Le Liban menacé de sombrer à nouveau dans la violence



  

Le Liban est plongé dans la tourmente depuis l’attentat sanglant perpétré au centre de Beyrouth le vendredi 19 octobre. Pour rappel, l’explosion, de forte puissance, d’une voiture piégée en plein après-midi sur la place Sassine a coûté la vie au général Wissam Al-Hassan, chef des renseignements des forces de sécurité intérieure (FSI), à son chauffeur et à 7 autres victimes. Selon un bilan définitif donné par les autorités gouvernementales, 86 personnes ont également été blessées dans l’attaque, dont des enfants qui sortaient de plusieurs écoles du quartier chrétien d’Achrafieh. Ajoutons que l’attentat s’est produit à moins de 200 mètres du siège des Phalanges libanaises (Kataëb). Quelques heures après l’attentat, des partisans des différents clans politiques et milices libanais se sont affrontés au cours d’incidents armés à travers le pays, notamment dans les régions de Tripoli, Sidon, Akkar, Cola et Chtoura. Dimanche 21 octobre, les funérailles du général Al-Hassan sur la place des Martyrs ont dégénéré en affrontements urbains devant les bureaux du Premier ministre Najib Mikati au « Palais du grand Sérail », au cœur de la capitale libanaise. 

Les violences ont repris dans la journée de lundi, dans le quartier sunnite de Tariq al-Jdidé, bastion du « Courant du futur » de l’ancien Premier ministre Saad Hariri. Des hommes armés de fusils d’assaut et cagoulés de noir ont pris le contrôle du rond-point Cola et de la corniche Mazraa pour empêcher tout accès en voiture au quartier. Ailleurs dans le pays, des témoins ont rapporté que des snipers avaient tiré sur la population dans les districts de Bab el-Tabbaneh et de Baal Mohsen, points de frictions entre les communautés sunnites et alaouites depuis l’époque de la guerre civile.

Les tensions restent également très fortes à Tripoli suite à la mort du cheikh sunnite Abdel Razzak al-Asmar dans des échanges tirs samedi à l’aube autour des bureaux de son parti al-Tawhid (Mouvement d'unification islamique), allié du Hezbollah au sein de la coalition du 8 mars. Ces incidents ont entraîné le déploiement de véhicules de transport de troupes de l’armée libanaise. Devant le risque de propagation généralisée des violences confessionnelles, l’armée a en effet annoncé qu’elle prendrait toute les mesures qui s’imposent dans les régions sensibles pour « empêcher que le Liban ne se transforme de nouveau en un champ de bataille. »

L’opposition pointe le doigt vers la Syrie

Interrogé sur sa propre chaîne de télévision « Future TV », Saad Hariri a formellement accusé le président syrien Bachar el-Assad d’avoir commandité l’attentat de la place Sassine. L’ensemble de l’opposition a rejeté la responsabilité de l’attaque sur le régime syrien et sur ses alliés à l’intérieur du gouvernement libanais. Celui-ci est en effet largement dominé par le Hezbollah et les partis pro-syriens malgré sa composition multiconfessionnelle.

Le soir même de l’attentat, l’opposition a donc appelé le gouvernement à présenter sa démission, l’accusant d’avoir offert « protection et couverture » aux assassins de Wissam Al-Hassan. Ce dernier était un proche du Premier ministre assassiné Rafiq Hariri et de son fils Saad. Le 9 août dernier, ses services avaient coordonné l’arrestation de l’ancien ministre et député Michel Samaha, une des courroies de transmission de Bachar el-Assad au Liban. Ce dernier est accusé d’avoir planifié des attentats et des troubles entre les communautés chrétiennes, alaouites et sunnites au Liban-Nord.

