Al-Zarkaoui ou la fin d'un symbole



 

 

Il est encore trop tôt pour prévoir ce que seront les conséquences à moyen terme de la mort d’Abou Moussab al-Zarkaoui pour la djihad irakienne et, au-delà, pour la mouvance islamiste internationaliste. Quant aux conséquences à long terme, dans un monde aussi volatile que celui dans lequel nous évoluons depuis près de cinq ans, elles sont tout simplement imprévisibles. A chaud, toutefois, certains constats peuvent d’ores et déjà être dressés. 

Le premier de ces constats est une évidence : les forces américaines en Irak ont acquis des capacités de renseignement – c'est-à-dire des capacités de recrutement et de manipulation des sources et d’exploitation de l’information recueillie dont elles semblaient manquer jusqu’à présent. Cela fait maintenant trois ans que al-Zarkaoui narguait la coalition internationale et les autorités légales irakiennes. A plusieurs reprises, il avait échappé (parfois de fort peu) à la capture ou à la mort. Mais le renseignement américain a, finalement, été capable de localiser « le terroriste irakien numéro un ». Ensuite, la machine militaire s’est mise en marche avec l’efficacité qu’on lui connaît quand elle est au meilleur d’elle-même : l’information a été vérifiée, une frappe a été décidée et exécutée dans des délais très brefs et elle a été couronnée de succès. Si d’autres réussites du même type devaient être enregistrées dans les semaines à venir, cela pourrait signifier que la coalition internationale est en train de reprendre la main et la scène terroriste irakienne pourrait en être sérieusement perturbée.

Le deuxième constat est d’ordre psychologique : chacun des dirigeants de la mouvance Al-Qaïda sait désormais qu’il vit sur le fil du rasoir. Et c’est important. Contrairement à la légende glorieuse que tentent de nous faire accepter la propagande djihadiste, les chefs terroristes, en règle générale, s’exposent peu. Ils ne combattent pas et participent rarement à des opérations de terrain. On peut passer sa vie à envoyer ses coreligionnaires mourir en martyr sans avoir envie de payer soi-même ce prix pour « la cause ». Au cas où ils l’auraient ignoré, Ben Laden, al-Zawahiri et les autres ont maintenant compris que cet éloignement du terrain  ne les protégeait plus. Ils sont en première ligne et leur tour viendra. Ce facteur de risque va probablement pousser ces dirigeants à prendre encore plus de mesures de sécurité et, donc, à s’isoler un peu plus. Les procédures de communication des chefs terroristes vont s’en trouver rallongées et compliquées, ce qui obèrera d’autant leurs possibilités opérationnelles.

Troisième constat, et celui-ci aussi est de nature à inquiéter ces chefs terroristes, les « taupes » et autres traîtres se recrutent bel et bien dans le premier cercle de leurs conseillers et gardes du corps. Seul un proche de Zarkaoui était en position de fournir « le » renseignement qui a amené à sa perte. Que ce soit par appât du gain, par envie de survivre ou pour d’autres raisons, celui qui a « vendu » Zarkaoui a instillé un poison mortel dans les veines de la mouvance : celui de la suspicion. Une suspicion que les conditions de la clandestinité pourraient rapidement transformer en véritable paranoïa. Quatrième constat : même si, en définitive, la mort de Zarkaoui a peu d’impact réel sur les opérations terroristes, elle a une valeur symbolique énorme.  La surmédiatisation du chef d’Al-Qaïda en Irak en avait fait l’icône de « l’insurrection » irakienne et, chez les sympathisants de la djihad, al-Zarkaoui avait dépassé en réputation Oussama Ben Laden lui-même. Sa mort est donc un coup très dur pour la propagande djihadiste. Du point de vue purement opérationnel, cette mort pourrait également avoir des conséquences : Zarkaoui insufflait son énergie à son organisation et était, entre autres, le maître d’œuvre et l’idéologue des sanglants attentats dirigés contre la communauté chiite d’Irak. Qui sera assez fort et assez charismatique pour prendre sa relève ? Il sera intéressant, enfin, de voir qui prendra la relève au plan symbolique ? Un Irakien à nouveau ? Oussama Ben Laden lui-même ? Ou alors un djihadiste « venu d’ailleurs » ? Pourquoi pas de Somalie, par exemple ? La prochaine figure de proue mise en avant par la propagande terroriste pourrait nous en apprendre beaucoup sur l’évolution de la mouvance djihadiste comme sur le terrain où elle entend faire porter son effort principal dans les mois à venir. En Irak, en tout cas, même si la guerre est loin d’être terminée, c’est une victoire importante qui a été remportée. Et c’est, depuis longtemps, la première bonne nouvelle qui nous parvient de Bagdad…


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