Aspects locaux et internationaux des menaces maoïstes/naxalites contre les Etats du sud de l’Inde



Le ministère indien de l’Intérieur a averti cette semaine les Etats du Karnataka, du Kerala et du Tamil Nadu de l’existence d’un risque accru d’attaques maoïstes. Cette alerte résulte d’un long message dans lequel le « Comité central » du Parti communiste indien-Maoïstes (PCI-Maoïstes) fait état de l’ouverture d’un nouveau front de guérilla dans la zone qui sépare ces trois états, au niveau de l’extrémité méridionale de la chaine montagneuse des Ghats occidentaux (Sahyadri).

Daté du 10 septembre, le message a été diffusé le 27 septembre à l’occasion de l’ouverture à Milan de la deuxième « Conférence internationale de soutien à la Guerre Populaire en Inde ». Ses rédacteurs expliquent que l’initiative démontre « l’esprit bolchévique » de la branche armée du parti, qui vise à reconstituer ses forces pour repousser les attaques des « polices pro-impérialistes ». Selon eux, l’application d’une telle stratégie permettra aux rebelles de protéger leurs bastions historiques au centre et à l’est du pays en forçant les autorités fédérales et locales à disperser leurs forces.

Depuis le lancement de l’opération gouvernementale « Green Hunt » en 2009, les insurgés de la branche armée du PCI-Maoïstes, dits « naxalites », ont multiplié les actions de diversion pour contrecarrer les efforts sécuritaires de New Delhi au cœur du « Corridor rouge », dans les Etats d’Andhra Pradesh, du Bengale occidental, du Bihar, du Chhattisgarh, du Jharkhand, du Madhya Pradesh, d’Odisha et d’Uttar Pradesh. Les zones frontalières, et notamment les « triple-frontières », constituent un terrain idéal à la conduite de telles opérations. Le manque de coopération y limite en effet l’efficacité des actions anti-insurrectionnelles des forces de sécurité des différents Etats, qui rencontrent peu de résultats probants en dehors de leurs territoires respectifs.

Concrètement, la formation d’un « Comité régional du sud de l’Inde » a été confirmée par la police du Karnataka, qui a mis en place des unités spéciales pour combattre les rebelles dans les districts de Mysore, Kodagu, Udupi, Chikmagalur et Shimoga, où des regroupements ont été signalés l’année dernière. Dès le mois de juin 2013, l’ancien « Chief Minister » (Premier ministre) de l’Etat, Siddaramaiah, a demandé aux autorités fédérales de reconnaître cette nouvelle menace et d’accorder au Karnataka le soutien financier et technique nécessaire pour y faire face.  De même, des insurgés auraient déjà mené des incursions au Kerala, dans les districts de Malappuram, Wayanad et Kannur. Une avant-garde rebelle aurait enfin commencé à se déployer dans le district d’Erode de l’Etat du Tamil Nadu.

Dans un tel contexte, on comprend bien que la déclaration « officielle » de l’ouverture d’une nouvelle ligne de front ait provoqué une réaction immédiate des autorités fédérales. Si le sud de l’Inde reste jusqu’ici largement épargné par la violence maoïste, on ne peut y exclure à l’avenir des tentatives d’attaques contre des membres des forces de sécurité ou contre des chefs de villages qui tenteraient de s’opposer à l’installation ou au passage de colonnes rebelles à travers leurs terres.

La présence de rebelles  maoïstes dans la zone méridionale de la chaine du  Sahyadri est donc avérée depuis plusieurs mois. Il est néanmoins frappant que le « Comité central » du parti en fasse l’annonce à l’occasion d’une réunion de partisans étrangers, eux-mêmes membres de groupuscules de l’extrême gauche européenne.

Cette stratégie de communication joue un rôle essentiel dans la mobilisation des relais extérieurs de la guérilla maoïste, qui insiste sur les aspects symboliques de sa lutte pour obtenir une éventuelle assistance financière et logistique et pour réaffirmer une légitimité idéologique mise à mal par les actions ultra-violentes de ses combattants. À cet égard, le parti ne cherche pas à minimiser les revers essuyés depuis six ans dans le « Corridor rouge ». Au contraire, il insiste sur le caractère critique de sa situation, de manière à manifester son attachement sans faille à ses objectifs tout en dénonçant des excès de brutalité commis par les forces de sécurité contre des populations tribales « adivasies » (aborigènes).

Le PCI-Maoïstes insiste aussi sur la « contre-offensive tactique » menée lors des dernières élections générales, présentées comme une manipulation du pouvoir central. Aux yeux du parti, ces opérations souvent meurtrières ont non seulement permis à ses forces de retrouver certaines marges de manœuvre, mais elles ont aussi empêcher les autorités de contourner son opération de boycott des élections. De même que l’annonce de l’extension du champ de la lutte au sud de l’Inde, un tel discours est essentiel pour démontrer la volonté des rebelles à poursuivre l’action révolutionnaire.

Face à une telle situation, le gouvernement indien s’inquiète donc légitimement du soutien dont bénéficient les insurgés auprès de l’extrême-gauche radicale à l’étranger, notamment au Népal, au Pakistan et au Bangladesh. En 2013, le ministère indien de l’Intérieur a ainsi révélé l’implication du PCI-Maoïstes dans le lancement d’une « campagne de solidarité » avec des rebelles philippins, projet qui serait la première étape de la construction d’un « front anti-impérialiste mondial ».

Depuis la tenue d’une première « Conférence internationale » de soutien à Hambourg le 24 novembre 2012 – un an après la mort du chef maoïste « Kishenji » lors d’un accrochage au Bengale occidental – le gouvernement indien a donc pris plusieurs initiatives pour sensibiliser les dirigeants de l’Union européenne au risque d’internationalisation de l’insurrection maoïste.

Depuis le début de l’année 2014, les maoïstes indiens ont revendiqué la responsabilité de 31 opérations de guérilla, au cours desquelles 63 membres des forces de sécurité auraient été tués et 122 autres blessés. De plus, New Delhi tient la branche armée du PCI-Maoïstes pour responsable d’environ 80% des attaques menées par des mouvements d’extrême-gauche à travers le pays. Ces chiffres prouvent que les naxalites, présentés en 2006 par l’ancien Premier ministre Manmohan Singh comme la « principale menace pour la sécurité intérieure du pays » ont conservé une forte capacité de nuisance malgré le succès global des élections et la poursuite de l’opération « Green Hunt ».

Au-delà d’une réalité militaire locale qui reste difficile à évaluer à court terme, le message de Milan s’inscrit cependant dans le contexte d’une guerre de propagande beaucoup plus large que le PCI-Maoïstes veut mener contre New-Delhi à l’échelle mondiale, suite au recul de l’insurrection devant l’opération « Green Hunt ».  Bien plus que sur la triple-frontière du Sahyadri, c’est sans doute sur ce front que devrait se poursuivre l’essentiel de la lutte révolutionnaire en Inde dans les prochaines années.

FIN

                                                       


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