7 Janvier : Le « 11 septembre » français



La France a désormais son « 11 septembre ». La tuerie absurde perpétrée le mercredi 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo a profondément marqué la société française, et, au-delà, le monde entier.

Les rassemblements spontanés de dizaines de milliers de personnes à Paris, dans plusieurs grandes villes et dans de très nombreuses cités étrangères, mais aussi la floraison des « Je suis Charlie », le « Vive la France » de Barack Obama et tant de réactions horrifiées de millions de personnes – connues ou anonymes – à travers le monde en témoignent.

Bien entendu, l’ampleur purement mathématique de ces deux crimes abjects n’a rien de commun : plus de trois mille morts à New York, à Washington et en Pennsylvanie et douze[1] à Paris. Mais l’arithmétique mortuaire – outre qu’elle est sinistre, absurde et souvent cynique – n’a aucun sens : chaque mort dans un attentat est un mort de trop, un mort inacceptable, un mort qui appauvrit un peu plus notre humanité. Et bien entendu, il y a les blessés, qu’on oublie trop souvent. Ceux là devront vivre, jusqu’à leur dernier souffle avec ce tourbillon de questions : « Pourquoi moi ? »,  « Que ce serait-il passé si… ? », « Au nom de quoi ? » Sans compter bien entendu les séquelles physiques parfois épouvantables de l’horreur.

Comme les proches de ceux qui sont partis, les blessés sont condamnés à perpétuité. Une perpétuité plus réelle que celle qu’infligent non tribunaux.

Non la question n’est pas dans les chiffres. Elle est, évidemment, dans le symbole. Le 11 septembre, c’est la société dans son ensemble qui a été visée : trois mille innocents au travail ou en voyage, trois mille personnes « normales » rayées du registre des vivants. Comme à Londres, comme à Madrid, Comme à Montauban, comme à Toulouse,   comme dans ces milliers de lieux où dans ce qu’il est convenu d’appeler « le monde musulman » le terrorisme a tué, depuis plusieurs décennies, des centaines de milliers de personnes.

Quand ils s’attaquent aux chiites, les salafistes veulent  tuer la liberté de conscience et de croyance. Quand ils tuent des madrilènes à la veille des élections législatives, ils s’en prennent à la démocratie. Quand ils massacrent 12 personnes au siège d’un journal   ils attaquent l’une des choses qui est la plus précieuse à nos sociétés, la liberté de la presse, la liberté de penser. Y compris dans l’outrance, y compris dans la dérision, y compris dans le blasphème.

Le blasphème…

Répétons-le car, après tout, nous sommes tous les fils et les filles de Voltaire et de Beaumarchais  (et de tant d’autres) : la liberté de religion, c’est la liberté d’en avoir une ou pas, de la pratiquer comme bon nous semble, d’y renoncer ou d’en changer mais aussi de blasphémer. Chacun des cinq droits que je viens d’énoncer est une hérésie aux yeux des imbéciles sanguinaires qui ont perpétré le massacre du 7 janvier, de ceux qui les ont armé et guidés vers leur cible et de ceux qui, aujourd’hui, les félicitent sur la « toile ».

Oui, j’ai bien écrit « imbéciles ». Et c’est là sans doute le plus triste. Des hommes et des femmes intelligents, des dessinateurs dont le métier est de se creuser la tête, chaque jour, chaque semaine pour trouver dans une actualité souvent triste, sinon tragique, « l’angle » qui fera rire, qui apportera un instant fugace de bonheur et de satisfaction, ces hommes là ont été tués par des imbéciles qui n’ont d’autre talent que celui, très limité, de se servir d’une arme. 

Des imbéciles qui pensent avoir « vengé l’honneur de leur prophète » et avoir agi au nom de Dieu. Les vrais blasphémateurs, ce sont ces tueurs. Ils salissent leur religion qui mérite autant de respect (ou d’irrespect) que toute autre. Ils crachent à la figure des millions de musulmans qui se sentent aujourd’hui souillés par  cet acte barbare (et, du reste, ils en ont tué deux…) commis en leur nom.

Tout le reste n’est que verbiage. La religion ? Le califat ? La sharia ? La « libération des musulmans opprimés » ? Autant de mots creux qui ne servent qu’à masquer la sidérante, épouvantable et effrayante imbécilité de ceux que ces concepts amènent à tuer. 

De pauvres imbéciles oui, incapables de comprendre le monde qui les entourent et d’y trouver leur place et qui cherchent donc à le détruire.

Il y a peu de choses plus tristes que de voir l’intelligence succomber devant l’imbécilité. Mais au moins, nous pouvons nous consoler car nous savons que c’est l’intelligence qui nous a permis de sortir des cavernes où vivaient nos ancêtres et qui a fait progresser nos sociétés. Et, à la fin, dans le combat entre l’imbécilité et l’intelligence, c’est toujours l’intelligence qui gagne…

Reste que douze de nos semblables sont morts. Pleurons-les, comme nous devrions pleurer chaque victime de la terreur.

 

END.

 

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[1] Stéphane Charbonnier, dit « Charb », Jean Cabut, dit « Cabu », Georges Wolinski, Bernard Verlhac dit « Tignous », Philippe Honoré dit « Honoré » tous les cinq dessinateurs ; Bernard Maris, dit « Oncle Bernard » et Michel Renaud, journalistes, Franck Brinsolaro et Ahmed Merabet, policiers, Mustapha Ourrad, correcteur, Frédéric Boisseau, agent d’entretien, Elsa Cayat psychanalyste.  

 

 


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