Le principal suspect dans les tueries de Toulouse et Montauban est donc un jeune Français musulman se réclamant du « salafisme » et proclamant avoir agi « au nom d’al-Qaïda ».
La piste fumeuse du réseau néo-nazi un temps agitée par les médias et le début des manipulations dues à la campagne pour les élections présidentielle sont donc à ranger au placard et l’on en revient aux fondamentaux : oui, bien entendu, la France est une cible « légitime » pour le « djihad global » (tendance al-Qaïda, donc sunnite et salafiste) et non, ce dernier, malgré ce que l’on nous annonce régulièrement, n’est pas terminé.
Reste que le modus operandi du terroriste de Toulouse est des plus inquiétants puisque l’on se retrouve confronté à une sorte « d’infra-terrorisme » ne mettant pas en cause une ou des cellules organisées et liées à une structure internationale mais bien un ou quelques individu(s) isolés agissant de leur propre chef (même s’ils ont, sans doute, été formés pour cela). Les seconds sont bien évidemment beaucoup plus difficiles à repérer que les premières.
Dans les heures et les jours qui viennent, on en saura évidemment plus sur le suspect et son entourage et, sans doute, sur les soutiens éventuels dont il a pu bénéficier, mais tentons une première analyse.
1) Le suspect
Le suspect se nommerait Mohammed Merah. Il est âgé de 24 ans, et est Français (d’origine algérienne).
Il semble s’être éloigné de sa famille, à tel point que sa mère, amenée ce mercredi matin sur les lieux où la police avait cerné son fils, a refusé de participer aux négociations pour sa reddition, affirmant « ne plus avoir d’influence sur lui ». Cette rupture avec la sphère familiale est caractéristique du fonctionnement des milieux djihadistes (comme d’ailleurs de celui des sectes) : un individu isolé de ses proches est, par définition, plus facile à manipuler, le groupe auquel il se rattache devenant sa seule référence.
Dans le cas de Merah, cet isolement n’est, toutefois, peut-être pas total. Deux de ses frères ont été arrêtés. L’ordinateur de l’un d’eux aurait été utilisé pour attirer la première victime dans un piège, le 11 mars dernier. Reste à savoir si cet emploi s’est fait avec sa complicité ou à son insu.
Merah aurait effectué au moins deux séjours au Pakistan, en 2010 et 2011. Il aurait été interpellé et brièvement détenu dans la région de Kandahar par les forces de sécurité afghanes lors d’un de ces voyages. C’est à ce moment que son nom aurait été transmis aux services de sécurité français (plus précisément à la DCRI, Direction Centrale du Renseignement Intérieur, en charge du contre espionnage et de la lutte contre le terrorisme à l’intérieur des frontières).
2) Le modus operandi
Le Modus Operandi (MO) du tueur est révélateur.
L’enquête dira s’il a agi seul ou avec des complices (ses frères ou d’autres), mais les témoins affirment n’avoir vu qu’un seul tireur sur les lieux de chaque attaque, ce qui semble indiquer que des complices éventuels étaient réduits à un rôle purement logistique.
L’utilisation d’armes de poing, l’efficacité et la froideur extrême dont le tueur a fait preuve (allant jusqu’à poursuivre ses victimes pour les achever, que ce soit à Montauban ou à l’école juive de Toulouse) pourrait indiquer qu’il a été entraîné et « formaté » pour son action, si c’est le cas, probablement à l’occasion d’un séjour au Pakistan ou en Afghanistan.
De même, l’itinéraire de dégagement qu’il a emprunté après l’assassinat des parachutistes du 17ème RGP, à Montauban, indique que l’affaire avait été soigneusement planifiée et que des repérages avaient eu lieu : Merah a fui par de petites rues dans lesquelles son scooter Yamaha T-Max 530 se faufilait sans problème mais où des véhicules auraient eu les plus grandes difficultés à le suivre.
3) Une « première » pour la France… ?
L’attaque de l’école juive de Toulouse est le premier attentat antisémite en France depuis le massacre de la rue des Rosiers, à Paris, en 1982.
L’ensemble des trois attaques attribuées à Merah constituent la première opération djiahdiste réussie en France depuis la campagne d’attentats de 1994-1996 perpétrée par le GIA (Groupe Islamiste Armé algérien) ou des éléments locaux qui en étaient sympathisants (dont le lyonnais Khaled Kelkal[1] ).
Non pas que les milieux liés à al-Qaïda n’aient pas tenté de frapper la France depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Depuis le complot contre la Coupe du Monde de Football en 1998, jusqu’à ces derniers jours, on ne compte plus le nombre de réseaux logistiques ou opérationnels démantelés en France ou à l’étranger et qui visaient spécifiquement l’hexagone.
4) Une « nouvelle » menace
Mais ce qui semble nouveau (pour la France) dans l’affaire de Toulouse, c’est que l’on n’a pas affaire à une cellule terroriste mais à un individu isolé ou presque isolé.
Mohammed Merah, pour ce que l’on en sait à ce jour, correspond au profil du « loup solitaire » (Lone wolf) : un terroriste ayant pu bénéficier d’une formation et avoir été « orienté » vers certaines cibles mais qui agit seul, est maître de son calendrier, du choix de ses objectifs et de celui de son MO.
Nouveau en France, ce profil ne l’est pas aux Etats-Unis où plusieurs affaires récentes ont impliqué des « Lone Wolf ». On se rappellera entre autres du Major Nidal Malik Hassan qui tua 13 militaires et en blessa 29 autres à Fort Hood (Texas), le 5 novembre 2009 et de l’attentat manqué de Times Square (New York), perpétré par Faisal Shahzad le 1er mai 2010.
Cette menace, extrêmement difficile à contrer, est un véritable cauchemar pour les services de sécurité, de police et de renseignement.
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[1] Kelkal était impliqué dans l’assassinat de l’imam modéré Sahraoui, le 11 juillet 1995, dans une fusillade contre des gendarmes à Bron, le 15 juillet , dans l’attenta du RER Saint Michel (8 morts et 117 blessés) le 25 juillet, dans celui de la place de l’Etoile, le 17 août (17 blessés) et dans un attentat raté contre le TGV Paris Lyon, le 26 août, dans un deuxième attentat raté à Paris, le 3 septembre (4 blessés) et dans une attaque contre une école juive à Lyon le 7 septembre 1995 (14 blessés). Il était abattu le 29 septembre suivant à Vaugneray (Rhône) par des fonctionnaires de l’Escadron Parachutiste d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (EPIGN).