Conséquences pour la sécurité des intérêts américains à l’étranger



 

 

 

Suite à la présentation mardi dernier au Congrès de la version publique du rapport de la Commission sénatoriale du renseignement sur les techniques d’interrogatoire de la CIA dans le cadre de la lutte anti-terroriste, les autorités américaines ont relevé leur niveau d’alerte pour protéger leurs installations militaires et diplomatiques à travers le monde.

Selon des informations relayées dès lundi par CNN, plus de 6 000 membres du Corps des Marines en Afrique et au Moyen Orient ont reçu instruction de se préparer à d’éventuelles émeutes. Le Comité des chefs d’état-major interarmées a par ailleurs averti l’ensemble des commandements régionaux de l’augmentation du risque de violences.

Mercredi, le département d'Etat a aussi lancé une mise en garde aux ressortissants américains contre les risques de voyager dans plusieurs pays dont l’Afghanistan, le Pakistan et la Thaïlande. Selon cet avertissement, « les citoyens américains doivent être conscients du fait que la publication de versions déclassifiées du résumé des conclusions de la commission spéciale du Sénat sur le programme d’extradition, de détention et d'interrogatoire de la CIA pourrait provoquer des manifestations et des violences contre les intérêts américains, y compris privés. »  Les citoyens sont donc appelés à être attentifs à leur environnement et prendre toutes des précautions de sécurité appropriées, y compris en évitant des manifestations ou des situations de confrontation. »

Concrètement, plusieurs appels à cibler les intérêts américains à l’étranger et aux Etats-Unis ont été publiés tout au long de la semaine sur des forums djihadistes  ainsi que sur Twitter. Les auteurs de ces messages considèrent que le rapport sénatorial confirme « l’inutilité des concepts de démocratie et des  droits de l’Homme ».  En conséquence, ils exhortent par ailleurs les musulmans  à intensifier le djihad contre le monde occidental. On notera que ces menaces  proviennent essentiellement de pays sur le territoire la CIA a selon le rapport sénatorial, externalisé la pratique de la torture, dont le Maroc, l’Egypte, l'Arabie saoudite, la Libye et la Jordanie.

Dans le contexte extrêmement tendu des opérations militaires en cours contre le groupe terroriste « Etat islamique »  (EI) en Syrie et en Irak et contre les différentes branches d’Al-Qaïda actives au Yémen, au Pakistan ou en Afghanistan, la publication de ce rapport risque donc  bien d’inciter des groupes djihadistes à commettre de nouveaux attentats, voire d’inciter des candidats djihadistes à passer à l’action en Europe et sur le territoire américain. 

Vendredi 5 décembre, le Secrétaire d’Etat John Kerry avait déjà demandé à la présidente de la Commission, la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, de réfléchir au « meilleur timing » pour publier un tel rapport en fonction du contexte international.

Sans remettre en cause le bien-fondé de ses conclusions, John Kerry aurait directement appelé Dianne Feinstein pour s’assurer de la prise en compte des implications de la publication d’un tel document sur la politique étrangère américaine. Parmi une série de facteurs mis en avant par la porte-parole du Département d’Etat, Jen Psaki, on peut citer les «  efforts continus »  pour lutter contre l’EI et pour préserver la vie des otages américains retenus à travers le monde.

Si le président Barack Obama a officiellement soutenu la publication du rapport, dénonçant l’usage des techniques « contraires aux valeurs des Etats-Unis », son administration a par ailleurs obtenu qu’une partie de conclusions soient maintenues secrètes pour des raisons de sécurité. Notons enfin que la CIA elle-même a réfuté la teneur générale des conclusions du rapport, affirmant qu’il était impossible de savoir si des renseignements essentiels auraient pu être obtenus autrement. Tout en les qualifiant de « répugnantes », l’actuel directeur de l’agence, John Brennan, s’est ainsi refusé à assimiler les techniques mises en cause à de la torture.

Indépendamment de ce débat en cours aux Etats-Unis, les réactions indignées se sont multipliées suite aux conclusions du rapport sénatorial quant à l’usage de techniques « brutales » sur des détenus soupçonnés d’être membre ou d’entretenir des liens avec Al-Qaïda, non seulement en provenance  de l’ONU et des alliés traditionnels des Etats-Unis, mais aussi de la part de pays  dénoncés pour leurs pratiques en matière de droits de l’Homme, dont l’Iran, la Russie  ou la Corée du Nord.

Notons particulièrement la déclaration publiée sur un compte Twitter géré par les services du «  Guide suprême de la révolution iranienne », l'ayatollah Ali Khamenei, qui a affirmé que le gouvernement américain représentait « le symbole de la tyrannie contre l'humanité ». Moscou a insisté pour sa part sur le caractère « choquant » de ces révélations, et a dénoncé les « prétention américaines à donner des leçons de démocratie. » Les gouvernements turcs et afghans ont aussi condamné vigoureusement les actes mentionnés dans le rapport sénatorial, le nouveau président Ashraf Ghani se déclarant « outré » par la révélation d’« actes inhumains » qui ont alimenté « un cercle vicieux » de violences.

Ce flot de réactions hostiles confirme donc bien l’existence des risques pour l’image des Etats-Unis et pour la sécurité physique des intérêts américains à l’étranger, risques qui constituaient le principal argument des opposants à la publication du rapport, essentiellement dans les rangs républicains au Sénat (à l’exception notable du sénateur de l’Arizona John McCain).  

La sénatrice Fennstein a néanmoins déclaré qu’elle avait bien pris en compte tous ces éléments. Selon elle, il n’est pas possible de concevoir la protection des Etats-Unis en dehors des règles de l’état de droit, ni d’autoriser le gouvernement américain à bafouer ses principes fondateurs au prétexte d’obtenir des renseignements de la part de membres d’Al-Qaïda.

FIN

 

 

 


© 2012 ESISC - European Strategic Intelligence and Security Center Powered by Advensys