Cameroun : L'enlèvement d'une famille française révèle l'amplification de la menace terroriste en Afrique de l'Ouest



 

Mardi 19 février, l’enlèvement d’une famille française à Dadanga, au nord du Cameroun, a fait surgir le spectre d’une déstabilisation de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest à la suite de la guerre contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQIM) au nord du Mali. La famille Moulin-Fournier, dont le père, Tanguy, est employé par GDF Suez à Yaounde, est constituée de trois adultes et de quatre enfants. Ils voyageaient dans une zone considérée comme non dangereuse lorsqu’ils ont été attaqués par un commando d’hommes armés non identifiés. Selon des sources camerounaises, les ravisseurs auraient transféré les sept otages au Nigeria, dans l’état de Borno. Ils seraient retenus séparément dans région de Dikwa, à proximité de la frontière avec le Cameroun, le Tchad et le Niger. Notons cependant qu’Abuja s’est refusé pour l’instant à confirmer la présence des otages sur son territoire, et que l’armée nigériane a démenti les avoir localisés.

 

Lundi 25 février, les preneurs d’otages ont exposé la famille Moulin-Fournier dans une vidéo diffusée sur Internet et revendiquant l’enlèvement au nom du groupe Jama'atu Ahlus Sunna Lid-Da'awati wal-Jihad (« Peuple engagé dans la propagation de l'enseignement du Prophète et du Jihad »), plus connu sous le nom de Boko Haram(« L'éducation occidentale est un péché »). Sans exclure totalement un acte commis par des « coupeurs de routes », les autorités françaises et camerounaises avaient très vite pointé du doigt la responsabilité de la secte islamiste radicale nigériane, qui a tissé ces dernières années des liens étroits avec Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI). Le contexte régional troublé et la confusion qui a régné au cours des premières heures de la prise d’otage – avec des rumeurs de libération véhiculées par des officiers camerounais et une déclaration prématurée du ministre français délégué aux Anciens combattants Kader Arif – étaient autant d’autres éléments accréditant l’hypothèse islamiste.

 

Mise en cause de la secte Boko Haram

 

L’implication de terroristes de Boko Haram dans l’enlèvement démontre l’extension du périmètre d’action et l’élargissement des cibles de la secte. Créé en 2002 par le prêcheur islamiste radical Mohamed Yusuf, le groupe s’est inspiré de l’idéologie des Talibans afghans pour chasser toute trace de présence non-islamique des états du Nord-Est du Nigéria. Jusqu’ici, la plupart de ses attaques visaient donc les communautés chrétiennes et les institutions de l’état, surtout après la mort de son chef spirituel en 2009. Ces dernières années, la secte s’est rapprochée progressivement des combattants djihadistes d’AQMI et a revendiqué des attentats de plus en plus meurtriers, y compris dans la capitale fédérale d’Abuja.

 

Samedi 23 février, un porte-parole de la secte, Sheik Abu Mohammad Ibn Abdulazeez, a formellement démenti toute implication dans l’enlèvement des otages français. Plusieurs observateurs ont alors évoqué la possibilité d’une implication d’une branche dissidente : Ansaru  (Jama'atu Ansarul Musilimina Fi Biladis Sudan – « L’avant-garde pour la Protection des Musulmans en Afrique noire »). Le groupe, dont les membres auraient été entraînés au nord du Mali au sein de katibas (bataillions) d’AQMI, a en effet revendiqué l’enlèvement de sept autres étrangers, quatre Libanais, un Grec, un Italien et un Britannique, le 18 février à Jama’are, dans l’état nigérian de Bauchi. Ansaru n’a toutefois publié aucun communiqué revendiquant la responsabilité de l’enlèvement de Dadanga. De ce fait, on peut penser que des éléments radicaux de Boko Haram ont perpétré l’enlèvement pour endiguer l’émergence d’Ansaru, avec ou sans imprimatur hiérarchique.

 

Qu’il ait été ordonné par le chef en exil de Boko Haram, Abubakar Shekau, ou par une autre organisation se réclamant de l’idéologie de Mohamed Yusuf, l’enlèvement de la famille Moulin-Fournier semble bien avoir été mené en réaction à l’opération Serval. L’offensive militaire au nord-Mali a en effet donné toutes les raisons à des groupes proches d’AQMI de vouloir tirer vengeance de la France en s’attaquant à ses intérêts dans la région, y compris dans un pays où aucun ressortissant étranger n’avait encore été enlevé en dehors d’’actions pirates dans le golfe de Guinée. Rappelons par ailleurs qu’AQMI détient déjà six otages français au Sahel, dont les vies représentent autant de pressions aux mains de groupes terroristes. Consciente de ce nouveau risque, les autorités françaises ont donc déconseillé formellement à tous leurs ressortissants d’entreprendre des déplacements au Nord du Cameroun en raison du risque terroriste. Selon la presse, Paris aurait par ailleurs déployé des éléments des forces spéciales dans le pays pour accélérer la résolution de la prise d’otage.

 

Un danger croissant pour la région

 

En août dernier, la mission chargée par le secrétaire-général de l’ONU Ban Ki-moon d’évaluer la portée des conséquences de la crise libyenne sur le Sahel avait déjà pointé la menace extrême représentée aujourd’hui par Boko Haram :

 

« Les représentants de la mission ont été informés que le groupe Boko Haram, qui a notamment revendiqué l’attentat commis contre la Maison des Nations Unies à Abuja le 26 août 2011, est également cité parmi les menaces qui pèsent sur la région. La plupart des pays de la région s’inquiètent en effet de la présence du groupe. Au Niger, par exemple, la radicalisation des jeunes est une source particulière de préoccupation dans le sud, où, d’après les interlocuteurs rencontrés, Boko Haram propage déjà activement son idéologie et sa propagande et parvient même parfois à faire fermer des écoles publiques. Les représentants de la mission ont également appris que Boko Haram avait noué des liens avec l’AQMI et que certains de ses membres du Nigéria et du Tchad avaient été formés dans les camps de l’AQMI au Mali pendant l’été 2011. Si les activités terroristes de Boko Haram sont concentrées au Nigéria, sept membres de l’organisation ont néanmoins été arrêtés au Niger, alors qu’ils se rendaient au Mali, en possession de documents sur la fabrication d’explosifs, de tracts de propagande ainsi que de noms et de coordonnées de membres de l’AQMI qu’ils projetaient, semble-t-il, de rencontrer. Jusqu’à présent perçu par les autorités nigérianes comme une menace interne sans liens avec l’AQMI, Boko Haram est dorénavant une source de préoccupation croissante pour les pays de la région.[1]»

 

Déjà en janvier 2011, l’enlèvement de deux ressortissants français dans la capitale du Niger, Niamey, avait mis en lumière le débordement géographique des capacités de nuisance de d’AQMI. L’enlèvement de la famille Moulin-Fournier confirme aujourd’hui que le risque terroriste n’est plus limité aux zones traditionnellement considérées comme dangereuses du Sahel, et que les craintes exprimées par la mission d’évaluation de l’ONU se sont matérialisées sur le terrain.

 

L’affirmation de Boko Haram et de son idéologie salafiste-djihadiste au nord du Nigeria constitue donc bien une menace de plus en plus précise, dont il faudra tenir compte pour garantir la stabilité politique et les intérêts occidentaux en Afrique de l’Ouest dans les prochaines années.

 

 

 

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[1] Conseil de Sécurité de l’ONU, Rapport de la mission d’évaluation des incidences de la crise libyenne sur la région du Sahel, 7-23 décembre 2011 (S/2012/42), § 42.

http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/2012/42&Lang=F


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