistant en cette fameuse idée généralisée de retrait unilatéral est rejeté par la majorité de la population israélienne depuis le lendemain de la guerre du Liban de l’été 2006. Autrement dit, depuis l’été 2006, Kadima ne repose plus sur aucune représentativité au sein de la population. L’idéologie du retrait unilatéral est donc morte-née. Ce « plan » a été d’abord mis entre parenthèses par Ehoud Olmert lui-même, face à ce rejet massif. Ce qui ne l’a manifestement pas empêché de tenter de le réactiver ; mais cette fois de façon négociée, par une relance des pourparlers avec Mahmoud Abbas, quelques mois après l’échec de l’été 2006. Pendant ce temps, la population, elle, n’a toujours pas changé d’avis sur la question, et croule sous les roquettes à Sdérot.

[20] Voici, par exemple, ce que disait récemment Nathan Charansky, dans un entretien accordé à Hamodia, en s’exprimant à propos des raisons pouvant expliquer le surprenant plan de retrait de Gaza élaboré par Ariel Sharon : « Selon moi, Ariel Sharon ne croyait pas en son plan et ce sont d'autres considérations qui l'ont conduit à quitter la bande de Gaza. Certains pensent que c'est à cause des accusations de corruption qui pesaient sur lui. Tous les médias qui ont lancé le concept "d'Etrog" qu'il fallait absolument protéger en parlant de Sharon et de ses enquêtes ont totalement bafoué le principe de liberté de la presse. J'ai d'ailleurs demandé plus tard au rédacteur en chef du Haaretz, David Landau, s'il n'estimait pas avoir commis un crime en protégeant Ariel Sharon comme il l'a fait. Il m'a répondu que le crime d'occupation des territoires étant bien plus grave que celui de corruption, il était prêt à pardonner la corruption et bien d'autres crimes encore si le gouvernement mettait un terme à l'occupation. Il a d'ailleurs ajouté qu'il se comportait de la même manière à l'encontre d'Ehoud Olmert. Les affaires de corruption seraient donc un des vecteurs du plan de retrait, bien que je pense que ce ne soit pas le principal. » (Paru dans Hamodia n°17 du mercredi 20 février 2008.)

[21] “Polls : Israelis believes Nasrallah over Péretz”, Yediot Aharonot, 03/09/2006.

[22] On peut comparer ces deux sondages parus sur le site israëlvalley.com avant la remise du rapport final de la commission Winograd : «  Pas d'effet Bush pour Ehoud Olmert. "Olmert à la maison !" C'est le vœu de 72 % des Israéliens… » http://www.israelvalley.com/edito/2008/01/13/15204/israel-interieur-pas-d-effet-bush-pour-ehoud-olmert-olmert-a-la-maison-c-est-le-vu-de-72-des-israeliens#print ; « Benjamin Netanyahu l’emporterait nettement en cas d’élections législatives anticipées en Israël. » http://www.israelvalley.com/news/2008/01/12/15182/israel-sondages-benjamin-netanyahu-lemporterait-nettement-en-cas-delections-legislatives-anticipees-en-israel. Un autre sondage, publié sur le même site après la remise du rapport, faisait état d’une légère remontée d’Ehoud Olmert, sans conviction réelle : Ehoud Olmert reprend du poids, mais ne convainc pas…Barak pénalisé! http://www.israelvalley.com/edito/2008/02/02/15559/israel-sondage-ehoud-olmert-reprend-du-poids-mais-ne-convainc-pas-barak-penalise#print. Ajoutons que ce sondage n’a été publié que deux jours après la remise du fameux rapport, ce qui est sans doute trop court pour tirer de véritables conclusions. Surtout que la commission elle-même a été discréditée après les déclarations du Pr. Dror, membre de ladite commission, au point que la population ne croyait plus véritablement en ses conclusions, selon d’autres sondages. Depuis, de nouvelles publications concernant les intentions de vote des Israéliens, publié par l’institut Maagar Mo'hot, donnait les résultats suivants, en cas d’élections anticipées : Likoud 34; Avoda 19; Kadima et Shass 11; Israël Beiteinou 10; Meretz 7; Ihoud Leoumi, Yahadout Hatorah et Partis arabes 6; Verts 4; Retraités et Justice sociale

(Gaydamak) 3.

