Etat Islamique : « les psychopathes parlent aux psychopathes »



 

Durant la Seconde Guerre Mondiale, la BBC diffusait chaque soir une émission destinée à la France occupée et qui commençait par une formule célèbre : « Ici Londres, Les Français parlent aux Français ! ». Eh bien l’Etat Islamique a innové, ce lundi 22 septembre en diffusant un message de menaces à l’égard de la France (et, plus généralement de l’Occident) qui pourrait s’intituler « Ici Raqqa, les psychopathes parlent aux psychopathes ».

 

Dans une littérature terroriste ou djihadiste déjà passablement indigeste, un nouveau palier a en effet été franchi par cet appel à frapper les Américains, Européens, Australiens ou Canadiens (et tout particulièrement « les méchants et sales français ») : « Si vous ne pouvez pas trouver d’engin explosif ou de munition, alors isolez l’Américain infidèle, le Français infidèle ou n’importe lequel de ses alliés. Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec votre voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le ».

 

Cette « fatwa » pour décérébrés amateurs de jeux vidéos sanglants appelle plusieurs commentaires :

 

  • D’abord, elle souligne que l’Etat Islamique (E.I.) s’inscrit dans la droite ligne (mais en franchissant encore quelques degrés dans la violence) de l’évolution d’al-Qaïda (A.Q.) qui, ces dernières années, privilégiait les attentats individuels faute de pouvoir organiser un attentat de masse comme celui du 11 septembre ou même ceux de Londres ou de Madrid. On se rappellera que le numéro deux du magazine « Inspire » publié en anglais par al-Qaïda dans la Péninsule arabique contenait un article intitulé : « Comment fabriquer une bombe dans la cuisine de ta mère »… Qu’ils appartiennent à A.Q. ou à l’E.I., les djihadistes ont pris pleinement conscience de la montée en puissance du renseignement et de l’excellence de la coopération entretenue entre le renseignement occidental et celui de nombreux Etats musulmans (à commencer, mais pas uniquement par l’Arabie saoudite et la Jordanie), montée en puissance qui rend extrêmement difficile l’organisation d’attentats très élaborés faisant appel à de trop nombreux complices. Place donc aux attentats individuels, une « dérive » que j’avais démontrée et expliquée dès l’année dernière dans mon dernier livre[1]

 

  • Ensuite, ce message souligne, si besoin était que l’EI entend combler le vide laissé depuis des années par al-Qaïda qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut à la fin des années quatre-vingt-dix. C’est cela entre autres qui explique son succès mais aussi la réorientation de sa stratégie et la guerre désormais menée contre « l’ennemi lointain » (qui était au centre de la réflexion et de la praxis d’al-Qaïda) et non plus seulement contre les gouvernements locaux.

 

  • Troisièmement, on ne peut que constater que l’on est ici au degré zéro de la pensée politique. On est loin des discours complexes, nourris de versets coraniques et de réflexions théologiques répondant à une stratégie bien pensée (toutes choses qui ne justifient évidement en rien le fond du discours) auquel nous avait habitué al-Qaïda. L’Etat Islamique vise en dessous de la ceinture et s’adresse à des marginaux, de vrais violents, des hommes (et quelques femmes) jeunes et bien davantage attirés par la violence brute et sauvage que par l’exégèse des textes sacrés appliquée au Califat.

 

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les départs vers la Syrie, qui avaient diminué depuis un an, ont repris de plus belle depuis l’entrée de l’EI en Irak et la proclamation du « Califat » : les massacres de chiites, de chrétiens et de Yazidis, les enlèvements massifs de femmes violées puis vendues comme esclaves sexuelles aux « combattants », les égorgements d’otages ne semblent pas rebuter ces volontaires mais, bien au contraire, les attirer.

 

On en trouve la confirmation en consultant les messages visibles par tous sur les réseaux sociaux : photos d’assassinats, vidéos de cadavres trainés derrière des pick-ups flambants neufs, discussions entre volontaires sur le prix et les qualités des esclaves vendues à Raqqa pour le repos du guerrier,  films de soirées barbecues autour des piscines de magnifiques villas volées à leurs propriétaires (probablement massacrés) : de quoi attirer les petits voyous, anciens toxicomanes, individus mal dans leur peau et autres frustrés qui sont l’une des cibles du recrutement de l’E.I. L’Etat Islamique, c’est le djihad version « Orange mécanique ».

 

Quand on sait que cette organisation a attiré dans ces rangs entre 2500 (évaluation conservatrice) et 4000 volontaires venus d’Occident, qu’elle est dix à quinze fois plus riche que ne le  fut jamais al-Qaïda au temps de sa splendeur et qu’elle occupe un tiers de la Syrie et pas loin de la moitié de l’Irak et commence à regarder du côté du Caucase et des pays du Golfe, on comprend que la guerre – car cette fois plus personne ne peut dire que ce n’en est pas une…- sera longue et douloureuse. Et que la victoire ne pourra être proclamée que si l’Etat Islamique est anéanti et ses membres physiquement éliminés. Le plus rapidement possible.



[1] Néo-Djihadistes, Editions Jourdan, Paris 2013.


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