Le point sur la situation a In Amenas



Vendredi 18 janvier à 13h00 GMT, la plus extrême confusion régnait encore sur le drame qui se déroule depuis mercredi à In Amenas, dans le sud de l’Algérie.

 

Cette situation relativement inédite dans une prise d’otage de cette ampleur, impliquant plusieurs dizaines de ressortissants étrangers et plusieurs centaines d’Algériens, s’explique par deux raisons. D’abord, la zone d’In Amenas est désertique, éloignée de plus de 1300 kilomètres de la capitale et il est impossible de s’y rendre sans autorisation ni escorte. Aucun journaliste ou observateur étranger n’est donc présent sur place. De ce fait, l’on est obligé de se contenter de l’opacité traditionnelle de la « communication » officielle algérienne, de quelques bribes d’informations difficiles à vérifier récoltées auprès de familles d’otages disant avoir eu des contacts récents avec les leurs et de quelques déclarations d’officiels de pays concernés par cette crise.

 

Comme le faisait remarquer Alain Juillet, ancien Directeur du Renseignement de la DGSE, « il faudra de quinze jours à un mois pour commencer à avoir une petite idée de ce qui s’est vraiment passé ».

 

En début d’après-midi, toutefois, les Premiers ministres français, Jean-Marc Ayrault, et britannique, David Cameron confirmaient que leur homologue algérien leur avait déclaré que l’opération militaire déclenchée 24 heures plus tôt était toujours en cours. 

 

Tentons de retracer le fil des évènements avant d’essayer d’en tirer les premiers enseignements.

 

1)     Le fil des évènements

 

-         Dans la nuit de mardi à mercredi, un nombre indéterminé de terroristes appartenant probablement à la mouvance dissidente d’al-Qaïda dirigée par Mokhtar Belmokhtar sont arrivés à proximité des installations d’In Amenas (province d’Ilizi, dans le sud-est de l’Algérie, à proximité immédiate de la frontière libyenne), exploitées par une joint-venture entre BP, Statoil et la Sonatrach.

 

-         Après un bref affrontement avec des agents de sécurité locaux, les terroristes – entre 20 et 30 hommes venus sur plusieurs « pick-ups » - ont pris le contrôle de la « Base vie » du champ gazier, c'est-à-dire la zone de résidence des personnels employés sur le site.

 

-         Mercredi vers 12h00 GMT, il était établi que les terroristes détenaient, dans un ou plusieurs bâtiments, « plusieurs dizaines d’otages », apparemment tous occidentaux, mais avaient laissé les personnels algériens libres de leurs mouvements. Ils affirmaient avoir miné les lieux et émettaient trois revendications principales : l’arrêt de l’opération française au Mali, la libération d’une centaine de détenus islamistes par l’Algérie et la fourniture de véhicules leur permettant de quitter les lieux avec leurs otages. Il était évident que les autorités algériennes allaient refuser de négocier.

 

-         Jeudi en début d’après-midi, à en croire les témoignages parcellaires recueillis auprès des familles d’otages, les terroristes auraient embarqué certains de leurs prisonniers dans des véhicules afin de quitter les lieux. L’assaut était aussitôt donné et des hélicoptères de combat auraient bombardé les cinq véhicules concernés dont quatre auraient été détruits et leurs occupants tués.

 

-         Vendredi vers 12h00 GMT, les autorités algériennes déclaraient que 18 terroristes avaient été tués lors de l’assaut donné la veille et que la « Base vie » était désormais sécurisée mais qu’une « dizaine » d’autres djihadistes étaient retranchés, avec d’autres otages, dans les installations d’exploitation du champ gazier.

 

-         Ce dernier point mérite toutefois des éclaircissements : la base vie et les installations gazières sont distantes d’environ 2 à 2,5 kilomètres et un camp militaire est positionné entre les deux. On voit mal, dans ces conditions, comment des preneurs d’otages auraient pu passer de l’une à l’autre, surtout à partir du moment où la base vie était sensée être « encerclée » par l’armée…

 

-         Un nombre encore indéterminé d’otages, peut-être une trentaine, auraient également été tués dans cette opération.

