L’enlèvement de la famille Moulin-Fournier par des hommes se réclamant de Boko Haram a mis en lumière la menace croissante représentée par la secte islamiste pour la sécurité de l’Afrique de l’Ouest. L’enlèvement de citoyens français à la lisière de la zone sahélienne peut s’interpréter comme une conséquence collatérale de la guerre qui fait rage au nord-Mali. Comme nous l’avons souligné dans notre précédent briefing, cette affaire découle aussi de rivalités internes au groupe nigérian. Elle démontre enfin que le risque terroriste qui pèse depuis 2009 sur le nord du Nigeria n’est en rien limité aux frontières de ce pays, et que l’alignement de Boko Haram sur la stratégie d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) représente une menace concrète pour l’ensemble sahélien.
Il nous a donc semblé nécessaire d’étudier la situation du nord du Cameroun, zone encore considérée comme non-sensible malgré la multiplication de signaux d’alerte au cours des dernières années.
Apparition de tensions religieuses du Nord-Cameroun
Cette pénétration d’une idéologie radicale née au Nigeria intervient dans le cadre de la recomposition du paysage religieux camerounais à l’œuvre depuis une vingtaine d’année. Depuis le début des années 2 000, un processus de radicalisation religieuse est à l’œuvre au nord du Cameroun, tant du fait de chrétiens fondamentalistes que de musulmans initiés à l’idéologie salafiste suite au retour d’imams formés en Egypte, en Arabie saoudite ou au Soudan. Ce phénomène a entraîné un conflit entre cette vision sunnite radicale de l’Islam et le tidjanisme soufi traditionnellement pratiqué par les musulmans du Cameroun. De très nombreuses mosquées salafistes ont ainsi été édifiées à travers le pays, y compris à Yaoundé et Douala, grâce à des financements des pays du Golfe, dans le but de combattre l’influence d’un Islam confrérique assimilé à une hérésie. À ce phénomène, il faut ajouter une fragmentation ethnique de plus en plus perceptible de l’islam camerounais, divisé entre les communautés peules, haoussas, bamounes ou maliennes.
Jusqu’ici, le Cameroun avait été épargné par un clivage religieux de type nigérian, essentiellement du fait de l’alliance entre les élites islamo-peules du Nord et les chrétiens-Bétis du Sud. Cet équilibre géographique – favorisé par la survivance de communautés chrétiennes/animistes au Nord après les djihads peuls des XVIIIème et XIXème siècles – a néanmoins été fortement fragilisé depuis l’accession au pouvoir de Paul Biya en novembre 1982. L’église catholique a profité de cette période pour propager une idéologie rigoriste dans les zones urbaines du nord peul. De plus, le christianisme a bénéficié du dynamisme de missionnaires évangéliques venus du Nigeria, exaltés par l’idée d’un conflit sans merci Islam/Christianisme à l’échelle du continent africain.
Le climat de tension issu de ce bouleversement du paysage religieux traditionnel est apparu au grand jour avec l’affaire des tracts anti-chrétiens diffusés au nord du pays en 2004. Distribués par des individus se réclamant de l’association « Jeunesse islamique du Cameroun » (JIC), ces libelles appelaient à « multiplier les mariages avec les jeunes filles chrétiennes pour les convertir à l'Islam », ou à les « prostituer (...) en vue de provoquer des grossesses non désirées.» les autorités ont immédiatement pointé du doigt la responsabilité d’extrémistes musulmans du Tchad ou du Nigeria. On ne peut toutefois écarter l’hypothèse d’une manipulation organisée par des chrétiens fanatisés en vue d’attiser les tensions religieuses.
Prise de conscience de la menace terroriste
Dans ce contexte, il était à prévoir que la radicalisation de la secte Boko Haram et la fuite en exil de ses principaux leaders après la répression menée par l’armée nigériane en 2009 aient des conséquences sur le Cameroun voisin. Depuis 2011, la presse camerounaise s’inquiète ouvertement des efforts de recrutement déployés par Boko Haram, notamment dans les villes frontalières du Nord, où de nombreux habitants ont reçu des bourses pour l’étude du Coran. À plusieurs reprises, le Nigeria a aussi accusé le Cameroun de faire preuve de passivité face l’installation de cellules dormantes de Boko Haram sur son territoire.
En novembre 2011, le président nigérian Goodluck Jonathan a ordonné la fermeture de la frontière entre les deux pays. Incitées à agir par les retombées économique négatives de cette décision, les autorités camerounaises ont fermé des dizaines d’écoles coraniques dans la région de l'Extrême-Nord, notamment dans la ville de Maroua, chef-lieu de la région et du département du Diamaré. La police et l’armée ont également multiplié les contrôles et les opérations de sécurité dans les milieux nigérians, notamment dans la ville d’Amchidé, dans le département du Mayo-Sava. Plusieurs dizaines de membres présumés de Boko haram ont été remis aux autorités nigérianes suite à ces rafles, en témoignage de la bonne volonté du Cameroun à affronter la menace islamiste.
Si elle a permis de détendre les relations avec le Nigeria, qui a autorisé la réouverture de la frontière en 2012, cette politique sécuritaire a aussi focalisé l’attention de Boko Haram sur le Cameroun. Selon l’hebdomadaire de Yaoundé « L’œil du Sahel », les services de sécurité nigérians (State Security Service) ont prévenu leurs homologues camerounais de la présence de membres de la secte à Douala. De plus, ils ont mis l’accent sur l’adhésion à Boko Haram d’un nombre croissant de citoyens camerounais. Notons également que la vidéo de revendication de l’enlèvement de la famille Moulin-Fournier, diffusée sur Internet le 25 février dernier, contient un message d’avertissement directement adressé au président camerounais. Les preneurs d’otages ont en effet menacé Paul Biya et exigé la libération de leurs « frères détenus dans ses prisons. »
On le voit, l’opération terroriste du 19 février n’a pas seulement démontré l’augmentation de la menace pour les citoyens français résidents en Afrique de l’Ouest suite au déclenchement de l’opération Serval. Elle a également mis en lumière l’instabilité provoquée par les tensions religieuses internes et par la propagation de l’idéologie de Boko Haram au Cameroun. À défaut d’une politique sécuritaire crédible, notamment le long de la frontière sahélienne qui sépare les états nigérians de Borno et d’Adamawa de l’extrême-Nord camerounais, le pays risque donc de devenir une cible prioritaire de la secte Boko Haram, dont il n’était jusqu’ici qu’une base-arrière.
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