Risque d'une nouvelle guerre pour le Golan



Lundi 12 novembre, un tank israélien a détruit une pièce d’artillerie mobile syrienne en riposte à la chute de plusieurs obus de mortier sur le plateau du Golan, dont l’un à moins de 100 mètres d’un poste militaire. La veille, Tsahal avait tiré des tirs de semonce en direction de la Syrie pour mettre un terme aux attaques visant son territoire. Le 6 novembre, un véhicule israélien avait déjà été atteint par une « balle perdue » en provenance de Syrie. Le communiqué militaire publié suite à ces accrochages rappelle qu’Israël « ne tolèrera aucun autre tir contre son territoire » et que Tsahal « répondra avec fermeté contre toute agression en provenance de la Syrie. » Le texte précise que l’incident « s’inscrit dans le cadre des conflits internes en Syrie », sans indiquer si l’objectif détruit lundi appartenait à la rébellion ou aux forces fidèles à Bachar el-Assad. Aucune réaction syrienne n’a encore permis de confirmer la nature de cette cible.

 

Selon des journalistes présents sur le terrain, les tirs vers Israël ont débuté suite à des bombardements des forces loyalistes contre des positions rebelles dans les villages de Bariqa et de Beer Ajam. Ces villages sont situés dans la zone tampon placée sous contrôle des Nations Unies depuis la signature de la trêve dite « accord de dégagement » en 1974, et Israël a donc déposé une plainte auprès des forces de l’ONU.

 

Dès lundi, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a réaffirmé qu’il ordonnerait  de répondre de manière appropriée à toute violation du territoire israélien. Le ministre de la défense et ancien Premier ministre Ehud Barack a pour sa part indiqué que Tsahal avait reçu pour instruction d’empêcher par tous les moyens le conflit syrien de déborder en Israël. Le conseiller diplomatique informel du Premier ministre, Dore Gold, président du Centre des affaires publiques et de l'État de Jérusalem (CAPE), a enfin décrit la réaction israélienne comme « mesurée », ajoutant que ni la Syrie ni Israël n’avaient intérêt à une escalade militaire.

 

Intérêt stratégique du plateau du Golan

 

Avant de s’interroger sur les conséquences sécuritaires des derniers évènements, il convient de rappeler brièvement les réalités physiques du Golan et les implications stratégiques de son contrôle par Israël depuis la Guerre des Six Jours en 1967. Le plateau du Golan forme le contrefort méridional de la chaîne de l'Anti-Liban. Il s’étend sur une superficie d’environ 1 800 km² et présente une déclivité ascendante de 700 mètres en suivant un axe sud-ouest/nord-est depuis le cours du Jourdain jusqu’au mont Hermon (Djabl a-Sheikh). Cette disposition géographique en surplomb de la vallée du Jourdain et du lac de Tibériade a fait du Golan un enjeu stratégique majeur, tant du point de vue strictement militaire que de celui de l’accès aux ressources aquifères.

 

Pour autant, aucun incident significatif ne s’est produit dans la région depuis la guerre israélo-arabe de 1973 et la mise du territoire sous juridiction israélienne en 1981, annexion de fait jamais reconnue par la Syrie. Même au plus fort des tensions qui ont opposé les deux pays lors de la guerre civile libanaise ou pendant le conflit contre le Hezbollah pendant l’été 2006, la frontière est restée calme. De 1992 à 2008, Israël a manifesté à plusieurs reprises sa disponibilité à négocier les conditions d’une rétrocession qui garantirait sa sécurité et ses approvisionnements en eau. Ces efforts, soutenus par la médiation de la Turquie, n’ont pas abouti en raison de blocages des deux côtés. Ils témoignent pourtant de la volonté israélienne d’assurer la stabilité de sa frontière avec la Syrie à long terme.

