Une transition civile est-elle envisageable au Burkina Faso ?



En dépit des condamnations internationales qui ont accompagné la prise du pouvoir par l’armée sous l’égide du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, commandant en second du régiment de sécurité présidentiel,  Ouagadougou semble avoir retrouvé le calme en début de semaine, après 3 jours de troubles qui ont mené au départ en exil de l’ex-président Blaise Compaoré.

 

Lors d’une rencontre organisée lundi 3 novembre avec le corps diplomatique, le lieutenant-colonel  Zida, le nouvel homme fort du pays, a en effet promis de transférer le pouvoir exécutif dès que possible à un « organe de transition » dont la direction serait confiée à « une personnalité consensuelle désignée par tous les acteurs de la vie nationale. »

 

Le lendemain, le colonel Zida réitérait cet engagement au cours d’un entretien avec le souverain traditionnel du peuple Mossi (le « Mogho Naba ») en présence des leaders des deux principales communautés religieuses du pays, le cardinal Philippe Ouédraogo et le grand imam Aboubacar Sana. Il s’est ensuite rendu chez le président du Conseil constitutionnel, Idrissa Traoré, soucieux de démontrer son respect pour l’ensemble des garants de la stabilité du pays.

 

S’exprimant au nom de l’ensemble de l’opposition politique, le président de l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC), Zéphirin Diabré, a pour sa part demandé le jour-même l’ouverture d’un processus de « concertation large » en vue de l’obtention d’un « consensus national » sur les conditions d’une transition « démocratique et civile » et sur le retour à l’ordre « constitutionnel normal ».

 

Selon lui la dissipation rapide de toutes les incertitudes qui entourent la transition permettra entre autres d’éviter des sanctions internationales « dont les conséquences seraient dommageables pour le pays ». Zéphirin Diabré a aussi salué le rôle de l’armée dans ce processus, de même que l’engagement du lieutenant-colonel Zida à rester disponible pour une concertation avec « toutes les forces vives de la nation.»  Dans une interview accordée au quotidien français « Le Monde » daté du 4 novembre, il a ajouté qu’il « n’existait pas, au Burkina Faso, d’opposition entre civils et militaires. »

Malgré ces discours rassurants, il faut néanmoins constater que l’armée a bien pris soin de s’assurer du contrôle, au moins théorique, des frontières du pays, ainsi que des axes stratégiques de la capitale, y compris la place de la Nation, et des principaux organes de l’Etat, dont la radio-télévision nationale (RTB).

 

Yacouba Isaac Zida a par ailleurs établi son quartier-général au siège du Conseil Economique et Social, où il a reçu les diplomates étrangers et les principaux chefs de l’opposition, dont Zéphirin Diabré, mais aussi l'ancien ministre des Affaires étrangères Ablassé Ouedraogo, l'ancien président de l'Assemblée nationale Roch Marc Christian Kaboré et le président  de l'Union pour la Renaissance/Mouvement Sankariste (UNIR/MS), Bénéwendé Stanislas Sankara.

 

Dans les faits, il faut aussi souligner qu’aucune date précise n’a encore été évoquée pour le transfert du pouvoir à une autorité civile, malgré les pressions exercées par l’Union Africaine (UA), la France et les Etats-Unis.

 

Lundi soir, les 15 membres du  Conseil de paix et de sécurité de l’UA ont ainsi menacé de décréter des sanctions si les forces armées burkinabé n’abandonnaient pas le pouvoir d’ici 15 jours. Le président français François Hollande, qui a reconnu lors d’un déplacement au Canada  que la France avait facilité l’évacuation de Blaise Compaoré vers la Côte d’Ivoire, a lui aussi rappelé aux militaires qu’il revenait aux civils de prendre en charge l’organisation des prochaines échéances électorales. Notons également la réaction des autorités américaines, qui se sont jusqu’à présent refusées à caractériser les évènements du Burkina Faso. La porte-parole du département d’Etat, Jen Psaki, a ainsi déclaré qu’il était trop tôt pour assimiler la chute de Blaise Compaoré à un coup d’Etat, ce qui entrainerait l’interruption automatique de l’aide américaine, soit  un montant annuel d’environ 15 millions de dollars.

 

On peut également observer qu’au-delà des discours, la position de la communauté internationale reste relativement prudente. Les puissances occidentales redoutent en effet de voir s’installer un climat d’instabilité durable à Ouagadougou, alors que la situation politique et sécuritaire est déjà extrêmement instable dans la zone sahélienne. Cette préoccupation est d’autant plus vive que le Burkina Faso et le président Compaoré ont joué un rôle de médiateur dans plusieurs conflits récents, dont les crises guinéennes ou maliennes.

 

Dans ce contexte, les concessions promises par les autorités militaires et les discours optimistes de plusieurs responsables de l’opposition ne doivent pas masquer l’état de confusion qui règne effectivement au Burkina Faso, de même que la complexité d’un processus de transition au terme de 27 ans d’un régime autoritaire. Les quelques  scènes de pillage qui ont été observées à Ouagadougou  au cours du weekend témoignent en effet de tensions réelles, susceptibles de justifier le cas échéant un maintien du pouvoir de l’armée.

 

En tout état de cause, l’opposition burkinabé reste fragmentée et divisée, ce qui laisse à penser que la composante militaire continuera donc de jouer un rôle stabilisateur  dans l’évolution politique du pays, et ce, quelles que soient les personnalités civiles qui pourraient être désignées dans les jours à venir pour incarner le processus de transition démocratique.

 


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