Entre 2005 et 2007, le Liban a été ensanglanté par une série d’attentats politiques dont le plus spectaculaire a couté la vie à Rafiq Hariri le 14 février 2005. Au nombre des victimes, toutes connues pour leur opposition à la Syrie, on compte le député et ministre de l'Industrie Pierre Gemayel, tué par balles avec son garde du corps en novembre 2006 à Jdeideh ; le député Walid Eido, tué ainsi que neuf autres personnes en juin 2007 dans une explosion sur le front de mer à Beyrouth et le député Antoine Ghanem, tué en septembre 2007 avec cinq autres personnes dans un attentat à la voiture piégée dans la banlieue de Beyrouth. Le dernier attentat politique perpétré dans la région de Beyrouth remontait à janvier 2008 et à la mort du capitaine du FSI Wissam Eid dans une attaque à la voiture piégée. Depuis, des négociations entre partisans sunnites du clan Hariri et miliciens chiites du Hezbollah ont mené au processus de pacifications conclus par les accords de Doha du 22 mai 2008.

Le spectre de la guerre civile

Pour de nombreux libanais, la mort de Wissam Al-Hassan marque donc le retour d’une période de violence que l’on croyait révolue depuis quatre ans. L’attentat peut en effet être considéré comme une énième réplique de l’assassinat de Rafiq Hariri, lui-même plus que probablement commandité par le premier cercle du pouvoir damascène. Selon des sources internes aux services de renseignement libanais, Wissam Al-Hassan avait activement collaboré avec le  le Tribunal spécial sur le Liban (TSL) et participé à l’enquête chargée d’élucider les circonstances de l’assassinat de l’ancien Premier ministre. Selon ces mêmes sources, sa mort serait à la fois une réponse directe des pro-syriens à l’arrestation de Michel Samaha et le résultat d’une guerre larvée au sein d’un appareil sécuritaire lui-même divisé entre les différentes factions qui contrôlent le pays.

Au-delà des facteurs internes libanais, une telle éruption de violence pose aussi la question du débordement de la guerre civile syrienne au-delà de ses frontières. Depuis des semaines, le régime de Bachar El-Assad mise sur cette stratégie du pire pour se maintenir au pouvoir par un chantage au chaos. Après l’accumulation de tensions à la frontière turco-syrienne, Damas aurait donc décidé de se tourner vers son fragile voisin pour accentuer les menaces de désordre régionaux. Malgré des incidents sporadiques entre insurgés et loyalistes syriens sur le territoire libanais, le gouvernement de Najib Mikati avait réussi jusqu’ici à maintenir la neutralité du pays, dans l’espoir d’en préserver la stabilité. Cette stratégie de « prise de distance » (Naé bel-nafess) a poussé les autorités à fermer leurs frontières pour éviter de transformer le Liban-Nord en sanctuaire pour les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL). Le Liban s’est aussi abstenu lors de toutes les discussions de la ligue arabe sur la crise syrienne.

En réveillant les tensions confessionnelles latentes, l’attentat de Beyrouth remet cet équilibre en question. Saad Hariri ne cache plus sa volonté de renverser le gouvernement, mais « de manière pacifique et démocratique ». En parallèle, l’imam sunnite radical cheikh Ahmed al Assir s’est violemment attaqué au Hezbollah et à l’Iran, estimant que la responsabilité de la milice chiite et de son sponsor était directement engagée dans la mort de la plupart des responsables politiques anti-syriens assassinés ces dernières années.

Rappelons que le 14 octobre, le Hezbollah organisait une grande manifestation à Beyrouth en soutien au régime de Bachar el-Assad. Les principales autorités du Liban, y compris le président Michal Sleimane, le Premier ministre Najib Mikati et les chefs de l’armée, et les ambassadeurs des cinq membres du conseil de sécurité de l’ONU,  ont appelé « toutes les parties au Liban à préserver l'unité nationale» pour échapper au désastre d’une nouvelle guerre civile. Dans le contexte d’extrême violence qui règne dans la région, la mort du général Al-Hassan pourrait néanmoins être l’étincelle qui ruinera définitivement les efforts de paix entrepris dans le pays depuis 2008.

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