L'impact des nouvelles sanctions internationales sur l'Iran



Le bain de sang syrien et le danger critique de débordement de la crise à l’ensemble du Proche-Orient ont fait passer le dossier nucléaire iranien au second plan de l’attention médiatique. De plus, des discussions menées en coulisses de la dernière session de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre ont éloigné momentanément la perspective d’une frappe israélienne. Plus que jamais, la crainte de voir le régime des mollahs se doter de l’arme atomique pèse cependant sur une région fragile, qui lutte encore pour amortir le choc des révolutions arabes. Grâce à ses relais chiites en Syrie, au Liban, au Bahreïn et en Arabie saoudite, Téhéran continue en effet à menacer la sécurité et la stabilité de ses voisins, alors qu’aucun indice ne permet d’espérer un accord à court terme sur l’abandon de ses activités d’enrichissement d’uranium.

 

Après son accession au pouvoir en 2009, Barack Obama a privilégié la stratégie de la « main tendue » à Téhéran. L’échec de cette politique et l’impasse du processus de négociation ont toutefois amené la Maison blanche à durcir le ton et à adopter avec ses alliés européens l’arsenal de sanctions le plus strict depuis la crise des otages de 1980. Depuis le début de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, le candidat républicain Mitt Romney réfute l’efficacité de cette approche et exige des actions qui « handicaperaient réellement le pays » pour le forcer à abandonner ses ambitions nucléaires. À la veille de l’élection américaine, il est donc nécessaire d’évaluer l’impact concret des sanctions sur l’économie iranienne et d’identifier les stratégies mises en place par Téhéran pour en atténuer l’effet.

 

Capacité de l’économie iranienne à résister aux sanctions

 

Les nouvelles sanctions visent avant tout les secteurs gaziers et pétroliers, qui demeurent les principaux vecteurs de rentrées financières de l’Iran malgré une baisse de sa production. Les Etats-Unis ont obtenu de plusieurs de leurs alliés (Turquie, Brésil, Corée du Sud, etc.) une diminution sensible de leurs importations d’hydrocarbures iraniens. L’Union européenne a pour sa part interdit l’importation, l’achat ou le transport de gaz naturel iranien par les 27 États membres, de même que les activités de finance et d’assurance liées au secteur gazier. Washington et Bruxelles ont aussi visé les capacités de transport maritime du pays et ont renforcé l’embargo sur ses fournitures d’acier et d’aluminium. Notons enfin que la liste des banques internationales qui effectuent des transactions financières illicites avec l’Iran a été mise à jour.

 

Ce faisceau de mesures restrictives produit des effets dévastateurs sur l’économie iranienne : baisse des revenus pétroliers et de la production industrielle, inflation non contrôlée, effondrement de la valeur de la monnaie, chômage endémique, etc. La dégradation de la situation économique n’a pas encore créé un sentiment de mécontentement populaire suffisant pour entrainer un bouleversement politique comparable au « Printemps arabe ». Au début du mois d’octobre, l’inflation et la perte de 60% de la valeur du rial en l’espace de 8 jours ont cependant provoqué des manifestations hostiles au pouvoir. Face à cette situation catastrophique des voix chaque jour plus nombreuses dénoncent aussi la mauvaise gestion du régime et soulèvent la nécessité d’un compromis avec les Occidentaux pour en finir avec une « économie de résistance » dont l’impact se fait ressentir avant tout sur la population.

 

Résilience du régime et stratégies de contournement

 

En jouant sur la fibre nationaliste, l’autorité religieuse a réussi jusqu’ici à contenir en partie la colère populaire. Le 10 octobre, l’ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution islamique, a accusé l’Europe et les Etats-Unis de prendre prétexte du programme nucléaire pour abattre un adversaire opposé à leur « hégémonie globale ». Le 25 octobre, plusieurs membres du haut clergé chiite ont continué à dénoncer les sanctions lors de leurs prêches de l’Aïd al-Fitr. L’Ayatollah Mohammad Emami-Kashani, membre éminent de « l’Assemblée des experts », a assuré que le pays parviendrait à surmonter cette épreuve s’il restait « uni et solidaire ». En dépit de ces affirmations, les tensions s’accumulent au sommet de l’Etat, comme en témoigne l’interdiction faite par le pouvoir judicaire au président Mahmoud Ahmadinejad de visiter son conseiller média Ali-Akbar Javanfekr à la prison d’Evine.

 

Au-delà de la rhétorique, l’Iran a aussi développé des stratégies de contournement complexes pour minimiser les effets des sanctions sur son économie. De nombreuses entreprises iraniennes se sont ainsi installées en Turquie pour contourner les embargos à l’importation de biens sensibles. Téhéran multiplie par ailleurs les tentatives pour développer sa production intérieure et diminuer sa dépendance aux importations de produits étrangers. Comme l’a rapporté Reuters le 26 octobre, Téhéran a fortement augmenté ses achats de charbon à coke ukrainien pour approvisionner ses aciéries et atteindre des objectifs de production mégalomanes. Ces importations de matières premières se heurtent néanmoins à l’affaiblissement du secteur maritime. Elles demandent par ailleurs la mise en place de mécanismes financiers complexes qui profitent avant tout aux différents clans politiques qui se partagent le contrôle du pays.

 

La fragilisation du régime menace la paix        

 

À quelques mois de la fin du mandat de Mahmoud Ahmadinejad et des élections présidentielles de 2013, le régime envoie des signes de plus en plus explicites de son affaiblissement et de sa nervosité. Le général Mohammed Ali Jafari, commandant corps des Gardiens de la révolution islamique, a publiquement rappelé à l’ordre tous ceux qui auraient « succombé aux pressions de la guerre économique menée par les Etats-Unis. » Des journaux proches du Guide suprême de la révolution ont aussi publié des éditoriaux condamnant toute velléité de compromis. La multiplication de tels discours démontre la perte d’influence du président de la république marque et la volonté de reprise en main du pouvoir par les conservateurs rangés derrière l’ayatollah Khamenei, après plus d’un an d’une guerre de l’ombre à laquelle se livrent les différentes branches du pouvoir.

 

Depuis 10 ans, la forte résilience de la république islamique lui a permis de mener sans fin un jeu du chat et de la souris lors des pourparlers menés sous l’égide de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). L’installation dans la durée des sanctions économiques représente toutefois un péril majeur pour un régime dont les divisions internes apparaissent au grand jour. Dans ces conditions les Etats-Unis et l’Europe n’ont aucune raison de modifier leur approche tant que Téhéran n’aura pas abandonné son programme nucléaire de manière effective.

 

La capacité de nuisance de l’Iran et la fébrilité dont font preuve ses élites religieuses et militaires laissent toutefois planer l’ombre d’une nouvelle escalade en cas de troubles intérieurs trop alarmants. On peut donc craindre que l’Iran ne persiste dans la stratégie du pire en profitant entre autres du bourbier dans lequel la guerre civile syrienne a plongé la région. Dans de telles conditions, la menace d’une confrontation armée avec Israël et l’Occident reviendra au premier plan des préoccupations mondiales après les élections américaines, à moins que les éléments les plus rationnels du régime ne parviennent pas à prendre appui sur l’échec économique des dirigeants actuels pour s’imposer à la tête de l’Etat.

 

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