Bernard Borrel : la vérité, douze ans après !



 

 

Parfois, la justice se hâte lentement. Dans l’affaire Borrel, elle a mis douze ans à commencer à reconnaître une vérité qui aurait pu l’être depuis les premiers jours de l’enquête. Seuls l’acharnement d’une veuve à obtenir justice, Madame Elisabeth Borrel, l’honnêteté d’un homme seul, un ancien officier qui a tout perdu, Monsieur Mohamed Saleh Aloumekani, et l’instruction sans concession d’une juge, Mme Sophie Clément, ont fait sortir la vérité de l’ornière.

Le 19 octobre 1995, à Djibouti, était retrouvé au pied d’une falaise le corps carbonisé de Bernard Borrel, magistrat français détaché à Djibouti. Après avoir été procureur de la République de Lisieux, monsieur Borrel, âgé de 39 ans, avait été nommé conseiller technique du ministre de la Justice, chargé, entre autres,  de l’aider à éclaircir les causes d’un attentat qui avait frappé des Français, à Djibouti, en pleine guerre du Golfe.

Dès les premières heures ayant suivi la découverte du corps, avant même que celui-ci soit déplacé et qu’une autopsie eut été pratiquée, l’ambassade de France à Djibouti avisait le quai d’Orsay que le magistrat s’était suicidé en s’immolant par le feu. Belle intuition qui donnera le ton de la position française pour les années qui suivirent ! Pendant plusieurs années, en effet, cette thèse restera, contre vents et marées, la seule officielle. Ce qui importe avant tout à la France de Monsieur Jacques Chirac, c’est de maintenir de bonnes relations avec Djibouti, qui abrite la principale base française de la région. Coûte que coûte, fût-ce au mépris de la vérité due à un fonctionnaire français mort en service et à sa famille.

Paris ne reculera devant rien pour préserver la belle amitié qui nous unit à Djibouti : d’une justice couchée et ne respectant pas les droits des parties civiles à une enquête plus que partiale d’une Brigade criminelle aux ordres, en passant par les intimidations de Madame Borrel et de témoins ou par les pressions plus ou moins discrètes sur les médias,  on aura droit à toute la panoplie d’une « affaire d’Etat » aux relents nauséabonds de Françafrique et d’intérêts occultes.

En 2000, un témoin clé sort de l’ombre : Monsieur Mohamed Saleh Aloumekani, ancien officier de la garde présidentielle djiboutienne en exil – et dont nous honorons, à l’ESISC, qu’il soit aujourd’hui l’un de nos collaborateurs – affirme avoir entendu, le lendemain de la mort de Monsieur Borrel, dans les jardins du Palais présidentiel, une conversation  accablante entre plusieurs hommes. L’un d’eux n’était autre qu’Ismail Omar Guelleh, à l’époque chef de cabinet du Président et responsable des services de sécurité.  Guelleh est aujourd’hui président de la République. Ce 19 octobre 1995, des hommes de main venaient lui affirmer que « le juge fouineur » était mort et « qu’il n’y avait aucune trace ». Entendu à plusieurs reprises au cours des années qui suivirent, Monsieur Aloumekani ne devait jamais varier d’un mot dans ses dépositions.

Enfin, après une enquête plus que chaotique et manifestement orientée de manière à coller à la thèse officielle, Madame Sophie Clément reprenait le dossier en juin 2002. Elle devait mener son instruction avec indépendance et diligence.

Quand il deviendra clair que l’affaire échappe à tout contrôle, la France de Monsieur Chirac ira plus loin encore dans la voie du renoncement : elle conseillera le président Guelleh quant aux meilleurs moyens de… contre-attaquer. En 2004, le ministre de la Justice, Monsieur Perben, s’engage à remettre une copie du dossier Borrel aux autorités de Djibouti. La juge Clément refuse cette consigne qui visait exclusivement à permettre à des personnes susceptibles d’être mises en cause de prendre connaissance des éléments accumulés contre eux. Alors, l’ambassade de France – qui ne peut agir de la sorte, on s’en doute, qu’à l’initiative des plus hautes autorités à Paris -  avisera le président Guelleh que Djibouti peut introduire un recours à la Cour internationale de Justice. Une ambassade française conseillant un gouvernement étranger sur la meilleure manière de porter plainte contre Paris : c’est sans doute là un cas unique dans les anales diplomatiques françaises sinon mondiales…

Mais la vérité est désormais en marche. Le 19 juin 2007, Madame Elisabeth Borrel est reçue par le président français de la République. Monsieur Sarkozy l’assure que « son souci est la vérité ». Dans la soirée, le parquet de Paris publie le communiqué suivant : « Le procureur de la République de Paris, en accord et comme suite à la demande de Mme Sophie Clément, vice-présidente chargée de l'instruction de l'affaire Borrel, précise que si la thèse du suicide a pu être un temps privilégiée, les éléments recueillis notamment depuis 2002 militent en faveur d'un acte criminel. » 

C’est une première victoire. L’acharnement d’une veuve, d’une magistrate et d’un homme seul ont porté leurs fruits. Les relations entre Paris et Djibouti viennent de prendre un sérieux coup de froid mais l’on peut désormais espérer que Monsieur Bernard Borrel, mort pour la France, obtiendra enfin douze ans après sa mort, ce à quoi il a droit : la justice.   

 

 

 

 


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