 

Dans un contexte régional extrêmement tendu, notamment du fait de la présence du Hezbollah pro-iranien au Nord, un accord de paix aurait servi les intérêts israéliens, fût-ce au prix du renoncement à un atout militaire appréciable. De même, les autorités israéliennes ont fait preuve d’une grande réticence à condamner les exactions des troupes de Bachar el-Assad au début de l’insurrection au printemps 2011. Cette position attentiste découle aussi d’un impératif de stabilité. Israël préfère faire face à un adversaire connu que voir s’installer un pouvoir islamiste à Damas ou se trouver confronté à des milices surarmées aux commandes d’un pays livré à l’anarchie.

 

Nouvelle étape de la stratégie du pire de Bachar el-Assad

 

Au contraire, Damas a tenté d’impliquer Israël dans le conflit dès l’éclatement du premier soulèvement à Deraa en mars 2011. Conscient qu’il combattait pour sa survie dans un environnement géopolitique hostile, Bachar el-Assad essaye d’utiliser la cause palestinienne pour rétablir son image auprès de populations arabes écœurées par l’étendue de la répression. En juin 2011, le régime a ainsi autorisé des milliers de manifestants palestiniens à se masser dans la zone démilitarisée du Golan pour célébrer le jour de la « Naksa ». La commémoration de l’exode des réfugiés palestiniens suite à la guerre israélo-arabe de 1967 s’est soldée par la mort de plusieurs manifestants qui avaient essayé de franchir la ligne de cessez-le-feu malgré des tirs de sommation israéliens. Cette stratégie de régionalisation de la crise a échoué jusqu’à maintenant, pendant que la Syrie a poursuivi inexorablement sa dérive vers la guerre civile.

 

Il est difficile de dire si le pouvoir syrien a délibérément autorisé les tirs de ces derniers jours, où s’ils sont le fait de commandants de terrain déterminés à n’abandonner aucune zone franche aux rebelles. On notera cependant que Damas use d’une stratégie de tension similaire le long de la frontière avec la Turquie. Cette semaine encore, des tirs syriens ont été rapportés dans la province turque de Sanliurfa, provoquant des dégâts matériels et l’évacuation de populations civiles. Rappelons que cinq civils turcs sont morts sous des obus syriens tirés  le 3 octobre contre le village frontière d’Açakale. En représailles, l’artillerie turque a bombardé plusieurs positions militaires de l’autre côté de la frontière. La Turquie continue par ailleurs à accueillir des dizaines de milliers de réfugiés qui s’entassent dans des camps provisoires pour échapper aux bombardements de plus en plus meurtriers des troupes de Bachar el-Assad.

 

Réalité du risque d’escalade

 

Comme l’ESISC la souligné à plusieurs reprises, le risque d’un débordement de la crise syrienne chez ses proches voisins, d’abord le Liban et la Turquie, est réel. Aujourd’hui, les échanges de tir sur les hauteurs du Golan font ressurgir le spectre d’une confrontation armée inédite depuis 1973. En plus de la situation chaque jour plus tendue à Gaza et des menaces d’interventions militaires turques en Syrie, un tel conflit pourrait embraser l’ensemble du Moyen-Orient. Dès le dimanche 11 novembre, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a donc fait part de sa profonde inquiétude face au risque d’escalade et a appelé les deux pays à faire preuve de « retenue » et à respecter la ligne de cessez-le-feu.

 

Dans les prochains jours, la nature de la réaction israélienne à de nouveaux tirs vers le Golan pourrait avoir un impact déterminant sur la suite des évènements en Syrie, où aucun des acteurs en présence ne semble à même de l’emporter malgré les déclarations péremptoires de Bachar el-Assad et le rassemblement de l’opposition sous l’égide du Qatar.

 

À l’approche d’un scrutin capital en Israël le 22 janvier 2013, le gouvernement de Benyamin Netanyahou va certainement s’employer à adresser un message fort à Damas, de même qu’à ses potentiels successeurs de la nouvelle « Coalition syrienne de l'opposition ». Il est toutefois douteux qu’Israël se laisse entraîner dans une escalade par un régime aux abois, au risque de sacrifier durablement la sécurité de ses frontières directes. Les incertitudes qui entourent l’évolution du dossier nucléaire iranien demanderont en effet à l’état hébreu de mobiliser tous ses moyens en cas d’intervention militaire contre l’Iran.

 

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