Quelles réactions américaines après l'attaque de Benghazi ?



 

 

La diffusion sur Youtube d’extraits traduits en arabe du film polémique « Innocence of Muslims » a provoqué une flambée d’anti-américanisme sans précédent dans le monde arabo-musulman. À l’heure où nous écrivons, personne n’a été en mesure de confirmer l’existence du film, qui aurait été produit et réalisé par un copte résident aux Etats-Unis : Nakoula Basseley Nakoula, aussi connu sous le pseudonyme de Sam Bacile. Les accusations de blasphème portées à son encontre sont pourtant à l’origine de centaines de manifestations extrémistes menées contre les représentations diplomatiques occidentales depuis le 11 septembre. Partie d’Egypte et de Libye, cette vague de violence a gagné l’ensemble du monde arabo-musulman et a aujourd’hui des répercussions jusque dans les capitales européennes.

 

Les émeutes les plus violentes se sont déroulées à Tunis, Khartoum et Islamabad, entraînant des affrontements avec les forces de sécurité et l’évacuation des familles de diplomates et du personnel non-essentiel des ambassades et consulats américains. Vendredi 21 septembre, le gouvernement pakistanais a ainsi décrété un jour férié national dans l’espoir d’éviter de nouvelles violences et pour « permettre à l’ensemble du pays de déclaré son amour au prophète Mahomet ».  L’évènement le plus tragique intervenu depuis le début de la crise demeure néanmoins la mort de l’ambassadeur américain en Libye Christopher Stevens, tué par un tir de roquette contre le consulat des Etats-Unis à Benghazi dans la nuit du 11 au 12 septembre.

 

Attaque terroriste ou explosion de colère spontanée ?

 

La mort de Chris Stevens, premier ambassadeur américain tué en service depuis Adolph Dubs à Kaboul 1979, a soulevé de très nombreuses questions et un certain embarras à Washington. Le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, a indiqué qu’il ne disposait d’aucune preuve que l’attaque ait été préméditée par un groupe terroriste. Interrogé par la commission de la sécurité intérieure du Sénat, le directeur du Centre national de lutte contre le terrorisme Matthew Olsen, a contredit cette affirmation, déclarant que l’attaque n’avait pas été improvisée et avait sans doute été perpétrée par un groupe lié à Al-Qaïda ou à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Selon le sénateur Joseph Lieberman, président de la commission, l’évènement prouve donc que l’organisation terroriste constitue toujours une menace pour les Etats-Unis.

 

D’après CNN, l’ambassadeur Stevens lui-même s’était inquiété de voir figurer son nom sur une « liste noire » d’Al-Qaïda. Il aurait aussi averti le gouvernement à de nombreuses reprises sur la montée du risque terroriste dans la région de Benghazi. Plusieurs observateurs ont pointé la responsabilité de la milice salafiste Ansar Al Charia. Ce groupe, qui n’a pas déposé les armes après la chute de Mouammar Kadhafi, contrôle plusieurs positions stratégiques en Cyrénaïque, où elle veut instaurer un état islamique. Ansar Al-Charia nie toute implication dans la mort de Chris Stevens pour éviter une réponse militaire américaine à son encontre. On notera néanmoins que les conditions de l’attaque correspondent à ses techniques habituelles. On rappellera aussi les exhortations à la vengeance lancées aux Libyens par le chef d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, après la mort du terroriste Abu Yahya al-Libi le 4 juin dernier.

 

Intrusion dans la campagne présidentielle

 

Les soupçons sur l’implication d’Al-Qaïda dans l’attentat pourraient devenir une source d’affaiblissement pour la campagne de réélection de Barack Obama, qui a axé une grande partie de son message de politique étrangère sur la mort d’Oussama Ben Laden. Les accusations de faiblesse lancées par son concurrent républicain Mitt Romney après les premières manifestations du Caire ont été rejetées pour leur précipitation et leur maladresse, alors que la mort de Chris Steven n’avait pas encore été annoncée officiellement. À terme, la peur de nouvelles attaques terroristes contre les intérêts américains pourrait cependant remettre en cause la volonté de rapprochement avec le monde musulman manifestée par Barack Obama depuis son élection en 2008.

 

Plusieurs responsables politiques ont déjà demandé l’annulation de l’assistance économique et financière à des pays où se propagent un discours et des actions anti-américaines. Le sénateur Rand Paul, figure de proue du mouvement « Tea Party », a déposé une motion pour bloquer l’aide à la Libye, à l’Egypte et au Pakistan. Il accuse ces pays de poursuivre un « double jeu » et de mettre en danger la sécurité nationale. Cette mesure se heurte au refus de la majorité démocrate au Sénat. Un pourrissement de la situation risque toutefois d’entrainer une radicalisation du discours politique américain et de nouvelles controverses sur la nécessité d’un engagement vis-à-vis du monde musulman, surtout en cas d’une alternance au pouvoir après les élections de novembre.

 

Risque pour les relations entre les États-Unis et le monde musulman

 

L’embrasement provoqué par « Innocence of Muslims » redonné sa place à la politique internationale dans une campagne présidentielle jusque-là concentrée exclusivement sur les problèmes socio-économiques. Aux yeux des républicains, la crise actuelle confirme la nécessité de rebâtir un leadership américain qui aurait été miné par l’administration sortante. Les appels au calme et à la tolérance religieuse de Barack Obama et d’Hillary Clinton diffusés sur les chaines de télévision pakistanaises, sont déjà utilisés aux Etats-Unis pour appuyer les accusations de faiblesse proférées sans cesse par Mitt Romney depuis le début de la campagne.

 

La crise actuelle risque donc de laisser des traces durables dans les relations entre les États-Unis et le monde musulman, déjà minées par les frappes de drones au Pakistan, l’enlisement des négociations de paix au Proche-Orient ou les tensions avec l’Iran. Plusieurs pays musulmans ont en effet jugé excessifs les messages d’alertes émis par le département d’Etat, de même que l’évacuation d’une partie du personnel des ambassades. De la même manière, des frappes ciblées contre des milices salafistes en Libye provoqueraient sans doute de nouvelles vagues de colères, en dépit de l’engagement des autorités libyennes à poursuivre les responsables de l’attentat de Benghazi. Pour autant, le poids symbolique de la mort d’un ambassadeur devrait inciter Barack Obama à faire preuve de la plus grande fermeté pour ne pas tomber dans le piège de la « carterisation » qu’essaye à tout prix de lui tendre Mitt Romney.

 

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