Les intérêts occidentaux et iraniens dans la ligne de mire d’Al-Qaïda au Yémen



 

 

 

 

Mercredi 3 décembre, le groupe lié à Al-Qaïda « Ansar al-Charia » a revendiqué un attentat à la voiture piégée commis le matin même devant la résidence du nouvel ambassadeur iranien à Sanaa, Hassan Sayed Nam. Le diplomate, qui avait quitté le bâtiment dix minutes auparavant, a échappé à l’explosion qui aurait fait de une à trois victimes selon des sources sécuritaires locales. Notons que des officiels iraniens ont été pris pour cibles à plusieurs reprises par l’organisation terroriste au cours des derniers mois. Pour rappel, les combattants yéménites d’Al-Qaïda retiennent en otage un diplomate iranien depuis le mois de juillet 2013. Ils ont aussi assassiné le conseiller économique de l’ambassade, Ali Asghar Assadi, lors d’une tentative d’enlèvement manquée à Sanaa, le samedi 18 janvier 2014. 

Traditionnellement très fort, le risque terroriste qui pèse contre les intérêts iraniens dans le pays s’est encore accru d’un cran depuis la prise de contrôle de Sanaa au mois de septembre par les rebelles chiites « zaydites » du chef d'Ansaruallah, Abdelmalek al-Houthi. Les combattants d’Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), alliés à plusieurs groupes locaux et chefs tribaux sunnites du centre et du sud du pays, ont juré de « punir » Téhéran pour le soutien financier accordé à la rébellion « houtie ». De plus, ils ont intensifié leurs opérations terroristes contre des membres de la minorité chiite, menaçant de plonger le Yémen dans une nouvelle guerre civile confessionnelle. 

Au-delà de ces implications pour l’avenir du pays, ces développements pourraient amener le Yémen à donner l’exemple paradoxal d’une certaine forme de coopération entre l’Iran et les membres de la coalition internationale menée par les Etats-Unis contre les organisations djihadistes, situation peut-être amenée à se reproduire en Syrie et en Irak. Si la prise de Sanaa et la déstabilisation du gouvernement ont été formellement dénoncées par les Etats-Unis, c’est en effet la lutte contre Al-Qaïda qui demeure la première priorité américaine dans la région. Pour preuve de cette détermination, l’opération de libération manquée du journaliste Luke Somers, au cours de laquelle ce dernier et l'enseignant sud-africain Pierre Korkie ont trouvé la mort. 

On remarquera aussi l’absence de réaction apparente de l’Arabie Saoudite, autrefois prompte à mener des opérations militaires contre les rebelles chiites de la province de Saada. Ryad a toujours craint l’installation d’un nouveau Hezbollah sur son flanc sud, ainsi que l’influence du mouvement « houtiste » sur les membres de sa propre minorité chiite dans sa province d’Ach-Charqiya. Le royaume saoudien se trouve néanmoins confronté aujourd’hui à la nécessité impérative de mettre un terme à l’extension du djihadisme sur ses frontières, ce qui semble l’avoir amené à faire preuve de retenue face à l’avancée zaydite. 

Aussi bien à Washington qu’à Ryad une tendance se dessinerait donc en faveur d’une implication iranienne contre les organisations djihadistes, comme l’ont démontré la semaine dernière les raids effectués par l’aviation iranienne contre des cibles du groupe terroriste « Etat Islamique » dans la province irakienne de Diyala. S’il n’a été fait état d’aucune coordination entre les autorités militaires iraniennes et le Pentagone, on notera que le secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré que toute frappe de l'Iran contre l’EI aurait « au final » un « effet positif ». 

Si l’on ne peut sans doute pas parler de coopération opérationnelle dans ce cas, Washington ne devrait donc entreprendre aucune action pour s’opposer à la répétition de tels raids à l’avenir. De la même manière, le conflit mené contre AQAP par les milices yéménites « houties » avec l’appui de Téhéran pourrait les protéger contre des sanctions dont la menace avait pourtant été brandie à l’ONU cet automne. 

Dans le cas yéménite, cette situation va par ailleurs augmenter le risque de nouvelles attaques terroristes indiscriminées contre les intérêts iraniens et occidentaux, notamment les représentations diplomatiques. 

Lundi 8 décembre, le Ministère yéménite de l’Intérieur a ainsi publié un communiqué faisant part de la découverte d’un projet d’attentat contre l’ambassade américaine à Sanaa. Selon ces informations, l’organisation terroriste aurait l’intention de faire exploser au moins 3 voitures piégées à proximité du complexe diplomatique. En conséquence, les autorités yéménites ont exhorté les services de l’ambassade à adopter des mesures complémentaires pour contrer ce risque, encore amplifié par la tentative ratée de libération des otages Luke Somers et Pierre Korkie. 

Notons qu’Ansar al-Charia avait déjà affirmé le 28 novembre dernier sur Twitter avoir réussi à faire exploser la veille deux bombes artisanales commandées à distance devant la porte nord de l’ambassade américaine. Selon des sources sécuritaires, l’incident s’est limité à un échange de coups de feu entre un garde de sécurité et un homme armé sur une motocyclette. Le ton de la revendication a cependant démontré une nouvelle fois la volonté de l’organisation terroriste de mener des actions spectaculaires au cœur du quartier de Hadda, pourtant l’un des plus sécurisés de la capitale yéménite. 

C’est dans ce contexte que l’ambassade de France a décidé mardi 9 décembre de fermer l’accès à ses services pour une durée d’une semaine, face au risque extrême élevé d’attentat, qui pèse donc désormais sur l’ensemble de la communauté diplomatique. 

© ESISC 2014

 

 

 


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