Syrie: Le discours d'un président acculé



Dimanche 6 janvier, le président syrien Bachar el-Assad s’est exprimé pour la première fois à la télévision depuis plus de sept mois. S’adressant à des partisans réunis à la Maison des Arts et des Cultures de Damas, il a présenté un ersatz de « plan de transition » rejetant toute la responsabilité de la guerre civile sur des « terroristes financés par l’étranger ». Il a sommé les acteurs extérieurs de cesser d’apporter leur aide matérielle à la rébellion et a contesté l’existence d’une opposition réelle, assimilant, sans les citer explicitement, l’ « Armée syrienne libre » et la « Coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution » à des groupes de terroristes, de criminels et de saboteurs. Fidèle à sa position adoptée au début du conflit, Bachar el-Assad a également dénoncé les atteintes à l’unité nationale perpétrées selon lui par les adversaires du régime. Il a enfin réitéré sa détermination à exercer le pouvoir jusqu’au terme de son mandat et à se présenter à sa propre succession en 2014.

 

Consternation de l’opposition et de la communauté internationale

 

Les propositions de Bachar el Assad pour mettre un terme à la crise – organisation d’une conférence nationale, rédaction d’une nouvelle charte nationale, tenue de nouvelles élections législatives, formation d’un gouvernement d’union nationale et promulgation d’une amnistie générale – ont été repoussées sans appel par les principales forces de l’opposition, tant en Syrie qu’à l’étranger. La principale exigence de l’ASL et de la coalition de l’opposition demeure en effet le départ immédiat et inconditionnel de Bachar el-Assad, tenu pour responsable du massacre de près de 80 000 personnes depuis mars 2011. Ce rejet rend impossible toute cohabitation dans la perspective d’une phase de transition négociée et disqualifie par avance toute solution incluant le maintien au pouvoir du maître de Damas.

 

Les réactions des capitales occidentales au discours de Bachar el-Assad ont été particulièrement sévères. La porte-parole du département d’Etat américain, Victoria Nuland, a déclaré que ce plan était complètement détaché des réalités, et qu’il ne témoignait une nouvelle fois que de « la volonté du régime de conserver le pouvoir à n’importe quel prix ». L’union européenne a également rejeté l’initiative, estimant que seul un retrait du président syrien permettrait l’ouverture d’une phase de transition politique. On notera la réaction particulièrement virulente exprimée sur Twitter par le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius : « On savait que Bachar était l’assassin de son peuple, on constate en écoutant son discours lamentable qu’il est en plus sourd et aveugle. »

Situation dramatique sur le terrain

 

Alors que les protagonistes de la guerre civile s’évertuent à proposer des plans de paix irréalistes pour préserver leur image internationale, la population est soumise à des conditions de vie chaque jour plus précaire. Déjà confronté aux combats et à la répression gouvernementale, le peuple syrien doit aujourd’hui faire face aux intempéries qui frappent le Proche-Orient et qui freinent l’acheminement de l’aide humanitaire. Lors de son point de presse quotidien du 8 janvier, le porte-parole du  Secrétaire général des Nations Unies, Martin Nesirky, a déclaré que les agences de l’ONU et leurs partenaires humanitaires étaient confrontés à des obstacles persistants : insécurité, attaques, fermetures de routes, pénuries d'essence, mauvaises conditions climatiques dans les pays voisins et manque d'accès aux zones touchées par le conflit.

 

Le Programme alimentaire mondial (PAM) a estimé pour sa part qu’un million et demi de Syriens bénéficiaient de son aide et qu’au moins un million d’autres n’y avaient pas accès, notamment en raison de l’impossibilité d’utiliser le port de Tartus. Rappelons que le PAM a évacué son personnel des villes de Homs, Alep, Tartus et Quamsily en raison des risques sécuritaires. En parallèle, l’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a fait savoir que plus 100 00 personnes avaient tenté de fuir les combats au mois de décembre, portant le nombre total de réfugiés enregistrés ou en attente de l’être à plus de 600 000.  Cette situation devient de plus en plus difficile à gérer pour le HCR, comme le démontrent les émeutes qui ont éclaté cette semaine en raison de la détérioration des conditions de vie dans des camps situés en Jordanie.

 

Un seul objectif : conserver le pouvoir

 

Le discours de Bachar el-Assad et les réactions de l’opposition et de la communauté internationale témoignent du blocage qui caractérise la crise syrienne. Les propositions émises dimanche dernier ne diffèrent que peu de celles des plans internationaux déposés au fil des mois par Koffi Annan, par le négociateur de l’ONU Lakmhir Brahimi ou même par l’Iran. Le fonds de son discours n’a pas connu de changement significatif depuis son allocution au parlement le 30 mars 2011, son évocation d’un « dialogue national » en juin de la même année ou son annonce d’un référendum constitutionnel en janvier 2012. Cette position, qui souffre d’une absence totale de crédibilité, repose toujours sur la Russie, qui a suggéré l’ouverture d’un dialogue de transition au cours duquel Bachar el-Assad conserverait le pouvoir.

 

Plus que jamais, le nœud de la crise est donc le sort personnel de Bachar el-Assad, dont les préoccupations semblent bien loin de l’enlisement du pays dans la guerre civile ou du sort tragique de la population. La stagnation des opérations militaires et la défection de plusieurs dignitaires du régime ont néanmoins entamé la confiance de ses propres partisans. Compte tenu de ce contexte, on peut considérer que la finalité première de l’allocution de la Maison des Arts et des Cultures était de rassurer après des mois de silence médiatique, et non de proposer des avancées concrètes vers un règlement de la crise. Au-delà des imprécations contre les terroristes et les « agents de l’étranger » et des appels rhétoriques au dialogue, le point central du discours est la résolution du président Assad à gagner du temps et à parier sur l’essoufflement de la rébellion pour se maintenir en place, fût-ce sur un champ de ruine.


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