[23] La question de l’émergence de l’Etat-nation en Europe est en réalité complexe et ne ressort malheureusement pas du cadre strict de cette analyse. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Etat-nation est une idée qui, dans son acception actuelle, remonte au XIXe siècle, avec les conséquences nationalistes qui ont suivi, presque par réaction, le Congrès de Vienne. Mais cette conception politique n’est pas née du jour au lendemain. Au contraire, elle s’enracine dans des siècles d’une histoire européenne mouvementée. Partant de l’effritement du système féodal, on pourrait ainsi mettre en exergue le rôle du règne de Louis XI dans la constitution d’un sentiment national en France et la lutte contre les seigneurs féodaux. Quant aux traités de Westphalie, ils ont surtout imposé l’égalité en droits des Etats et le principe de souveraineté nationale en Europe. Là encore, le rôle de la France a été prépondérant, notamment grâce à Louis XIII et son redoutable Premier ministre, le cardinal de Richelieu. Ajoutons encore l’évolution considérable du droit, notamment dans le domaine de la guerre, entre les XVIIe et XVIIIe siècles. Tous ces éléments ne constituent bien sûr que des avancées progressives dans le sens de l’Etat-nation moderne et qui ne se vérifient pas de façon homogène en Europe sur cette longue période s’étalant de la fin du Moyen Age à la Révolution française. Cependant, si la constitution de l’Etat moderne en Europe peut effectivement être localisée au XVIIe siècle, dans le cadre de l’espace politique post-westphalien, la coïncidence entre l’Etat et la Nation, qui concrétise véritablement la notion d’Etat-nation, ne se manifeste réellement qu’au XIXe siècle avec l’émergence des nationalismes, qui a suivi le fameux Congrès de Vienne. Là encore, ce n’est pas tant le Congrès en soi qui est important mais plutôt les réactions qu’il a suscitées. En fait, l’idée centrale sur laquelle repose notre questionnement quant à l’évolution politique et sociétale d’Israël s’appuie sur l’analyse clausewitzienne de la guerre et le modèle « trinitaire » qu’il suppose : un gouvernement, une armée, une population. Sur ce dernier aspect, lire notamment, M. Van Crevel, La transformation de la guerre, éditions du Rocher, 1998, pp. 55-66.

[24] Frédéric Pons, Israël en état de choc, Paris, Presses de la cité, 2007, p. 211.

[25] On rappellera que Moshé Dayan avait déclaré un jour qu’Israël n’avait pas de politique étrangère mais seulement une politique de défense et de sécurité, tandis que Shimon Peres considérait qu’un pays qui avait une bonne politique n’avait pas besoin de communication publique alors que celle-ci ne servirait pas à un Etat qui avait une mauvaise politique.

[26] « Le jour de Mazouz et Katsav", Jerusalem Post 26/02/08, http://www.fr.jpost.com/bin/en.jsp?enDispWho=Nouvelles%5El17475&enPage=ArticlePage&enDisplay=view&enDispWhat=object&enVersion=0&enZone=Nouvelles&. L’accord a depuis été entériné par la Haute Cour, L'ex-président, Moshé Katsav, échappe à la prison, RFI, 26/02/08 http://www.rfi.fr/actufr/articles/098/article_63228.asp. La décision de la haute cour d’entériner l’accord n’a d’ailleurs pas fait que des heureux en Israël : Women's groups disheartened by court decision, Jerusalem Post, 26/02/08, http://www.jpost.com/servlet/Satellite?cid=1203847475466&pagename=JPost%2FJPArticle%2FPrinter. Lire sur ce point, Another blow for Israelis, Yediot Aharonot, 27/02/08, http://www.ynetnews.com/Ext/Comp/ArticleLayout/CdaArticlePrintPreview/1,2506,L-3511871,00.html.

