Prologue
C’est en milieu de matinée, ce samedi que l’état-major de Tsahal a annoncé que le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait été tué vendredi soir dans une frappe massive sur le quartier de Dahieh Janoubyé (« Faubourgs sud »), le fief du Hezbollah à Beyrouth. Cette élimination ciblée sans précédent marque un véritable tournant dans la stratégie israélienne : jusqu’à présent, Tsahal et les services de renseignement de l’Etat hébreu n’avaient ciblé « que » des dirigeants de la branche militaire de l’organisation terroriste, sans s’en prendre à son aile politique.
Samedi, en début d’après-midi, le Hezbollah annonçait à son tour la mort de son chef.
Le Hezbollah est désormais décapité et totalement désorganisé. Il ne pourra, toutefois, pas rester sans réaction à ce coup sans précédent. De même, l’Iran, dont Nasrallah faisait figure de véritable « proconsul » au Liban, va très certainement vouloir venger sa mort. L’une des armes de l’un et de l’autre pourrait être une campagne d’attentats contre les intérêts israéliens et les communautés juives à travers le monde.
1- La frappe du 27 septembre et ses conséquences immédiates
La frappe opérée vendredi soir par l’aviation israélienne visait un bloc d’immeubles de Dahieh Janoubyé sous lequel était situé le bunker abritant le quartier général opérationnel de l’organisation. Elle a été opérée avec plusieurs bombes Bunker Buster, de type GBU-28. D’un poids de plus de deux tonnes (pour 286 kilos de charge explosive), la GBU-28 peut traverser 30 mètres de terre ou 6 mètres de béton avant l’exploser.
Plusieurs immeubles (6 selon les autorités libanaises) ont été soufflés par les explosions et les installations souterraines ont été entièrement détruites.
Au moment du bombardement, l’ensemble des directions politiques et militaires du Hezbollah étaient réunies dans le bunker pour discuter de la réorganisation du mouvement et de sa stratégie.
L’opération intervient après l’élimination ciblée de plusieurs hauts responsables de la branche armée du Hezbollah, entre autres Fouad Shoukr – conseiller militaire de Nasrallah et responsable des opérations contre Israël - le 31 juillet dernier, Ibrahim Aqil – fondateur et commandant de la Force al-Ridwan, les forces spéciales du Hezbollah – le 20 septembre dernier, Ahmed Mahmoud Wahbi- le lieutenant d’Aqil -, le même jour, Ibrahim Qubaisi – responsable de « l’unité des missiles » - le 24 septembre, Mohamed Srour -chef de l’unité des drones – le 26 septembre. Dans la plupart de ces frappes, les plus proches collaborateurs des responsables ciblés ont également été tués.
Elle intervient également après les explosions des pagers (le 17 septembre) et des walkie-talkies (le 18 septembre) qui ont fait plusieurs dizaines de morts et plus de 4 000 blessés, dont plusieurs centaines sont toujours dans un état grave dans les rangs de la milice chiite et, singulièrement, de la Force al-Ridwan et dans l’encadrement militaire de rang intermédiaire du groupe et après que des frappes ciblées, au sud Liban, dans la plaine de la Bekaa et à Beyrouth-sud aient détruit des quantités significatives de missiles stockés par l’organisation (les sources israéliennes estiment que jusqu’à 30% des capacités balistiques du Hezbollah auraient été réduites à néant).
Ce vendredi, la totalité des dirigeants encore en vie du Hezbollah qui assistaient à la réunion présidée par Hassan Nasrallah auraient été éliminés.
Les observateurs du Moyen-Orient et analystes militaires estiment que presque tout le « premier cercle » de Nasrallah serait anéanti. Sur une vingtaine de commandants, il y aurait un seul survivant, Abou Ali Rida
. A ce jour, seul resterait en lice un nombre indéterminé de commandants de niveau n-1 ou n-2, pour la plupart d’entre eux formés en Iran ou en Syrie par la force al-Quds du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (IRGC) iranien.
1.a. Une organisation (durablement ?) affaiblie
Bien entrainés, bénéficiant du soutien de Téhéran et proches de leurs hommes, ces officiers sont certainement prêts à prendre le relais, mais, ils devront, dans un premier temps, consacrer une partie importante de leurs efforts à évaluer les pertes réelles et à réorganiser les structures du Hezbollah et sa chaine de commandement. De son côté, l’Iran devra recompléter l’arsenal du mouvement.
Cette tâche sera d’autant plus compliquée qu’un certain nombre de hauts responsables de l’IRGC en Syrie (par où transitent toute la logistique et les armement venus de Téhéran) ont, eux aussi, été éliminés et que l’aviation israélienne bombarde sans relâche les bases iraniennes, les dépôts d’armes et les convois acheminant équipements et munitions vers la plaine de la Bekaa.
Complication supplémentaire : depuis les explosions des « pagers » et des walkie-talkies, le Hezbollah est privé de tous ses moyens de communication modernes. Il doit désormais, pour acheminer ses ordres et ses rapports opérationnels, se reposer sur la téléphonie filaire (qui peut facilement être neutralisée par des frappes sur les centraux téléphoniques et sur des courriers humains, ce qui rallonge considérablement les délais de transmission.