 

-         Vendredi également, la « Brigade Belmokhtar », qui se fait également appeler « Ceux qui signent avec leur sang », diffusait via la Mauritanie un communiqué prévenant de l’imminence d’autres attaques contre des « installations et des représentations » de compagnies énergétiques en Algérie et contre des bases militaires.


 

2)    Premiers enseignements


 

  •   Sur les capacités terroristes

 

-         L’attaque d’In Amenas est une opération complexe ayant nécessité une assez longue préparation, entre autres par l’acquisition du renseignement nécessaire. Elle a donc pu être déclenchée de manière opportuniste après le début de l’offensive française au Mali, mais elle était certainement en gestation depuis bien avant.

 

-         On remarquera que pour trouver la trace d’une opération aussi importante et médiatisée, il faut remonter à près de six ans en arrière et aux attentats du 11 avril et du 12 décembre 2007 à Alger (respectivement contre le palais du gouvernement et le Conseil constitutionnel et le HCR).

 

-         Par ailleurs, c’est la première fois que des installations gazières ou pétrolières situées dans « l’Algérie utile » du sud, une zone particulièrement protégée, sont visées.

 

-         Cette opération justifie totalement l’opération en cours au Mali: c’est la transformation progressive du nord-Mali en zone grise conjuguée à l’afflux des armes pillées dans les casernes et les dépôt militaires libyens qui a permis aux bandes terroristes écumant le Sahel de passer de groupes peu organisés à de véritables petites armées lourdement équipées. 


 

  •   Sur la riposte algérienne

 

-         Il est évident que les options laissées aux autorités algériennes étaient plus que limitées. On comprend qu’il était impossible d’accepter de laisser partir les terroristes avec leurs otages ni même de négocier.

 

-          Pour autant, il est clair que le mode opératoire décidé par Alger était totalement inapproprié. Une libération d’otages est une opération délicate, c’est de la chirurgie qui réclame l’intervention des forces spéciales de l’armée ou de la police. Les Européens et les Américains, par exemple, ont une grande expérience dans ce domaine. Mais pas les Algériens.

 

-         Le refus des Algériens de communiquer avec les pays concernés laissera des traces : ni Londres, ni Washington, ni Tokyo, ni Paris n’ont, semble-t-il, été tenus au courant de l’évolution de la situation ni d’un assaut imminent. Bien entendu, les Algériens sont chez eux, et tout le monde comprend que c’est à eux d’agir. Mais quand des étrangers sont concernés par une prise d’otage, il est d’usage pour les autorités responsables de se concerter étroitement avec les pays dont ces otages sont originaires et de les prévenir de tout mouvement et de toute initiative. Ce n’a pas été le cas. Ce n’est pas étonnant car les Algériens ont souvent agi ainsi dans le passé, notamment avec la France, mais c’est très regrettable.

 

  •   D’autres attaques à venir ?

 

-         La sécurité algérienne a été prise en défaut dans une zone extrêmement sensible. On peut penser que la répétition d’une action de ce type en Algérie sera difficile mais d’autres cibles peuvent être visées dans d’autres pays de la région : des ambassades, d’autres installation industrielles, des missions humanitaires, des touristes… Donc oui, il pourrait y avoir d’autres attaques dans les mois à venir.

 

-         La stratégie habituelle des groupes islamistes n’est en effet pas l’affrontement direct contre des forces supérieurement équipées, comme le sont les forces françaises au Mali, mais bien une stratégie mêlant tactiques insurrectionnelles (embuscades et attaques de représailles) et terrorisme. Et c’est dans les pays voisins du Mali et peut-être plus loin que celui-ci aura le plus d’impact… 

 

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