Menaces pour la paix mondiale en mer de Chine



 

 

La mer de Chine orientale connait un pic de tensions géopolitiques spectaculaire depuis le début du mois de septembre et l’annonce de la décision du gouvernement japonais de racheter trois des îles l’archipel des Senkaku à leurs propriétaires privés pour la somme de 2,05 milliards de yens (21 millions d’euros). Des dizaines de milliers de manifestants nationalistes se sont rapidement rassemblés dans les grandes villes chinoises et se sont attaqués, parfois violemment, à des intérêts économiques ou à des symboles japonais (représentations diplomatiques, voitures, magasins japonais, etc.) pour dénoncer cette « annexion ». En réaction, plusieurs groupes industriels japonais ont suspendu la production de leurs usines menacées d’émeutes et de pillages. Des écoles ont aussi été fermées, et Tokyo a appelé les autorités chinoises à assurer la sécurité de ses ressortissants en raison du risque élevé d’agressions physiques, y compris à Hong Kong.

 

En mer, des flottilles de chalutiers et de navires gouvernementaux civils se sont mises en route pour défendre la souveraineté de la Chine sur l’archipel. Le 25 septembre, huit navires des garde-côtes taïwanais et de dizaines de bateaux de pêche ont également fait incursion dans les eaux territoriales japonaises au large, provoquant une série d’incidents avec des garde-côtes nippons. Les autorités chinoises ont enfin menacé le Japon d’exercer à son encontre des mesures de rétorsion économique « importantes » dont il devrait supporter « toutes les conséquences ». Lors d’une rencontre organisée le 25 septembre en marge de la 67ème session de l’Assemblée générale des nations-Unies à New York, le ministre chinois des affaires étrangères Yang Jiechi a enfin réaffirmé à son homologue japonais Koichiro Gemba que l’archipel faisait partie du « territoire sacré de la Chine depuis des temps anciens ».

 

Orgueil patriotique et enjeux économiques

 

La controverse des îles Senkaku est une source de tensions récurrente depuis que la République de Chine en a revendiqué la souveraineté dans les années 60 sous le nom d’îles Tiaoyutai, suivie en 1971 par la République populaire de Chine sous le nom d’îles Diaoyu. Ses îlots isolés sont administrés par Tokyo depuis la signature du traité de Shimonoseki au terme de la guerre sino-japonaise de 1894-1895. Inhabité depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’archipel a été rétrocédé au Japon en 1972, après 25 ans d’administration américaine sur la préfecture d’Okinawa. Depuis lors, les Senkaku sont devenus un symbole pour de nombreux groupes nationalistes d’extrême droite japonais habitués à mener des actions théâtrales, dont les Uyoku dantai. Ironiquement, c’est en partie pour contrecarrer une souscription publique lancée par le gouverneur nationaliste de Tokyo Ishihara Shintaro que le gouvernement démocrate de Yoshihiko Noda a décidé de procéder à la nationalisation des îles Senkaku.

 

Au-delà de l’enjeu symbolique et de l’orgueil patriotique, l’aspect économique revêt une importance considérable dans l’évolution récente du dossier. Les eaux qui entourent l’archipel des Senkaku renferment d’importantes ressources halieutiques, notamment de la bonite, dont l’exploitation déclenche des incidents réguliers entre pêcheurs chinois et garde-côtes japonais en dépit d’un accord bilatéral conclu en 1997. Par ailleurs, un rapport publié en 1969 par la Commission économique de l'Asie et de l'Extrême-Orient des Nations-Unies (aujourd’hui Commission économique et sociale pour l'Asie et le Pacifique – CESAP) a révélé d’importants gisements d’hydrocarbures dans les fonds marins de la zone économique contestée par les deux pays, tel le champ gazier de Chunxiao. On le voit, la crise actuelle ne peut se comprendre en dehors du contexte de la course aux ressources énergétiques que se livrent les puissances régionales.  

 

Compétition pour la suprématie navale

 

L’archipel des Senkaku n’est qu’un des objectif de la politique d’affirmation maritime et de « défense de ses intérêts vitaux » menée par Pékin. Plusieurs différends territoriaux opposent en effet la République populaire de Chine, Taiwan, le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie et le sultanat de Brunei au sujet de la souveraineté sur plusieurs archipels de la mer de Chine méridionale, dont les îles Spratleys et les îles Paracels. Ces conflits provoquent régulièrement des passes d’armes rhétoriques et des provocations navales. On notera que les derniers incidents coïncident avec l’annonce officielle de la mise en service du premier porte-avion de la marine chinoise. Acheté à l’Ukraine et modernisé avec des technologies indigènes, le Liaoning est un symbole du développement rapide d’une marine de haute-mer dont le but ultime est le remplacement des Etats-Unis comme garants de la sécurité navale de la zone Asie-Pacifique.

 

L’émergence de cette diplomatie offensive résulte en effet de la compétition entre la Chine et les Etats-Unis pour la suprématie militaire en Asie. À moyen terme, la marine chinoise vise à se doter de plusieurs groupes aéronavals. En parallèle, la stratégie de défense présentée par Barack Obama en janvier dernier prévoit d’accroitre l’engagement américain en Asie, malgré une politique globale de restrictions budgétaires. Soulignons également que les deux candidats à l’élection présidentielle américaine de novembre ont fait de la fermeté envers la Chine un élément structurant de leur discours de campagne. Ces attaques répétées, de même que les exercices navals menés en juin et en juillet par les Etats-Unis avec les Philippines et le Japon ont attisé les soupçons de Pékin quant à la nature des ambitions américaines dans la région.

 

Dans ce contexte, la persistance d’un contentieux autour des îles Senkaku constitue un facteur de déstabilisation majeur au cours des prochaines années. Le risque de guerre régionale reste faible en raison des liens économiques très étroits qui unissent la Chine et le Japon. Les démonstrations d’intransigeance dont ont fait preuve des deux parties ont néanmoins incité les Etats-Unis à s’inquiéter de la situation et à demander que ce conflit soit résolu de manière pacifique. Le secrétaire d’Etat adjoint Kurt Campbell a par ailleurs rappelé qu’une attaque militaire sur les Senkaku amènerait les Etats-Unis à réagir en vertu du traité de coopération mutuelle et de sécurité qui les lie au Japon. Comme nous l’avons dit, cette option n’est pas la plus probable à l’heure actuelle. La multiplication de crises diplomatiques entre les deux géants économiques asiatiques pourrait néanmoins devenir incontrôlable, au risque de mettre en danger le plus grand moteur de l’économie mondiale.

 

 

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