Certes, le Hezbollah a encore les moyens de frapper Israël en profondeur. Ses missiles Fajr 3 et Fajr 5 – ces derniers, d’une portée de 75 kilomètres -, peuvent atteindre la Galilée et la ville et le port de Haïfa, un lieu stratégique pour Israël et les Zelzal-1, d’une portée de 150 kilomètres sont capables de toucher le Gush Dan (région de Tel Aviv).
Mais il est évident que de telles offensives entraînerait de nouvelles opérations décisives de l’aviation et des services de renseignement israéliens. Or, ces actions pourraient d’autant plus efficaces que les diverses opérations menées ces deux dernières semaines ont largement prouvé que le MOSSAD dispose de réseaux locaux extrêmement bien implantés dans les différents territoires contrôlés par le Hezbollah (sud-Liban, Beyrouth-sud, Bekaa) et de sources humaines de premier ordre au sein du mouvement.
Et dans le cas le plus extrême, Tsahal dispose toujours de la possibilité de mener une opération terrestre massive pour tenter de repousser l’organisation loin de ses frontières.
1- Quelle riposte ?
Il est pourtant évident que le Hezbollah (et l’Iran) doivent (et vont) réagir. Mais comment ?
2.a : Le Hezbollah
Outre la continuation de ses bombardements sur le nord (voir sur le centre) - mais nous venons de voir que la réponse israélienne pourrait être foudroyante, et affaiblir encore plus le Hezbollah, qui a désespérément besoin d’une « pause » pour se réorganiser – qui reste une option, l’organisation a la possibilité de recourir à l’une de ses armes de prédilection : le terrorisme.
Celui pourrait toucher Israël, bien évidemment, mais également les intérêts israéliens dans le monde et les communautés juives.
Dans un discours prononcé la semaine dernière à Beyrouth, Hassan Nasrallah menaçait Israël d’un « terrible châtiment et une juste rétribution, là où il s'y attend et là où il ne s'y attend pas ».
Et mercredi dernier, le Conseil de Sécurité Nationale israélien mettait en garde contre de possibles attaques contre les Israéliens et les Juifs à l’étranger à l’occasion des fêtes de Tichri (Roch Hachana, la nouvelle année juive, du 2 au 4 octobre, cette année et Yom Kippour, du 11 au 12 octobre) et de l’anniversaire du 7 octobre.
L’avertissement du Conseil visait plus particulièrement le Sinaï, la Jordanie et la Turquie. Mais en fait, les capacités opérationnelles du Hezbollah, en matière de terrorisme, sont beaucoup plus étendues. Il peut, par exemple, compter sur des communautés chiites libanaises en Afrique de l’Ouest et en Amérique Latine, communautés au sein desquelles il ne manque pas de sympathisants (on se rappellera les attentats contre l’ambassade israélienne à Buenos-Aires en 1992 et, deux ans plus tard, contre la mutuelle juive AMIA, dans la même ville).
Mais l’organisation peut également frapper en Europe. Pour rappel, le 18 juillet 2012, une attaque du Hezbollah contre un car de touristes israéliens à l’aéroport de Bourgas (Bulgarie) faisait 6 morts et 32 blessés. Et en 2015, les polices européennes découvraient de très importantes quantités de Nitrate d’ammonium (un composant d’engrais azotés fortement explosif) à Chypre (8,2 tonnes) et Londres (3 tonnes). Ces stocks avaient été établis par le Hezbollah en prévision de possibles attaques contre les missions diplomatiques israéliennes.
2.b. L’Iran
De son côté l’Iran pourrait hésiter à attaquer directement Israël, ce qui offrirait à Jérusalem l’occasion de frapper ses capacités militaires et son programme nucléaire. Mais Téhéran a également la possibilité (et l’habitude) d’employer l’arme terroriste.
Or, plusieurs enquêtes récentes menées en Europe (essentiellement en France en Allemagne) démontrent que le régime des mollahs a repris une ancienne pratique visant à utiliser des criminels locaux pour mener des actions terroristes contre des communautés juives, des ressortissants et diplomates israéliens et des opposants en exil.
Dans cette affaire dite « Marco Polo », trois arrestations ont été opérées en France depuis le printemps dernier. Dans un rapport confidentiel révélé il y a quelques jours par la presse, la DGSI écrivait, en mai dernier : « A partir de 2015, les services iraniens ont renoué avec une pratique d’assassinats ciblés… La menace s’est encore aggravée […] dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas. »
La cellule visait des personnalités dans la région parisienne, à Berlin et à Munich et se serait rendue coupable d’au-moins quatre incendies criminels d’entreprises appartenant à des Israéliens dans le sud de l’hexagone.
Il est évident que de telles capacités pourraient être mise à la disposition du Hezbollah par ses commanditaires de Téhéran.
Toutes les conditions sont donc désormais remplies pour que le conflit entre Israël et le Hezbollah déborde sur l’Europe.