Une guerre d'influence contre l'Etat Islamique pousse AQMI et ses diverses ramifications à se redeployer vers le sud du Sahel



Là où l’Etat Islamique (EI) domine au Moyen-Orient, Al-Qaïda est à son avantage en Afrique. Toutefois, la position d’Al-Qaïda a récemment été de plus en plus menacée par l’EI qui tente d’accroitre son influence sur le continent africain. Ces trois dernières années, on observe une certaine croissance des cellules liées à l’Etat islamique notamment en Somalie, en Libye, au Nigeria, ainsi qu’en Tanzanie.

                                                                                                                                   

La branche d’Al-Qaïda connue sous le nom d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), opérant initialement dans le nord de l’Algérie et au Mali, a démontré depuis fin 2015 sa volonté d’entrer dans une lutte d’influence avec l’EI en redéployant ses activités vers l’Afrique de l’Ouest, au travers d’attentats hautement médiatisés. Le 20 novembre 2015, plus de 20 personnes ont trouvé la mort après que deux assaillants d’AQMI aient ouvert le feu sur les clients du Radisson Blu, un hôtel de luxe situé à Bamako, la capitale du Mali. Deux mois plus tard, le 15 janvier 2016, AQMI et des groupes affiliés ont attaqué l’hôtel Splendid et le bar-restaurant Cappuccino à Ouagadougou, au Burkina Faso, faisant plus de 29 morts. Le 13 mars 2016, ces mêmes organisations terroristes ont tué 18 personnes sur la plage de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire. Suivant ces attaques, des opérations anti-terroristes locales ont débouché sur l’arrestation de plusieurs chefs terroristes au Mali et en Côte d’Ivoire. Malgré ces avancées notables pour les forces de l’ordre, les arrestations n’empêcheront en aucun cas une expansion d’AQMI dans la région.

 

Il est important de souligner qu’en parallèle de la série d’attentats, les groupes affiliés à AQMI ont continué de commettre des actes que l’on peut qualifier de « traditionnels » en Algérie, au Mali et en Tunisie, tels les kidnappings, embuscades de convois et attaques de bases militaires. En effet, le jour même de l’attentat au Burkina Faso, Ansar Dine et l’Emirat du Sahara, deux groupes proches d’AQMI, ont mené deux autres attaques pendant lesquels un agent de sécurité et un civil ont été tués près de la ville de Tin Akoff, à la frontière avec le Mali. Ce même 15 Janvier 2016, un couple d’Australiens a par ailleurs été enlevé par Al-Mourabitoun près de la ville de Djibo, dans le nord du Burkina Faso, près de la frontière malienne.

 

Les trois attentats perpétrés dans les hôtels traduisent un changement majeur de modus operandi du groupe terroriste. Chaque attaque visait des établissements de luxe fréquentés par une clientèle internationale et plus particulièrement occidentale, présente en Afrique de l’Ouest. La majorité des victimes se composait donc d’hommes et de femmes d’affaires, de familles en vacances et d’expatriés originaires de pays tels le Mali, la Russie, le Sénégal, la Belgique, la France, la Chine et les Etats Unis, pour n’en citer que quelques-uns.

 

Cette série d’attentats souligne clairement un redéploiement d’AQMI vers des régions jusqu’alors épargnées par le terrorisme, marquant ainsi une expansion inattendue de leur zone d’opération. En effet, ces attentats sont une première et notamment celui de Grand Bassam puisque jamais auparavant, AQMI n’avait lancé d’offensive en Côte d’Ivoire.

 

Par ailleurs, l’implication dans ces attaques de plusieurs groupes affiliés ou proches d’AQMI souligne également un reploiement, sinon une expansion du groupe. Ceci notamment dans la mesure où plusieurs groupes qui étaient soit détachés d’AQMI ou avec qui il n’avait encore jamais collaboré, ont coordonné les attaques et/ou y ont participé. Al-Mourabitoune, un des groupes terroristes les plus actifs au Sahel et, à l’origine, une faction dissidente d’AQMI, était impliqué dans chacune de ces opérations meurtrières. Le groupe terroriste dirigé par Mokhtar Belmokthar (alias Mr. Marlboro) est issu de la fusion du MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) et des Signataires par le sang (groupe dont est issu Belmokthar). La fusion du groupe avec AQMI, annoncée dans un message audio, le 3 décembre 2015, a radicalement renforcé ses capacités opérationnelles tout en prenant part à une tendance qui semble clairement destinée à contrer l’influence de l’EI dans la région. Le Front de Libération du Macina (FLM), groupe peul avec des ambitions locales au Mali et maintenant connu sous le nom de « Ansardin Katiba du Macina », a également revendiqué l’embuscade du Radisson Blu. Alors que le groupe terroriste n’est vraisemblablement composé que d’une centaine de combattants, cette fusion semble élargir la zone d’opération d’AQMI. En effet, le porte-parole de l’Emirat du Sahara a déclaré dans une interview de janvier 2016 que grâce aux « frères noirs », AQMI n’avait plus besoin « d’envoyer ses combattant au sud », faisant très probablement référence aux combattants d’Ansardin Katiba du Macina. Néanmoins, ces liens restent flous dans la mesure où dans une vidéo diffusée par Katiba Macina le 17 mai 2016, on peut observer le groupe officialisant son affiliation à Ansar Dine. Il est à noter qu’Ansar Dine n’est pas véritablement affilié à AQIM - leurs buts étant différents - même s’il est déjà arrivé qu’ils commettent des attaques conjointement.

