Après Joe Van Holsbeeck, combien de morts faudra-t-il encore ?



 

 

Cette société est malade. Est-il encore nécessaire de le souligner ?

Une société dans laquelle un jeune homme de 17 ans peut être frappé de cinq coups de couteaux en plein milieu d’un après-midi de printemps, dans un lieu très fréquenté, et en mourir, parce qu’il résiste au voyou qui veut lui voler son baladeur est une société malade. Comme est malade la société dans laquelle un jeune homme de 23 ans peut être torturé à mort – parce qu’il est juif et donc « riche » -, des semaines durant, dans une cave de banlieue au vu et au su de dizaines de personnes. Comme est malade, bien entendu, la société dans laquelle un père famille d’origine algérienne de 42 ans peut être abattu de plusieurs balles à l’entrée d’un bar par un individu qui hurle « Barrez-vous, enculés d’Arabes ! »[1].

Aux yeux d’une majorité d’enseignants, de policiers de terrain ou de nombre de magistrats, le mal était visible depuis des années déjà. Mais il était cantonné dans des espaces clos ou réduits : l’école, les stades de football, les « quartiers difficiles ». Puis, peu à peu, ce qu’il est convenu d’appeler la « petite délinquance » (quel mépris pour le peuple que de qualifier d’acte de « petite délinquance » l’arrachage, par exemple, du sac à main dans lequel une dame âgée transporte sa maigre retraite…) a envahi nos rues.  Insultes, vols à l’arraché, agressions sont devenus monnaie courante. Mais les politiques ont préféré fermer les yeux et continuent à se rengorger, d’année en année, de statistiques auxquelles on fait dire, en manipulant critères et catégories, que la délinquance baisse. Une cécité volontaire qui a empêché de prendre le problème à bras le corps et, à ce jour, n’a profité qu’à l’extrême droite qui progresse partout en Europe. L’hyper violence qui se développe et envahit notre société, faute d’être combattue avec énergie, nourrit, évidemment, cette montée aux extrêmes.

On sait que dans certaines écoles belges, il est virtuellement impossible d’enseigner. On sait que dans des écoles françaises, il est devenu nécessaire d’installer des permanences de police à demeure. On sait que certains quartiers, certaines rues ne sont plus fréquentables sans danger une fois la nuit tombée. Mais « tout va bien ». Tellement bien,  même, que le Procureur d’un arrondissement judiciaire flamand publie la liste des délits que son office ne poursuivra plus automatiquement. Tellement bien que la plupart des petits délinquants (quand ils sont interpellés) quittent le commissariat de police alors que leurs victimes n’ont pas encore fini de déposer. Tellement bien que l’on ne parle plus, dans les écoles, de délinquance mais d’incivilité pour qualifier les insultes, les menaces ou le racket. Tellement bien qu’un… gamin de 17 ans meurt en plein centre de Bruxelles pour un lecteur MP3.

Si les chiffres ont un sens, les 80 000 à 100 000 personnes qui ont défilé dignement, dimanche 23 avril, à Bruxelles, pour rendre un dernier hommage à Joe Van Holsbeeck, devraient être écoutées. Qu’on y réfléchisse : 100 000 personnes dans la rue, à Bruxelles, c’est comme si 600 000 Français avaient manifesté à Paris ou près de trois millions d’Américains avaient défilé à New York. Pas de banderoles, ni de drapeaux, ni de slogans dans cette marche, seulement la tristesse et la dignité d’un peuple qui dit, calmement : « Ca suffit ! ». Un peuple qui ne réclame, en définitive, qu’une chose très simple : que chacun puisse, à toute heure – quel que soit son âge, la couleur de sa peau ou son sexe - circuler dans nos villes sans avoir à craindre l’agression, le viol ou la mort.

Il y aura beaucoup à faire pour parvenir à réaliser ce modeste idéal : éduquer les familles et rétablir la norme dans les écoles. Mais aussi, malheureusement, et quoi qu’en pensent les belles âmes droits-de-l’hommistes,  durcir la réponse policière et judiciaire à la délinquance, punir (raisonnablement, bien entendu), dès la première et la plus banale des infractions. Et, certainement, diminuer l’âge de la responsabilité pénale et revoir l’échelle et l’application des peines. Qu’on ne s’y trompe pas, en l’état actuel des choses, le tueur de Joe– s’il est arrêté et condamné – ne passera pas plus de dix ans en prison. C’est cette impunité de fait qu’il faut briser.

Nos politiques ont-ils compris le message des 100 000 marcheurs de ce dimanche ? On peut l’espérer, mais le passé nous autorise malheureusement à en douter. Trop souvent en matière de sécurité publique, nos dirigeants font preuve d’une médiocrité qui offre un saisissant contraste avec la dignité et la calme résolution des marcheurs de ce dimanche.  Passé le moment d’indignation, on risque de revenir bien vite à la gestion des affaires courantes. Mais qu’on se méfie, un jour, la société pourrait bien se lasser de tolérer l’intolérable.

Et nous rappeler qu’en dernière analyse, en démocratie, c’est le peuple qui décide, au risque de se tromper. Mais à qui la faute ?  


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