On ne fait que commencer à tirer les enseignements de l’affaire d’espionnage qui vient d’être révélée aux Etats-Unis et qui rappelle les grandes heures de la guerre froide.
L’ESISC consacrera une note d’analyse plus complète à cette affaire dans les jours à venir mais, d’ores et déjà, on peut souligner que :
Au plan global :
Cette affaire révèle tout d’abord, évidemment, que vingt ans après la fin de la guerre froide, le « grand jeu » continue entre Moscou et Washington et que la Russie, sous la conduite de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev, fait toujours un usage important du renseignement comme instrument de sa politique étrangère. Ceci n’étonnera que les naïfs : pour les grandes puissances – mondiales ou régionales – la connaissance préalable offerte par le renseignement est indispensable à la conception, l’articulation et la conduite de la politique étrangère.
Deuxième leçon : les Etats-Unis sont toujours, pour la Russie, « l’ennemi principal » (Glavny Vrag) que fut, jadis, la CIA pour le KGB. Rien d’étonnant à cela. Si la Russie peine à rester une puissance réellement mondiale, elle demeure une grande puissance euro-asiatique, tant du point de vue politique et militaire qu’économique ou énergétique. Les relations entre Moscou et Washington se sont évidemment fortement améliorées depuis la fin de l’ère soviétique, mais la Russie a été refroidie par ce qu’elle considère comme étant de « l’agressivité » de la part des Etats-Unis : « l’ingérence » dans les affaires balkaniques, l’extension de l’OTAN vers l’Est, la volonté d’établir un bouclier anti-missile en Europe ou l’implication de Washington dans les crises de la Géorgie, de l’Ukraine ou d’Asie centrale.
Au plan purement opérationnel :
On soulignera que ce dossier apporte la confirmation de ce que les experts du renseignement subodoraient depuis des années : le SVR a paisiblement chaussé les bottes du KGB et utilise, dans le renseignement offensif à l’étranger, les mêmes méthodes que son « grand ancêtre ». Ainsi, les Illégaux restent une arme essentielle que le renseignement russe est d’ailleurs le seul au monde (avec le renseignement israélien) à utiliser.
Le SVR qui a passé, à la fin des années quatre-vingt-dix, par une période difficile de restriction et de repli, dont j’ai pu être personnellement témoin au cours de recherches menées à Moscou, a malgré tout gardé le talent qui a fait la légende de l’ex-KGB. Mener, aux Etats-Unis, une opération de pénétration de dix à quinze ans, impliquant au moins une dizaine d’Illégaux et sans doute autant d’agents de « support » prouve à quel point le renseignement russe doit être pris au sérieux. Cette opération porte la griffe des « grands opérateurs » du renseignement soviétique.
Etant donné l’investissement en temps et en argent nécessaire à sélectionner les Illégaux, à les former, à bâtir leur couverture et à l’entretenir, on s’étonnera toutefois de ce qui peut apparaître comme une grave atteinte aux principes élémentaires de la clandestinité. En l’occurrence, qu’un même officier traitant (« Christopher Metsos ») ait, apparemment, dirigé plusieurs couples d’Illégaux et que ceux-ci aient eu des contacts entre eux (au minimum les « Murphy » et le couple « Zottoli/Mills »). Ce manque d’étanchéité ne pouvait évidemment qu’avoir des conséquences catastrophiques en cas de défection ou de découverte d’une de ces « cellules », et cela a évidemment nui à la sécurité de l’ensemble de l’opération. L’échec final est à la hauteur de cette erreur : ces derniers jours, ce ne sont pas moins d’une dizaine d’Illégaux qui sont tombés dans les filets du FBI. C’est une perte terrible et sans précédent pour le SVR.
Dans le même ordre d’idée, mais vu du côté américain, on ne peut qu’admirer une opération de contre-espionnage qui a duré au moins 7 ans et au cours de laquelle, les Illégaux ont été suivis, écoutés, filmés, surveillés. L’énorme masse de renseignements ainsi recueillis promet de faire de cette affaire un véritable cas d’école qui apportera une impressionnante moisson d’informations tant sur les méthodes opérationnels du SVR que sur les objectifs que se fixe ce grand service de renseignement. Cette manne mettra des années à livrer ce qui pourrait, à l’arrivée, s’avérer être la plus importante « photographie instantanée » du renseignement russe depuis des décennies.
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