[27] « Ehoud Olmert estime que les appels à sa démission vont decrescendo. En route pour Berlin, où il doit rencontrer Angela Merkel pour évoquer le dossier nucléaire iranien, le Premier ministre a déclaré aux journalistes qui l'accompagnaient : « Je n'ai pas senti qu'il y avait des pressions sur moi pour que je démissionne. », Guysen International News, 10 février 2008, 21h33.

[28] Rappelons une fois encore que celle-ci s’est déclenchée paradoxalement sur fond de proposition par Israël d’un compromis territorial sans précédent, dans lequel la partie israélienne acceptait de diviser Jérusalem, démontrant bien que le conflit israélo-arabe n’est pas de nature territoriale.

[29] Au moment d’écrire ces lignes, il semblerait qu’on s’achemine vers une action d’envergure de Tsahal dans la bande de Gaza au vu de l’intensification des tirs de roquettes sur le sud d’Israël, à partir de ce territoire. Ainsi, Sdérot a été durement touchée ces dernières semaines. Des missiles de type Grad ont même été tirés sur la ville d’Ashkelon, ce qui constitue une escalade particulièrement significative de la part des terroristes palestiniens. Ces missiles proviennent de la Syrie et de l’Iran et transitent via l’Egypte et le Sinaï. « Israël prépare la communauté internationale à un assaut sur Gaza », Jerusalem Post, 29 février 2008, http://www.fr.jpost.com/bin/en.jsp?enDispWho=Feature%5El8992&enPage=ArticlePage&enDisplay=view&enDispWhat=object&enVersion=0&enZone=Articles&.

[30] Dans un entretien au journal jordanien Al-Doustour, Mahmoud Abbas vient en effet de déclarer cette semaine qu'il n'excluait pas l’éventualité d’un conflit armé contre Israël, affirmant : « A l’heure actuelle, je suis contre un conflit armé car nous en sommes incapables. Mais peut-être qu’à un stade ultérieur, les choses seront différentes ». Il a ajouté : « J’ai eu l’honneur de tirer la première balle contre Israël, en 1965, et de l’enseigner à beaucoup d’autres, dans la région et dans le monde entier. Au Hezbollah notamment qui s’est entraîné dans nos camps militaires ». Il a exclu d’exiger du Hamas une reconnaissance d’Israël et exprimé clairement son soutien à la « résistance » (expression signifiant le terrorisme dans le vocabulaire palestinien). Enfin, il a réaffirmé son opposition à la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat juif, ce qui, rappelons-le, constitue un rejet sans équivoque du plan de partage des Nations unies de 1947 : manifestement, la position arabe sur la question n’a toujours pas changé ! Ces déclarations sont déjà assez remarquables en soi, alors qu’on parle volontiers de processus de paix, et peu de temps après la très médiatique conférence d’Annapolis, mais elles interviennent également sur fond d’intensification des tirs quotidiens de roquettes palestiniennes sur le sud d’Israël à partir de la bande de Gaza. ”Report: Abbas does not rule out resuming armed conflict with Israel“, Yediot Aharonot 28/02/08, http://www.ynetnews.com/Ext/Comp/ArticleLayout/CdaArticlePrintPreview/1,2506,L-3512417,00.html

[31] La situation au Liban semble particulièrement inquiétante, avec un risque plus que réel d’embrasement généralisé. La Syrie, l’Iran et le Hezbollah font absolument tout pour empêcher la nomination d’un nouveau président dans ce pays, tandis que tout le monde fourbit ses armes. Signe qui ne trompe pas, les Etats-Unis viennent de décider de déployer un navire de combat au large des côtes libanaises. Manifestement, la poudrière semble prête à exploser ! « La marine américaine prend position près du Liban », Le Figaro, 29/02/08, http://www.lefigaro.fr/international/2008/02/29/01003-20080229ARTFIG00432-la-marine-americaine-prend-position-pres-du-liban.php.


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