 

Les nombreuses arrestations de terroristes liés à AQMI au fil des derniers mois démontrent également la présence accrue de l’organisation terroriste dans l’Ouest africain. Le 21 mars, quatre membres ont été arrêtés à Abidjan, en Côte d’Ivoire pour leur implication dans l’attaque de Grand-Bassam, une semaine auparavant. Plus tard dans le mois, Souleymane Keïta, membre d’Ansar Dine, recherché pour son implication dans l’attentat, a été arrêté à Goundam, situé dans la région de Tombouctou, au centre du Mali. Suivant son arrestation, des rapports ont affirmé que Souleymane Keïta était non seulement impliqué dans l’attaque de Grand-Bassam, mais qu’il était également le chef d’une branche d’Ansar Dine dans le sud du Mali,plus connue sous le nom d’ « Ansar Dine Sud ». Cet homme très activement recherché au Mali commandait une brigade d’environ 200 hommes et dirigeait un camp d’entrainement à Sikasso, dans le sud du Mali. Il faut souligner qu’Ansar Dine Sud diffère d’Ansardin Katiba du Macina. Ceci laisse donc à supposer qu’AQIM pourrait désormais compter sur deux bataillons opérant dans le sud. Par ailleurs, le 21 avril, Fawaz Ould Almeida, le chef des opérations d’Al-Mourabitoun a été arrêté à Bamako par les forces de sécurités maliennes. Au moment de son arrestation, ce Mauritanien était en possession d’un important lot d’explosifs et d’armes de guerre et s’apprêtait à commettre de nouveaux attentats contre des étrangers. La présence des chefs djihadistes dans ces zones indique le maintien des cellules terroristes dans le Sud-Ouest africain par ces groups affiliés à AQMI. Quoiqu’il en soit, il est peu probable que l’arrestation de ces quelques chefs empêche AQMI d’élargir son influence dans la région.

 

Ainsi, l’expansion d’AQMI vers le sud a des implications majeures sur la sécurité du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest toute entière. Un renforcement des mesures de sécurité, principalement dans les pays participant activement aux opérations anti-terroristes dirigées par la France, révèle une inquiétude croissante. Le Sénégal, membre de l’Union Africaine, en est un exemple. Le 2 février, le gouvernement sénégalais a créé une nouvelle cellule de coordination d’opérations anti-terroristes, et depuis l’attentat à l’hôtel Radisson Blu, en novembre 2015, le nombre d’arrestations liées au terrorisme a augmenté. Malgré ces précautions, les services de renseignement américains mettent en garde Dakar, qui selon eux serait la prochaine cible des terroristes. Le Ghana, également dans le viseur des terroristes, a renforcé les patrouilles aux frontières avec le Burkina Faso. Dans une note secrète du service de renseignement ayant fait l’objet d’une fuite, le Secrétariat du Conseil de sécurité nationale a également cité le Togo comme prochaine cible potentielle des terroristes. Après l’attaque de Grand-Bassam, les hôtels en Guinée-Bissau ont renforcé leurs mesures de sécurité, avec des dizaines de policiers et de gardes patrouillant sans cesse. Dans la capitale, les clients et les véhicules sont régulièrement contrôlés.

                                                                                                                          

Les attentats perpétrés par AQMI à Bamako le 20 novembre 2015, à Ouagadougou le 15 janvier 2016 et à Grand-Bassam le 13 mars 2016 et l’expansion des diverses ramifications d’AQIM révèlent une certaine volonté de rivaliser avec l’Etat Islamique en commettant des attentats à fort retentissement dans une zone d’opération élargie. Ces attaques ont eu pour cible des civils, pour la plupart occidentaux, et ont menacé les intérêts économiques étrangers, attirant ainsi l’attention des media internationaux. Les zones touchées, jusqu’alors épargnées par AQMI et par le terrorisme en général, indiquent qu’Al-Qaïda redéploye ses activités dans l’Afrique de l’Ouest. Il est désormais légitime de s’attendre à ce qu’AQMI continue son expansion dans la région en conservant les étrangers comme principales cibles.

 

FIN            

                                                                                                               

Copyright© ESISC 2016


© 2012 ESISC - European Strategic Intelligence and Security Center Powered by Advensys