HASSAN NASRALLAH CHOISIT DE MAINTENIR « L’INCERTITUDE STRATÉGIQUE



Dans un discours d’une heure, frappé d’une ambiguïté assez typique du Hezbollah, son chef Hassan Nasrallah a menacé Israël et les Etats-Unis, mais sans formellement annoncer que son mouvement allait entrer dans la guerre.

En bref, il maintient une ambiguïté stratégique qui oblige l’Etat hébreu à maintenir des moyens important sur sa frontière nord. 

A/ Les principaux points du discours

  • Sur le 7 octobre : Cette offensive a été lancée à «100%» par les Palestiniens. «Ils l'ont gardé secrète, nous n’avons pas été prévenus» ;
  • Sur la justification de l’attaque du 7 octobre : « Il n'y avait et il n'y a pas d'autres options» que d’attaquer l’État hébreu… L'autre option est le silence, l'attente de plus d'oppression, de plus de morts, de plus de tueries... La décision était sage, courageuse, prudente et digne de tous les sacrifices» ;
  • Sur l’implication actuelle et future du Hezbollah : «Certains clament que l’on va s'engager dans la guerre, mais nous sommes engagés dans cette bataille depuis le 8 octobre…Ce qu'il se passe sur notre front peut sembler modeste, mais c’est très important. C'est sans précédent depuis 1948 ». Hassan Nasrallah enchaîne ensuite sur le fait que l’action du Hezbollah oblige Israël à immobiliser à sa frontière nord des troupes et des moyens militaires qu’il ne peut donc engager à Gaza, au sud et que l’évacuation de villes et de villages entiers fait peser un poids économique et psychologique insupportable sur Israël ;

 

  • Sur la communauté internationale, il dénonce : «l’aveuglement» de la communauté internationale sur la souffrance des Palestiniens » ;

 

  • Sur le monde arabe, Hassan Nasrallah demande aux Etats arabes et musulmans « d‘arrêter immédiatement leurs exportations de pétrole, de biens et de nourriture » vers Israël ;
  • Sur l’implication de l’Iran : Hassan Nasrallah souligne que l’Iran n’a rien à voir dans la guerre actuelle et n’a pas été impliqué dans sa conception et sa préparation mais il félicite « les factions irakiennes et yéménites » de s’être jointes à cette «glorieuse opération» qui a révélé la «faiblesse d’Israël». Pour rappel, les Houthis du Yémen et les groupes Irakiens pro iraniens (financés, armés, entrainés et soutenus par Téhéran) ont lancé des attaques de drones ou de missiles contre Israël (les Houthis) ou contre les bases américaines en Iraq ou en Syrie ;
  • Sur les Etats-Unis : « Ils sont «entièrement responsables» de la guerre à Gaza ;
  • Sur la suite des évènements : elle dépendra de l’évolution de la guerre à Gaza et d’éventuelles « agressions » d’Israël et des Etats-Unis contre « le Liban » ou d’autres parties : «Israël commettrait la plus grosse erreur de son histoire s’il menait une opération préventive contre le Liban ». En conclusion :  « Tous les scénarios sont ouverts sur notre front libanais, je répète, tous les scénarios sont ouverts… Nous sommes prêts à toutes les possibilités. La perspective d’une guerre totale est réaliste »

B/ Analyse rapide

Le discours de Hassan Nasrallah est sans réelle surprise.

Aux yeux de nombreux observateurs, l’implication directe de l’Iran dans l’attaque du 7 octobre ne fait aucun doute. Non seulement Téhéran arme, finance et conseille le Hamas depuis des années, mais différents éléments permettent de penser que son bras armé idéologique, le Corps des Gardiens de la Révolution, a joué un rôle essentiel dans la conception et la préparation de l’attaque. C’est même Téhéran qui aurait décidé du moment exact de son déclenchement et qui aurait donné le feu vert au Hamas, lors d’une réunion à Beyrouth, trois jours avant le 07.10.

Stratégiquement, seul l’Iran bénéficie de la crise actuelle : elle pouvait lui permettre, au minimum  d’espérer ralentir ou bloquer le processus de rapprochement entre Israël et les pays conservateurs sunnites du Golfe, que Téhéran perçoit comme une menace existentielle. Cet objectif a été partiellement atteint, mais sans doute pas de manière durable. Un deuxième but de cette guerre par procuration était probablement de déclencher un conflit régional. Pour le moment, cet objectif n’a pas été atteint.

Pour autant l’Iran ne souhaite pas s’impliquer directement dans la guerre : malgré les rodomontades du régime, celui ne peut espérer résister à une contre-offensive militaire israélienne et serait certainement incapable de faire face à des attaques américaines.

Par ailleurs, et ainsi qu’on l’a vu il y a quarante ans au Liban et plus récemment en Irak, Téhéran répugne à s’engager dans des actions offensives directes et privilégie toujours une action indirecte via des organisations « proxys ». C’est ce qui a été fait, dans le conflit actuel en actionnant des milices pro-iraniennes irakiennes et syriennes pour attaquer des bases américaines et les Houthis du Yémen qui ont tiré (sans succès) des missiles et lancé des drones vers Israël au-dessus de la Mer rouge.

Mais engager directement le Hezbollah dans la guerre serait une toute autre histoire. Cette organisation peut certainement faire beaucoup de mal à Israël, mais elle ne peut espérer gagner, d’autant qu’elle s’attirerait une riposte quasi certaine des Etats-Unis qui ont positionné deux groupes de combats navals dans la région.

Or le Hezbollah est un élément vital de la stratégie régionale iranienne : il permet à Téhéran d’influencer fortement la politique libanaise, soutient le régime syrien de Bachar al-Assad et maintient une menace permanente à la frontière nord d’Israël, menace qui, en dernier ressort, pourrait être activée si, dans les années à venir, Jérusalem attaquait l’Iran pour l’empêcher d’acquérir l’arme nucléaire. Or, une telle attaque préventive est plus qu’une certitude. Il est donc hors de question de gaspiller une ressource aussi précieuse pour aider le Hamas qui, de toute façon, sera écrasé.

C’est ce qui explique que, jusqu’à présent, l’intervention du Hezbollah s’est résumée à une forme de service minimum : quelques tirs de roquettes ou de missiles, des incursions limitées (du niveau d’une patrouille) mais rien de plus. De quoi démontrer que l’organisation soutient le Hamas mais sans la mettre réellement en danger, la riposte israélienne restant parfaitement proportionnée.

C/ Conclusion provisoire

Dans son discours de vendredi, Hassan Nasrallah s’est donc contenté de maintenir « l’incertitude stratégique » (nous sommes déjà en guerre, et nous allons continuer, mais sans monter en puissance. Mais attention, si vous nous attaquez, vous paierez le prix fort).

Celle-ci à l’avantage de maintenir une forte pression militaire, économiques et psychologique sur Israël, obligé de maintenir une lourde puissance de feu à sa frontière nord et de porter le poids des évacuations mais avec un coût limité. Ni Israël ni les Etats-Unis ne veulent élargir le confit et la riposte de l’Etat Hébreu restera donc proportionnelle et limitée.

Cela étant, la situation est extrêmement volatile et il serait peu raisonnable, voire dangereux de considérer que la situation ne peut pas dégénérer dans les semaines à venir.

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